dimanche 19 août 2012


La mort de Jianme avait calmé les ardeurs guerrières à Tichcou. Le sous-officier qui se retrouvait en charge du commandement pensait que ce n'était pas son rôle de prendre des initiatives. Schtenkel avait fait un récit propre à marquer les esprits. Personne n'était là pour le contredire. Torétaro n'était pas rentré avec lui. Dans son discours, il disparaissait comme avalé par la forêt. La réalité était autre. Torétaro avait pris le discours du dragon comme un avertissement. Il avait décidé que le temps était venu pour lui de retrouver son peuple et sa terre. Il avait semé les poursuivants après la vallée du dragon, remit Schtenkel sur le bon chemin, un ruisseau qui arrivait en aval de la ville dans la vallée de Tichcou. Il avait alors donné l'accolade à Schtenkel en lui souhaitant toutes les bénédictions du monde et s'était enfoncé dans la forêt. Dans son rapport, Schtenkel le faisait disparaître avant la rencontre avec le dragon, victime d'un mal mystérieux. Il ajoutait des détails comme Torétaro quasi aveugle et presque sans force se faisant raconter le paysage pour les aider à progresser malgré tout. C'est cette version qui arriva au palais de pierre en construction à Tienne. Le chambellan, qui avait vu le dragon à l'œuvre sur l'ancien palais, n'eut aucun mal à le croire. Il envoya un messager au roi pour demander des ordres. La légende de Jianme commença à se répandre. On vit arriver à Tichcou des chevaliers de la haute caste de la province de Flamtimo. Leurs épopées racontaient les hauts faits de ceux qui devinrent des dieux. Dans ces épopées, il y avait la chasse au dragon. Lourdement armés, hyper entraînés, ces chevaliers qui savaient les autres exploits épiques impossibles en ces temps, venaient tenter leur chance d'atteindre à la divinité. Schtenkel qui coulait des jours assez paisibles en se faisant rémunérer pour raconter son histoire, vit d'un mauvais œil leur apparition. Dans l'auberge qui lui tenait lieu de maison, l'entrée du premier chevalier fit son effet. Grand comme une montagne disaient les gens, large comme une armoire, il devait se baisser pour passer sous le linteau de pierre de la porte. Il se déplaçait dans un bruit de ferraille.
- Tu eess SCHETNEKEL dit-il à moitié hurlant.
Le vide se fit comme par magie autour des deux hommes. La soirée déjà bien avancée et bien arrosée rendait Schtenkel moins réactif. Il toisa l'homme :
- Pt'ête bien !
- Alorrrrrs, rraconteux !, dit le chevalier en posant deux pièces d'or sur la table.
Schtenkel avala sa salive, hypnotisé par l'or et commença son récit.
- Nooonnn, Toi as pas bien comprrris, dit le chevalier en tapant sur la table. Toi venirrr, conduirrre moi.
Il attrapa Schtenkel par le cou et le souleva. Ce dernier poussa un cri mais personne ne l'aida.
- Toi avoirrr beaucoup d'orrrr quand drrragon morrrt...
Sans autre forme de procès, il sortit de l'auberge en emportant Schtenkel comme un fagot.

vendredi 17 août 2012


Quiloma comptait ses forces. Avec la défaite de l'arbre, il se retrouvait dans l'incapacité de mener à bien ses missions. Il ne pouvait plus surveiller la vallée du nouveau lac, les gorges de Cantichcou comme disaient les natifs, et le chemin qu'avaient emprunté les agresseurs du Dragon, tout en tenant la ville en sécurité.
Mlaqui avait fait son rapport. Si un des hommes s'était noyé, le dragon avait laissé partir les deux autres. Mlaqui ne savait pas pourquoi. Il les avait pourchassés. Deux jours plus tard, il en avait complètement perdu la trace et était rentré. Il n'avait pas réjoui Quiloma en lui faisant le récit.
Trois à quatre mains d'hommes valides sur les vingt du début, c'est tout ce qu'il restait. A la moindre attaque, il serait battu. Heureusement la saison avançait. Avec de la chance, les premières neiges seraient en avance et avec elles, il espérait des renforts et des nouvelles.
En attendant, il convoqua Chan et Sstanch.
La conversation se déroula dans la langue de Quiloma. Sstanch avait fait beaucoup d'efforts pour l'apprendre. Proche de Kalgar, il avait été souvent en contact avec Cilfrat et avec Eéri. Cilfrat était douée pour apprendre. Sans effort, elle avait appris de Eéri et maintenant, c'est elle qui enseignait les gens de la ville dans le parler des gens du froid. Chan était beaucoup plus hésitant. Son regard allait de Quiloma à Sstanch pour avoir la traduction.
- Votre ville a bien évolué depuis notre arrivée, dit Quiloma. Nos rapports ont mal débuté, pourtant aujourd'hui vous êtes partie prenante de notre combat et de notre royaume. Toi, chef de ville et tes sorciers vous nous soutenez.
- Votre venue, Prince, a, il est vrai, bouleversé notre vie. Mais aujourd'hui, le peuple de la ville reconnaît le bienfait de votre venue.
Chan s'exprimait avec des hésitations. De temps à autre, il demandait à Sstanch la traduction d'un mot. Il continua sur ce ton un moment. Quiloma l'interrompit.
- C'est un point de vue intéressant sur le passé, mais aujourd'hui je vous ai fait venir pour discuter d'avenir. L'ennemi est à notre porte. Il faut contrôler les passages qui viennent de la vallée. Vous allez me fournir vingt mains d'hommes.
Chan sursauta en entendant cela. Trouver cent personnes pour en faire des soldats, allait faire la révolution dans la ville.
- Nous sommes des paysans, prince Quiloma. Peu d'entre nous savent manier les armes...
- J'ai vu lors de la première bataille. Vous n'avez pas le choix. J'ai besoin d'hommes pour vous défendre et défendre l'honneur du Dieu Dragon. Être les serviteurs du dragon n'est pas chose aisée. Cela demande des sacrifices. Et vous savez chef de ville que si vous n'êtes pas avec moi vous êtes contre moi et je me battrai pour assurer la sécurité du dragon.
Les dernières paroles furent prononcées sur un ton dur et sans réplique.
- Donnez-moi quelques jours, prince pour vous trouver des volontaires. Seront-ils sous vos ordres?
- Non, pas directement, je vais nommer votre maître d'armes konsyli, mais je fournirai les instructeurs. Nous n'avons pas beaucoup de temps. Je vous donne ça de jours, dit Quiloma en montrant deux doigts.
Chan se retira, alors que Sstanch fut sommé de rester pour recevoir ses ordres. Il ne montra rien mais intérieurement il jubilait. Il avait été reconnu par le Prince à sa juste valeur.
Chan courut à la maison Andrysio. Il en força presque la porte. Il voulait voir Natckin. La situation était explosive. Il ne voyait pas les maîtres de maison donner des hommes pour Quiloma.
- Vous voilà bien agité, Chef de Ville.
Sans respecter le protocole, Chan vida son sac. Natckin l'écouta sans l'interrompre. A la fin, il se tourna vers Tasmi.
- Viens, faisons un rite. Les esprits vont nous guider.
La nouvelle se répandit comme une inondation entre les murs de la maison Andrysio. Le maître officiant, Tonlen, distribua ses ordres avant de rejoindre le premier disciple. Nul ne devait sortir ni répandre la nouvelle avant que les esprits ne soient consultés.
Quand il entra dans le nouveau temple, le bois de clams brûlait déjà. Natckin n'avait pas attendu. Il avait commencé les exercices, comme toujours Tasmi sur ses talons. La fumée revenait vers eux, les enveloppait dans ses volutes, brouillant leurs contours. Tonlen rejoignit son poste. Se concentrant, il enregistra tout ce qui se passait.
Tasmi cria et tomba en arrière, comme tétanisé. Sa voix prit les intonations du maître sorcier :
- Oui, Premier disciple Natckin, les ordres du prince sont bons. Ce matin, l'esprit du Dieu Dragon m'a visité. Encore une fois nous sommes à une croisée des chemins. La victoire de notre ville n'est pas assurée. L'esprit du Dieu Dragon approuve Quiloma. Nous aurons besoin de force pour répondre aux forces de destruction qui s'annoncent.
Tasmi eut un cri inarticulé. Des disciples vinrent le chercher pour l'allonger sur une natte. Tonlen s'apprêtait à descendre de son siège quand il entendit bouger Natckin. Celui-ci s'éleva au-dessus du sol. Enveloppé de fumée, il se mit à léviter en tournant lentement sur lui-même. Une voix profonde, grave sortit de sa gorge :
- Écoutez tous, disciples des esprits. Moi le Dieu Dragon j'appelle. Venez à moi, vous mes guerriers...
Tonlen sentit son corps attiré vers cette forme vaporeuse qui entourait le premier disciple. Depuis longtemps habitué à la rencontre des esprits et à la discipline de maître de cérémonie, il se contrôla, ouvrant tous ses sens pour enregistrer le moindre détail. C'est alors que la porte s'ouvrit à la volée. Des disciples arrivaient, comme lui attiré par l'étrange appel de l'esprit du Dieu Dragon. Ils avançaient comme hypnotisés, répétant : « Graph ta cron ! Graph ta cron ! »
Il y en eut bientôt dix puis vingt, puis arrivèrent des habitants en costume de travail. La salle des cérémonies fut bientôt remplie pas un chœur chantant « Graph ta cron ! Graph ta cron ! Graph ta cron! »
C'était une mélopée sourde, martelée par cent bouches. L'air lui-même semblait chanter la gloire du dieu dragon. Le premier rang se prosterna, puis le second et ainsi de suite. Le son diminua jusqu'au murmure. Quand ils furent tous à genoux, tête contre terre, Natckin se posa doucement au centre du dispositif.
Tonlen inspira une grande goulée d'air. Il était resté en apnée tout ce temps-là. Il regarda autour de lui, ces hommes qui se relevaient, l'air un peu hébété? Son regard croisa celui de Chan qui entrait dans la pièce. Il y lut le même étonnement.

