lundi 13 août 2012


L'été tirait à sa fin, les pluies avaient gonflé les rivières, rempli les lacs et il y avait eu assez de soleil pour que les mijnas poussent bien. Si la salemje avait trop pris d'eau, cette bonne récolte de mijnas balayait les inquiétudes du début de saison. Il fallait rentrer les bottes, séparer les grains. L'hiver s'annonçait moins mauvais que le cycle précédent. On pourrait tenir jusqu'à la saison des machpes. Quelques esprits chagrins évoquaient diverses catastrophes mais les sorciers étaient rassurants. Tout n'était pas parfait mais pour l'instant les esprits semblaient satisfaits. Les guerriers du froid s'acclimataient et pour beaucoup entretenaient des relations fort amicales avec les habitants. Les guerriers de la plaine étaient bloqués à Tichcou. La contre-partie en était la fermeture de la route de Tichcou et sa disparition sous le lac. Le dieu Dragon en avait décidé ainsi avait dit le prince. Une routine s'installait doucement.
C'est alors qu'on signala des étrangers. Un serviteur de la maison Sabosti, qui rentrait des champs lointains, les avait vus. Eux aussi l'avaient repéré. Ils avaient fui dans le bois proche. Ce fut le branle-bas de combat. Quiloma mit ses hommes en alerte maximum. Quatre patrouilles partirent immédiatement. Il convoqua Sstanch pour faire mettre la milice en alerte. Calt se retrouva sur la tour de guet avec le cor, prêt à donner l'alarme. Tous les hommes de la milice mirent leur équipement à côté d'eux tout en continuant leurs activités.
- On a trouvé les traces, mon Prince. Mais elles ont disparu dans le ruisseau. Une main de nos guerriers est partie vers le bas et deux vers le haut dont celle avec Mlaqui. Nous n'avons trouvé aucune trace.
- Mlaqui est-il rentré ? 
- Non. Il a envoyé un signal, peut-être est-il sur une piste?
Les jours suivants, les patrouilles revinrent sans autre nouvelle. Au troisième jour, Mlaqui et sa main de guerriers arriva. Mettant genou à terre devant le prince, il fit son rapport :
- ... J'ai poussé vers le domaine du dragon. Pour moi, soit les étrangers sont venus pour espionner la ville, car ils ne sont que trois, soit ils sont venus pour le dragon. Nous n'avons retrouvé aucune trace depuis la ville, par contre, j'ai retrouvé quelque chose plus loin dans la gorge où coule le ruisseau qu'ils ont emprunté. Leur pisteur est bon, mais je pense que leurs pas les emmènent vers la gorge du dragon.
- Pourquoi es-tu rentré alors? Il fallait poursuivre.
- Je sais, Mon Prince, mais nous n'avions pas assez de vivres et j'ai pensé qu'il valait mieux que vous soyez au courant. Le dragon est grand maintenant, il saura faire face.
- J'entends, Mlaqui, mais ce dragon est encore un juvénile même s'il a commencé à amasser son trésor. Il manque d'expérience et peut encore succomber. Tu vas repartir avec trois autres mains de guerriers pour faire la chasse à ces intrus.
Le lendemain, avant même que le soleil soit levé, vingt guerriers partaient au petit trot vers l'antre du dragon.

