vendredi 22 février 2013

Revêtu de son armure de combat, comme les autres chevaliers, le prince-roi était prêt. Épées et dagues avaient été enduites de poison. La stratégie était simple : on entre et on tue. Les serviteurs restants étaient de la partie. Il fallait manœuvrer les cordes assez vite pour faire descendre les combattants. L'attaque était prévue à l'aube. Névtelen fut surpris d'apprendre qu'il avait un rôle à jouer. Sa capacité à voir en basse lumière le rendait indispensable. Il serait le premier à descendre et jouerait le rôle d'observateur pour donner le signal de la descente aux chevaliers.
Avant que la lumière ne soit, ils prirent le chemin de la falaise. Névtelen fut étonné du silence relatif de ces géants bardés de ferraille. On l'avait équipé d'une vieille épée, mais il avait pris son marteau. Il avait refusé que son arme soit empoisonnée. En faisant cela, il pensait plus à lui qu'au dragon. Il se savait moins adroit, une lame à la main. Sur le chemin, ses pensées tournaient autour de l'idée de la mort. Serait-il encore vivant ce soir ?
Il fut le premier à arriver au bord du gouffre. Le silence régnait. Les premiers oiseaux n'avaient pas encore entonné leur chant de réveil. Il bougea la lampe qu'on lui avait remise. Aussitôt deux serviteurs arrivèrent et lui accrochèrent les trois longueurs de corde. Névtelen sauta dans le vide. La corde se tendit immédiatement. Touchant la paroi rocheuse, il commença sa descente. Le porche était sombre, la lumière n'y entrerait que longtemps après le lever du soleil. Tout semblait calme et immobile. Les serviteurs laissaient filer la corde. Il descendait sans à-coups. Ses pieds touchèrent terre. Une pierre roula, déclenchant une petite cascade de pierre. Le bruit lui sembla terrible. Il s'immobilisa scrutant la caverne. Rien ne bougea. Le silence devint pesant. Il fit un tour d'horizon. Tout semblait calme. Le dragon était-il seulement là ? Brusquement, il tourna la tête vers le sombre creux. Il était sûr de sentir sa présence. Il était là tapi, les attendant. Névtelen était sur le bord de l'ouverture. Il fit bien attention en bougeant de ne rien faire bouger. La corde se tendit.
Ah oui ! Le signal il fallait qu'il envoie le signal. Il prit la corde. Il allait faire les deux tractions quand il entendit un cri de jako. Non, ce n'était pas possible ! Les guerriers blancs allaient lancer une attaque sur le camp. Il jura mais tira deux fois. Il vit les cordes apparaître. Bientôt la masse du prince-roi et de ses quatre ordonnances se découpa en plus sombre sur le ciel qui doucement prenait des teintes pourpres. Ils touchèrent le sol sans encombre. Ils se protégèrent de leurs grands écus. Rien ne se passa. Lentement la lumière augmenta. Le porche devenait moins sombre. Immobiles comme des statues, ils attendaient. Névtelen regarda mieux. En fait, ils n'étaient pas immobiles mais bougeaient avec une extrême lenteur sans aucun bruit.
L'aube arriva, réveillant les oiseaux qui commencèrent leur concert. Les cinq chevaliers se déplacèrent plus vite. Le prince-roi faisait des gestes pour indiquer ce qu'il souhaitait, provoquant le mouvement de l'un ou de l'autre. Petit à petit, ils disparurent dans l'antre du dragon.
Alors que le pépiement prenait de l'ampleur, il y eut un nouveau cri de jako. C'était le signal de l'attaque. L’ouïe tournée vers le haut, le regard vers l'ombre, Névtelen était partagé. Schtenkel était resté au camp. Un bruit dans la grotte accapara ses pensées. Les cinq silhouettes se recroquevillèrent derrière leurs boucliers. Seules dépassaient les épées luisant aux yeux de Névtelen d'une malsaine lueur. Il s'approcha de l'entrée de la grotte pour essayer de voir ce qui avait provoqué ce raclement sur la roche. Le dragon devait être là, tapi quelque part. Il chercha le rouge rougeoiement des écailles du saurien. Les cinq chevaliers étaient maintenant dispersés dans la grotte. Le sol en était inégal, parsemé de blocs de pierre de taille variable. Névtelen se détacha et doucement se mit à les suivre. Il fallait qu'il voie le dragon. Il monta sur un rocher du bord de la grotte. Son épée fit un bruit métallique en tapant sur la pierre lors de sa manœuvre. Les cinq têtes se tournèrent immédiatement vers lui. Sans les casques, Névtelen était persuadé qu'il aurait vu leurs regards courroucés. Le temps passait lentement sans que rien ne se passe. Les mouvements lents des flamtimiens ressemblaient presque à une danse au ralenti. Névtelen avait maintenant une vue dégagée sur l'ensemble de la grotte. Il inspecta le sol à la recherche du rocher rouge qui signerait la présence du dragon. Rien, il ne vit rien. Il pensa que le dragon s'était caché sous les rochers. Là-bas au fond, ce gros tas de blocs pouvait être une option. Il aurait pu se couvrir de pierres comme il s'était caché sous l'eau, à moins que sur la droite, l'ombre dans la paroi laissant espérer une autre salle, il ne soit plus loin au cœur de la montagne. Un mouvement attira son regard vers l'arrière. Il retint un cri. Un corps tombait en silence. Le bruit arriva plus tard quand il s'écrasa en bas dans les arbres. Pour Névtelen, ce fut évident. La phalange était en action au-dessus. Les têtes s'étaient de nouveau tournées au moment du crash pour reprendre immédiatement leur scrutation de l'espace devant eux. Névtelen avançait lui aussi vers le fond de la grotte. Il n'avait pas le choix s'il voulait ses réponses.