jeudi 16 août 2012


On entendit le cri de Yas dans toute la citadelle. Les dieux ne lui étaient pas favorables, hurlait-il.
Tous les conseillers essayaient de se faire oublier. Il n'était pas bon d'essuyer la colère du roi. L'armée du roi était arrivée à Smyle depuis deux jours. Les habitants étaient à la fois soulagés de voir arriver les militaires pour les protéger des pirates et inquiets d'en voir autant avec le roi à leur tête. Il allait falloir les nourrir. Le roi Yas était venu inspecter le port. On y voyait les lourds bateaux de marchandises, quelques coques plus fines tranchaient au milieu de ces ventres ronds. On montra au roi les chantiers d'où elles venaient. Il se montra intéressé par cette visite. On le conduisit devant le modèle qui était un bateau pirate pris à l'ennemi. Le roi en apprécia la ligne. A la proue, une figure haute et inquiétante, propre à terroriser les populations.
- Un gragon, majesté! Il s'agit d'un animal mythique capable de voler et de cracher du feu.
- Dans les contrées montagneuses, il parle de dragon, majesté, dit un des conseillers.
Le roi ne dit rien mais se renfrogna. Autour de lui, les édiles de la ville firent grise mine. Avaient-ils vexé sans le vouloir le roi Yas? Double faute, on ne doit pas vexer un hôte et encore moins le roi.
La visite se continua sans autre commentaire. Cela n'empêcha pas la fête d'être grandiose le soir.
C'est sous les nuages noirs d'une matinée pluvieuse que furent annoncées les mauvaises nouvelles.
Le premier messager qui arriva, apportait des nouvelles du général Lujàn. Si les pirates avaient, un temps, été arrêtés par les hautes falaises au nord de la ville, ils avaient réussi un contournement et encerclaient Toutkat.
Le second vint annoncer l'incendie du palais de Tienne, pas de celui qui était en construction mais du palais de l'ancien roi. Il n'avait pas résisté à une attaque par le dragon. Celui-ci était arrivé dans la nuit noire. Il avait détruit la moitié du château pour y trouver le trésor et avait brûlé le reste. Les bijoux de la couronne s'étaient envolés au sens propre du mot.
Le roi hurlait sa rage et sa colère. La disparition de la couronne l'affectait mais les pirates étaient plus urgents. L'armée n'eut pas le temps de finir d'arriver, ni même de commencer à s'installer. Elle reçut l'ordre de repartir vers Toutkat. Tous les bateaux furent réquisitionnés pour transporter les troupes.
Le dragon ne perdait rien à attendre. Le roi Yas venait de jurer sa perte.

lundi 13 août 2012


L'été tirait à sa fin, les pluies avaient gonflé les rivières, rempli les lacs et il y avait eu assez de soleil pour que les mijnas poussent bien. Si la salemje avait trop pris d'eau, cette bonne récolte de mijnas balayait les inquiétudes du début de saison. Il fallait rentrer les bottes, séparer les grains. L'hiver s'annonçait moins mauvais que le cycle précédent. On pourrait tenir jusqu'à la saison des machpes. Quelques esprits chagrins évoquaient diverses catastrophes mais les sorciers étaient rassurants. Tout n'était pas parfait mais pour l'instant les esprits semblaient satisfaits. Les guerriers du froid s'acclimataient et pour beaucoup entretenaient des relations fort amicales avec les habitants. Les guerriers de la plaine étaient bloqués à Tichcou. La contre-partie en était la fermeture de la route de Tichcou et sa disparition sous le lac. Le dieu Dragon en avait décidé ainsi avait dit le prince. Une routine s'installait doucement.
C'est alors qu'on signala des étrangers. Un serviteur de la maison Sabosti, qui rentrait des champs lointains, les avait vus. Eux aussi l'avaient repéré. Ils avaient fui dans le bois proche. Ce fut le branle-bas de combat. Quiloma mit ses hommes en alerte maximum. Quatre patrouilles partirent immédiatement. Il convoqua Sstanch pour faire mettre la milice en alerte. Calt se retrouva sur la tour de guet avec le cor, prêt à donner l'alarme. Tous les hommes de la milice mirent leur équipement à côté d'eux tout en continuant leurs activités.
- On a trouvé les traces, mon Prince. Mais elles ont disparu dans le ruisseau. Une main de nos guerriers est partie vers le bas et deux vers le haut dont celle avec Mlaqui. Nous n'avons trouvé aucune trace.
- Mlaqui est-il rentré ? 
- Non. Il a envoyé un signal, peut-être est-il sur une piste?
Les jours suivants, les patrouilles revinrent sans autre nouvelle. Au troisième jour, Mlaqui et sa main de guerriers arriva. Mettant genou à terre devant le prince, il fit son rapport :
- ... J'ai poussé vers le domaine du dragon. Pour moi, soit les étrangers sont venus pour espionner la ville, car ils ne sont que trois, soit ils sont venus pour le dragon. Nous n'avons retrouvé aucune trace depuis la ville, par contre, j'ai retrouvé quelque chose plus loin dans la gorge où coule le ruisseau qu'ils ont emprunté. Leur pisteur est bon, mais je pense que leurs pas les emmènent vers la gorge du dragon.
- Pourquoi es-tu rentré alors? Il fallait poursuivre.
- Je sais, Mon Prince, mais nous n'avions pas assez de vivres et j'ai pensé qu'il valait mieux que vous soyez au courant. Le dragon est grand maintenant, il saura faire face.
- J'entends, Mlaqui, mais ce dragon est encore un juvénile même s'il a commencé à amasser son trésor. Il manque d'expérience et peut encore succomber. Tu vas repartir avec trois autres mains de guerriers pour faire la chasse à ces intrus.
Le lendemain, avant même que le soleil soit levé, vingt guerriers partaient au petit trot vers l'antre du dragon.

- Je crois que nous avons été repérés, mon lieutenant.
Jianme regarda autour de lui.
- Par qui ?
- Là-bas sur le versant éclairé, j'ai cru voir un homme.
- Gagnons la combe. Il y a un ruisseau plus bas. Sthenkel, passe devant.
Les trois hommes se glissèrent sans bruit dans le sous bois. Jianme sur le rapport de Sthenkel avait compris que jamais une armée ne passerait. Quelques hommes bien armés, bien entraînés avaient plus de chance d'en finir avec le dragon qu'une escouade qui aurait à se battre contre les guerriers du froid. Il avait divisé son groupe en deux après le passage du chemin de la gorge. Avec les pluies, il était encore plus abîmé que dans les souvenirs des éclaireurs. Sthenkel avait été difficile à convaincre de retourner là où il avait perdu sa main. Jianme ne lui avait pas vraiment laissé le choix. Soit il se pliait aux ordres, soit les tortures l'attendaient comme tout rebelle au roi. Quatre hommes se dirigeaient en suivant le premier itinéraire de Sthenkel vers la gorge du dragon. Jianme, Sthenkel et Torétaro, le pisteur devaient tenter une autre approche en passant sur l'autre berge. C'est en traversant une pâture qu'ils s'étaient fait repérer. En tout cas telle était la conviction de Torétaro. Jianme le croyait sans peine. Sa réputation de pisteur était une légende. Il était capable d'effacer une trace, de perdre des poursuivants aussi bien qu'il savait retrouver les signes infimes que pouvait avoir laissé la proie qu'il traquait. Son sens du terrain était merveilleux. Juste avant le dernier col, ils avaient bifurqué. Le groupe de quatre avait pris un chemin longeant la rivière et Torétaro avait conduit Jianme vers l'endroit qu'il sentait comme le plus favorable.