- Je crois que nous avons été repérés, mon lieutenant.
Jianme regarda autour de lui.
- Par qui ?
- Là-bas sur le versant éclairé, j'ai cru voir un homme.
- Gagnons la combe. Il y a un ruisseau plus bas. Sthenkel, passe devant.
Les trois hommes se glissèrent sans bruit dans le sous bois. Jianme sur le rapport de Sthenkel avait compris que jamais une armée ne passerait. Quelques hommes bien armés, bien entraînés avaient plus de chance d'en finir avec le dragon qu'une escouade qui aurait à se battre contre les guerriers du froid. Il avait divisé son groupe en deux après le passage du chemin de la gorge. Avec les pluies, il était encore plus abîmé que dans les souvenirs des éclaireurs. Sthenkel avait été difficile à convaincre de retourner là où il avait perdu sa main. Jianme ne lui avait pas vraiment laissé le choix. Soit il se pliait aux ordres, soit les tortures l'attendaient comme tout rebelle au roi. Quatre hommes se dirigeaient en suivant le premier itinéraire de Sthenkel vers la gorge du dragon. Jianme, Sthenkel et Torétaro, le pisteur devaient tenter une autre approche en passant sur l'autre berge. C'est en traversant une pâture qu'ils s'étaient fait repérer. En tout cas telle était la conviction de Torétaro. Jianme le croyait sans peine. Sa réputation de pisteur était une légende. Il était capable d'effacer une trace, de perdre des poursuivants aussi bien qu'il savait retrouver les signes infimes que pouvait avoir laissé la proie qu'il traquait. Son sens du terrain était merveilleux. Juste avant le dernier col, ils avaient bifurqué. Le groupe de quatre avait pris un chemin longeant la rivière et Torétaro avait conduit Jianme vers l'endroit qu'il sentait comme le plus favorable.

Mlaqui jurait. La pluie était revenue. Elle n'avait pas duré, elle avait juste effacé ou brouillé les pistes. Après avoir couru pendant une demi-journée, ils avaient coupé la piste des intrus. Enfin, ce qu'il en restait. Mlaqui et Eéri étaient penchés sur le quelques signes qui restaient.
-Par là, dit Eéri qui déjà s'élançait. Il s'arrêta voyant que Mlaqui ne le suivait pas.
- Il y a quelque chose qui ne va pas?
- Je ne sais pas, dit Mlaqui. Quelque chose cloche mais je ne vois pas quoi. Avançons, on fera le point plus tard.
Ils se remirent en chasse. En sous-bois, la piste n'était pas meilleure, les résineux ne facilitaient pas la lecture. Il y avait trop d'aiguilles par terre et pas assez de lumière. Ils arrivèrent à une bauge.
- Regarde-là Mlaqui, c'est net.
Mlaqui se pencha et examina les traces avec attention, puis il fit le tour de la plaque de boue. Il se baissa pour ramasser un champignon.
- Regarde ! dit-il en le brandissant. Il a été cassé par un pied. Voilà ce qui me gêne, il y a quatre traces et pas trois. La piste que j'ai suivie la première fois n'indiquait que trois hommes. Il y a deux groupes...
Tous les hommes s'étaient rapprochés pour mieux entendre la discussion des konsylis.
Mlaqui que Quiloma avait désigné pour s'occuper du dragon, reprit la parole.
- On a deux attaques contre le juvénile. Quatre hommes ici et les trois du ruisseau. Ceux-là ont plus d'avance, il faut les poursuivre. Je vais rebrousser chemin et reprendre la piste dans le ruisseau avec ma main de guerriers. Vous, allez à leur poursuite et tuez-les.
Eéri rajouta :
- Je vais envoyer un message au prince.
- Très bonne idée!
Les guerriers se séparèrent. Trois mains d'hommes partirent sur les traces des quatre intrus et Mlaqui avec son groupe alla vers le ruisseau.

Jianme suivait Torétaro, Schtenkel ouvrait la marche. Il hésitait souvent. Ce n'était pas le chemin qu'il avait emprunté. Il avait besoin de se repérer. Régulièrement, avec l'aide de Torétaro, il montait en hauteur sur un de ces grands arbres fréquents dans cette région et dont les branches régulières lui permettaient de monter malgré l'absence de sa main. Torétaro comprenait de mieux en mieux où ils devaient aller. Jianme l'avait fait venir exprès pour cette expédition. Même s'il était en guerre loin d'ici le roi Yas prenait à cœur cette histoire et avait envoyé son meilleur pisteur pour traquer le dragon. Même avec son aide, le voyage allait être plus long que prévu. Régulièrement Torétaro leur faisait faire des détours ou effaçait les traces. Jianme aurait aimé aller plus vite. Ce dragon l'obsédait. Il rêvait de le tailler en pièces. Les vieilles légendes parlaient d'un endroit près d'une plaque ventrale comme du seul endroit possible pour tuer un tel animal. Il ne doutait pas de réussir.

