Une lune était née et avait disparu avant que le temps ne change. Schtenkel était arrivé dans l'étable à tiburs pour voir Névtelen. Il avait pris cette habitude de venir donner des nouvelles de son feu qui continuait à chauffer avec seulement une bûche par dizaine de jours.
- La pluie est là, Chasseur. Ça veut dire que l'autre fou va vouloir partir et que ça va être dur. J'pourrais pas suivre. La neige et le froid ont pas dit leur dernier mot.
Névtelen le regarda :
- Non, les tiburs n'ont pas envie de bouger. L'hiver va revenir.
- Ouais, mais il attendra pas. Il va vouloir que j'guide. Et pour que j'guide, il faut que j'ai chaud...
Névtelen se dit : « Nous y voici ! »
- … Y a qu'toi qui sauras faire.
Schtenkel eut l'air implorant. Névtelen le laissa continuer à débiter ses arguments. Cela l'arrangeait bien, même si le temps ne semblait vraiment pas favorable. Il finit par céder :
- Tu m'as contaminé avec tes histoires, alors d'accord mais que si tu jures de me montrer le dragon.
- Pour ça, Chasseur, t'as pas de craintes à avoir, tu l'verras et p't-être même de plus près que tu n'veux.
Schtenkel se mit à rire comme s'il avait dit une bonne blague. Névtelen retourna vers les tiburs. Il avait aussi sous sa garde les miburs des troupes de Flamtimo. S'ils avaient perdu nombre des leurs et encore plus de bêtes, ils étaient arrivés avec un troupeau conséquent. Névtelen imaginait que le départ du convoi avait ressemblé à la caravane dont il avait été un des membres. Ils avaient serré ses tiburs pour accueillir les bêtes épuisées du prince-roi. Elles avaient maintenant meilleure allure et plus de place puisque les tiburs disparaissaient rapidement dans les gosiers insatiables des chevaliers. Névtelen se posait la question du comment. Comment des hommes aussi voraces avaient pu voyager dans l'hiver pour arriver ici. Il entendit comme chaque matin les tressautements de la literie du prince-roi. Vu le rythme, il pensa que le petit déjeuner ne tarderait pas. Si la décision du départ devait être prise, il le saurait bientôt.
Il n'avait pas fini de répartir le fourrage que la voix de stentor du prince-roi se fit entendre. Il y eut un peu de silence puis un hurlement de joie. Il entendit une activité inhabituelle et bruyante. Il pensa : « Schtenkel a raison. Il va vouloir partir ». Il soupira. L'hiver n'avait pas dit son dernier mot. Il trouvait que le temps sentait encore la neige et le froid. Il vit bientôt apparaître un des écuyers :
- Prrréparrre les bêtes, nous allons parrrtirrr !
- Dans combien de temps ? Parce que le froid et la neige seront vite de retour.
- Le Prrrince-rrroi orrrdonne et toi tu obéis !
Névtelen s'inclina et n'ajouta rien. Les chevaliers étaient tous plus butés les uns que les autres. Leur idéal semblait être comme le prince-roi. Si certains en avaient quelques moyens la plupart n'étaient que de pâles copies, d'autant plus pathétiques qu'ils n'en avaient pas la stature. Il vit arriver les serviteurs survivants de la traversée de l'hiver qui venaient pour l'aider dans sa tâche. Ils connaissaient bien les chevaliers. D'une caste inférieure, leur rêve était d'arriver à devenir écuyer. Pour cela, ils étaient prêts à tous les sacrifices. Leur idole était Tlimtast qui de serviteur, avait fini chevalier auréolé de la gloire du vainqueur dans le grand combat des monstres de la plaine de Spath. Sa légende était racontée depuis des générations et des générations. Névtelen l'avait entendue au cours d'une des soirées du prince-roi. Ils travaillèrent de concert toute la journée pour préparer le fourrage, les bâts, les équipements nécessaires. Névtelen avait prévu une main de jours pour tout préparer. Le Prince-roi était pressé, il n'accorda que deux jours. Les serviteurs travaillèrent jour et nuit pour que tout soit prêt à l'aube du troisième jour.
Avant de sortir de sous sa pelisse, Névtelen le savait. La température avait chuté. Brutalement dans la nuit, Sioultac avait contre-attaqué par un de ses blizzards dont il avait le secret. Les hurlements venant du Milmac blanc lui apprirent qu'il n'était pas le seul à être au courant de la nouvelle. Il vit pourtant arriver un des serviteurs qui lui dit :
- Le Prrrince-rrroi penssse que cccela ne va pas durrrer. On va parrrtirrr quand même.
Névtelen éclata de rire, ce qui déstabilisa son interlocuteur.
- Tu t'oppossses au Prrrinccce-rrroi ?
- Pas du tout, je ne m'oppose à personne. Essaie seulement de mettre un pied dehors !
L'autre lui jeta un regard étonné. Il s'avança vers le portail. Le blizzard hurlait derrière. Il ne put même pas pousser le petit vantail. Il jeta un nouveau regard vers Névtelen mais cette fois interrogatif.
- Tu comprends mieux ? Dis-toi bien que ce que vous avez vécu pour arriver ici n'est rien comparé à ce qui nous attend si nous partons maintenant.
- Il ne peut pas faire froid à ce point !
Névtelen éclata de rire :
- Homme des terres plates, ici, tu es aux portes de terres gelées de Sioultac.
- Qui est-ccce SSSioultac ?
- C'est le dieu d'après les montagnes. Le froid est son domaine. J'ai vu des hommes geler simplement pour avoir voulu pisser dehors !
Névtelen vit le serviteur partir précipitamment vers la grande salle. Les hurlements qui suivirent, lui apprirent qu'il avait délivré son message. Un chevalier apparut à la porte de communication :
- Toi, viens !
Sans rien dire, il l'accompagna. Le Prince-roi assis à table tempêtait. Il se tourna vers les nouveaux arrivants.
- Tu dis que le frrroid va durrrer. Qu'en sssais-tu ?
- En tant que trappeur, j'ai couru ces montagnes, jusqu'à ce que mon esprit s'emmêle. Je connais ce temps. Nul ne peut marcher sans glisser. Les bêtes malgré leurs pattes ne tiennent pas debout. Mettez un cuissot de tibur dehors le temps que vous déjeuniez et reprenez-le. Vous verrez que mes paroles sont vraies.
Le prince-roi fit un signe. Un groupe de serviteur s'activa pour faire ce que Névtelen avait dit. On le laissa debout pendant que le prince-roi engloutissait son déjeuner. Il rota une dernière fois et fit un geste. On vit de nouveau les serviteurs lutter contre le froid et le blizzard. Ils apportèrent la pièce de viande qu'il déposèrent devant leur maître. Celui-ci dégaina son poignard et le planta dans le cuissot. Le coup fut tellement violent que la viande se cassa en morceau sous le regard étonné du prince-roi. Il jura violemment en lançant les morceaux aux quatre coins de la pièce. Se levant, il se dirigea vers ses appartements en hurlant :
- MICHTA !
Celle-ci jeta un regard apeuré vers l'assemblée mais emboîta le pas du géant qui grommelait en montant devant elle.
- Qu'est-ce qu'on fait ? demanda Névtelen.
Un chevalier tourna un regard courroucé vers lui :
- Qu'essst-ccce que tu crrrois ? On attend bien-sssûr !
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