mercredi 2 décembre 2015

les mondes noirs : 8

La reine écoutait les yeux plissés. Ce signe de concentration intense mettait mal à l’aise Kricht et Sschmall. Ils faisaient leur rapport devant la reine après l’avoir fait devant le grand prêtre. Ce dernier les avait aussi soigneusement préparés que possible à rencontrer la reine. Elle avait le don de comprendre ce qu’on ne voulait pas lui dire et avec deux imbéciles comme ceux-là, le grand prêtre craignait le pire. L’ambiance était lourde et les cris de leurs compagnons n’étaient pas là pour les encourager.
La reine s’était fait préciser le déroulement des évènements. Lors de la première veille de la nuit, quelque chose était arrivé. Les gardiens, même torturés, avaient tous parlé de l’Idole en marche. La reine avait une foi minimum et ne croyait pas que ce tas de pierres pouvait bouger. Quelque chose l’avait mis en mouvement. Ce quelque chose avait à voir avec la bande de la taverne du puits sans fond. Ses informateurs connaissaient tout de cette bande. Ils savaient sur chacun des membres, le clan d’origine, la position hiérarchique, les antécédents judiciaires et pour certains, ils savaient même leurs capacités à se battre ou à voler. Mircht avait donné l’alerte. Il avait découvert l’absence de l’Idole en venant prendre son tour de veille. Ses cris avaient réveillé les goulques et les goulques avaient réveillé tout le monde. Kircht, Sschmall et leurs patrouilles étaient intervenus dès les premiers cris. Ils ne payaient pas de mine mais avaient fait ce qui devait être fait. La bande de la taverne du puits sans fond avait présenté des signes suspects. D’abord, ils n’étaient pas saouls et ils avaient tous fui en voyant les gardiens sortir patrouiller avec les goulques. Ils avaient vu la bande s’égayer comme un vol de moineaux. Devant cette évidente culpabilité, ils avaient donné la chasse et, devant le refus de coopérer de tous, les avaient exterminés sauf un. Kricht et Sschmall n’en menaient pas large. Tout le monde connaissait la rivalité entre la reine et le clan bleu, ou plus exactement entre la reine et Dame Longpeng.
Ils auraient bien raconté tout ce qu’ils savaient à la reine mais le grand prêtre devait un service à Dame Longpeng. Il leur avait interdit de citer le nom de Karabval, tout en sachant que ni Kricht ni Sschmall n’avaient les nerfs assez solides pour tenir tête à la reine.
Le grand prêtre écoutait les gaffes des gardiens. La reine les amenait là où elle le voulait et le nom de Karabval fut prononcé. Il vit le sourire sadique de la reine à cette nouvelle. Elle allait pouvoir enfin la coincer, cette Dame Longpeng, qui avait toujours si bien manoeuvré que l’arc-en-ciel des clans commençait maintenant par le bleu.
La reine préparait dans sa tête son plan d’action pour abattre le clan bleu, tout en se faisant préciser des détails comme le nombre de morts et le nom des clans impliqués.
- Qu’on convoque l’armée, dit-elle. Personne ne peut rester dans les mondes noirs. Il a dû réussir à rentrer à son château.
Autour d’elle, les serviteurs se précipitèrent. On ne faisait pas attendre la reine si on tenait à la vie. Kricht et Sschmall, toujours agenouillés devant le trône, tremblaient de peur. Ils pensaient avoir été oubliés mais n’osaient pas bouger. Kricht aurait donné beaucoup pour être avec ses goulques à patrouiller sur les toits du temple à son habitude. Quant à Sschmall, il se répétait comme un mantra : “Ne pas bouger ! Ne pas bouger !”
Le chef de l’armée arriva ventre à terre, suivi par son état-major. Il s’inclina profondément sans pour autant mettre les genoux à terre. Kricht qui n’avait toujours pas relevé la tête, voyait juste ses bottes et son sabre. Les soldats étaient moins grands que les gardiens. Pour s’être parfois battu avec, il savait qu’ils compensaient leur manque d’allonge et de puissance par un entraînement de tous les jours à la limite du supportable. Tout le monde savait qu’il y avait des morts. Cela rendait l’armée presque invincible.
- Tu sais ? dit la reine.
- Oui, ma reine. Je sais, mais je ne sais pas qui.
- Le clan bleu trempe là-dedans. Je veux que tu récupères un de leurs mâles. Karabval !
Le chef de l’armée sursauta :
- Le préféré de Dame Longpeng ?
- Celui-là même et je le veux vivant.
- Qu’il soit fait comme tu le désires, dit-il en s’inclinant pour prendre congé.
- Emmène ces deux-là… ils peuvent te donner des indications.
Le chef de l’armée toucha l’épaule de Kricht :
- Venez !
Kricht et Sschmall sortirent derrière le groupe de l’état-major, tête basse comme deux enfants pris en faute. Ils dépassaient les soldats de plus de deux têtes sans se sentir en sécurité. Le grand prêtre n’avait rien dit en leur faveur. Ils avaient échoué dans leur mission.  Verraient-ils la fin de la journée ?
Leur groupe croisa une délégation du clan bleu qui entrait. Kricht et Sschmall eurent la même pensée. Ils ne seraient pas les seuls à connaître la tempête.

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