Eéri menait le train tambour battant. Ils avaient quatre intrus à éliminer, sans compter peut-être sur ceux que poursuivait Mlaqui. Il était incertain quant à leur existence. Il ne comprenait pas pourquoi ils seraient venus en deux groupes. Ceux qu'ils poursuivaient avaient trois jours de marche d'avance, mais ils ne connaissaient pas le terrain. Les traces prouvaient leurs erreurs. Ils avaient perdu une demi-journée dans une combe qui finissait en cul-de-sac. A la vitesse à laquelle ils allaient, Eéri pensa qu'ils pouvaient les rejoindre en moins de deux jours.

Les quatre hommes bivouaquaient.
- Tu te vois affronter un dragon, demanda l'un.
- Pas vraiment, quand on voit ce qu'il a fait à Tichcou, on n'a pas trop envie.
- Oui, mais on n'a pas le choix...
- Les autres, tu crois...
- Oui, ils sont derrière, Jianme est formel. On va les avoir sur le dos. Il reste à savoir à quelle distance.
- Alors, on ferait mieux de repartir.
Dans la forêt sans chemin, ils avaient choisi de suivre le cours d'eau. Selon Sthenkel, ils allaient arriver à l'entrée d'une gorge et là, le chemin quitterait le bord de l'eau pour aller vers le couchant et monter. Après en longeant le bord, il leur faudrait trouver l'antre du dragon et le tuer.
Les quatre hommes marchaient vite mais sans courir. Ils avaient conscience que leurs poursuivants gagneraient du terrain car ils ne pouvaient pas effacer toutes leurs traces. Eux ne cherchaient pas le chemin.
Les renseignements de Sthenkel étaient exacts. Ils arrivèrent à l'entrée de la gorge. Ils commencèrent la montée.
- Là, chuchota un des hommes en montrant une direction derrière eux.
Les trois autres se retournèrent. Ils virent des silhouettes courant au loin à travers une trouée dans la végétation. Cela ne dura pas.
- J'ai compté plus d'une dizaine d'hommes. Ils sont au plus à une pause de nous. Bon maintenant, on sait où ils sont. Il va falloir se battre.
Dans une journée de marche des guerriers de la plaine, on faisait quatre pauses régulièrement réparties. Ils n'avaient pas beaucoup de temps pour se préparer et le lieu n'était pas bon pour une embuscade. Ils reprirent leur course en avant.
En arrivant en haut de la falaise, ils repérèrent un passage qui leur sembla favorable. Ils n'avaient pas beaucoup de temps pour se préparer, mais ils allaient tendre une embuscade.