Mlaqui jurait. La pluie était revenue. Elle n'avait pas duré, elle avait juste effacé ou brouillé les pistes. Après avoir couru pendant une demi-journée, ils avaient coupé la piste des intrus. Enfin, ce qu'il en restait. Mlaqui et Eéri étaient penchés sur le quelques signes qui restaient.
-Par là, dit Eéri qui déjà s'élançait. Il s'arrêta voyant que Mlaqui ne le suivait pas.
- Il y a quelque chose qui ne va pas?
- Je ne sais pas, dit Mlaqui. Quelque chose cloche mais je ne vois pas quoi. Avançons, on fera le point plus tard.
Ils se remirent en chasse. En sous-bois, la piste n'était pas meilleure, les résineux ne facilitaient pas la lecture. Il y avait trop d'aiguilles par terre et pas assez de lumière. Ils arrivèrent à une bauge.
- Regarde-là Mlaqui, c'est net.
Mlaqui se pencha et examina les traces avec attention, puis il fit le tour de la plaque de boue. Il se baissa pour ramasser un champignon.
- Regarde ! dit-il en le brandissant. Il a été cassé par un pied. Voilà ce qui me gêne, il y a quatre traces et pas trois. La piste que j'ai suivie la première fois n'indiquait que trois hommes. Il y a deux groupes...
Tous les hommes s'étaient rapprochés pour mieux entendre la discussion des konsylis.
Mlaqui que Quiloma avait désigné pour s'occuper du dragon, reprit la parole.
- On a deux attaques contre le juvénile. Quatre hommes ici et les trois du ruisseau. Ceux-là ont plus d'avance, il faut les poursuivre. Je vais rebrousser chemin et reprendre la piste dans le ruisseau avec ma main de guerriers. Vous, allez à leur poursuite et tuez-les.
Eéri rajouta :
- Je vais envoyer un message au prince.
- Très bonne idée!
Les guerriers se séparèrent. Trois mains d'hommes partirent sur les traces des quatre intrus et Mlaqui avec son groupe alla vers le ruisseau.

Jianme suivait Torétaro, Schtenkel ouvrait la marche. Il hésitait souvent. Ce n'était pas le chemin qu'il avait emprunté. Il avait besoin de se repérer. Régulièrement, avec l'aide de Torétaro, il montait en hauteur sur un de ces grands arbres fréquents dans cette région et dont les branches régulières lui permettaient de monter malgré l'absence de sa main. Torétaro comprenait de mieux en mieux où ils devaient aller. Jianme l'avait fait venir exprès pour cette expédition. Même s'il était en guerre loin d'ici le roi Yas prenait à cœur cette histoire et avait envoyé son meilleur pisteur pour traquer le dragon. Même avec son aide, le voyage allait être plus long que prévu. Régulièrement Torétaro leur faisait faire des détours ou effaçait les traces. Jianme aurait aimé aller plus vite. Ce dragon l'obsédait. Il rêvait de le tailler en pièces. Les vieilles légendes parlaient d'un endroit près d'une plaque ventrale comme du seul endroit possible pour tuer un tel animal. Il ne doutait pas de réussir.

Eéri menait le train tambour battant. Ils avaient quatre intrus à éliminer, sans compter peut-être sur ceux que poursuivait Mlaqui. Il était incertain quant à leur existence. Il ne comprenait pas pourquoi ils seraient venus en deux groupes. Ceux qu'ils poursuivaient avaient trois jours de marche d'avance, mais ils ne connaissaient pas le terrain. Les traces prouvaient leurs erreurs. Ils avaient perdu une demi-journée dans une combe qui finissait en cul-de-sac. A la vitesse à laquelle ils allaient, Eéri pensa qu'ils pouvaient les rejoindre en moins de deux jours.

Les quatre hommes bivouaquaient.
- Tu te vois affronter un dragon, demanda l'un.
- Pas vraiment, quand on voit ce qu'il a fait à Tichcou, on n'a pas trop envie.
- Oui, mais on n'a pas le choix...
- Les autres, tu crois...
- Oui, ils sont derrière, Jianme est formel. On va les avoir sur le dos. Il reste à savoir à quelle distance.
- Alors, on ferait mieux de repartir.
Dans la forêt sans chemin, ils avaient choisi de suivre le cours d'eau. Selon Sthenkel, ils allaient arriver à l'entrée d'une gorge et là, le chemin quitterait le bord de l'eau pour aller vers le couchant et monter. Après en longeant le bord, il leur faudrait trouver l'antre du dragon et le tuer.
Les quatre hommes marchaient vite mais sans courir. Ils avaient conscience que leurs poursuivants gagneraient du terrain car ils ne pouvaient pas effacer toutes leurs traces. Eux ne cherchaient pas le chemin.
Les renseignements de Sthenkel étaient exacts. Ils arrivèrent à l'entrée de la gorge. Ils commencèrent la montée.
- Là, chuchota un des hommes en montrant une direction derrière eux.
Les trois autres se retournèrent. Ils virent des silhouettes courant au loin à travers une trouée dans la végétation. Cela ne dura pas.
- J'ai compté plus d'une dizaine d'hommes. Ils sont au plus à une pause de nous. Bon maintenant, on sait où ils sont. Il va falloir se battre.
Dans une journée de marche des guerriers de la plaine, on faisait quatre pauses régulièrement réparties. Ils n'avaient pas beaucoup de temps pour se préparer et le lieu n'était pas bon pour une embuscade. Ils reprirent leur course en avant.
En arrivant en haut de la falaise, ils repérèrent un passage qui leur sembla favorable. Ils n'avaient pas beaucoup de temps pour se préparer, mais ils allaient tendre une embuscade.

Kyll cherchait des baies et des fruits. Comme toujours, il était assez distrait et ne faisait pas trop attention à ce qui se passait autour de lui. Heureusement il y avait Rhinaphytia qui l'accompagnait. Lui, avait une solide dague à la ceinture et un épieu à la main. Kyll n'avait pris que son bâton. Il se moquait gentiment de Rhinaphytia.
- Les esprits m'ont promis que je vivrai jusqu'aux grands âges.
- Oui, je sais, Kyll mais un peu de prudence est toujours une bonne chose. Rappelle-toi les loups!
- Cela m'a permis de rencontrer le dragon. Ne t'inquiète pas tant Rhina, nous sommes en sécurité, je ne sens pas de danger autour de moi.
Leur récolte progressait bien. La pluie avait fait mûrir les fruits. Une courte averse, toujours très drue en cette saison, leur imposa de se mettre à l'abri d'un surplomb rocheux. Quand le soleil réapparut, ils reprirent leurs paniers et quittèrent leur abri.
- Bonjour, être debout Kyll.
- Bonjour, jeune dragon.
Rhinaphytia avait sursauté en entendant la voix. Il eut un mouvement de recul en voyant l'énorme masse du dragon assise sur le surplomb qui les avait abrités.
- Je vois que tu n'as pas oublié le bâton que je t'ai confié.
- J'ai commencé à le sculpter. Il me plaît bien.
- Que graves-tu dessus?
- Je dessine dans le bois ce qui me vient à l'esprit.
- Je vois, être debout Kyll. Cela lui va bien.
- Est-il comme tu le désires?
- Le plus important, être debout Kyll, est qu'il soit ce qu'il doit être.
- Tu ne m'as pas dit ce que tu voulais que j'en fasse.
- Ton esprit est ouvert et tes pensées sont claires. Tu fais ce qui doit être fait.
Rhinaphytia regardait Kyll et le dragon alternativement. Il n'en croyait pas ses yeux. Tout cela le dépassait complètement.
- Ton ami a raison d'être prudent, être debout Kyll, dit le dragon en tournant la tête.
- Tu ressens quelque chose, jeune dragon.
- Oui, être debout Kyll, le monde des esprits est perturbé par la violence pas loin.
Le dragon se dressa sur ses pattes arrière. Ainsi levé, il était immense. Il resta ainsi un moment tournant la tête de droite et de gauche. Il se laissa retomber en amortissant sa descente d'un coup de ses larges ailes.
- Je dois te quitter, être debout Kyll. Je sens la violence près de ma caverne. Cela me déplaît.
- Va et fais, toi aussi, ce qui doit être fait.
- Je reviendrai voir le bâton, être debout Kyll. Garde-le bien.
Kyll tint à peine debout sous les bourrasques créées par le décollage. Rhinaphytia se retrouva assis par terre. Les deux hommes regardèrent le grand saurien s'élever dans les airs.
- Je n'en reviens pas, Kyll ! Il est énorme !
- Il est inquiet. Les esprits aussi. Tout n'est pas écrit, Rhinaphytia. De son avenir dépend le nôtre. Viens, rentrons.

L'embuscade avait réussi. Quatre flèches, quatre guerriers hors de combat. Les autres avaient cherché refuge un peu plus bas derrière des troncs d'arbres déracinés. C'est alors que les soldats de la plaine avait fait tomber le grand litmel qu'ils avaient trouvé en équilibre instable. Dans sa chute le litmel avait entraîné d'autres arbres. Enchevêtrés dans des branches, tous les guerriers du froid étaient morts ou blessés. Les quatre hommes entonnèrent alors le chant de la victoire. Ils n'avaient plus qu'à achever ceux qui bougeaient encore pour être tranquilles à moins qu'ils les abandonnent comme cela.
Eéri entendit l'hymne chanté à tue-tête par ses ennemis. Une jambe coincée sous un arbre, il pensa qu'il allait mourir écrasé. Il n'osa pas appeler pour voir qui était encore vivant. Curieusement, il n'avait pas mal. Il entendit les ennemis parler entre eux. Raté, il avait échoué. Il pensa à son prince qu'il avait trahi par ses actes. Ils auraient dû être sur leurs gardes plus que cela. Un voile passa devant ses yeux. Sa dernière pensée consciente fut pour Cilfrat. Dans un éclair de lucidité, il comprit. Elle était enceinte. Avant de sombrer, il pensa que jamais, il ne verrait...

