dimanche 27 décembre 2015

les mondes noirs : 13

Un bruit la fit se retourner. Elle tiqua à la vue du grand prêtre qui arrivait. Il était imposant pour un mâle. Il avait le pouvoir que lui conférait l’Idole. Il était le seul à pouvoir la toucher. Il marchait à grands pas. Il dépassa la reine sans même la regarder. Il s’approcha de la statue dorée. La reine, qui voyait pour la première fois l’Idole dans la lumière, fut étonnée par sa taille. Elle ne la connaissait que dans le temple, dans la salle sombre aux senteurs d’encens. Le grand prêtre fit de nombreuses salutations et quand il fut à portée de main de la statue, il poussa un grand cri. Les gardiens qui l’accompagnaient le virent tomber. Ils coururent lui porter secours. La reine sentait qu’elle perdait le contrôle de la situation. Elle avait marché trop vite pour que ses gardes soient là. Elle regarda les gardiens relever le grand prêtre et le soutenir. Son visage était décomposé. Elle sentit une joie mauvaise l’envahir. Elle pensa que ce pauvre fou croyait peut-être ce qu’il professait. Cela faisait longtemps qu’elle avait perdu la foi de son enfance dans cet Idole censée la protéger des mondes noirs. Elle n’y voyait qu’un tas de pierre recouvert d’or. Elle pensa même un instant qu’elle allait pouvoir mettre la main dessus à la faveur des événements qui arrivaient.
Les gardiens revenaient en soutenant leur maître qui reprenait quelques couleurs.
- Allons, grand prêtre, on va bien arriver à la ramener à sa place, lui dit-elle quand il approcha.
Le grand prêtre la regarda avec des yeux hagards et lui répondit :
- Pauvre folle ! Nous sommes perdus ! L’homuncule a disparu. Les mondes noirs vont nous engloutir.
La reine eut presque envie de rire. Pourtant quelque chose la retint. Si ces vieux fonds de superstition étaient vrais. Elle claqua des doigts. Immédiatement une amazone vint à sa hauteur.
- Prends avec toi une escouade et va sur les frontières. Puis reviens me faire ton rapport.
Le royaume occupait un vaste plateau aux bords abrupts. Il n’existait qu’un passage à sa connaissance pour en descendre : l’escalier lumineux. Les autres endroits avaient été soigneusement barricadés. La reine comptait plus sur ces falaises pour les isoler des mondes noirs que sur la prétendue protection de l’Idole. Pourtant, elle ne pouvait se départir d’une angoisse sourde. Quelque chose n’allait pas. Elle chassa l’insecte qui tentait de la piquer et tenta de faire le point. Fallait-il envoyer l’armée dans les mondes noirs chercher ce mâle bleu maintenant que l’Idole était ici ? Elle pesa le pour et le contre. Elle se fit à nouveau piquer par une bestiole. Elle se retourna en entendant un cri. Sa dame première était entourée d’une nuée d’insectes volants et tentait par de grands gestes de les éloigner. Elle repensa à ce qu’avait dit le paysan. Une source coulait non loin. L’eau devait attirer les nuisibles. Elle chassa de nouveau un insecte de sa robe. Elle ne connaissait pas cette race. Cela ressemblait aux mouches qui périodiquement apparaissaient en ville, mais en plus gros avec une sorte de rostre. Elle écrasa la bête qui s’aplatit dans un bruit de carapace qui casse, laissant une trace rouge sang sur sa robe. La reine recula. Autant ne pas rester là. Elle ne pouvait rien faire de plus. Après quelques pas, elle regarda vers l’Idole. Sans l’homuncule, elle était vraiment un tas de pierre. Sa dame première la suivait. Elle remarqua que sa robe était constellée de tâches de sang. La reine s’arrêta pour l’attendre. La nuée d’insectes hématophages volait un peu plus loin. Elles étaient maintenant à l’abri de leurs méfaits.
- Je n’ai jamais rien vu de pareil, lui dit sa suivante. J’ai cru mourir !
Son visage était boursouflé par les piqûres.
- Nous devions être trop près de l’eau, répondit la reine.
- Je ne crois pas. Je connais cet endroit, jamais je n’avais vu cela.
La reine regarda sa suivante d’un drôle d’air. Elle n’aimait pas ce pressentiment qui ne la quittait pas. Son instinct étant peut-être sa meilleure arme, elle décida de le suivre.
- Rentrons, il faut que l’armée parte tout de suite.
Elle fit, toujours au pas de course de ses porteurs, le retour. À peine arrivée au palais, elle distribua les ordres, convoquant le conseil, ordonnant de réunir tous les clans pour une assemblée. Elle se dirigea vers le balcon des discours, laissant derrière elle toutes ses suivantes dont les robes, trop étroites suivant la mode actuelle, ne leur permettaient pas de faire de grandes enjambées. La reine leur cria avant qu’elles ne soient trop loin derrière :
- Que les amazones viennent immédiatement me faire leur rapport, dès leur retour.
Surgissant sur le balcon, elle surprit tous les mâles qui s’étaient mis au repos. Les goulques glapirent si fort qu’on les entendit dans toute la ville. Ce fut un chaos complet pendant un moment pendant que tous se remettaient debout. La reine n”attendit pas le retour au calme pour exhorter les mâles. Elle fut d'autant plus convaincante qu’ils perçurent sa peur. Les mâles royaux en furent assez perturbés pour laisser les mâles bleus prendre la tête du cortège. C’est aux accents guerriers d’une chanson de marche qu’ils se dirigèrent vers l’escalier de lumière. Loin derrière, les gens de l’intendance se regardaient les yeux emplis de peur.

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