vendredi 8 février 2013

Ils vécurent plusieurs épisodes du même genre. De mémoire d'homme, c'était la première fois que l'hiver jouait cette partition. Le prince-roi fulminait de plus en plus. L'atmosphère au Milmac blanc devenait irrespirable. Le blizzard les avait une nouvelle fois bloqués. Le prince-roi avait passé sa journée à vider des chopes de malch noir. Son teint était devenu vultueux et son humeur bien sombre. Il dodelinait de la tête, dormant à moitié. Un coup de vent plus violent fit refluer la fumée dans la cheminée, tout en faisant hurler le conduit. Cela réveilla le prince-roi qui frappa du poing sur la table :
- Y EN A MARRRRRRRE ! ON PARRRT !
Tout le monde dans la pièce sursauta. Ce furent les chevaliers qui crièrent « HOURA ! » les premiers. En quelques instants, ce fut l'effervescence. Le prince-roi flageolant sur ses jambes continuait à hurler des ordres :
- LE CONSSSEIL ! ON RRRÉUNIT LE CONSSSEIL !
Il fallut du temps pour que soient autour de la table le prince-roi et les six chevaliers qui formaient le conseil en voyage. Chacun y alla de son idée pour faciliter le départ. Comme ils avaient tous bu force malch noir, leurs idées étaient aussi enfumées que la pièce. Quand on vint apporter les ordres à Névtelen, il dit :
- Ils ont trop bu, c'est pas possible !
Le serviteur lui répondit, les lèvres pincées :
- Son altesse a toujours tenu son rang ! Maintenant, préparez tout pour demain.
- Te fâche pas, mec, dit Schtenkel, on va lui préparer son voyage.
Ils regardèrent le serviteur repasser la porte qui menait à la grande salle.
- On va s'les geler, Chasseur, on va s'les geler. 
- Oui, mais on n'a pas le choix.
Les ordres étaient clairs. Schtenkel partirait devant avec un groupe de serviteurs pour marquer la route et préparer des abris. Le prince-roi suivrait cinq jours plus tard avec ce tout ce qui était nécessaire. Schtenkel avait demandé et obtenu que Névtelen l'accompagne.
Le jour du départ était un jour gris. Le vent était tombé dans la nuit. Le froid restait aussi vif. Névtelen avait récupéré les masques dits « de démons » pendus au mur du Milmac blanc depuis des générations. À la question de Schtenkel sur leur rôle, il avait répondu :
- Mets-le sur ton visage, tu comprendras.
Ils avaient attendu d'être aux portes de la ville pour l'attacher. Schtenkel découvrit avec surprise que l'intérieur était couvert d'une fourrure blanche, du Milmac, qui tenait le visage au chaud, ne laissant que deux fentes pour les yeux, deux trous pour le nez et une ouverture plus large mais protégée par un relief au niveau de la bouche.
- T'es bien le « chasseur », s'exclama Schtenkel, pour savoir tout ça.
La colonne s'enfonça dans les bois. Il avait été décidé après moult discussions que le meilleur chemin en cette saison éviterait la vallée avec son barrage naturel, laisserait de côté le passage par le chemin des gorges pour faire le tour par les forêts. Les pentes y étaient moins rudes. Le prince-roi espérait que les arbres les protégeraient davantage des aléas de la météo. Quand Schtenkel avait rapporté ça à Névtelen, il avait commenté :
- Sioultac fera bien ce qu'il veut, arbres ou pas arbres !
Névtelen marchait en tête. Schtenkel le suivait. Les autres en colonne portaient le matériel pour la mission. Trop chargés, pas assez couverts, Névtelen ne donnait pas cher de leur peau. Tant qu'ils feraient des efforts mesurés, ils survivraient. À l'arrêt sans abri, ils gèleraient et si par malheur, ils transpiraient trop, les vêtements mouillés seraient mortels pour eux. Il avait tenté de dire cela mais personne ne l'avait écouté. Schtenkel lui-même, lui avait demandé d'où venait ce savoir. Il n'avait pu que répondre qu'il avait ce savoir dans la masse indistincte de ses souvenirs. Cela n'avait pas suffi à faire changer d'avis le prince-roi. Au bout de quelques heures de marche, ils quittèrent la route.