Jianme, Schtenkel et Torétaro se figèrent. Le chant qu'ils entendaient, était le chant de victoire. Auraient-ils tué le dragon? A moins que ce ne soit des ennemis.
- Non, là, dit Jianme sur un air de triomphe.
Les deux autres regardèrent. Au loin, ils virent le dragon en vol.
- Ils ont battu les hommes du froid. Allons, il nous faut arriver avant eux à l'antre de la bête.
Torétaro regarda Schtenkel en entendant cela. Y aurait-il un peu de folie dans la tête de Jianme?
Ils étaient sur la berge opposée à l'autre groupe. Jianme avait fait le pari que le chemin serait plus facile par là. Schtenkel qui avait vu depuis le surplomb au-dessus de la grotte, le relief de la gorge en doutait. Il gardait son avis pour lui. Jianme n'aimait pas la contradiction.

- Je serais vous, petits hommes, j'aurais chanté moins fort.
Comme un seul homme, ils se retournèrent en entendant cette voix douce. Ils ne virent que la bouche ouverte du dragon et ses grands yeux qui brillaient comme de l'or fondu.
Le dragon regarda les quatre corps qui achevaient de se consumer.
- C'est comme les loups gris, je n'aime pas le goût de leurs pensées, dit-il à voix haute. Tu peux sortir, être debout du froid. Toi et les tiens ne risquez rien.
Un guerrier se dégagea des branches du litmel. Il portait des traces de griffure sur le visage et les bras, ses vêtements étaient déchirés et il boîtait bas, mais il était vivant.
- Quel est ton nom, être debout?
- Je suis Stamleb, de la phalange du prince neuvième Quiloma, Seigneur Dragon.
- Je connais cet être debout. Tu n'étais là lors du combat avec ceux qui montent des animaux.
- Non, j'étais de garde dans la ville.
- Bien, être debout Stamleb. Je pense qu'il nous faut dégager ceux qui sont comme toi.
- Oui, Seigneur Dragon. Parle et j'obéirai.

Quiloma sortait de chez la Solvette quand un charc arriva en piaillant autant qu'il pouvait.
Il n'aimait toujours pas ces oiseaux que la Solvette accueillait sans sourciller.
- Que dit-il?
- Il parle d'un immense charc qui vient par ici.
- De quoi...?
- Je pense que le dragon vient nous voir.
Tout le monde leva la tête et regarda dans la direction d'où était venu le charc. Au loin un oiseau immense battait des ailes. Il tenait dans ses serres quelque chose qui ressemblait à une branche d'arbre.
- Il ne peut pas atterrir ici, dit Quiloma. Vite à la porte du bas.
Tous les guerriers présents se mirent à courir vers le pont qui enjambait le cours d'eau.
Plus le dragon se rapprochait et plus il était évident qu'il transportait un arbre. La Solvette fut admirative de sa puissance. Sabda se colla contre elle. Elle ouvrait des grands yeux en pointant du doigt la masse sombre qui volait.
- Dagon ! Bôôô.
La Solvette lui passa la main dans les cheveux en souriant.
- Oui, le dragon, il est beau. Quand il sera adulte, il sera magnifique.
Battant des ailes en les cambrant, le dragon posa son fardeau doucement dans le pré au pied de la porte du bas. Puis il se posa derrière.
Dès que les bourrasques de son atterrissage eurent cessé, les soldats de Quiloma se précipitèrent.
Quiloma se dirigea vers le dragon.
- Bonjour, Seigneur dragon. Tu nous ramènes un bel arbre.
- Oui, être debout Quiloma. Il fut beau, mais ses fruits seront amers pour toi. J'ai vengé les tiens mais je vais aller me venger maintenant.
Ayant dit cela le dragon reprit son envol.
Quiloma se protégea du vent. Voyant que le dragon donnait de puissants coups d'ailes, il se retourna pour voir ce qu'il avait déposé.
Un homme sortait des branchages, il en aida d'autres qui comme lui s'étaient accrochés aux branches. Quiloma reconnut ses guerriers. Ainsi c'était cela les fruits dont le dragon parlait, des blessés. Se rapprochant rapidement, il demanda :
- Que s'est-il passé?
Tombant genou à terre, le guerrier baissa la tête, frappa sa poitrine et dit
- Nous avons failli, Mon Prince.
- Fais ton rapport, Stamleb.
L'homme raconta ce qu'il savait. Pendant ce temps, les présents évacuaient les blessés vers la maison de la Solvette qui les attendait.

Jianme piaffait à chaque arrêt. Schtenkel et Torétaro perdaient trop de temps selon lui. Il imaginait les autres arrivant avant lui à la grotte et cela le faisait enrager. Les deux hommes en discutaient parfois à voix basse en haut d'un arbre. Pour eux, le dragon rendait Jianme fou. Cela faisait deux jours maintenant qu'ils avaient entendu le chant de victoire sur l'autre rive. Ils n'avaient pas encore atteint la gorge de l'antre du dragon. Torétaro était sur que personne ne les suivait. S'ils avaient des poursuivants, ceux-ci étaient soit perdus, soit sur le chemin de la grotte, parce qu'ils avaient deviné où ils allaient.

Mlaqui jurait d'avoir perdu la trace. Le gars qui menait les intrus était vraiment bon. Il devait être de la région. Comme il était près d'un grand litmel, il décida de monter pour se repérer. Le mieux était d'aller vers la grotte du dragon et d'y attendre les ennemis. Ils seraient obligés d'y arriver quel que soit leur chemin. S'accrochant aux branches, il commença son ascension. Arrivé à mi-hauteur, son œil fut attiré par une éraflure sur le tronc. Il devint attentif. Il monta plus doucement. Il eut un sourire, ils étaient passés par là. Eux aussi avaient besoin de se repérer. Arrivé en haut, il fit le tour du tronc et remarqua les petits rameaux cassés. Ils avaient guetté là. Il prit la même position. Effectivement, on devinait dans la rupture du moutonnement de la forêt la position de la gorge. Ce litmel était une bénédiction pour lui. Il dominait toute la forêt. Il fit le tour de l'horizon. Il repéra les autres litmels qui dépassaient la canopée. Voilà une bonne information, ces arbres étaient fort pratiques. Il fronça les sourcils. Là-bas au loin, au sommet d'un litmel, n'était-ce pas des silhouettes? Mlaqui s'immobilisa. Sifflant doucement entre ses dents, il envoya à ses quatres équipiers le message : ennemi repéré.
Il entendit en bas, le bruit des hommes se rééquipant. Il continua son sifflement. Cela aurait pu passer pour celui d'un oiseau, mais en entendant cela, les hommes au pied de l'arbre arrêtèrent de bouger. Mlaqui observait. Les deux silhouettes qui se découpaient sur le ciel de cette fin de journée étaient à plus d'une journée de marche. Il les devina bouger et descendre de leur perchoir. Il attendit un moment qu'elles aient disparu avant d'entamer la descente. Sa décision était prise, il irait vers la gorge. Les ennemis avaient trop d'avance. Retrouver leurs traces serait une perte de temps. Arrivé en bas, il donna les ordres. La nuit ne tarderait pas, mais on pouvait encore marcher un moment et réfléchir à l'embuscade.

- Un homme...
- Non, je n'ai rien vu.
- Je sais Torétaro, mais tu étais plus bas que moi. J'ai attendu et je l'ai vu bouger. Ils nous poursuivent.
- Même s'ils nous ont vus, ils ne pourront nous rattraper.
Jianme intervint dans la discussion des deux hommes qui descendaient.
- On perd du temps. Les autres doivent être devant.
- Le dragon est toujours vivant, mon lieutenant, dit Schtenkel. Nous l'avons vu qui volait en portant un arbre.
- Nous serons à la gorge dans combien de temps?
- Deux ou trois jours si nous continuons à cette vitesse.
- Alors, il va falloir aller plus vite. Torétaro, on laisse tomber les précautions puisque l'ennemi est loin.
Torétaro ne répondit pas et ramassa ses affaires. Schtenkel fit de même. Jianme était déjà parti.
- Pas par là, mon lieutenant. Par là ! dit Torétaro en se mettant en marche.
Les trois hommes reprirent le petit trot qui caractérisait leur progression. Jianme reprit son monologue sur ce qu'il ferait quand il ramènerait la preuve qu'il avait tué le dragon. Les deux autres avaient cessé de répondre. Il n'entendait rien. Une espèce de fièvre intérieure le brûlait.
Pour eux la question était de savoir comment survivre à cette expédition.