Kyll cherchait des baies et des fruits. Comme toujours, il était assez distrait et ne faisait pas trop attention à ce qui se passait autour de lui. Heureusement il y avait Rhinaphytia qui l'accompagnait. Lui, avait une solide dague à la ceinture et un épieu à la main. Kyll n'avait pris que son bâton. Il se moquait gentiment de Rhinaphytia.
- Les esprits m'ont promis que je vivrai jusqu'aux grands âges.
- Oui, je sais, Kyll mais un peu de prudence est toujours une bonne chose. Rappelle-toi les loups!
- Cela m'a permis de rencontrer le dragon. Ne t'inquiète pas tant Rhina, nous sommes en sécurité, je ne sens pas de danger autour de moi.
Leur récolte progressait bien. La pluie avait fait mûrir les fruits. Une courte averse, toujours très drue en cette saison, leur imposa de se mettre à l'abri d'un surplomb rocheux. Quand le soleil réapparut, ils reprirent leurs paniers et quittèrent leur abri.
- Bonjour, être debout Kyll.
- Bonjour, jeune dragon.
Rhinaphytia avait sursauté en entendant la voix. Il eut un mouvement de recul en voyant l'énorme masse du dragon assise sur le surplomb qui les avait abrités.
- Je vois que tu n'as pas oublié le bâton que je t'ai confié.
- J'ai commencé à le sculpter. Il me plaît bien.
- Que graves-tu dessus?
- Je dessine dans le bois ce qui me vient à l'esprit.
- Je vois, être debout Kyll. Cela lui va bien.
- Est-il comme tu le désires?
- Le plus important, être debout Kyll, est qu'il soit ce qu'il doit être.
- Tu ne m'as pas dit ce que tu voulais que j'en fasse.
- Ton esprit est ouvert et tes pensées sont claires. Tu fais ce qui doit être fait.
Rhinaphytia regardait Kyll et le dragon alternativement. Il n'en croyait pas ses yeux. Tout cela le dépassait complètement.
- Ton ami a raison d'être prudent, être debout Kyll, dit le dragon en tournant la tête.
- Tu ressens quelque chose, jeune dragon.
- Oui, être debout Kyll, le monde des esprits est perturbé par la violence pas loin.
Le dragon se dressa sur ses pattes arrière. Ainsi levé, il était immense. Il resta ainsi un moment tournant la tête de droite et de gauche. Il se laissa retomber en amortissant sa descente d'un coup de ses larges ailes.
- Je dois te quitter, être debout Kyll. Je sens la violence près de ma caverne. Cela me déplaît.
- Va et fais, toi aussi, ce qui doit être fait.
- Je reviendrai voir le bâton, être debout Kyll. Garde-le bien.
Kyll tint à peine debout sous les bourrasques créées par le décollage. Rhinaphytia se retrouva assis par terre. Les deux hommes regardèrent le grand saurien s'élever dans les airs.
- Je n'en reviens pas, Kyll ! Il est énorme !
- Il est inquiet. Les esprits aussi. Tout n'est pas écrit, Rhinaphytia. De son avenir dépend le nôtre. Viens, rentrons.

L'embuscade avait réussi. Quatre flèches, quatre guerriers hors de combat. Les autres avaient cherché refuge un peu plus bas derrière des troncs d'arbres déracinés. C'est alors que les soldats de la plaine avait fait tomber le grand litmel qu'ils avaient trouvé en équilibre instable. Dans sa chute le litmel avait entraîné d'autres arbres. Enchevêtrés dans des branches, tous les guerriers du froid étaient morts ou blessés. Les quatre hommes entonnèrent alors le chant de la victoire. Ils n'avaient plus qu'à achever ceux qui bougeaient encore pour être tranquilles à moins qu'ils les abandonnent comme cela.
Eéri entendit l'hymne chanté à tue-tête par ses ennemis. Une jambe coincée sous un arbre, il pensa qu'il allait mourir écrasé. Il n'osa pas appeler pour voir qui était encore vivant. Curieusement, il n'avait pas mal. Il entendit les ennemis parler entre eux. Raté, il avait échoué. Il pensa à son prince qu'il avait trahi par ses actes. Ils auraient dû être sur leurs gardes plus que cela. Un voile passa devant ses yeux. Sa dernière pensée consciente fut pour Cilfrat. Dans un éclair de lucidité, il comprit. Elle était enceinte. Avant de sombrer, il pensa que jamais, il ne verrait...