Le calvaire commença. Sortant de la neige tassée, ils durent affronter la congère du bord de route. Névtelen avait ressorti ses raquettes que Vodcha avait pris pour des ailes. Il monta sur la congère sans difficulté, ajustant son masque en marchant. Il avait préparé une paire pour Schtenkel mais ce dernier comme les serviteurs du prince-roi avait refusé. Ses premiers pas dans la congère de neige  durcie se passèrent relativement bien. Il comprit la difficulté au pas suivant. Il s'enfonça brutalement jusqu'au genou. Névtelen le regarda de son masque figé. Il lui tendit la paire de raquettes qu'il avait accrochée dans son dos. Schtenkel sourit douloureusement. Il lui fallut du temps pour s'extraire de la couche neigeuse. Il se retrouva enfin à la hauteur de Névtelen qui lui fit signe de mettre son masque. Pendant ce temps les serviteurs avaient commencé à passer la congère et à vivre les déboires que Schtenkel venaient de vivre. Malheureusement pour eux, plus chargés que le vieux guide, ils enfonçaient plus profondément. Chaque pas leur coûtait beaucoup d'énergie. En milieu de journée, ils avaient fait la moitié de ce qu'une troupe fait entre deux pauses dans la plaine. Les serviteurs essoufflés avaient trouvé un espace presque sans neige au pied d'un arbre aux branches si touffues qu'elles protégeaient le sol. Certains ne sentaient déjà plus leurs pieds ou leur nez. Névtelen se sentait flotter dans un brouillard irréel de ce qu'il vivait et de ce qu'il avait vécu. Pour lui, les autres flottaient dans un temps à côté du sien.
- Ce soir, il y aura des morts ! murmura la voix de Schtenkel.
Les serviteurs avaient ouvert le port à feu et essayaient de faire monter les flammes sans brûler l'arbre. Ils essayaient de se réchauffer comme ils pouvaient, serrés les uns contre les autres. Ils regardaient les deux guides d'un air bizarre tant ils craignaient les masques. Ils ne firent pas de remarque quand Schtenkel donna le signal du départ. Ils reprirent courageusement leur progression. Si la matinée avait été dure, l'après-midi fut un enfer. Tout en montée, le chemin suivi par Schtenkel fut ponctué de stations. La première fois, ils entendirent le cri de celui qui était tombé. Voulant passer un arbre, il avait trébuché. La jambe trop fatiguée pour se lever suffisamment avait accroché un bout de branche cassé dépassant du tronc. Il s'était senti tomber et avait essayé de garder l'équilibre en partant en arrière. La charge trop lourde l'avait entraîné. Schtenkel fit signe de s'arrêter et descendit avec Névtelen pour voir comment il s'était récupéré. Arrivés au milieu de la pente, ils découvrirent le serviteur empalé sur un tronc cassé. Quand ils voulurent le toucher, ils comprirent qu'il était sur un véritable piège de troncs enchevêtrés et qu'ils risquaient d'être emportés en essayant de l'enlever.
- Non, dit Schtenkel, on le laisse là. Il ne bougera pas de l'hiver. Ils lui donneront une sépulture quand ce sera possible. Remontons, il faut qu'on avance...
En arrivant au niveau des autres, Schtenkel ne s'arrêta pas. Il dit simplement :
- On continue. Il y a encore du chemin !
- Et Chiltam ? demanda une voix.
- Il est mort et on ne peut rien faire de plus avec ce froid, sinon, on va tous mourir. Allez ! Avancez ! C'est un ordre.