A la manière dont la Solvette bougeait, Quiloma devinait sa colère. Il savait pourquoi. Il y avait assez de malheur avec les accidents sans en rajouter avec la guerre. Quiloma se dit qu'il avait bien changé depuis qu'il la connaissait. Aujourd'hui, il lui donnait presque raison.
Sabda vint se jeter sur ses genoux
- Bôô, dagon, bôô !
- Oui, Sabda, il est beau !
Il souriait à sa fille. Une étrange douceur l'envahissait chaque fois qu'il s'occupait d'elle. Il sursauta quand la porte s'ouvrit à la volée.
- Où est-il ?
Quiloma se retourna pour voir qui était cette furie qui entrait dans la maison. Il vit Cilfrat courant vers la Solvette. Cette dernière la bloqua.
- Il vivra ! dit la Solvette en cherchant le regard de Cilfrat
Cilfat lutta un peu avec la Solvette pour passer en force puis elle se laissa aller à ses pleurs.
- J'ai entendu parler les hommes de morts et de blessés.
- Il vivra, pour le moment il dort, mais il vivra. Le père de ton enfant vivra.
Cilfrat arrêta de pleurer et regarda la Solvette dans les yeux :
- Tu sais ?
- Oui, je sens sa vie en toi.
- Je vais faire un hors-saison.
- Oui, mais regarde Kalgar et Talmab. Ils vont bien. Et puis pour les hommes du froid, la notion de hors-saison n'existe pas.
- Je veux le voir.
- Oui, viens doucement, la plupart dorment.
La Solvette conduisit Cilfrat vers un coin de la grande pièce. Cilfrat marchait sur la pointe des pieds, tout en silence. Tirant un rideau, elle découvrit Eéri, dormant. Son visage était griffé, un bras était en écharpe. Le bas du corps semblait étrange. Elle se retourna vers la Solvette d'un air interrogatif.
- Ses jambes sont restées sous l'arbre.
Cilfrat s'agenouilla à côté de la paillasse et posa sa tête sur la poitrine d'Eéri.
La Solvette tira le rideau derrière elle. Elle rejoignit la table où était Quiloma. Elle avait de la colère dans les yeux.
- Oui, Solvette mais ce n'est pas possible. La violence fait partie de notre monde. Remarchera-t-il ?
- Non, enfin pas normalement. J'ai dû amputer ce qui était trop abîmé.

Mlaqui contemplait la gorge du dragon depuis la berge opposée à celle qu'il connaissait. Ils avaient rejoint le bord et longeait le canyon. La vue était dégagée vers l'amont. On voyait l'entrée au loin de la caverne du dragon. De là elle semblait inaccessible. Il pensa qu'il était nécessaire d'être plus près pour mieux voir s'il n'existait pas une voie possible. Ils reprirent leur marche. La discussion roulait sur la manière de tendre un piège aux intrus.

Le dragon volait dans la nuit. Il se laissa planer sur le vent assez fort qui poussait les nuages vers la montagne. Demain, il pleuvrait. Il parcourait ainsi ce qu'il considérait comme son domaine, prélevant un clach par-ci un tibur par-là. Dans cette nuit sans lune, ombre parmi les ombres, il repérait de son œil froid les points chauds qui palpitaient dans la forêt. Il repéra sans peine les quatre guerriers du froid. Ils se protégeaient du vent plus qu'ils ne se cachaient. Il sonda leurs esprits. Il les sentit calmes et tendus vers la défense de son territoire. Il ressentit le plaisir de ne pas se sentir seul. Son vol lui fit survoler une zone plus dense, plus sombre. Il allait s'éloigner porté par les ailes du vent quand il perçut une haine. Virant sur les courants de l'air, il repassa au-dessus. S'ouvrant complètement au plan des esprits, il vit les trois petites lueurs des esprits des hommes. Deux étaient dans la peur mais s'en cachaient, le troisième était rougeoyant de colère, de haine et de détermination. Il se rappela ce que Mandihi lui avait dit. La malédiction poursuivait celui qui chassait le dragon s'il n'était l'élu. Une fièvre prenait le chasseur le rendant prêt à tout pour atteindre sa proie. Ce fanatisme les rendait plus dangereux. Seule la mort pouvait les arrêter. Le dragon sourit intérieurement. Il allait leur réserver un accueil digne de leur folie.

Mlaqui descendait avec peine. Heureusement des lianes récupérées dans un hallier voisin lui facilitaient le parcours. Si l'une d'elles cassaient, il ferait un grand saut. Il préféra ne pas y penser. Il n'avait pas le choix. Les intrus passeraient forcément dans la gorge en bas, c'est là qu'il aurait le plus de chance de dresser l'embuscade. Sa position de Konsyli lui imposait d'ouvrir la marche. Il aimait bien cela. Le fond de la gorge était tapissé d'un taillis touffus, au milieu la rivière faisait un lac. La lumière du soleil n'arrivait pas encore jusque là. Elle ne touchait l'eau qu'en plein midi l'été. Mlaqui pensa que l'attente serait éprouvante dans le froid et l'humidité. Il se dépêchait pourtant. La pluie n'allait pas tarder compliquant la descente de ses compagnons. Arrivé en bas, il sécurisa la zone d'arrivée en écartant des branches, en essayant de ne pas les casser pour ne pas laisser de signe de son passage. Il siffla en modulant un code de sécurité pour ses compagnons. Une chute de graviers lui signala le départ d'un de ses hommes. Laissant la liane bien accrochée, il partit en reconnaissance. Les traces animales conduisaient vers le lac. Il suivit les passages. Arrivé près du lac, il s'approcha du déversoir. L'eau y était rapide, froide mais peu profonde. La traversée pourrait se faire sans trop de difficulté.
- Un morceau de liane sera le bienvenu, pensa-t-il tout haut.
- Je le pense aussi.
Mlaqui sursauta en entendant cette voix. Il se retourna en dégainant. Devant lui, se tenait une série de dents toutes plus impressionnantes les unes que les autres.
Il rengaina en mettant genou à terre.
- Je te salue, Seigneur Dragon.
- Je te salue, être debout Mlaqui, toi qui sais si bien soigner les dragons.
La tête du dragon dépassait de l'eau, surplombant l'homme. Mlaqui fut impressionné, il avait encore grandi. Il était maintenant d'un rouge soutenu. Si les écailles étaient encore fines, elles étaient déjà largement assez résistantes pour faire face à un homme seul fut-il enragé.
- Toi et les tiens ne devriez pas rester ici.
- Nous sommes venus t'aider, Seigneur Dragon. Un homme en veut à ta vie.
- J'ai senti sa présence. J'ai aussi senti la vôtre. Vois-tu la trace derrière toi, être debout Mlaqui?
Celui-ci se retourna pour regarder.
- Toi et les tiens allez la suivre. Vous arriverez au pied de la montagne. Là il y a une grotte. Reposez-vous.
- Bien, Seigneur Dragon.
Mlaqui siffla pour donner ses ordres à ses hommes. Bientôt, il en vit arriver un, puis deux. Il se retourna vers l'étendue d'eau. Il n'y avait plus rien. Dans la pénombre du fond de la gorge, on ne distinguait rien dans cette eau sombre aux reflets rouges. Il sourit et quand tous furent là, il les entraîna vers la grotte dont lui avait parlé le dragon.