Si le porche d'entrée était grand la salle principale était immense. Les cinq chevaliers étaient bien avancés. Ils tournaient dans tous les sens à la recherche du monstre. La matinée avançait sans que rien ne se passe. Névtelen en était à se demander si le dragon était là.
Un bruit les fit sursauter. Il venait de la deuxième salle. Bien que la lumière de dehors soit assez vive pour éclairer le sol de la salle principale, la deuxième partie de la grotte restait dans l'ombre. Le bruit persista. Des cailloux roulaient plus loin. Quelque chose raclait la pierre. Névtelen fut étonné. L'intensité en était assez faible. Comment une telle masse pouvait-elle faire aussi peu de bruit ? À Moins qu'il y ait autre chose. Brusquement le bruit s'arrêta.
- J'ai un message !... sage !... age !
Schtenkel ! C'était la voix de Schtenkel !
- Vous m'entendez ?... endez ?... dez ?... J'ai un message !... sage !... age ! répéta-t-il.
Les cinq chevaliers étaient accroupis derrière leurs écus, l'épée haute. Aussi immobiles que les pierres autour d'eux, ils étaient indiscernables. On vit une lueur tremblotante apparaître au loin, vers le fond de la grotte. Il devait y avoir un passage.
- Les guerriers du froid... froid... froid... ont attaqué... taqué... aqué, reprit la voix.
Le son se répercutait sur les parois, donnant une solennité à chacune des paroles du vieux guide.
- Ils sont tous morts... tous morts... morts...
Schtenkel détachait ses phrases, laissant un temps de silence entre chaque. Névtelen vit l'ombre plus importante du prince-roi faire un signe. Le chevalier le plus avancé, se remit en mouvement vers la lumière.
- Le prince propose un marché... un marché... marché... ché.
Le temps que le son se répercute, le chevalier avait progressé plus vite pour s'arrêter en même temps que la réverbération.
- La vie si vous sortez... sortez...tez... si vous vous rendez... rendez... dez
De nouveau, Névtelen vit l'ombre en armure s'avancer vers l'origine du son. D'où il était, il ne distinguait pas où était Schtenkel.
- La mort... mort... mort... si vous restez... restez... restez.
Il ne croyait pas que le dragon ait laissé une ouverture assez grande pour un homme. Mais après tout, qu'en savait-il ? Vu la taille du grand saurien et la taille humaine, peut-être n'avait-il pas vu cette possibilité ? Névtelen s'avança à son tour. Il avait pris l'épée à la main pour qu'elle ne heurte pas la pierre. Il était en surplomb sur le bord de la grotte. Le passage y était assez facile pour lui qui voyait où il mettait les pieds malgré le manque de lumière. Il fut à son tour dans la grande salle. Il distinguait maintenant l'origine de la lumière. Effectivement un couloir semblait exister sur sa droite. On ne voyait que les reflets tremblotants d'une torche. Il eut l'impression d'un obstacle entre la lumière et la salle. Un rocher devait empêcher le passage. C'est peut-être ce que signifiaient les gestes que faisait le chevalier au prince-roi. Ce dernier fit un geste circulaire de son épée. L'homme se retourna et se cacha de nouveau derrière son écu. Contrairement aux autres flamintiens qui étaient venus avec des armures brillantes, ceux-là étaient tout de noir vêtus. Quand il les avait vus ainsi caparaçonnés, Névtelen avait pensé au scarabée noir qui lui faisait peur par sa grande taille quand il était petit.
- Midi...di... vous avez jusqu'à midi... à midi...midi... di...
La lueur diminua en même temps que les bruits de déplacements reprenaient. Au bout d'un moment tout redevint silencieux. Névtelen regarda en arrière. Le soleil montait dans le ciel. La journée allait être belle, à moins que les quelques nuages qu'il avait vus, ne montent en orage. Il reporta son regard vers la grotte. Mais où était le dragon ?
Il inspecta à nouveau le plancher de la grotte. Il repéra les cinq hommes qui fouillaient eux aussi. Ils avançaient toujours aussi prudemment. Névtelen ne les avaient pas entendu dire un mot malgré l'annonce de Schtenkel. Le croyaient-ils ? Névtelen ne le pensa pas. Il avait surpris une conversation où un des chevaliers exprimait ses doutes sur l’honnêteté et la fidélité de Schtenkel. « Je ne suis même pas sûr qu'il respecte ceux qui le payèrent ! » avait-il déclaré. Les laissant progresser, il commença à s’intéresser aux murs. Un passage secret lui semblait impossible, à la rigueur un passage discret. Quoique, vu la taille du dragon, cela devrait être visible pour un homme, fut-il prince-roi. Un bruit en bas lui fit scruter ce qui se passait. Arrivé près d'un tas de rochers, un des Flamintiens farfouillait au sol. Névtelen le vit ramasser quelque chose. Le soleil, passant entre deux nuages, éclaira la vallée. Un de ses rayons accrocha ce que brandissait le soldat. Il y eut un éclair jaune. Névtelen comprit : de l'or !
« Jamais, jamais, même si on vit une éternité on ne peut oublier un tel cri ! ». Ainsi pensa Névtelen en entendant ce hurlement de douleur et de rage. La grotte s'embrasa. Levant la tête, il vit et il comprit. Depuis le début le dragon était au-dessus d'eux accroché à la roche du plafond. Sa gueule se mit à vomir un flot de feu. « Que c'est beau ! » fut la dernière pensée de Névtelen avant qu'il ne se mette à fuir. La queue du dragon balaya le sol devant lui, bousculant les rochers, faisant jaillir mille cataractes de pierre. Névtelen fit demi-tour. Un coup d’œil lui apprit que le grand saurien s'occupait des chevaliers. Il en vit un se faire éjecter, tandis qu'une patte griffue éventrait un deuxième. La grande masse recroquevillée derrière son écu lui apprit que le prince-roi avait survécu au premier feu. Comme lors des combats, son temps s'accéléra. Il avait déjà couvert la moitié de la salle quand une deuxième vague de feu suivie d'un cri d'agonie, lui apprit la fin d'un autre homme. C'est alors que s'éleva la voix du prince-roi :
- JE TE DÉFIE, MONSSSTRRRE ABOMINABLE. MILLE FOIS, TU MÉRRRITES LA MORRRT ! ET JE SSSERRRAIS SSSON BRRRAS !
Sans s'arrêter Névtelen vit le dragon se laisser tomber à terre. Il sut que l’œil à la prunelle d'or l'avait vu. Il n'en courut que plus vite. Il sauta derrière un rocher et se risqua à regarder ce qui se passait. Le spectacle était surréaliste. Le prince-roi, malgré sa taille et sa corpulence, était minuscule à côté du dragon.
- Pour qui te prends-tu, petit homme. Tu crois que parce que tu as impressionné les autres tu m'impressionnes ?
Le prince-roi attaqua, abattant de toutes ses forces son épée sur la patte posée non loin de lui. Mais la patte n'était plus là quand l'épée y arriva. Les étincelles jaillirent avec le bruit du métal sur la roche. Le prince-roi se replia derrière son écu, pour détourner le jet de feu.
Névtelen vit le cinquième homme se redresser. Il était derrière le dragon, presque entre ses pattes. S'il avait perdu son bouclier, il avait encore son épée. Il chercha le défaut des plaques de la cuirasse du dragon et y enfonça son épée. Névtelen retint un cri. Sous le dragon, ce fut comme un lac de feu, où disparut le chevalier. Les yeux posés sur la garde de l'épée plantée à la pliure de la patte, Névtelen frémit. Qu'allait-il se passer ?
Il entendit le dragon parler à nouveau :
- Ridicules petits hommes qui pensez être les maîtres du monde, vous n'en êtes que les jouets !
- JE VAIS PEUT-ÊTRRRE MOURRRRRIR, MAIS TU ME SSSUIVRRRAS !
- Tu croyais que ton poison serait suffisant. Orgueilleux petit homme ! Tu ne sais des dragons que ce que tu as inventé.
Névtelen vit le dragon se secouer la patte postérieure. L'épée, ou plutôt un morceau d'épée fut éjecté pour atterrir non loin de lui. Il alla le chercher. Il en toucha la garde et cria. Elle était brûlante. Il la regarda mieux. Toute la partie distale avait fondu. Il reçut comme un choc au plexus. La chaleur intérieure du dragon était telle qu'elle faisait fondre le métal. Son admiration déjà grande monta encore.
- Quand j'en aurai fini avec toi, je m'occuperai de ton dernier compagnon, dit le dragon en tournant à moitié la tête dans sa direction.
Névtelen n'attendit pas la fin du combat, il reprit sa progression vers la deuxième salle puisque la sortie par le porche était bouchée par la masse même du grand saurien. Il sautait derrière un rocher quand il entendit : « CRRRÈVE ! » et qu'il vit le reflet de l'embrasement de la grotte.

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