mardi 12 janvier 2016

Les mondes noirs : 16

Le conseil des clans était réuni. Toutes les dames étaient là. La reine présidait. Les cris étaient nombreux comme les morts. La première attaque des insectes gris avait fait des ravages. Le nuage était arrivé par le nord. Il avait fallu du temps pour trouver que le feu les repoussait. La nuit semblait les avoir fait fuir. La question qui hantait tout le monde était : “Et demain” ?
- Nous nous en sortirons! Nous nous sommes toujours sortis !
- Oui, grâce à l’Idole, répliqua Dame Érausot, sur un ton de parfait mépris. Je demande la destitution royale.
Les cris redoublèrent. Cette procédure n’avait été employée qu’une fois. À l’époque les hommes gouvernaient. C’était l’ancêtre de la reine qui avait demandé devant le grand conseil des clans la destitution du roi, en raison de sa folie.
- Qui es-tu pour demander cela, répliqua la reine, toi qui n’as même plus le talisman de ton clan ?
C’est à ce moment-là que Mafgrok entra dans la salle. Chimla n’avait pu le suivre. Il s’était échappé par la fenêtre pendant qu’elle détournait l’attention des autres filles. Beaucoup avait été plus touchées qu’elle et se lamentaient sur leur sort. Chimla houspillait tout le monde et les mettait au travail. Il fallait soigner les blessés en attendant de savoir ce qu’il fallait en faire. C’est alors qu’arriva Karvach. Il voulait interroger les mâles survivants. Même s’il montrait des morsures d’insectes, il ne semblait pas affecté. Sa morgue et son arrogance faisaient merveille pour faire accélérer les gens et les choses. Il parcourut rapidement les salles pour évaluer qui pourrait être interrogé. Il n’en trouva que deux ou trois ayant encore suffisamment de conscience pour répondre sans trop délirer. Quand il arriva dans la salle de Chimla, il fit le tour rapidement, ne remarqua pas le lit replié sur lequel s’était tenu Mafgrok et s’en alla aussi brutalement qu’il était arrivé.
Le grand conseil des clans étant public, Mafgrok s’insinua entre les spectateurs dans les gradins. La quarantaine de dames de clan et la reine se défiaient en une sorte de rituel de pouvoir qui lui sembla ridicule aujourd’hui.
- Que feras-tu si tu as la couronne, lança la reine à Dame Érausot ? L’Idole est devenue impuissante !
- Pas impuissante, dit une voix d’homme.
Toutes les femmes se tournèrent vers celui qui venait d’entrer dans le cercle.
- La source n’est pas morte. Elle a été éloignée de la statue, ajouta-t-il. Il faut la retrouver et la remettre à sa place. En attendant, nous rendrons un culte à l’Idole près de la source où elle est arrivée. Sa puissance l’y a conduite, sa puissance l’a ramènera dans le temple.
- Pauvre fou ! Nous serons tous morts avant ! Aucun mâle n’a survécu au monde noir !
Dame Ségaze venait de se lever dans le frou-frou de sa robe à volant jaune.
- Ce n’est pas exact, dit Mafgrok depuis le public.
Dame Ségaze le foudroya du regard. Elle reconnut un mâle royal.
Seuls les couards qui n’y sont pas allés sont revenus.
Ce fut au tour de Dame Érausot de pâlir en entendant l’accusation. Si tous les mâles royaux semblaient avoir péri, la moitié des siens avait eu la présence d’esprit de ne pas descendre la dernière marche.
- J’ai obéi aux ordres, j’ai affronté les mondes noirs et en suis revenu pour l’honneur de ma reine.
- Parle, Mafgrok, dit la reine.
- J’étais au deuxième rang quand nous avons descendu les marches. Le brouillard nous attendaient. Personne ne connaissait ces insectes qui nous ont attaqués. Jamais ils n’étaient venus dans le royaume. Leur morsure est une brûlure pire que le fer rouge et leur venin fait perdre la tête. Mes compagnons ont tenté de s’en protéger, tout comme moi, avec leurs armes. En évitant l’épée de Dlealon, noble compagnon du premier rang, je suis tombé dans la fange qui recouvre tout dans ces lieux. Si l’odeur en est infecte pour nous, elle repousse ces scorpions volants. J’ai tenté de prévenir mes compagnons mais déjà le venin avait détruit leur bon sens. J’ai fait alors demi-tour pour apporter ma découverte à ma reine. Malheureusement, je fus assommé avant de pouvoir remplir ma mission.
- Qui t’a assommé, demanda la reine ?
- Les mâles bleus qui tenaient les marches !
- FOUTAISES, hurla Dame Érausot. C’est un lâche qui a renoncé à la première peur.
- Au contraire ! C’est un héros ! Il nous donne la solution face au mal que nous allons devoir affronter. Le feu et la boue seront nos armes pour résister le temps qu’une expédition ramène la source de la puissance.
- Nos armures ont résisté, ajouta Dame Ségaze. Mon clan saura survivre.
Un brouhaha se leva dans l’enceinte du conseil. Tout le monde y allait de son commentaire. Dame Érausot enrageait. La reine avait repris la main. Elle se jura de faire périr dans d’atroces souffrances ses informateurs qui lui avaient dit que pas un mâle n’était revenu indemne. Ce Mafgrok venait de faire capoter son plan, pourtant, elle reprit la parole :
- Fort bien, gentes dames. Je propose que ce mâle soit le responsable de la prochaine expédition.
Un murmure d’assentiment parcourut l’assemblée. Toutes les dames étaient d’accord pour envoyer d’autres mâles que les siens.
La reine revint au centre et reprit la parole. Elle ne supportait pas de se faire voler la primauté.
- Que chaque clan fournisse un mâle et son équipement. Un petit groupe a des chances de passer là où une armée échoue. Quant à l’intendance, le clan bleu y pourvoira.
Dame Érausot eut un sourire de façade tout en bouillant intérieurement. La reine remportait cette bataille.  Dame Érausot ne doutait pas de remporter la victoire finale et qu’importe si la moitié du royaume disparaissait pour qu’elle prenne le pouvoir, l’important était d’avoir le pouvoir.

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