samedi 5 mars 2016

Les mondes noirs : 31

Le soleil était déjà haut quand Karabval se réveilla. Il avait faim et soif, surtout soif. L’eau douceâtre qu’il avait bue, il y a … il ne savait plus, n’avait pas étanché sa soif. Il descendit avec précaution du riek. Il avait repris le manteau pour protéger ses mains des épines coupantes. Avant d’arriver en bas, il fit une halte, se mettant la tête en bas pour observer. Il avait failli se faire avoir une fois dans les premiers jours. Maintenant, il avait appris. Sous le riek, tout semblait calme. Il finit sa descente. Dans les mondes noirs, on ne voyait jamais le soleil toujours noyé de brume. Pour une fois la luminosité était assez forte. Il prit autour de son cou le petit sac qui contenait l’homonculus. Il le laissa pendre au bout de son cordon. Fermant les yeux, il fit le vide en lui. Rien, il se concentra sur ce rien, écartant les idées au fur et à mesure qu’elles se présentaient à son esprit. Il sentit alors la traction. Comme toujours elle était ténue. Il patienta un peu avant d’ouvrir les yeux. La précipitation était défavorable. Devant lui, le sac avait bougé. Il ne pendait plus à la verticale mais tirait vers une direction. Karabval regarda. Un tronc sombre lui servirait de premier repère. Après, il verrait bien. Il faisait confiance à l’homonculus qui l’avait, à chaque fois amené là où il fallait qu’il soit.
Il vit le serpent avant que le serpent ne le voie. Karabaval était sur une partie solide du sol. Le serpent se reposait sur la mousse spongieuse. Réfléchissant à la manière dont il allait en faire son déjeuner, il dégaina son sabre. Le serpent était difficile à chasser sauf s’il digérait. Karabval l’observa cherchant le renflement qui lui indiquerait qu’il avait l’estomac plein. Il avança jusqu’à la limite de la mousse. La moindre vaguelette alerterait la bête. Il allait devoir bondir pour l’atteindre. Alors qu’il allait agir, Karabval vit le serpent se mettre en mouvement. Il jura intérieurement. Il le suivit des yeux. Le reptile avançait de plus en plus vite. Il s’enroula et bondit en avant. Karabval fut étonné de le voir s’abattre sur une de ces bêtes couinantes qu’il avait fait fuir une fois ou l’autre. Le serpent s’enroula autour de sa proie. Il était beaucoup plus long que ce que Karabval avait estimé. L’eau giclait dans tous les sens, dans un bruit de remue-ménage assez fort pour attirer d’autres prédateurs. Karabval se précipita, levant haut son sabre. Frappant de taille, il envoya rouler les deux têtes qui se faisaient face. Les corps se convulsèrent encore quelques temps puis ce fut le silence. Rapidement, il découpa des morceaux du couinant. La viande aurait un meilleur goût que celle du serpent. Il repoussa les premiers nécrophages le temps de finir de désosser la bête. Puis, il partit en courant, laissant se faire le grouillement de tous les bestiaux qui voulaient profiter de l’aubaine. Un jeune riek poussant non loin lui servit de halte. Il s’assit à l’abri de l’arbre. Découpant de fines tranches de viande encore chaude, il se remplit l’estomac.
Repu, il se reprit la route. Il savait qu’il ne fallait pas baisser son attention quand on marchait dans les mondes noirs. Trop de dangers vous guettaient. Pourtant son esprit revenait sans cesse vers ses souvenirs. L’expérience dans le temple et ce qui avait suivi étaient les causes de sa présence ici. Il se fit peur une première fois en marchant sur un serpent étrangleur. Heureusement, il était petit. Karabval put le décapiter avec sa dague. Il resta un moment attentif avant de se reperdre dans ses pensées. La deuxième fois, sans sa cuirasse de cuir, il aurait été blessé. S’étant pris les pieds dans une racine à moitié cachée dans l’eau, il s’était étalé sur des branches enchevêtrées. L’une d’elles, cassée en biais, lui avait juste entaillé la peau. Le cuir épais de son justaucorps avait dévié la pointe acérée. Le souffle coupé, Karaval s’était relevé avec difficulté. Il se remit en marche lentement. Il savait qu’on ne pouvait pas s’arrêter n’importe où. Trop de bêtes guettaient l’immobile pour en faire leur proie. Il marcha ainsi, la douleur lui déchirant le flanc jusqu’au moment où ses jambes flageolèrent. Il fallait qu’il se repose et qu’il mange quelque chose. Il vit un arbre mort. Autour tout semblait dégagé, il s’y dirigea. Il vérifia que l’arbre était bien ce qu’il était. Il se hissa avec peine sur une fourche et entreprit de vérifier sa plaie. En quelques heures, elle était devenue noire et ce qui en coulait avait une couleur et une odeur nauséabonde. Il jura. Il n’avait pas le choix. Il prit le petit pot de crème qu’il avait volé au clan mauve. Il en restait malheureusement assez peu. Il étala ce qu’il put sur l’estafilade. Il sentit le découragement. Il ne lui en restait plus. À la prochaine plaie, sa vie serait en danger. Il mangea un peu malgré la nausée et s’attacha pour dormir. Il était trop fatigué pour continuer. Son esprit en profita pour vagabonder dans ses souvenirs. L’odeur de l’onguent le ramena en arrière…
Il était près de Cabk. Elle était jolie dans sa tenue mauve. C’était une servante de clan qui avait succombé à son charme. Karabval n’avait pas eu de peine à la séduire. Elle était jeune et impressionnable. Il l’avait sauvée de hors-clans qui la poursuivaient. Le reste avait été on ne peut plus simple. Il avait alors mission de trouver des pommades de soins par tous les moyens. Il avait trouvé plus pratique de séduire une servante que de risquer sa peau à aller en voler au clan mauve. Il connaissait assez de hors-clans pour que son plan fonctionne. Ils avaient accepté de jouer le rôle des méchants contre une petite rétribution. Cabk avait failli mourir de peur. L’arrivée d’un mâle même d’un autre clan avait été comme un miracle. Karabval, devenu son sauveur, put faire jouer la loi clanique.  Cabk avait été obligé de le fournir en crème à son sauveur. Il avait toujours gardé un pot jusqu’à ce jour. Il soupira à ce souvenir. Il avait réussi à calmer les éternelles démangeaisons que lui procuraient les brûlures du temple avec cet onguent.
Le souvenir des sensations de sa peau lui fit évoquer son retour au clan bleu. Quand il était arrivé derrière les jeunes mâles, un groupe plus jeune que le sien, ils s’étaient tous tenus cois. Karabval était sorti avec eux comme l’un d’eux. Même le mentor s’était tu. Il avait attendu d’être hors de vue du temple et des goulques pour intervenir. Karabval, tout à sa joie de s’en être sorti, ne l’avait pas vu s’arrêter et prendre place derrière lui. Alors qu’il pensait à la première chose qu’il allait faire en rentrant, Karabval sentit une main pesante s’abattre sur son épaule.
- Qui es-tu ?
Karabval se retourna, pliant les genoux pour se libérer de cette étreinte qui réveillait la douleur. Celui qui le dominait de sa haute taille était un mâle adulte qui ne le lâcha pas. Karabval grimaça.
- Réponds, dit son tortionnaire en appuyant plus fort.
- Je suis Karabval. Gambayou est mon mentor.
La pression se relâcha immédiatement.
- Ainsi tu n’es pas mort…
Le mentor du groupe lui donna une bourrade dans le dos :
- Alors avance, on verra bien ce qu’il dira.

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