mercredi 30 mars 2016

Les mondes noirs : 36

La douleur lancinante ne le quittait pas. Karabval sentait chacune de ses cicatrices. La brûlure semblait prendre de la force avec la pluie qui tombait sans discontinuer. Toujours la même, seule l’intensité changeait. Il pensa qu’il valait mieux être fou ou mort que de souffrir cela. Dans cet environnement hostile, il n’avait même pas Dame Longpeng pour le soulager. Avant, avant tout cela, quand il avait trop mal, Karabval s’invitait chez elle. Elle trouvait toujours le temps de le conduire dans cette pièce où il devait se mettre nu. Elle pratiquait de nouveaux rites. Si la Sanmaya ne le guérissait pas, elle le soulageait. Un jour où il se rhabillait, il avait vu Dame Longpeng s’asseoir et fermer les yeux un moment. Il avait découvert les profondes rides sur son visage et sur son cou. Il pensa avec horreur qu’elle était vieille et que si elle mourait, personne ne pourrait plus le soulager. Aujourd’hui, le jour était venu, personne ne pouvait le soulager. Autour de son cou, l’homonculus se fit plus lourd. Karabval quitta le riek. La douleur le rendit maladroit. Il laissa du sang sur les épines de l’arbre. Il s’avança d’un pas lourd sur le sol spongieux. Il était bien loin du jeune mâle fier et arrogant qui pouvait voler ce qu’il voulait. Aujourd’hui chaque pas était un effort. Il tombait une petite pluie fine et pénétrante. Il se mit à avancer comme un automate, suivant les indications d’un guide inaudible. Ses pensées dans le brouillard, il ne voyait même pas fuir les animaux devant lui. Une seule chose lui importait, trouver la direction qui soulagerait la tension de son cou. Le rythme du bruit mouillé de ses pieds s’enfonçant dans la mousse gorgée d’eau fut son seul compagnon dans ce monde liquide. Avant que la matinée ne soit très avancée, il était entièrement trempé. Ses vêtements pesaient de plus en plus lourd. Le corps de karabval n’était que douleur. Seule sa ténacité le tenait debout et lui faisait mettre un pied devant l’autre. Dans sa tête, les pensées étaient devenues une sorte de magma informe. De temps en temps, une image surnageait avant de sombrer dans un océan de lassitude. Il ne sut ni combien de temps ni vers où il avait marché. Il savait juste qu’il avait marché quand un riek se profila devant lui. L’’arbre était curieux. Ses branches torves couvertes d’épines descendaient jusqu’à terre. Les aiguilles formaient un tapis tout autour qui semblait flotter sur la masse verdâtre de la mousse. Leur couleur brun clair tranchait. Cette tâche presque vive lui fit espérer un repos. Il en fit le tour avant de trouver un petit passage par où se glisser. Bien que le jour ne soit pas encore très vieux, Karabval se laissa tomber à terre. Il eut à peine la force de s’enrouler dans son manteau que déjà il dormait.
Ses rêves l’emmenèrent dans le royaume. Il était à la taverne du puits sans fond. Son retour d’expédition était sujet à fête. Le butin était bon. Les goulques n’avaient rien dit. Personne n’avait été blessé. Malgré les ovations, il se sentait différent. Les cicatrices pulsaient doucement, lui rappelant un désir profond qui lui tenaillait les entrailles. Il avait le désir de voler le trésor des trésors, d’être le plus grand de tous les voleurs. Le chef des hors-clans le félicitait. On buvait. On riait. Pourtant en lui la faille n’avait jamais été aussi grande. Le prochain vol serait plus grand encore, plus audacieux. Les clans avaient beau se protéger, il trouvait la faille. Il avait émis l’idée de s’en prendre au temple. Le chef des hors-clans était entré dans une colère homérique, mettant fin à la fête. Karabval n’en avait jamais reparlé avec lui. Pourtant l’idée le tenaillait. Sans rien dire, il était entré une fois ou l’autre dans le temple par un de ces accès discrets. Il avait visité des chambres secrètes, ramené des trésors inestimables, mais avait toujours été déçu dans les jours qui suivaient. Cela ne suffisait pas. Il fallait plus. Il fallait qu’il soit celui dont tout le monde se souviendrait. Cette pensée l’avait hanté longtemps jusqu’à ce jour où il avait dû fuir dans le temple par le passage du premier jour. Si les goulques le laissaient tranquille, il n’en était pas de même des gardiens. C’est en les fuyant qu’il s’était retrouvé dans la pièce maudite où il avait tant souffert. La douleur s’était immédiatement réveillée avec violence. Il s’était raccroché à l’autel où il avait été sacrifié à la folie d’un vieux prêtre. Il avait dû fuir sans pouvoir reprendre souffle. Les gardiens étaient trop près. Dans le tunnel, ses pieds avaient heurté les mêmes obstacles et ses mains avaient rencontré les mêmes angles. Quand il s’était retrouvé dans la petite pièce poussiéreuse, il avait grimpé quatre à quatre les escaliers et s’était retrouvé sur le petit balcon près de la trappe dans le cou de l’Idole. C’est là qu’il avait eu l’illumination. Il allait voler l’homonculus.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire