vendredi 15 février 2013

Si la marche était assez difficile dans cette bouillasse, ils avaient atteint le plateau de forêt qui montait en pente douce vers la vallée du dragon. Maintenant, ils parlaient tout en marchant. Schtenkel avait fini par comprendre que Névtelen s'était appelé Tandrag et qu'il venait de la ville tenue par les guerriers blancs. Grâce à ces conversations, Névtelen commençait à remettre de l'ordre dans ses souvenirs. Il osa poser la question du devenir de la ville de son enfance. Qu'était-elle devenue depuis l'attaque de Yas ?
- Tu sais, « chasseur », y z'ont bien résisté grâce à la pluie.
Névtelen revoyait les trombes d'eau qu'ils avaient endurées avant la longue fuite. Ils revoyaient même les visages de ses compagnons. Schtenkel continuait son récit.
- Comme tu sais, j'étais à la chasse avec Yas. Quand on est rentrés, tout était trempé. J'avais pas un poil de sec. On est restés trois jours sous la pluie. Et quand j'dis la pluie, c'étaient plutôt des cataractes comme celles qui alimentent le Smaltin à la saison des pluies. Ça arrêtait pas. Arrivés à Tichcou, on s'est tous retrouvés au fort, bloqués. J'peux te dire que ça a discuté ferme. Même que des fois, j'les entendais hurler. Comme les ordres d'attaques z'avaient pas changé, y z'ont juste attendu qu'la pluie s'arrête, et puis les troupes sont reparties vers la ville et la vallée du dragon. Mais si ceux qui d'vaient chasser le dragon, y z'ont réussi à faire des bateaux et à s'protéger de ces saloperies de volpics, dans la vallée, y a l'barrage qu'a cédé. L'eau, elle a tout balayé. Tichcou a eu d'la chance. L'dieu Cht'arlboc devait veiller sur eux. L'eau s'est étalée plus haut quand la vallée s'élargit, ça l'a calmée. Y a qu'les maisons du bas qu'ont souffert. Nous, dans l'fort, on a juste entendu le bruit et vu les dégâts. C'est Altalanos qu'a l'premier décidé de s'en aller. Après ça a été très vite. Y sont tous partis. Y'a qu'les groupes qui t'poursuivaient qui sont pas rentrés tout de suite. Z'étaient trop loin, trop difficiles à joindre pour les rappeler.
Les jours suivants, ils marchèrent profitant du soleil qui se montrait. Ils laissaient une trace derrière eux pour le prince-roi.
- D'toutes façons, on marche plus vite qu'eux. On les attendra.
- Oui, et puis on verra comment il veut attaquer le dragon. Tu crois qu'il a une chance ?
- Tu veux qu'je te dise, l'dragon, il sait déjà qu'on est là. Y sait pour le prince-roi et toute sa clique...
- Ça me rappelle la légende du dragon-oracle.
- C'est qui c'ui-là ?
- Un dragon qu'on va voir pour avoir des réponses à ses questions car il semble tout savoir, tout deviner.
- Ouais, ben y doit être cousin avec celui d'ici...
Ils avaient l'humeur joyeuse et rirent bien du prince-roi et de ses présomptions. Une seule fois une grande ombre les survola rapidement. Comme ils étaient dans un bois sombre, ils doutèrent, nuage ou dragon. Vu le vent, les deux hypothèses se tenaient. Ils arrivèrent à une clairière au bord de la rivière à l'entrée d'une gorge.
- La vallée du dragon, dit Névtelen.
- Ouais « chasseur ». Ici on choisit. Si on traverse l'eau, on arrive au-dessus de la grotte, si on suit cette berge, on l'attaque par en bas. Comme j'sais pas c'qui veut, on va l'attendre là, l'prince.
Névtelen se dandina d'une jambe sur l'autre :
- Tu crois pas que les guerriers blancs vont être par là ?
- Si, bien-sûr. Ils sont toujours là. Mais ça dépend des fois on les voit, des fois on les voit pas. On va s'planquer un peu plus haut et on va surveiller.
Les deux hommes se dirigèrent vers une petite grotte dans un hallier. Ils en examinèrent soigneusement les abords. Rassurés, ils s'installèrent. Névtelen démarra le feu en lui parlant, lui demandant de ne pas faire de fumée. Les flammes dansèrent hautes et claires puis se courbèrent devenant rougeoiement chaud.
Au deuxième jour, ils entendirent du bruit. Bien cachés derrière le rideau d'épineux, ils observèrent. Deux mains d'hommes avançaient aussi silencieusement qu'ils pouvaient, habillés de blanc, sur leurs planches à glisser. Ils s'arrêtèrent en voyant les traces des raquettes.