Les deux hommes étaient épuisés à courir derrière Jianme. Il s'était réveillé il y a deux jours en disant :
- Bon ça suffit de perdre du temps. On va par où?
Torétaro lui avait indiqué la direction.
- Alors on y va tout droit, avait-il ajouté en prenant ses affaires sans attendre que ses compagnons soient prêts.
Depuis, ils couraient derrière lui, sans pause, presque sans dormir. Jianme n'écoutait plus rien. Torétaro avait bien essayé de lui dire qu'on s'était éloigné de la ligne droite, et même qu'on tournait en rond, il n'écoutait plus. Il voulait tuer le dragon et le plus tôt serait le mieux. Alors qu'ils pensaient qu'ils allaient s'écrouler de fatigue à chaque pas, ils virent Jianme s'effondrer sur le sol. Comme il ne bougeait plus, ils s'approchèrent. Il était tombé d'épuisement et son casque avait heurté une racine. Schtenkel vérifia qu'il respirait. Les deux hommes s'assirent et reprirent souffle.
- On est loin?
- Il nous a fait tourner en rond. Nous sommes perdus. Il faudra que je remonte sur un arbre pour retrouver la direction.
- En attendant qu'il se réveille, reposons-nous. Deux jours à courir, je n'en peux plus.
Le matin trouva les trois hommes endormis. La lumière du soleil réveilla Torétaro. Il regarda un instant les deux autres hommes qui dormaient. Il se leva en silence. Sans bruit, il s'éloigna.
Schtenkel se réveilla en entendant crier un oiseau. S'il vit tout de suite Jianme, il ne trouva aucune trace de Torétaro. Il jura entre ses dents. Ce salaud était parti avec les provisions. Il alla jeter un coup d'œil à Jianme. Celui-ci n'avait pas bougé. Tout équipé, il était tombé, tout équipé, il dormait, seul son casque reposait à côté de lui. Et s'il ne se réveillait pas? Schtenkel eut un moment de panique. Il secoua Jianme qui grogna.
- Debout, mon lieutenant, il faut y aller.
Jianme jeta un regard torve sur Schtenkel. Puis un éclair de compréhension sembla passer dans ses yeux.
- Je dors depuis combien de temps?
- Une journée, mon lieutenant.
- Alors ne perdons pas de temps, allons-y.
Jianme se leva péniblement. Schtenkel le soutint.
- Votre tête a tapé sur une branche quand vous êtes tombé.
- Où est le guide?
- Il a dû partir en reconnaissance. Il n'était pas là quand je me suis réveillé.
- Tu veux dire qu'il a fui, le lâche ! La gorge doit être vers le soleil couchant, allons-y.
Les deux hommes se mirent en marche. La pluie se mit à tomber. La forêt était touffue dans cette partie. De nombreux arbres tombés, de lianes et de ronciers gênaient la progression. Quand le crépuscule arriva, ils commençaient à désespérer d'arriver à la gorge. La pluie avait diminué d'intensité mais persistait. Les deux hommes marchaient la tête basse, complètement détrempés. Ils n'avaient rien mangé depuis deux jours.
- La pluie ne va pas nous lâcher, marchons tant que nous pouvons.
Dans la nuit presque noire, Schtenkel glissa. Jianme entendant son cri, s'arrêta net. Il appela son compagnon. Il n'eut pas de réponse. On ne voyait plus rien. Il tâta le chemin avec son pied. Il fit un pas, puis un deuxième, au troisième, il glissa dans la boue. La chute fut rude. Il se mit à glisser dans une espèce de toboggan naturel. Des branches le fouettaient au passage. Heureusement, son armure le protégeait. Sa tête heurta quelque chose. Il perdit connaissance.

Schtenkel se sentit tiré. Il reprit conscience, il avait froid, il avait mal. Ouvrant les yeux, il vit d'abord le vert des arbres. Il entendit quelqu'un jurer. Il se mit à grelotter.
- Tu pourrais faire un effort !
En entendant cette voix, son cerveau se remis en marche. Il se rappela la nuit, la glissade, le choc. Il poussa avec ses pieds. Il prit conscience qu'il était dans la boue et quelqu'un le tirait par les aisselles. Après un dernier effort, ils roulèrent l'un sur l'autre. En se dégageant, Schtenkel reconnut Torétaro. Trop épuisé pour réagir violemment, Schtenkel lui dit :
- Tu nous as bien lâchés!
- C'est vous qui avez fait n'importe quoi. J'ai emmené les bagages et les provisions pour ne pas nous surcharger et j'ai trouvé une route simple pour aller vers l'antre du dragon. Et quand je suis revenu vous aviez disparu.
- Tu aurais pu le dire !
- J'ai laissé un cairn messager, tu ne l'as pas vu?
- Non, Jianme était trop pressé. D'ailleurs où est-il?
- Enfoncé dans la boue lui aussi, un peu plus loin. Il a eu de la chance, il est tombé sur le dos, sinon, il se noyait.
Se remettant péniblement debout, Schtenkel accompagna Torétaro. Ils trouvèrent Jianme comme prévu. Son casque lui retombait sur le nez. Ils le tirèrent à deux de la fange dans laquelle il baignait. Schtenkel lui enleva son casque, vérifia qu'il respirait et se tourna vers Torétaro.
- Tu as une couverture?
- Comme les vôtres, trempée.
- On peut faire du feu ? Ou c'est trop dangereux ?
- Vous avez atteint la vallée du dragon loin en amont. Le vent nous est favorable. Je pense qu'on peut essayer.
Après de multiples essais, ils eurent la chance de trouver du bois flotté échoué depuis longtemps sous un auvent de pierre creusé par la rivière. Sur un sol de sable, ils purent enfin faire démarrer un feu. Ils ramenèrent Jianme à côté. Schtenkel s'était rincé dans la rivière et se chauffait au feu en faisant sécher ses affaires. Heureusement, l'air n'était pas trop froid. Ils dévêtirent Jianme pour le réchauffer aussi. Les couvertures, bien que mouillées, avaient été utilisées pour faire des cloisons pour couper le vent.
A force d'alimenter le feu pour qu'il ne fume pas trop, il commença à faire chaud dans l'espace ainsi préservé. Schtenkel cessa de trembler quand il eut mangé. Torétaro avait même réussi à attraper du poisson.
Jianme grogna. Ses compagnons l'avaient recouvert de sable sec qu'ils avaient de surcroît chauffé avec les pierres du foyer.
- Où suis-je ?
- Tout va bien, mon lieutenant. Nous avons fait une chute mais tout va bien.
Il posa des yeux chargés d'incompréhension sur les deux hommes.
- Schtenkel, qu'est-ce qui s'est passé?
- Pendant que Torétaro cherchait une piste, nous nous sommes égarés. Je suis tombé et vous m'avez suivi dans un cours d'eau mineur qui se jette dans la rivière. Cela a fait comme un toboggan. Heureusement, Torétaro nous a retrouvés.
- Le dragon ?
- Pas de nouvelle, mon lieutenant.
- On va se reposer un peu et puis on ira le tuer.
Jianme se rallongea et s'endormit.
Les deux hommes se regardèrent et haussèrent les épaules.
- Repose-toi, je vais aller chasser. S'il va bien nous repartirons demain.

