jeudi 10 mars 2016

Les mondes noirs : 32

Un cri l’avait réveillé. Il écouta. C’était un aboiement rauque. Karabval se détacha. Il s’était fait surprendre par le sommeil dans un arbre mort. Il jura contre sa faiblesse. Son côté le lançait. Il avait pourtant l’impression que sa peau allait mieux. La nuit était tombée depuis longtemps. C'était la première fois qu'il se faisait surprendre hors d'un riek. Il s'était mis debout sur l’embranchement. Des lueurs vacillantes flottaient ici et là. Des bruissements entouraient l'arbre mort. Karabval entendit un claquement de mâchoires et vit disparaître une des petites lumières. Les autres prirent de l'altitude. L'une d'elles passa près de lui en vrombissant. Il vit passer un gros insecte bossu dont l'abdomen émettait cette étrange lueur. La première question qui lui vint à l'esprit fut celle de la dangerosité de la bête. Il la regarda s’éloigner. Il relâcha l’air de ses poumons. Il avait retenu sa respiration prêt à faire face, mais cette bestiole lumineuse n’était pas comme un scorpion volant. Un autre cri attira son attention. C’était assez loin. Pourtant quelque chose l’inquiétait. Il monta d’un étage sur les branches supérieures. Il se cala, toujours debout. Son instinct l’avertissait d’un danger, mais ses yeux ne voyaient rien dans ce crépuscule glauque. Il entendit le bruit que fait l’eau quand quelque chose tombe dedans. Cela se rapprochait. Il y eut un nouveau bruit, comme une porte qui grince. Cela lui mit les nerfs à vif. Les feuillages bougèrent non loin. Quoi que ce soit, cela venait vers lui. Doucement, il dégaina son sabre, plissant les yeux pour mieux voir. L’arbre frémit. Karabval scruta le tronc. Le noir était trop intense. L’arbre de nouveau trembla comme si la bête s’appuyait dessus. Il était assez haut pour se sentir en sécurité, sauf si ça grimpait aux arbres. Il avala sa salive. Le nuage de bestioles luminescentes perdait de l’altitude. Lentement, une ombre énorme surgit du noir. Il y eut un grand claquement de mâchoires quand une des bestioles passa trop près. Avant qu’elle ne s’éteigne, Karabval eut le temps de voir l’ombre des dents. De nouveau, il retint son souffle. L’arbre se mit à remuer. En bas la bête avait posé ses deux pattes avant sur le tronc pour le secouer. Karabval s’accrocha aux branches. Des grognements et des grincements venaient d’en bas, pendant que la bête cognait le bois. Brusquement, tout s’arrêta. Le silence fut plus impressionnant encore. Puis un cri retentit au loin. Du pied de l’arbre, la bête répondit par un cri semblable. Elle s’éloigna, cria, écouta la réponse et partit dans un bruit de gerbes d’eau. Le calme revint, seuls vrombissaient les insectes. Pourtant, il ne se sentait pas rassuré. Son instinct le gardait en éveil. Rêvait-il ? Il entendait comme un frottement au-dessus de lui. Il leva la tête, fouillant le noir du regard. De nouveau, on n’entendait plus que les insectes. De la poussière de bois lui tomba sur le visage, le faisant cligner des yeux. Sans rien voir, il abattit son sabre, le plantant dans une branche. Il avait tranché quelques chose. Il l’avait senti. Il passa le reste de la nuit sur le qui-vive sans vivre d’autres alertes. Quand la pâle lumière de l’aube revint, il découvrit la dépouille d’un serpent au-dessus de lui, coupé en deux. Il dégagea son sabre et le remit dans son fourreau. C’était un serpent étrangleur de bonne taille. Karabval eut un sourire. Il aurait son petit déjeuner sans bouger. Il aurait préféré pouvoir le faire cuire mais dans les mondes noirs, il n’avait jamais réussi à faire du feu. Il descendit avec précaution. L’homonculus lui donna la direction. Il se mit en route tout en mâchant la viande froide.  Son humeur se mit à l’unisson du temps, gris et pluvieux.
Ses pensées repartirent vers le royaume. Il fuyait avec le cœur du pouvoir. Étaient-ils déjà en chasse ? Karabval n’avait pas la réponse mais chasse il y aurait. La reine enverrait des mâles royaux, des gardiens et des mâles enrôlés. La réputation de certains mâles de petits clans laissait entendre qu’ils chassaient dans les mondes noirs pour compléter les maigres ressources des terres pauvres. La reine avait dû les faire venir pour mener la traque. Quant aux goulques, pourraient-elles suivre sa trace dans les mondes noirs où tout dégoulinait d’eau ? Là aussi, il ne voulait pas prendre le risque de s’arrêter trop longtemps. Il connaissait trop bien leur flair. Il ne pouvait pas compter sur leur gentillesse comme quand il avait le talisman trouvé chez le vieux prêtre. Ça lui avait bien servi. Plusieurs fois, il s’était retrouvé à être la proie que cherchaient les goulques. À chaque fois, il s’était passé la même chose. La goulque venait frotter son mufle sur l’amulette en poussant un petit glapissement et elle repartait aussi vite qu’elle était venue, laissant les gardiens perplexes devant ces échecs. Karvach entrait alors dans des colères dévastatrices. Voir tomber les têtes des gardiens, mettait Karabval en joie. Il en avait profité pour tenter des exploits de plus en plus audacieux, jusqu’à ce dernier, tellement fou, qu’il avait pris la fuite.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire