jeudi 14 avril 2016

Les mondes noirs : 39

Tordak était arrivé rapidement suivi par Chimla et tous les autres. Ils avaient fait cercle autour des victimes. Tordak s’était penché sur le mort. Il avait inspecté la morsure en murmurant :
   - tchéppeur !
Chamli l’avait vu faire un bond en arrière au moment où il allait le toucher pour mieux voir quelque chose.
   - La pourriture verte !
Il s’était brusquement relevé, jetant un regard circulaire :
   - La pourriture verte, il a la pourriture verte ! Ne le touchez pas ! Et l’autre non plus, dit-il en empêchant un serviteur de lui donner des pansements.
Tout le monde le regarda avec une expression d’incompréhension, sauf Luzmil qui revenait avec Luzta.
   - Il a raison, dit-elle. Si ya la pourriture verte, on ferait mieux de déguerpir au plus vite.
   - Mais les affaires, déclara quelqu’un? Nahmo portait des provisions et de l’eau douce. Il est mort, on peut les récupérer.
   - Même pas. Tu le touches, t’es mort. Tordak a raison, foutons le camp !
Il y eut quelques instants de silence total. Tout le monde semblait sidéré.
   - NAHMO BOUGE !
Tous les regards se tournèrent vers le corps égorgé. Chimla ne vit rien. Comme elle ne voyait que le bas du corps, elle se déplaça pour voir ses bras et son visage. Elle faillit hurler. Effectivement, on voyait du mouvement. Une sorte de mousse verte semblait sortir de la plaie du cou. C’est comme si elle était vivante. La masse enflait, se contorsionnait, sortant de la plaie pour rentrer dans la bouche.
   - FOUTONS LE CAMP, hurla Tordak qui attrapa Chimla par le bras et se mit à courir aussi vite que possible.
Derrière eux, Lusmil et Luzta avaient aussi pris leurs jambes à leur cou. Les autres firent de même.
Rapidement, ils dépassèrent tous Tordak et Chimla qui boitillait aussi vite qu’elle pouvait. La douleur était un supplice. Quand ils arrivèrent devant une rivière, Chimla se bloqua.
   - Avec ce courant, je ne pourrai jamais passer.
   - On n’a pas le choix. Si c’est un tchéppeur qui a mordu, alors la pourriture verte va s’étendre.
Essoufflée, les traits tirés, Chimla profitait de l’arrêt pour reprendre son souffle.
   - Encore une vieille légende qui prend vie, dit-elle.
Bien que le brouillard se soit un peu levé, on ne voyait plus personne. Ils semblaient seuls au monde.
   - On n’entend plus personne, ajouta-t-elle en jetant un regard circulaire.
   - Les autres sont partis dans toutes les directions, répondit Tordak. On ne les reverra plus.
   - Ils ont peut-être compris comment survivre, dit Chimla.
   - Je ne crois pas. La pourriture verte rôde. Seuls ceux qui auront passé la rivière s’en sortiront.
   - Je croyais que cette saloperie ne vivait pas longtemps.
   - C’est vrai, dit Tordak. C’est vrai quand elle ne trouve rien à pourrir. Le corps de Nahmo n’est qu’un début. Bachten est trop blessé pour fuir, il sera le deuxième. Et puis si des scales arrivent, ils subiront le même sort. Elle va gagner en masse et en capacité à chaque fois qu’elle va pourrir un être. Seuls les végétaux ne l’intéressent pas.
   - Pourquoi la rivière l’arrêterait ?
   - Parce que l’eau courante la dilue au point qu’elle est inoffensive. C’est pour ça qu’on va y aller.
   - T’es sûr qu’on a pied ?
   - On se laissera flotter si on n’a pas pied.
Chimla ne dit rien. Elle regarda la rivière avec haine. Elle n’aimait pas l’eau ni s’y trouver.
   - Je pourrai pas, dit-elle. Je pourrai pas !
   - Dis pas de conneries, s’énerva Tordak, t’as pas le choix. Tu sais que quand elle aura assez bouffer, la pourriture verte deviendra un tchéppeur et ça, ça serait la cata.
    - Oui mais l’eau, j’peux pas, vraiment j’peux pas.
Tordak faillit la gifler. Elle avait la clé pour sortir, il en était persuadé. Sans elle, il allait tourner en rond et finir ses jours dans les mondes noirs. Il avait bien songé à lui voler son amulette mais sans l’Idole, il ne pensait pas qu’il pourrait s’en approprier les pouvoirs. Il avait besoin de cette servante et elle ne voulait pas. Cette conne ne voulait pas. Il se retint pour ne pas l’écraser sous ses poings tellement il ressentait de la rage.
Chimla ne semblait rien voir d’autre que l’eau et les vagues du courant. Elle était comme hypnotisée par le mouvement répétitif. Jamais, jamais, elle n’entrerait là-dedans. Elle préférait encore affronter la pourriture verte.
Le vent se leva doucement. Elle ne prit pas conscience tout de suite de l’odeur. Tordak fut le premier à la remarquer. Ça puait la fermentation. Il regarda autour de lui. Cette saloperie arrivait. Il en était sûr. Il secoua Chimla…
   - Mais par l’Idole, secoue-toi. Elle arrive. Renifle : Elle arrive.
Chimla lui jeta un regard vide. Il la gifla à toute volée. Il vit la rage s’allumer dans les yeux de Chimla qui attrapa son bâton de riek. Tordak l’évita de justesse.
   - Salaud ! SALAUD! hurla-t-elle, je vais te faire la peau.
Elle leva bien haut son bâton de riek et vit…
Un tchéppeur avançait vers elle. De nouveau elle se figea. Tordak quand il la vit ainsi les bras levés, figée face au monstre qui arrivait, se précipita en avant, la faucha et se jeta dans l’eau en l’entraînant.
La dernière chose qu’il entendit avant de disparaître sous l’eau fut le hurlement du tchéppeur.

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