vendredi 1 janvier 2016

Les mondes noirs : 14

En haut de l'escalier, ils marquèrent le pas. Se tenant rendant sur le côté, ils laissèrent la place pour que les mâles royaux reprennent la tête de l'expédition. Ceux-ci chantèrent plus fort pour bien montrer qu'ils ne connaissaient pas la peur. Pourtant, ils ralentirent fortement avant de mettre le pied sur la première marche. Inexorablement, ils descendirent. Seuls un ou deux mâles remarquèrent que la mousse avait envahi la dernière marche. Les autres regardaient avec angoisse la brume qui recouvrait tout. Le premier rang disparut dans le brouillard. Le deuxième fit de même. Le sol était spongieux, instable. Mafgrok ne pensait pas que les mondes noirs étaient ainsi. Son imaginaire n'avait jamais mis d'image sur ces lieux. Mafgrok était un mâle du deuxième rang. Il continuait à chanter sans y penser. Il voyait à peine ceux devant lui et seul le son des voix lui donnait la position des autres. Il devait faire attention à la manière de poser ses pieds. Derrière les autres rangs suivaient. Les gardiens et les goulques descendaient sur les côtés. Il entendit leurs glapissements de joie quand elles arrivèrent en bas des marches. Quelques insectes volaient bruyamment autour d’eux. Il devinait leur silhouette parfois dans le brouillard. Il entendit un juron suivi d’une claque sur sa droite, puis d’autres fusèrent et encore d’autres. Le chant s’effilocha. Il entendit un vrombissement non loin de lui. Il chercha la bête. D’un coup cela s’arrêta. Mafgrok cria de surprise et de douleur. Il sentit une brûlure sur son poignet. Il secoua sa main gauche et vit s’envoler un gros insecte gris aux ailes multiples. Il regarda le point douloureux et découvrit du sang qui coulait. À son tour, il jura. Un autre insecte s’approcha de ses oreilles. Mafgrok fit des grands gestes pour chasser l’intrus, comme ses voisins. Il se mit peu à peu à courir pour tenter d’échapper à ces agresseurs volants qui arrachaient un bout de peau chaque fois qu’ils arrivaient à se poser sur une partie du corps. Ses réflexes furent juste assez rapides pour éviter la lame d’épée qui siffla. Il se jeta à terre, s’étalant dans une flaque de liquide visqueux et nauséabond. Il se releva aussi vite, dégainant sa propre épée et un de ses larges couteaux. Mi accroupi, il cherchait l’ennemi et ne le trouva pas. Il entendit :
- Saloperies de saloperies de saloperies….
C’était la voix grave de Dlealon, un mâle premier bien connu pour ses exploits. Il semblait devenu fou. Sabrant l’air en tous sens, il tentait de détruire tous les insectes arrivant en tous sens. Mafgrok dégoulinait de boue dans laquelle gigotaient des sortes de vers noirâtres dont la vue lui donna des nausées. Ils s’accrochaient à ses jambes. Il en chassa un du plat de sa dague. Ce dernier sembla y adhérer. Il dut secouer violemment son arme pour qu’il tombe. Autour de lui, de plus en plus de gens criaient. Mafgrok n’avait aucune vision générale de la situation. Dlealon continuait ses grands gestes. Il était tellement en colère qu’il ne regardait plus rien d’autre que ces nués d’insectes gris au vol bruyant. Mafgrok avait lui aussi subi de nouvelles attaques. Comme elles n’avaient lieu que sur les parties découvertes ou sans boue, il s’était recouvert le visage et les mains du liquide dans lequel il pataugeait. Il avait enlevé des vers noirs qui avaient profité de l’occasion pour s’accrocher à sa peau. Cela lui avait laissé des cicatrices en forme d’étoile à cinq branches qui étaient comme autant de brûlures. Il avait de légers vertiges, des nausées et se sentait un peu ivre. Il jura contre toutes ces bestioles. Dlealon devait être plus atteint que lui. Il l’entendit hurler qu’il allait tous les crever. Dlealon tua son premier compagnon peu après, dans un grand geste fauchant qui déchiqueta au moins deux agresseurs volants. Il partit d’un rire dément, continuant sa danse désordonnée, multipliant les moulinets de sa longue épée. Mafgrok eut l’impression que le monde devenait fou autour de lui. Après Dlealon, ce fut Mokgrav et Tralman qu’il entendit hurler. Accroupi, il se recula juste à temps pour ne pas être heurté par Thiaré qui s’effondrait devant lui. Mafgrok eut un haut le cœur en voyant les entrailles de son compagnon se déverser sur le sol. La surface brun noir sembla bouillonner. Mafgrok ne put se retenir de hurler de peur. Des dizaines de corps sinueux verts et noirs se jetèrent sur Thiaré, le dévorant vivant.
Mafgrok se mit à fuir, comme un fou. Il courait sans même réfléchir, il n’était plus qu’un instinct de survie. Se protégeant à coups d’estocs, feintant en tous sens, il évita les attaques de ses amis et compagnons qui semblaient être tous devenus fous. Il ne savait même pas où il courait. La seule chose qui comptait, était de survivre à la seconde d’après. Il vit passer un gardien dont la masse faillit le renverser, celui-ci ne pensait qu’à protéger sa tête d’une nuée d’insectes gris. Sa ceinture pulsait d’une étrange couleur violette, témoignant ainsi que la goulque dont il était responsable était hors de portée. Dans un coin de son esprit, la panique s’insinua. Une goulque sans contrôle était quasi invincible pour un homme même entraîné comme lui.
Fuir ! Fuir ! FUIR !

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