Les serviteurs grommelèrent mais le prince-roi avait été clair. Les ordres de Schtenkel auraient le même pouvoir que les siens. Ils en répondraient sur leur vie.
La progression reprit dans cette pente abrupte. Schtenkel avait accéléré. Il voulait atteindre une grotte un peu plus loin et cela avant la nuit. Quand ils débouchèrent sur la crête, le vent se mit de la partie. Il fallait maintenant lutter contre lui. Il y eut un cri horrible qui n'en finissait pas comme celui d'un homme qui brûle. Se retournant, Névtelen vit un des serviteurs se débattre pour enlever ses vêtements. Il pensa : « trop tard ! ». L'homme s'abattit peu après et le silence retomba. Les autres regardèrent alternativement Névtelen et l'homme à terre. 

- Il a trop transpiré... Il a gelé.
Se tournant vers Schtenkel, il ajouta :

- On doit aller moins vite, sinon...
Schtenkel grommela quelque chose et reprit la marche.
- On ne l'ensevelit pas ? demanda quelqu'un.
- Tu veux mourir ? dit-il en continuant.
Névtelen lui emboîta le pas suivi de la majorité du groupe. Quelques uns restèrent.
La nuit tomba avant qu'ils ne soient arrivés à l'abri dont rêvait Schtenkel. Le ciel avait fini par se dégager avec le vent. Les étoiles et une lune pâle éclairaient le paysage. Ils continuèrent. Il y eut un nouvel accident avec la chute d'un paquet de neige. Il fallut dégager les trois hommes pris en-dessous. Les deux premiers furent faciles à dégager. Le troisième nécessita plus de temps, trop de temps. Écrasé, la figure sur le sol, il était mort asphyxié. La découverte de sa mort fut accompagnée du hurlement d'un de ses coéquipiers brûlant de froid, vêtements trempés.
- Un peu plus loin, je pense qu'il y a un repli. On va faire une maison de neige.
Schtenkel regarda Névtelen et fit « oui » de la tête.
Le froid se faisait plus intense. Névtelen le sentait malgré ses couches de fourrure. Il avançait en tête pressé de s'arrêter. Il maîtrisait son effort pour ne pas transpirer. Il était parti devant pendant que Schtenkel attendait les serviteurs. Il trouva le repli comme il l'avait espéré. Sans attendre, il commença à découper les blocs de neige et à monter un mur. Quand les autres arrivèrent, sous un rocher brûlait un feu, et tout autour un mur coupait le vent. Les hommes s'affalèrent épuisés. Dans l'espace protégé, le froid était moins intense. Pour ceux qui arrivaient de l'extérieur, il faisait bon. Sur la vingtaine d'hommes au départ, il en manquait déjà sept.
La nuit se passa. Névtelen se réveilla au petit matin. Il regarda dehors. Une ombre noire au regard rouge se glissa furtivement sous l'abri sombre des résineux. Névtelen sourit. Ils étaient là, ces curieux anges gardiens. Cela le rassura. Sa quête commençait à prendre sens. Les images des yeux rouges dans l'abri lors de cet hiver à porter le corps de Chountic. Chountic ! D'autres images s'enchaînèrent sans qu'il le veuille. L'odeur de son haleine, la forme de son visage, ses relations avec Miastica, puis vint l'image de sa mère Sealminc, mais était-elle sa mère ? Une autre image était apparue mais était restée floue. Elle était associée à une odeur indéfinissable...
- Certains ont réussi à revenir, dit Schtenkel dans son dos.
Névtelen se tourna vers lui :
- Combien restons-nous ?
- Trois sont rentrés. Ils sont épuisés. Ils acceptent l'idée des raquettes. Et ils ont découpé les vêtements des morts pour se faire des masques.
- Alors peut-être survivront-ils, dit Névtelen en descendant de son perchoir pour aller s'occuper du feu. Schtenkel le regarda faire. Il ne comprenait pas comment le « chasseur » faisait. Il était juste heureux qu'il le fasse.
