samedi 30 janvier 2016

Les mondes noirs : 22

Les gens s’étaient mis par affinités sur cet îlot sec. Tordak et Chimla s’étaient vus repoussés vers l’arbre. Ils campaient très près du tronc. Trop près au goût de Chimla qui s’étaient fait déchirer la peau lors d’un simple frôlement. Les amazones occupaient un morceau de terrain sous une grosse branche, ce qui délimitait une bande confortable assez longue. Il y avait chez les amazones des petits clans une certaine entente. L’une d’elle avait réussi à transporter du feu. Même s’il n’était pas bien gros, les petites flammes du foyer réchauffaient les esprits. Elles mettaient assez souvent en commun leurs forces dans des alliances entre clans. Même si l’on ne pouvait parler d’entraide, il y avait une sorte de convivialité qu’on ne trouvait pas chez les guerriers. Chacun couple guerrier-serviteur avait délimité son territoire, se mettant plus loin de ceux qu’ils n’aimaient pas ou qu’ils redoutaient. Leur orgueil les poussait à être les plus forts. C’est pourquoi aucun n’avait pris de feu. Les autres auraient vu cela comme une faiblesse.
Chimla sortit du sac les galettes de route. C'était une nourriture dense à défaut d'être bonne. Ils mâchèrent en silence. Autour d’eux, le même silence régnait simplement troublé par les bavardages venus du camp des amazones. La fatigue se faisait sentir. Chimla piquait du nez entre deux bouchées. La lumière changeait doucement. Tordak s’était maintenant allongé pour dormir un peu. Chimla s’endormait assise. Sa tête tombait en avant, la réveillant. Elle ouvrit les yeux une nouvelle fois. Regarda un peu autour d’elle et voulut s’allonger pour dormir. Son amulette se mit à peser lourd, trop lourd. Elle se remit assise. Le poids était moindre, mais encore présent. Elle se leva, l’amulette se fit oublier. Elle commença à s’appuyer sur l’arbre et se redressa en poussant un cri de douleur. Du sang coulait de son épaule. Chimla jura. Son cri avait soulevé la tête de quelques guerriers qui lui jetèrent des regards torves. Tordak aussi se réveilla et la regarda. Puis il regarda autour de lui. Autour de son cou, Chimla sentit à nouveau le poids de l’amulette. Si elle se baissait, le cordon lui faisait plus mal. Elle commença à escalader le tronc pour soulager son cou. Elle arriva à un espace dégagé, sans épines aucune. Le tronc et les branches étaient couverts des mêmes épines que par terre, rendant l’endroit aussi agréable qu’un nid. Elle décida de s’allonger là. Elle vit arriver Tordak. Il passa la tête au-dessus de la branche et regarda où était Chimla. Il fit :
- Ah oui !
 Elle le vit disparaître. Quelques instants plus tard, il remontait. Elle vit d’abord les sacs, le sien suivi de celui de Tordak, puis elle vit la tête de ce dernier émerger en jurant :
- Saloperies d’épines !
Elle le vit essuyer du sang sur son bras.
- Faudra faire attention en redescendant, dit-il. Il nous reste assez de temps pour nous reposer.
Regardant autour de lui, tout en s’allongeant, il ajouta : 