Jianme, Schtenkel et Torétaro se figèrent. Le chant qu'ils entendaient, était le chant de victoire. Auraient-ils tué le dragon? A moins que ce ne soit des ennemis.
- Non, là, dit Jianme sur un air de triomphe.
Les deux autres regardèrent. Au loin, ils virent le dragon en vol.
- Ils ont battu les hommes du froid. Allons, il nous faut arriver avant eux à l'antre de la bête.
Torétaro regarda Schtenkel en entendant cela. Y aurait-il un peu de folie dans la tête de Jianme?
Ils étaient sur la berge opposée à l'autre groupe. Jianme avait fait le pari que le chemin serait plus facile par là. Schtenkel qui avait vu depuis le surplomb au-dessus de la grotte, le relief de la gorge en doutait. Il gardait son avis pour lui. Jianme n'aimait pas la contradiction.

- Je serais vous, petits hommes, j'aurais chanté moins fort.
Comme un seul homme, ils se retournèrent en entendant cette voix douce. Ils ne virent que la bouche ouverte du dragon et ses grands yeux qui brillaient comme de l'or fondu.
Le dragon regarda les quatre corps qui achevaient de se consumer.
- C'est comme les loups gris, je n'aime pas le goût de leurs pensées, dit-il à voix haute. Tu peux sortir, être debout du froid. Toi et les tiens ne risquez rien.
Un guerrier se dégagea des branches du litmel. Il portait des traces de griffure sur le visage et les bras, ses vêtements étaient déchirés et il boîtait bas, mais il était vivant.
- Quel est ton nom, être debout?
- Je suis Stamleb, de la phalange du prince neuvième Quiloma, Seigneur Dragon.
- Je connais cet être debout. Tu n'étais là lors du combat avec ceux qui montent des animaux.
- Non, j'étais de garde dans la ville.
- Bien, être debout Stamleb. Je pense qu'il nous faut dégager ceux qui sont comme toi.
- Oui, Seigneur Dragon. Parle et j'obéirai.

Quiloma sortait de chez la Solvette quand un charc arriva en piaillant autant qu'il pouvait.
Il n'aimait toujours pas ces oiseaux que la Solvette accueillait sans sourciller.
- Que dit-il?
- Il parle d'un immense charc qui vient par ici.
- De quoi...?
- Je pense que le dragon vient nous voir.
Tout le monde leva la tête et regarda dans la direction d'où était venu le charc. Au loin un oiseau immense battait des ailes. Il tenait dans ses serres quelque chose qui ressemblait à une branche d'arbre.
- Il ne peut pas atterrir ici, dit Quiloma. Vite à la porte du bas.
Tous les guerriers présents se mirent à courir vers le pont qui enjambait le cours d'eau.
Plus le dragon se rapprochait et plus il était évident qu'il transportait un arbre. La Solvette fut admirative de sa puissance. Sabda se colla contre elle. Elle ouvrait des grands yeux en pointant du doigt la masse sombre qui volait.
- Dagon ! Bôôô.
La Solvette lui passa la main dans les cheveux en souriant.
- Oui, le dragon, il est beau. Quand il sera adulte, il sera magnifique.
Battant des ailes en les cambrant, le dragon posa son fardeau doucement dans le pré au pied de la porte du bas. Puis il se posa derrière.
Dès que les bourrasques de son atterrissage eurent cessé, les soldats de Quiloma se précipitèrent.
Quiloma se dirigea vers le dragon.
- Bonjour, Seigneur dragon. Tu nous ramènes un bel arbre.
- Oui, être debout Quiloma. Il fut beau, mais ses fruits seront amers pour toi. J'ai vengé les tiens mais je vais aller me venger maintenant.
Ayant dit cela le dragon reprit son envol.
Quiloma se protégea du vent. Voyant que le dragon donnait de puissants coups d'ailes, il se retourna pour voir ce qu'il avait déposé.
Un homme sortait des branchages, il en aida d'autres qui comme lui s'étaient accrochés aux branches. Quiloma reconnut ses guerriers. Ainsi c'était cela les fruits dont le dragon parlait, des blessés. Se rapprochant rapidement, il demanda :
- Que s'est-il passé?
Tombant genou à terre, le guerrier baissa la tête, frappa sa poitrine et dit
- Nous avons failli, Mon Prince.
- Fais ton rapport, Stamleb.
L'homme raconta ce qu'il savait. Pendant ce temps, les présents évacuaient les blessés vers la maison de la Solvette qui les attendait.