S'ils perdirent du temps à faire les raquettes, ils en gagnèrent beaucoup après. Ils étaient sortis de la forêt pour marcher sur une crête. Le soleil brillait et brûlait les yeux. Les masques avaient des petits volets, comme Névtelen le montra à Schtenkel. La vue en était limitée. La brillance de la neige devenait supportable. Les hommes du prince-roi firent de même. Le vent n'avait pas faibli. Il fallait lutter en permanence contre-lui. Le premier accident arriva au passage d'une corniche. La chute ne fut pas bien haute mais la jambe n'avait pas résisté. Le sauvetage prit longtemps. Il fallut assurer les cordes, descendre, vérifier comment allait Climtal, lui immobiliser la jambe tout en faisant attention de ne pas tomber plus bas, assurer le blessé et puis le remonter, après vinrent la remontée des sauveteurs et la confection du traîneau pour l'emmener. Névtelen ne dit rien. Il aida du mieux qu'il pouvait en sachant qu'avec une telle blessure et un tel froid, Climtal n'irait pas loin, un jour, deux peut-être. Le deuxième accident arriva sur la fin de l'après-midi, de nouveau une chute. La glissade sembla longue à tout le monde. Il y eut un cri quand Dramchat toucha les branches. Il rebondit, cria encore et s'immobilisa contre un tronc. La pente n'était pas trop raide. Ses compagnons purent descendre pour lui porter secours. Ils avaient laissé leur charge en haut. Ainsi allégés, ils allèrent rapidement à sa hauteur. Les branches avaient déchiré ses vêtements, découvrant de larges plaies qui curieusement saignaient peu. Dramchat semblait juste sonné. Ils lui bandèrent le bras et le torse du mieux qu'ils purent. L'homme se releva avec l'aide de ses compagnons. La remontée fut beaucoup plus dure. Dramchat trébuchait tout le temps. Il tomba une fois, deux fois. A la cinquième, il ne fit même pas un effort pour bouger. On le secoua, on l'appela sans qu'il réagisse. Le froid avait fait son œuvre. Il y eut des cris parmi les sauveteurs. Schtenkel hurla et remit tout le monde en route. De nouveau, ils durent abandonner leur mort sans sépulture.
- Votre prince-roi y pourvoira quand il passera, décréta Schtenkel. On n'envoie pas les gens quand il fait ce temps-là.
Quand ils s'arrêtèrent pour la nuit, ils avaient trouvé un abri sous roche. On le ferma d'un mur de neige. Névtelen prit même le luxe de faire une chicane à l'entrée pour bloquer l'air froid. Quand on essaya de réveiller Climtal, on découvrit qu'il était mort. Épuisés, ils s'endormirent rapidement. Névtelen fut réveillé par un dormeur qui se glissa dehors. Il vérifia que celui qui montait la garde ne dormait pas. Rassuré de le voir debout, il se rendormit. De nouveau, il rêva. Il volait perché sur le cou d'un dragon rouge qu'il dirigeait comme on dirige un tracks. Le rêve vira au cauchemar quand le grand saurien tourna la tête vers lui. Comme dans les récits de Schtenkel, il entendit la voix douce :
- Tu te crois le maître, petit homme ? Mais tu ne diriges rien.
Le dragon se mit à faire des figures si compliquées, que Névtelen se retrouva suspendu aux rênes.  Sa monture se mit à le balancer d'avant en arrière. A chaque fois son balancement devenait plus important. Il était à chaque fois plus haut que la tête du dragon. Juste avant qu'il ne se remette à descendre, il vit le mouvement du cou qui tira sur les rênes, le précipitant vers la mâchoire qui s'ouvrit devant lui. Il hurla.
