lundi 25 janvier 2016

Les mondes noirs : 20

Quand ils s’enfoncèrent dans le brouillard, la lumière devint laiteuse. La goulque de tête reniflait et tirait suivant une improbable piste vieille de plusieurs jours. Derrière elle, le gardien la contrôlait du mieux qu’il pouvait en tenant la laisse courte. Il regrettait sa ceinture. Avec les cristaux de commandement, il savait obliger ces bêtes aussi grosses que lui à se tenir tranquilles. Sans ceinture ni collier, il ne pouvait compter que sur sa force. À ce rythme-là, il ne tiendrait pas longtemps. Derrière lui, le deuxième gardien vivait un sort contraire. Sa goulque se laissait tirer, n’avançant qu’à contre-cœur. À chaque pas, on entendait un bruit de succion écœurant. L’odeur était fétide. Ils avancèrent ainsi un moment, tous sur le qui-vive, ne sachant pas si les scorpions volants viendraient ou pas. Certaines amazones avaient même sorti leurs armes. La nuit tomba doucement sans autre incident. Une étrange lueur jaune vert se diffusait dans le brouillard. Cette chiche lumière leur évitait de préparer des lampes. Ils commençaient presque à se détendre quand on entendit un grondement sourd. Les goulques glapirent. Toute la file s’immobilisa, l’arme au poing, cherchant partout un ennemi. Ils marchaient sur une sorte de mousse, parsemée d’herbes sombres. On entendit une suite de bruits de pas lourds et mouillés. Chamli pensa que les goulques venaient de faire fuir un animal qu’elle ne parvenait même pas à imaginer. Le silence revint, plus lourd, plus pesant.
   - T’entends quelque chose ? murmura quelqu’un.
   - Non, rien, répondit son voisin.
Le temps s’écoula sans bruit.
   - Allez, on se remet en route, dit Mafgrok. L’autre est bien passé. On va y arriver.
Les gardiens claquèrent de la langue pour faire repartir les goulques qui grognaient. Elles obéirent, tout en émettant une sorte de grondement sourd.
   - Elles sont pas contentes, dit le premier au second. 

   - Moi non plus, j’suis pas content ! répliqua le deuxième gardien.
   - Oui, mais toi… t’as pas l’choix !
Lentement la colonne se remit en marche. C’est à ce moment-là qu’il y eut un cri :
   - Hibkin est enfoncé dans la vase !
   - Aide-le, lui répondit quelqu’un.
  - J’y arrive pas !
Il y eut un moment de flottement. Devait-on s’arrêter, la laisser ? On entendit toutes les opinions. Personne ne se bougea vraiment à part Repsin son aide de camp. Hibkin était un mâle du clan orange. Mafgrok grogna mais donna l’ordre d’aller voir ce qu’il se passait. On s’approcha avec prudence en tâtant le terrain. Hibkin avait déjà un mollet presque enfoncé jusqu’au genou. L’autre jambe était encore sur un terrain plus ferme mais Hibkin n’avait pas la force de se sortir de là. Repsin le tenait par le bras et tirait sans que rien ne bouge.
Chamli s’approcha aussi. Elle sentait autour de son cou l’amulette devenir lourde. Elle s’arrêta. Le phénomène se calma un peu. Un pas en avant et le cordon vint lui tirer sur la nuque. Elle fit un pas en arrière, elle sentit la légèreté. Elle resta en retrait, essayant de comprendre ce que lui disait l’amulette. D’autres s’approchaient, plus curieux de voir ce qui allait se passer que d’aider.
Hibkin commençait à avoir vraiment peur. Son genou ne dépassait plus de la fange. Son autre jambe faisait maintenant un angle douloureux. Repsin tirait de toutes forces sur le bras de son maître.
Chimla vit que les gardiens peinaient à contrôler les goulques qui tentaient de s’éloigner de l’endroit. Elle fit un nouveau pas en arrière, allégeant son cou. Les silhouettes se perdirent dans la brume luminescente.
   - On va s’y mettre à plusieurs, dit Bervis. Tiens, Hibkin ! Passe cette corde autour de toi, qu’on puisse te tirer.
Le temps qu’il fasse le nœud, la moitié de sa cuisse avait disparu. Hibkin grimaçait de douleur, se sentant écartelé.
De sa place, Chimla, vit quatre hommes se mettre à tirer de toutes leurs forces sur la corde. Tout sembla se figer comme dans un tableau peint. Hibkin était comme un nain entouré de géants mais un nain dont la taille diminuait. Malgré tous leurs efforts, Hibkin s’enfonçait :
   - Ça m’aspire, hurla-t-il, ÇA M’ASPIRE !
Les quatre tireurs firent un effort supplémentaire qui fit crier Hibkin. Malgré cela, ils le virent s’enfoncer lentement mais inexorablement dans un hurlement de terreur qui ne s’acheva que lorsque la fange lui remplit la bouche.
Le silence qui s’en suivit, fut plus terrible encore.

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