Jianme piaffait à chaque arrêt. Schtenkel et Torétaro perdaient trop de temps selon lui. Il imaginait les autres arrivant avant lui à la grotte et cela le faisait enrager. Les deux hommes en discutaient parfois à voix basse en haut d'un arbre. Pour eux, le dragon rendait Jianme fou. Cela faisait deux jours maintenant qu'ils avaient entendu le chant de victoire sur l'autre rive. Ils n'avaient pas encore atteint la gorge de l'antre du dragon. Torétaro était sur que personne ne les suivait. S'ils avaient des poursuivants, ceux-ci étaient soit perdus, soit sur le chemin de la grotte, parce qu'ils avaient deviné où ils allaient.

Mlaqui jurait d'avoir perdu la trace. Le gars qui menait les intrus était vraiment bon. Il devait être de la région. Comme il était près d'un grand litmel, il décida de monter pour se repérer. Le mieux était d'aller vers la grotte du dragon et d'y attendre les ennemis. Ils seraient obligés d'y arriver quel que soit leur chemin. S'accrochant aux branches, il commença son ascension. Arrivé à mi-hauteur, son œil fut attiré par une éraflure sur le tronc. Il devint attentif. Il monta plus doucement. Il eut un sourire, ils étaient passés par là. Eux aussi avaient besoin de se repérer. Arrivé en haut, il fit le tour du tronc et remarqua les petits rameaux cassés. Ils avaient guetté là. Il prit la même position. Effectivement, on devinait dans la rupture du moutonnement de la forêt la position de la gorge. Ce litmel était une bénédiction pour lui. Il dominait toute la forêt. Il fit le tour de l'horizon. Il repéra les autres litmels qui dépassaient la canopée. Voilà une bonne information, ces arbres étaient fort pratiques. Il fronça les sourcils. Là-bas au loin, au sommet d'un litmel, n'était-ce pas des silhouettes? Mlaqui s'immobilisa. Sifflant doucement entre ses dents, il envoya à ses quatres équipiers le message : ennemi repéré.
Il entendit en bas, le bruit des hommes se rééquipant. Il continua son sifflement. Cela aurait pu passer pour celui d'un oiseau, mais en entendant cela, les hommes au pied de l'arbre arrêtèrent de bouger. Mlaqui observait. Les deux silhouettes qui se découpaient sur le ciel de cette fin de journée étaient à plus d'une journée de marche. Il les devina bouger et descendre de leur perchoir. Il attendit un moment qu'elles aient disparu avant d'entamer la descente. Sa décision était prise, il irait vers la gorge. Les ennemis avaient trop d'avance. Retrouver leurs traces serait une perte de temps. Arrivé en bas, il donna les ordres. La nuit ne tarderait pas, mais on pouvait encore marcher un moment et réfléchir à l'embuscade.

- Un homme...
- Non, je n'ai rien vu.
- Je sais Torétaro, mais tu étais plus bas que moi. J'ai attendu et je l'ai vu bouger. Ils nous poursuivent.
- Même s'ils nous ont vus, ils ne pourront nous rattraper.
Jianme intervint dans la discussion des deux hommes qui descendaient.
- On perd du temps. Les autres doivent être devant.
- Le dragon est toujours vivant, mon lieutenant, dit Schtenkel. Nous l'avons vu qui volait en portant un arbre.
- Nous serons à la gorge dans combien de temps?
- Deux ou trois jours si nous continuons à cette vitesse.
- Alors, il va falloir aller plus vite. Torétaro, on laisse tomber les précautions puisque l'ennemi est loin.
Torétaro ne répondit pas et ramassa ses affaires. Schtenkel fit de même. Jianme était déjà parti.
- Pas par là, mon lieutenant. Par là ! dit Torétaro en se mettant en marche.
Les trois hommes reprirent le petit trot qui caractérisait leur progression. Jianme reprit son monologue sur ce qu'il ferait quand il ramènerait la preuve qu'il avait tué le dragon. Les deux autres avaient cessé de répondre. Il n'entendait rien. Une espèce de fièvre intérieure le brûlait.
Pour eux la question était de savoir comment survivre à cette expédition.