Cela le réveilla. Le matin était proche. Il prit conscience de l'absence du veilleur. Il se leva sans bruit. Il se dirigea vers la sortie, tout en s'habillant. Quand il arriva dehors, il les vit tout de suite. Il s'approcha d'eux et jura. La colère montait en lui. Ces knam de Flamtimo n'étaient même pas capable d'écouter les consignes les plus simples. Pour lui ce qui s'était passé était évident. Le premier était sorti pour ses besoins. Alors qu'il était accroupi, il avait dû vouloir prendre appui sur le  rocher tout proche. La main s'était littéralement soudée à la pierre à cause du froid. L'homme avait perdu son pantalon en essayant de libérer sa main. Il avait dû crier pour demander de l'aide, ce qui expliquait la sortie du guetteur. Celui-ci avait oublié de mettre ses gants et avait fait la même erreur que le premier sorti. Ils étaient morts de froid, bêtement parce qu'ils n'avaient pas appliqué les précautions élémentaires d'un pays de grand froid.
Il rentra en jurant. Schtenkel se dressa sur le coude. Il eut un regard interrogatif. Névtelen lui résuma la situation. Les autres se réveillèrent. Ils comprirent. Le chef des serviteurs, Tselmak,  s'approcha d'eux et dit :
- Qui ?
- Tsalmok et Harket.
Devant le regard interrogatif, Névtelen lui raconta ce qu'il avait compris.
- Le prince-roi nous a donné une mission, accomplissons-là !
Névtelen explosa de colère :
- Mais par Sioultac et Cotban, combien de temps allez-vous mettre à comprendre que si vous continuez comme cela, vous allez tous y rester. Hier il a fait beau. Aujourd'hui, le ciel se couvre, demain, c'est le blizzard...
Il s'arrêta au milieu d'une phrase. Trop énervé, trop fatigué, il fit une crise. Il tomba par terre, incapable de faire face à l'afflux d'images, de sensations et d'émotions. Tselmak fit des gestes de conjuration, les autres aussi. Il se tourna vers Schtenkel et dit :
- On le laisse là. Ceux qui ont ce mal, sont des schaïpans. Les côtoyer ne peut que nous porter malheur. Nous ferons mieux sans lui.
Se tournant vers les autres, il ajouta :
- Jetez-le dehors. Il est la cause de ce qui nous arrive.
Rapidement, en s'y mettant à quatre, ils jetèrent Névtelen dans la pente devant la caverne. Il atterrit sur le dos et se mit à glisser.
- Bon débarras ! déclara Tselmak et maintenant repartons !
Schtenkel n'avait pas eu le temps de réagir.
- Fous ! Z'êtes des fous ! Sans lui, on crève tous !
Tselmak le prit par le devant de sa pelisse.
- Écoute-bien, toi ! T'es là pour nous dire où aller. Le prince-roi nous a bien dit. Si tu ne coopères pas, on peut te faire griller à petit feu !
La peur tenailla le ventre de Schtenkel. Il ne dit rien et rassembla ses affaires. Les préparatifs allèrent vite. Quand il sortit, il mit le masque de Milmac, Tselmak lui arracha :
- Ça aussi c'est schaïpan !
Il le lança dans la pente. Le groupe s'élança dans la direction que montra Schtenkel. Personne ne remarqua les deux yeux rouges qui brillaient sous les résineux.
RRling regarda partir les hommes. Elle se retenait de gronder. Sans la meute, celui qui a appelé pouvait mourir de froid. Les femelles l'avaient entouré et réchauffé. Les mâles étaient partis en chasse. Non pas pour de la viande, ils avaient tué un clach il y a peu, mais pour un abri. RRling avait senti la tempête.
Névtelen reprit conscience. Il était allongé sur le dos. Il était bien. Les corps de ses compagnons le réchauffaient. Puis les souvenirs lui revinrent. Il bougea. Autour de lui, on s'écarta. Il découvrit qu'il était en plein milieu de la meute. La grande louve aux yeux rouges était là. Il regarda autour de lui. Il ne savait pas comment, mais elle avait ramené les raquettes et les masques de Milmac. Il s'équipa. Se tournant vers la louve, il dit :
- Il faut sauver le guide !