Le jour se leva en haut. Dans le fond de la gorge, la lumière ne pénétrait pas beaucoup. Le feu était braise mais une douce chaleur régnait derrière les couvertures étendues.
Torétaro cuisait du poisson. Schtenkel rassemblait les affaires. Jianme s'équipait. Lentement, il mettait sa tenue de combat.
- Tu dis que nous sommes dans la vallée du dragon en amont de son antre.
- Oui, mon lieutenant, répondit Torétaro. Une demi-journée de marche tout au plus.
- Nous partirons dès que nous aurons le ventre plein. Il ne faut pas que je refasse les erreurs des jours passés.
Schtenkel et Torétaro s’entre-regardèrent. Si le discours était plus sensé, il était prononcé par un homme au regard fou. Il leur laissa quand même le temps de plier les affaires. La pluie avait cessé mais le vent restait violent. Ils se mirent en route. Torétaro ouvrait la marche et portait les bagages avec Schtenkel. Jianme l'arme au point suivait. La progression fut aisée jusqu'au moment où la gorge se resserra. Il n'y eut bientôt plus de place pour marcher hors de l'eau. Torétaro fit une reconnaissance. Il fit passer les bagages en les portant à bout de bras. Pendant ce temps, Schtenkel aidait Jianme à se déshabiller. Ce dernier avait bien essayé de passer comme cela mais il avait failli se noyer. Emporté par le poids de son armure, il aurait coulé sans l'aide de Schtenkel. Arrivé à l'extrémité du passage, il s'arrêta. Il y avait un petit déversoir finissant dans une vasque. Mais son attention fut surtout retenue par ce qu'il voyait. Immense et gigantesque, l'antre du dragon s'ouvrait là-bas, droit devant lui. Il faillit se mettre à courir. Torétaro le retint.
- Non, mon lieutenant. Si vous tombez maintenant, vous ne pourrez plus combattre. Nous serons au pied de son antre vers le milieu de l'après-midi.
Torétaro installa une liane pour aider les deux autres à descendre. Après la vasque inférieure, il était de nouveau possible de marcher à côté de l'eau. Jianme se rééquipa. Il marchait le bouclier dans une main et l'épée dans l'autre. Il avait pris la tête du convoi. Torétaro se tenait juste derrière lui pour le guider. Ils eurent une alerte en voyant le dragon voler vers sa caverne. Les trois hommes se cachèrent sous des buissons.
- Nous a-t-il vus?
- Je ne crois pas, dit Torétaro. Nous avons été rapides et il semblait rentrer dans son antre.
Jianme risqua un coup d'œil hors du buisson. Le ciel était libre de toute présence. Il se remit en marche bientôt rejoint par les deux autres. Il marchait plutôt lentement, ne quittant pas l'ouverture de la caverne des yeux. Ils ne virent pas le dragon.
La vallée s'élargissait en changeant de direction. La grotte du dragon s'ouvrait dans ce tournant au beau milieu d'une paroi rocheuse de quelques centaines de pas de haut. L'espace dégagé devant permettait au dragon de manœuvrer pour entrer et sortir.
- Bon choix, pensa Torétaro en regardant la région. Le fond de la vallée était occupé par un bois. Il pensa que cela faciliterait leur progression. Sous les arbres, ils ne seraient pas visibles. Toujours à l'affût d'un mouvement, ils commencèrent leur descente. L'approche se passait bien. La rivière coulait au milieu du bois. Ils en suivaient le cours. Un peu plus de mille pas plus loin, ils arrivèrent à une lisière. Ils s'approchèrent doucement. Un rocher obstruait le cours d'eau qui en faisait le tour. L'eau glissait sur la surface de la pierre lui donnant des reflets aux multiples couleurs pour rejoindre un lac. L'endroit respirait le calme. Les arbres faisaient comme un écrin autour de l'eau couverte de petites lentilles vertes. Aucune vague, aucune ride n'en troublait la surface. Seuls quelques arbres tombés en brisaient la régularité. Torétaro sentait Jianme impatient derrière.
- Alors ? demanda celui-ci.
- A priori tout est calme. Nous sommes presque sous l'entrée de la grotte. Après le lac, il faudra se rapprocher de la paroi. Je pense qu'il y a un chemin possible pour l'atteindre. Je crains qu'il ne soit à découvert. Il faudra peut-être attendre la nuit.
- Vous pourriez parler plus bas, chuchota Schtenkel. Être aussi près du dragon me panique.
Jianme haussa les épaules, affermit sa main sur la garde de son épée et commença à descendre pour rejoindre le bord du lac.
De près les berges étaient plus encombrées que ce que l'on devinait de loin. Ils enjambaient ou se glissaient sous de multiples branches, ou troncs qui s'entremêlaient. Arrivés au bout du lac, ils virent une petite plage où les animaux devaient venir boire vu le nombre de traces dans la boue. Jianme vit qu'un tronc couché traversait opportunément pour ne pas s'enfoncer dans la boue. Tel un équilibriste, il s'y engagea.
Il atteignait la houppe de l'arbre. Les branches partaient un peu dans tous les sens. Jianme posa la main sur le bois à sa portée et chercha des yeux le meilleur chemin. Sur sa droite, il partait vers un roncier, devant lui, plusieurs branches barraient le passage et nécessitaient des acrobaties pour passer et à gauche, on se retrouvait au-dessus de l'eau. C'est alors qu'il regardait dans cette direction qu'il vit les lentilles d'eau remuer. Un rocher rouge apparut, bientôt accompagné de deux disques dorés, puis émergèrent des dents.
- Bonjour, petit homme. Je crois que tu voulais me voir.
Jianme contempla la tête du dragon. Elle avait la taille d'un jeune tracks. Elle continuait à s'élever pour culminer plusieurs pieds au-dessus de lui. Jianme n'était pas à main. Il se tenait à une branche de la main gauche et avait son épée dans la droite, alors que le dragon était à gauche. Il regarda le cou. Il y avait là la plaque sensible. Il en était sûr. Il n'aurait droit qu'à un essai. Il calcula. Quatre ou cinq pas pour atteindre le bout de la branche qui surplombait l'eau, puis l'attaque. C'était serré mais jouable.
- Bonjour, dragon. Mon roi trouve que tu lui voles beaucoup d'or.
- Lui-même ne le vole-t-il pas au cours de ses combats?
- Le roi est le roi. C'est son droit, reprit Jianme en pivotant.
- Et qui fixe ce droit, si ce n'est le roi ?
- Non, les règles sont plus anciennes que lui. Elles viennent des rois qui l'ont précédé.
Jianme avait fait un pas vers le dragon.
- Alors ce sont des règles de rois pour des rois. En quoi s'appliquent-elles à moi ?
- Le roi Yas gouverne ce monde et cette région. Tu voles son bien.
Un pas supplémentaire, il ne lui en restait plus que deux avant de pouvoir frapper. Le dragon ne bougeait pas. Jianme sentit son cœur accélérer.
- Les dragons ont besoin d'or. C'est leur loi. Je ne suis pas roi, les règles des rois ne sont pas faites pour les dragons. Je ne crois pas que je vais lui rendre quoi que ce soit.
- Je suis venu seul avec mes guides pour négocier mais d'autres pourraient venir en nombre pour reprendre ce qui est au roi.
Jianme avança encore une fois le pied et transféra son poids pour préparer son attaque.
Le craquement fut sinistre. Schtenkel et Torétaro assistèrent impuissants à la chute de Jianme. La branche avait cassé sous son poids. Il lâcha son arme dans la chute mais ne put se raccrocher aux branches. Il y eut un plaouffff et puis le silence. Il ne resta qu'un rond clair dans les lentilles d'eau que les trois protagonistes restants regardèrent un moment.
La tête du dragon se tourna vers eux.
- Vous avez de la chance, petits hommes.
Les deux hommes n'osaient plus bouger. Les prunelles jaunes qui les fixaient, les hypnotisaient.
- Je te reconnais, petit homme à la doublure d'or, te revoilà sur mon chemin. L'être debout qui voit les esprits, m'a demandé de t'épargner. Ton destin n'est pas fini. Nous nous reverrons. Et toi petit homme qui lit la terre, ton combat n'est pas le combat de ce roi qui veut des règles de roi. Si je te revois, tu n'auras pas un meilleur sort que le petit homme qui n'a pas flotté.
Le dragon bondit hors du lac et de toute la puissance de ses ailes, il prit son envol. Sous le souffle, les deux hommes se retrouvèrent assis. Ils regardèrent le ciel où le dragon rapetissait et s'entre regardèrent. Ils étaient vivants. ILS ÉTAIENT VIVANTS.
Ils éclatèrent d'un rire nerveux. C'était fini. Soulagés, ils se relevèrent. Il ne restait plus qu'à rentrer.
Torétaro plaqua Schtenkel qui eut un regard étonné.
- Flèche, cria-t-il.
Le bruit mat d'un trait qui se plantait dans l'arbre retentit au-dessus d'eux. Ils virent de l'autre côté du lac des guerriers du froid. Torétaro et Schtenkel prirent la fuite vers l'intérieur du bois.