A la manière dont la Solvette bougeait, Quiloma devinait sa colère. Il savait pourquoi. Il y avait assez de malheur avec les accidents sans en rajouter avec la guerre. Quiloma se dit qu'il avait bien changé depuis qu'il la connaissait. Aujourd'hui, il lui donnait presque raison.
Sabda vint se jeter sur ses genoux
- Bôô, dagon, bôô !
- Oui, Sabda, il est beau !
Il souriait à sa fille. Une étrange douceur l'envahissait chaque fois qu'il s'occupait d'elle. Il sursauta quand la porte s'ouvrit à la volée.
- Où est-il ?
Quiloma se retourna pour voir qui était cette furie qui entrait dans la maison. Il vit Cilfrat courant vers la Solvette. Cette dernière la bloqua.
- Il vivra ! dit la Solvette en cherchant le regard de Cilfrat
Cilfat lutta un peu avec la Solvette pour passer en force puis elle se laissa aller à ses pleurs.
- J'ai entendu parler les hommes de morts et de blessés.
- Il vivra, pour le moment il dort, mais il vivra. Le père de ton enfant vivra.
Cilfrat arrêta de pleurer et regarda la Solvette dans les yeux :
- Tu sais ?
- Oui, je sens sa vie en toi.
- Je vais faire un hors-saison.
- Oui, mais regarde Kalgar et Talmab. Ils vont bien. Et puis pour les hommes du froid, la notion de hors-saison n'existe pas.
- Je veux le voir.
- Oui, viens doucement, la plupart dorment.
La Solvette conduisit Cilfrat vers un coin de la grande pièce. Cilfrat marchait sur la pointe des pieds, tout en silence. Tirant un rideau, elle découvrit Eéri, dormant. Son visage était griffé, un bras était en écharpe. Le bas du corps semblait étrange. Elle se retourna vers la Solvette d'un air interrogatif.
- Ses jambes sont restées sous l'arbre.
Cilfrat s'agenouilla à côté de la paillasse et posa sa tête sur la poitrine d'Eéri.
La Solvette tira le rideau derrière elle. Elle rejoignit la table où était Quiloma. Elle avait de la colère dans les yeux.
- Oui, Solvette mais ce n'est pas possible. La violence fait partie de notre monde. Remarchera-t-il ?
- Non, enfin pas normalement. J'ai dû amputer ce qui était trop abîmé.

Mlaqui contemplait la gorge du dragon depuis la berge opposée à celle qu'il connaissait. Ils avaient rejoint le bord et longeait le canyon. La vue était dégagée vers l'amont. On voyait l'entrée au loin de la caverne du dragon. De là elle semblait inaccessible. Il pensa qu'il était nécessaire d'être plus près pour mieux voir s'il n'existait pas une voie possible. Ils reprirent leur marche. La discussion roulait sur la manière de tendre un piège aux intrus.