- Knam ! Ils sont déjà là, dit l'un d'eux.
Les armes furent immédiatement prêtes. Un konsyli fit un geste parole. Lui et sa main de guerriers partirent vers la grotte du dragon en suivant la voie qui arriverait au-dessus. Les autres déchaussèrent. Trois avaient encoché une flèche et guettaient. Le konsyli et le dernier se penchèrent sur les traces.
- Deux jours, trois au plus, dit le pisteur.
Ils suivirent les marques de raquettes qui s'arrêtaient au bord de l'eau.
- Knam ! dit le konsyli, ils ont pris la rivière.
- Oui, mais ils ne peuvent aller bien loin. Cinq cents pas plus haut, il y a la cascade.
- Allons voir !
- Ce n'est pas possible, konsyli, ni même de descendre. La rivière est trop grosse. Il y a deux jours, elle devait être moins forte.
Embusqués, Névtelen et Schtenkel écoutaient les échanges. C'est vrai qu'ils avaient peiné, deux jours plus tôt pour remonter le courant sur une centaine de pas. Grâce à une liane, ils avaient pu escalader un rocher vertical de la rive sans laisser de traces. Aujourd'hui, ils surplombaient les deux guerriers blancs. Schtenkel sursauta en entendant crier un animal. Les deux hommes en dessous redressèrent la tête.
- Ils finiront par arriver à la grotte. Talmine signale qu'il n'a pas trouvé de trace sur la route du haut. Ils ont peut-être juste fait une reconnaissance.
- J'espère que tu as raison et qu'ils ont redescendu la rivière. Allons jusqu'au lac au pied de la grotte, voir s'il y a des traces. Les nuages reviennent. Il va probablement neiger.
Les deux guerriers retournèrent près des trois autres. Ils rechaussèrent les planches à glisser et partirent dans la forêt.
Névtelen bloqua Schtenkel qui voulait se lever. De nouveau un animal cria. Alors Névtelen chuchota :
- Maintenant, il n'y a plus de danger. Ils ont envoyé le signal de progression.
Devant le regard interrogatif de son compagnon, Névtelen expliqua :
- Ce n'est pas un animal qui a crié, c'est un signal donné grâce à un sifflet spécial. On peut communiquer à distance. Les deux groupes se parlent ainsi et peuvent coordonner leurs actions.
- Que disent-ils ?
- Le premier disait : « progression facile, pas de trace, pas de danger ». Le deuxième disait : « des traces, pas de danger, on va en direction de la grotte ».
- C'est le prince-roi qui va être content. Y doit pas penser qu'il aura un comité d'accueil.
Ils reprirent leur guet. Le reste de la journée se passa sans incident. Ils n'osaient plus parler à voix haute. La nuit, Névtelen resta éveillé longtemps. Il n'entendit rien de particulier. La température était plus froide. Un peu de neige tomba, assez pour effacer les traces comme ils purent le constater au matin.
Vers midi, Schtenkel fit signe à Névtelen d'écouter. Arrivé au bord du rocher, il tendit l'oreille. Une troupe arrivait. Vu le niveau sonore, elle ne cherchait pas la discrétion et elle était d'une certaine importance.
- Ils s'ront là dans pas longtemps, dit Schtenkel. Mais avant dis-moi, pourquoi qu't'as pas dit aux autres qu't'étais là ?
- C'était pas le moment. Si je l'avais fait, ils auraient voulu me conduire chez le prince pour que je fasse un rapport et c'est pas le moment. Je sens que je dois suivre le prince-roi, c'est plus important.
Bientôt, ils virent arriver le prince-roi et sa suite. Ils marchaient sans se cacher, en formation de repos. Le prince-roi en tête, sans armure, derrière d'autres chevaliers et puis des porteurs, une longue file de porteurs. Arrivés près du gué, ils cherchèrent les marques.
- LÀ, PRRRINCE ! Une marrrque d'arrrrrrêt.
-  Alorrrs, ils ne doivent pas êtrrre loin, répondit le prince-roi en regardant autour de lui. Faisssons une paussse !
La colonne s'arrêta et on entendit le bruit des colis mis à terre. Névtelen pensa : « Qu'est-ce qu'ils sont bruyants ! ».
- Viens,descendons ! dit Schtenkel.
- Attends, lui répondit Névtelen en portant un sifflet à sa bouche.
Schtenkel sursauta en entendant un cri de jako de près.
- Qu'est-c'tu fais ? dit-il en se bouchant les oreilles.
- Je préviens les autres qu'ils n'interviennent pas. Ce n'est pas la peine qu'ils se fassent massacrer.
Il rangea le sifflet dans une poche et après avoir couvert le feu, ils descendirent.

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