- Il avait trouvé un bon coin. Même pas besoin de faire le guet.
Chimla déjà ne l’écoutait plus. Elle avait sombré dans le sommeil. Son rêve devint cauchemar. Elle était dans le palais avec Dame Longpeng à discuter quand explosèrent des cris. Chimla vit les dames du conseil se précipiter pour égorger sa maîtresse. Elle essayait sans succès de s’y opposer, les cris redoublaient…
Chimla se réveilla en sursaut. On criait bien. Son rêve n’était que réalité. Tordak était au-dessus du puits d’entrée, son épée dans une main et sa dague dans l’autre. Chimla s’approcha de lui.
Elle murmura :
- Qu’est-ce qui se passe ?
- On se bat en dessous, répondit Tordak sur le même ton.
On entendait glapir les goulques et les cris des guerriers. Le fracas des armes qui s’entrechoquaient couvrait tout le reste. Cela dura un moment. Puis le silence revint.
Ils restèrent immobiles un moment. Tordak fut le premier à bouger :
- Reste avec les sacs ici, j’vais voir.
Il allait s’engager dans la descente quand il s’arrêta un instant, regarda Chimla et lui demanda :
- T’as une arme ?
Chimla sortit sa dague. Tordak la regarda comme on regarde un jouet et dit :
- Ça devrait suffire.
Elle le vit disparaître, attentif à ce qui se passait en bas. Il remonta bien vite.
- Le jour est là et les scorpions aussi.
Il se dirigea vers son armure et s’en revêtit. Puis il reprit sa descente pendant que Chimla s’équipait.
Le temps passait sans qu’il remonte. Chimla entendait des bruits et des conversations. Elle décida de descendre aussi.
Personne ne fit attention à elle. Tous les présents avaient remis leurs armures. Des scorpions volants passaient çà et là. Tordak discutait plus loin. À terre, elle vit plusieurs corps, dont certains difformes. Ces êtres lui évoquèrent les récits de monstres des mondes noirs. Ces histoires, horribles étaient racontées le soir aux enfants pour les faire tenir tranquilles.
Chimla s’approchait du groupe qui discutait :
- Les monstres… ils vont revenir, disait Dalk.
- Je ne sais pas, répondit Mafgrok. On les a bien étrillés.
- Les amazones ont payé un lourd tribut, dit Gietta du clan amarante.
- Elles ont surtout payé leur amateurisme, répliqua Mafgrok.
Chimla les laissa à leur dispute pour faire le tour du campement. Les amazones avaient le plus de pertes. Pour être précis, les servantes avaient été les plus atteintes. Trop heureuses de pouvoir enfin se libérer du carcan de cuir, elles avaient ôté leurs armures. L’attaque les avait surprises dans un demi-sommeil sans défense. Il y avait aussi des morts parmi les amazones.
Les attaquants avaient des branches de riek comme armes. Les épines tranchantes faisaient de profondes coupures. Les blessés étaient aussi assez nombreux. Chimla découvrait leur visage. Elle sursauta en voyant les dégâts. Les épines de riek avaient labouré les crânes, déchiquetés les joues, arrachés des yeux. Les corps eux-mêmes étaient lourdement atteints. Elle se demanda si, à part Tordak et elle, il y avait eu des survivants sans blessures. Les amazones survivantes se pansaient l’une l’autre. Les blessés gémissaient ou râlaient, agonisant. Plusieurs guerriers, qui avaient gardé en partie leur armure, s’occupaient de les achever, les égorgeant proprement.
Chimla vit au bout du camp les gardiens et leurs goulques. Même eux avaient des plaies. Si une goulque semblait en bonne forme, l’autre léchait le sang qui coulait encore de sa patte gauche.
Revenant sur ses pas, elle aida à pousser les corps des assaillants à l’extérieur du camp. Dès qu’elle atteignait le bord du tapis d’aiguilles et tombait dans l’eau, la dépouille se trouvait comme agitée de soubresauts. Chimla vit avec répugnance que cela était dû à une multitude de petites formes noires serpentiformes qui accouraient, attirées par l’odeur de la mort.
Le tapis d’aiguilles était rouge brun de sang. Chaque pas faisait un bruit poisseux. Chimla revint vers le centre du camp. Les discussions étaient toujours vives. Que fallait-il faire des morts ? Certains parlaient de leurs rendre les honneurs habituels mais sans faire le bûcher traditionnel. Le bois dans les mondes noirs était trop humide pour brûler correctement. D’autres voulaient les enterrer. On leur fit remarquer qu’on manquait de pelles. Mafgrok était pour les laisser là sous un tapis d’aiguilles. La plupart était contre cette idée qui heurtait la coutume. Chimla remarqua Tordak un peu en retrait qui ricanait. Elle s’approcha de lui.
- Ça t’amuse, lui demanda-t-elle ?
- Ils discutent de la décoration des fourreaux alors que les épées sont rouillées dedans.
- Que proposes-tu ?
- T’as une arme ?
- Ma dague !
Tordak se mit à rire franchement. Il se retourna et prit un bouclier et une épée.
- Je t’ai récupéré ça.
- Merci, dit Chimla.
- Te fais pas d’illusion, si j’te préfère en vie, c’est que ça me fait moins de poids sur le dos !
Chimla prit les armes. L’épée était trop longue pour elle. Elle ne voyait pas comment elle allait s’en servir. Le bouclier venait d’une amazone, il était vert-bleu. Ça ne valait pas la couleur de son clan. Elle remercia Tordak. Intérieurement, elle aurait préféré qu’il soit parmi les victimes. Sas airs supérieurs l’indisposaient.
Maintenant, on retourne dans le riek. Les scales vont arriver !
Chimla voulut lui poser une question mais, il était déjà en train d’escalader le tronc.

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