samedi 11 août 2012


La pluie arriva. Il faisait chaud et humide. Les lourds nuages noirs se vidaient sur les pentes, noyant hommes et bêtes.
- Knam, knam, knam...
- Ne jure pas comme cela, Chountic, tu vas indisposer les esprits.
- On voit bien que ce ne sont pas tes terres qui sont sous l'eau.
- Attends, je suis comme les autres, mes récoltes ne vont pas tenir leurs promesses. La saison des pluies est en avance cette année et les esprits l'ont voulu abondante.
- Oui, mais être obligé de rentrer les récoltes dans les grottes pour les faire sécher, on n'avait jamais vu ça.
La discussion se poursuivit entre les deux hommes qui descendaient la grande rue pour aller vers les grottes. Tout encapuchonnés et recouverts de leur cape de pluie, Chountic et son voisin baissaient la tête pour éviter la nouvelle averse. Comme les autres, ils ne prêtèrent pas attention aux deux hommes qu'ils croisèrent. Équipés comme eux, ils longeaient l'autre bord de la rue pour éviter de patauger dans la boue. Cette pluie arrangeait bien, Schtenkel et ses hommes. Elle avait commencé le lendemain de leur arrivée dans la ville. Tombant par averses violentes qui duraient la moitié de la journée, la pluie obligeait tout le monde à se terrer. Schtenkel jubilait. Après la peur lors de la rencontre de la femme le premier soir, ils avaient pu grâce à la pluie, passer inaperçus. Il avait maintenant un plan de la ville et de ses remparts. Il avait une idée exacte des forces dont disposait le chef ennemi. Il avait même réussi à apprendre son nom. C'était le prince Quiloma. Une ou deux fois, il avait craint pour sa sécurité et celle de ses hommes. Les soldats du prince étaient manifestement surentraînés. C'est la pluie qui en redoublant les avait à chaque fois sauvés. Il faisait avec Bistasio une dernière reconnaissance pour aller voir la vallée d'où viendrait le dragon. Ils se dirigèrent vers la clairière de la dislocation. C'est là qu'ils retrouvèrent les autres. Tous les six se dirigèrent vers la rivière en gardant la même altitude. Bistasio avait cru comprendre qu'une patrouille surveillait systématiquement le repaire du dragon, mais il n'en était pas sûr. Schtenkel faisait avancer ses hommes avec précaution. Il ne voulait pas risquer la confrontation avec les soldats du froid. Ce furent deux longues journées, s'arrêtant souvent pour essayer de repérer des ennemis. La nuit avait été calme. Ils avaient repris leur progression. Bistasio fit signe qu'ils approchaient de la vallée. Schtenkel fit monter son groupe sur la ligne de crête. C'est là qu'ils aperçurent le groupe de cinq à l'abri d'un auvent rocheux. Ils avaient fait un feu et ne semblaient pas en alerte. Schtenkel remarqua quand même que l'un d'eux guettait les environs. Il fit signe à ses hommes de reculer. Ils firent demi-tour pour gagner l'autre côté de la crête. Ils arrivaient en haut quand le soleil se démasqua derrière les nuages. La lumière fut tout de suite très violente. Bistasio jura. Ils étaient complètement éclairés. Si les hommes de Quiloma étaient dans le coin, ils étaient des cibles trop faciles. Ils se mirent à courir jusqu'à un bois voisin. Cachés derrière les fûts des arbres, ils regardèrent le panorama. Au loin un grand oiseau volait. Le dragon ! pensa Bistasio. Effectivement peu après, ils virent passer en dessous d'eux le grand animal. Schtenkel donna tout de suite l'ordre de départ. L'occasion était trop belle de découvrir le repaire du monstre. Il devait y avoir des courants porteurs car le dragon se mouvait lentement sans battre des ailes. Ils purent ainsi le suivre pendant un bon moment. Le souffle devenait court et les muscles durs quand ils le virent disparaître à leur vue.
- Le repaire doit être quelque part là dessous, dit Schtenkel. On va s'approcher discrètement pour en voir plus.
Pendant que ses quatre compères reprenaient leur souffle, Schtenkel et Bistasio s'approchèrent du bord. Malheureusement, ils ne purent que constater qu'une corniche quelques pieds plus bas cachait la vue. Si la grotte était là, il faudrait être sur l'autre rive de la vallée pour la voir. Schtenkel jugea qu'il en savait assez. Il ne se voyait pas faire encore tout un détour de plusieurs jours pour atteindre la berge opposée. Il rampa en arrière pour ne pas tomber et se redressa. Bistasio fit de même. Ils avaient à peine fait quelques pas qu'un violent coup de vent les renversa. En tombant Bistasio se fit la remarque que les soldats de la plaine faisaient vraiment une drôle de tête.
Une voix venue de très haut les interpella:
- Alors, êtres debout, que faites-vous si près de chez moi ?
Schtenkel se retourna et tenta de fuir à quatre pattes sur le dos. Cela fit rire le dragon.
- Tu n'es pas un être debout, tu es juste un petit homme.
Un des soldats se rua sur le dragon en hurlant, l'épée au point. Déployant le cou, celui-ci le happa et l'envoya voler dans le vide de la vallée. Son cri se répercuta longtemps avant de s'éteindre.
- Je reconnais votre odeur... Vous êtes des petits hommes de la plaine. Votre odeur ressemble à celle des loups gris et je n'aime pas les loups gris.
Les survivants étaient tétanisés. Plus personne ne bougeait.
- Mais ça sent aussi l'or...
Le mufle du dragon s'approcha des hommes.
- Toi, petit homme, tu possèdes de l'or.
- Mais non, j'ai tout laissé à Tichcou.
- Ah! Tu viens de ce village. Je sens que je vais aller y faire un tour. Mais tu sens l'or... petit homme.
Tu as intérêt à trouver où tu le caches...ou je vais perdre patience et aller le chercher moi-même.
En disant cela le grand saurien s'était approché de Schtenkel. Celui-ci fouillait frénétiquement ses poches sans rien trouver. La peur le faisait trembler. Ses pensées tournaient en rond à toute vitesse. Ce n'était pas possible. Ce qu'il vivait ne pouvait exister. Juste au moment où il allait perdre espoir, ses doigts sentirent un corps dur dans la tunique.
- Là, là il y a une pièce dans la doublure...
Schtenkel disait cela en tendant le vêtement. Avant qu'il ait compris quoi que ce soit, le dragon avec arraché le morceau d'un coup de crocs.
Schtenkel regarda sa tunique déchirée et son bras, quelque chose n'allait pas. Et puis la douleur arriva et le sang gicla. Sa main avait disparu. Il hurla. Bistasio qui était à côté se retourna pour vomir. Un des hommes se précipita pour faire un pansement.
- Je vais vous faire cadeau de votre vie pour cette fois, petits hommes, mais ne revenez jamais. Quant à toi, être debout Bistasio, évite ces gens-là.
Le dragon déploya ses ailes et dans un déchaînement de bourrasques, prit son envol.
- Viens, Schtenkel, ne restons pas là. Les guerriers du froid vont arriver.
Soutenant leur chef, les trois hommes et Bistasio s'enfuirent vers les bois proches.
Le retour fut pénible. Schtenkel délirait à moitié avec la fièvre qui l'habitait. Bistasio les avaient laissés après le premier col. Il refusait d'aller plus loin. Le passage du dragon au-dessus de leur tête avait renforcé sa détermination. La pluie avait rendu les passages quasiment infranchissables. Le chemin de la gorge fut un calvaire, aucun des trois rescapés n'en sortit valide. C'est épuisés qu'ils arrivèrent à Tichcou, couverts de plaies, de miasmes. Ils pensaient pourvoir se reposer et se refaire une santé mais ils arrivèrent dans une bourgade qui semblait avoir connu la guerre. Ils reconnurent à peine Jianme qui n'avait plus de cheveux et dont le visage était brûlé. Tichcou avait connu la fureur du dragon. Seules les pluies diluviennes avaient sauvé les habitations et leurs occupants.

jeudi 9 août 2012


Bistasio guidait un groupe sur le chemin des crêtes. Il n'était pas très rassuré par la tournure que prenaient les évènements. Il n'avait pas eu le choix. Son arrivée à Tichcou n'avait pas été aussi simple qu'il l'avait espéré. Son contact sur place au lieu de garder le silence sur sa présence, avait alerté les soldats. On lui avait confisqué ses tiburs et il s'était retrouvé prisonnier. Il s'était fait frapper sans en comprendre les raisons. Les soldats qu'il avait vus, parlaient une langue chantante qu'il ne comprenait pas. Le maître de la ville de Tichcou était arrivé avec le chef des troupes. On l'avait interrogé longuement et pas toujours avec douceur. Il avait raconté l'arrivée des soldats du froid, leur nombre, les divisions dans la ville, il avait cité Chountic et Rinca et leur désir de se venger des occupants. L'attitude du chef des soldats avait changé à partir de ce moment-là. Les questions étaient devenues plus techniques sur le chemin et la topographie du terrain. Après il y avait une longue discussion dans la pièce d'à côté entre le militaire en chef et ses sous-fifres. Quand il était revenu, on lui avait traduit les ordres. Il allait conduire des soldats dans la ville pour espionner et ils redescendraient rendre compte. Bistasio avait dit l'impossibilité d'une telle chose. Les abords étaient trop surveillés. Les soldats du froid ne seraient pas dupes. Il fallait que la présence des soldats de la plaine soit naturelle pour que tout se passe bien, c'est-à-dire qu'ils aient l'air de serviteurs de Bistasio portant les marchandises qu'il avait eues en échange de ses tiburs. La négociation avait été serrée, le chef de ville ne voulait pas perdre les tiburs qu'il avait confisqués, ni donner des produits en échange. C'est le militaire qui avait tranché. Bistasio aurait ses marchandises. Le chef de ville avait fait grise mine mais avait cédé. C'est ainsi que Bistasio guidait cinq hommes sur le chemin des crêtes. Ils portaient tous une charge de tissus, de métal ou d'objets qui manquaient dans la ville. Rinca et Chountic seraient contents d'avoir cela à vendre. Les soldats qui l'accompagnaient parlaient un peu la langue du cru, et avaient été habillés comme les locaux. La seule différence était les armes qu'ils portaient sous leurs habits. Le chemin fut rude avec les charges. Bistasio les guida avec beaucoup de précautions si bien qu'ils ne virent pas âme qui vive avant d'arriver sur les pâtures orientales. La réparation du chemin de la gorge avait tenu. Les soldats de la plaine parlaient entre eux dans leur langue. Bistasio les fit taire. Ils étaient trop près de la ville pour prendre le risque. Ils s'arrêtèrent avant le dernier col. La nuit serait assez claire pour qu'ils puissent atteindre la ville sans se faire remarquer. Bistasio leur avait expliqué qu'il allait les conduire dans des grottes, où ils pourraient se cacher. Ils pénétrèrent dans la ville par la porte près de la maison de la Solvette. Ils étaient tous nerveux. Bistasio espérait qu'ils ne paniqueraient pas. Si l'un d'entre eux sortait une arme, ce serait le massacre. Les premières ruelles étaient vides. Avant de s'engager dans une autre voie, Bistasio jetait un coup d'œil devant lui. Ils passèrent devant la maison de la Solvette, sous le regard intéressé des charcs qui, comme toujours, étaient posés sur les murs. Encore deux, trois rues et ils seraient dans les grottes. Encore un tournant...
- Bonsoir Bistasio.
- Bonsoir Cifralt, tu sors bien tard ce soir.
- Oui, il me faut aller chez la Solvette, les enfants de Kalgar en ont besoin.
- Je vois que tu es bien tombée chez eux.
- Cela me change de la maison Andrysio. Mais toi, que deviens-tu? Tu es avec des étrangers.
- J'ai fait une expédition jusqu'à Tichcou et l'acheteur m'a prêté des serviteurs pour ramener les marchandises. D'ailleurs je passerai voir Kalgar, j'ai du métal.
- Fais attention avec le bruit des combats, les étrangers pourraient être mal vus.
- Ils repartent demain à la première heure. Ce soir il est trop tard.
- A bientôt Bistasio.
- Au revoir Cifralt.
Il la regarda tourner au coin de la rue. Il entendit alors les armes qui glissaient dans leurs fourreaux.
- Venez, leur dit-il.
Il les guida jusqu'à la zone des grottes de l'ancienne maison Andrysio. Mal ventilées, elles avaient été délaissées. Bistasio savait qu'ils y seraient tranquilles.