La louve s'élança. Névtelen la suivit ainsi que toute la meute. Ils avançaient vite. Beaucoup plus vite que le groupe qui avait brûlé les raquettes car schaïpan. Ils suivirent une route un peu plus bas sur la pente, dans la forêt. La progression était difficile mais à l'abri des regards. Les loups allaient et venaient beaucoup plus vite. Vers le milieu de la journée, ils croisèrent leurs traces pour passer au-dessus d'eux. C'est de loin que Névtelen vit les chutes.
Le groupe progressait à flanc de montagne, restant au même niveau. Ils devaient en suivre les contours. Chaque ruisseau avait fait son entaille. Au fond de chaque entaille, le passage était difficile. Les plus faibles n'avaient plus la force de passer les endroits délicats. Leurs gants les protégeaient du froid, malheureusement, ils glissaient beaucoup et les prises étaient maladroites. Si le premier tomba seul, le deuxième entraîna un compagnon avec lui. Quand arriva le soir, le groupe continua avec des torches. Ils étaient loin de tout abri et la température baissait encore. Névtelen s'était rapproché d'eux en profitant de l'obscurité. Il entendait Schtenkel expliquer haut et fort, qu'ils risquaient de se perdre, qu'il aurait mieux valu ne pas bouger ce matin...
Ils passèrent à quelques pas de lui sans le voir. Leur démarche mécanique traduisait la fatigue. Tselmak donna l'ordre de s'arrêter au pied d'un rocher. Schtenkel ne contesta pas, lui aussi semblait au bord de l'épuisement. Névtelen trouva le choix catastrophique. Avec le vent qui tournait, ils allaient prendre la tempête dans toute sa violence. Il les regarda un moment. Ils firent quelques blocs maladroits avec de la neige, mais surtout, ils coupèrent des branchages et essayèrent de fermer le couloir entre les rochers qui leur servait d'abri. Ils firent un feu de résineux.  Il brûlait mais trop vite sans donner beaucoup de chaleur. Rapidement, il n'y eut plus de bruit. Névtelen arriva à la limite du camp. Le feu déjà mourait. Celui qui devait s'en occuper, avait déjà sombré dans le sommeil. Silencieusement, il s'approcha de Schtenkel qui dormait près de la porte et loin du feu. Il lui mit une main sur la bouche. Quand il ouvrit les yeux, Névtelen lui fit signe de se taire. Il hocha la tête, récupéra ses affaires, s'équipa et sans que personne ne s'en aperçoive, il quitta le campement derrière Névtelen.
Les deux hommes n'allèrent pas bien loin. La neige s'était mise à tomber et le vent à forcir. Quand il se retrouva dans une grotte, Schtenkel prit Névtelen dans ses bras :
- Ah ! L'chasseur, t'es un ami, un vrai ! Mais qu'est-ce que...
Schtenkel venait de faire un bond en arrière en voyant les loups. 

- T'affole pas ! Ils sont avec moi.
Schtenkel prit un air affolé mais ne bougea pas. Névtelen fit un feu dans le couloir de la grotte. Le vent, qui courait contre la montagne, entraînait la fumée plus loin. Névtelen se dépêcha de découper des blocs de neige et de fermer à moitié l'entrée.
- On a du feu, du bois, des provisions, on va pouvoir attendre, dit-il.
- Et ceux-là, demanda Schtenkel en désignant les loups.
- C'est eux qui ont amené le clach, répondit Névtelen en souriant. On ne va pas chasser ceux qui nous invitent.
Schtenkel haussa les épaules, ses pensées étaient déjà parties ailleurs. 

- Et les autres en bas ?
- Avec ce que Sioultac va faire, le prince-roi trouvera leurs corps s'il suit le même chemin !

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