Le dragon volait dans la nuit. Il se laissa planer sur le vent assez fort qui poussait les nuages vers la montagne. Demain, il pleuvrait. Il parcourait ainsi ce qu'il considérait comme son domaine, prélevant un clach par-ci un tibur par-là. Dans cette nuit sans lune, ombre parmi les ombres, il repérait de son œil froid les points chauds qui palpitaient dans la forêt. Il repéra sans peine les quatre guerriers du froid. Ils se protégeaient du vent plus qu'ils ne se cachaient. Il sonda leurs esprits. Il les sentit calmes et tendus vers la défense de son territoire. Il ressentit le plaisir de ne pas se sentir seul. Son vol lui fit survoler une zone plus dense, plus sombre. Il allait s'éloigner porté par les ailes du vent quand il perçut une haine. Virant sur les courants de l'air, il repassa au-dessus. S'ouvrant complètement au plan des esprits, il vit les trois petites lueurs des esprits des hommes. Deux étaient dans la peur mais s'en cachaient, le troisième était rougeoyant de colère, de haine et de détermination. Il se rappela ce que Mandihi lui avait dit. La malédiction poursuivait celui qui chassait le dragon s'il n'était l'élu. Une fièvre prenait le chasseur le rendant prêt à tout pour atteindre sa proie. Ce fanatisme les rendait plus dangereux. Seule la mort pouvait les arrêter. Le dragon sourit intérieurement. Il allait leur réserver un accueil digne de leur folie.

Mlaqui descendait avec peine. Heureusement des lianes récupérées dans un hallier voisin lui facilitaient le parcours. Si l'une d'elles cassaient, il ferait un grand saut. Il préféra ne pas y penser. Il n'avait pas le choix. Les intrus passeraient forcément dans la gorge en bas, c'est là qu'il aurait le plus de chance de dresser l'embuscade. Sa position de Konsyli lui imposait d'ouvrir la marche. Il aimait bien cela. Le fond de la gorge était tapissé d'un taillis touffus, au milieu la rivière faisait un lac. La lumière du soleil n'arrivait pas encore jusque là. Elle ne touchait l'eau qu'en plein midi l'été. Mlaqui pensa que l'attente serait éprouvante dans le froid et l'humidité. Il se dépêchait pourtant. La pluie n'allait pas tarder compliquant la descente de ses compagnons. Arrivé en bas, il sécurisa la zone d'arrivée en écartant des branches, en essayant de ne pas les casser pour ne pas laisser de signe de son passage. Il siffla en modulant un code de sécurité pour ses compagnons. Une chute de graviers lui signala le départ d'un de ses hommes. Laissant la liane bien accrochée, il partit en reconnaissance. Les traces animales conduisaient vers le lac. Il suivit les passages. Arrivé près du lac, il s'approcha du déversoir. L'eau y était rapide, froide mais peu profonde. La traversée pourrait se faire sans trop de difficulté.
- Un morceau de liane sera le bienvenu, pensa-t-il tout haut.
- Je le pense aussi.
Mlaqui sursauta en entendant cette voix. Il se retourna en dégainant. Devant lui, se tenait une série de dents toutes plus impressionnantes les unes que les autres.
Il rengaina en mettant genou à terre.
- Je te salue, Seigneur Dragon.
- Je te salue, être debout Mlaqui, toi qui sais si bien soigner les dragons.
La tête du dragon dépassait de l'eau, surplombant l'homme. Mlaqui fut impressionné, il avait encore grandi. Il était maintenant d'un rouge soutenu. Si les écailles étaient encore fines, elles étaient déjà largement assez résistantes pour faire face à un homme seul fut-il enragé.
- Toi et les tiens ne devriez pas rester ici.
- Nous sommes venus t'aider, Seigneur Dragon. Un homme en veut à ta vie.
- J'ai senti sa présence. J'ai aussi senti la vôtre. Vois-tu la trace derrière toi, être debout Mlaqui?
Celui-ci se retourna pour regarder.
- Toi et les tiens allez la suivre. Vous arriverez au pied de la montagne. Là il y a une grotte. Reposez-vous.
- Bien, Seigneur Dragon.
Mlaqui siffla pour donner ses ordres à ses hommes. Bientôt, il en vit arriver un, puis deux. Il se retourna vers l'étendue d'eau. Il n'y avait plus rien. Dans la pénombre du fond de la gorge, on ne distinguait rien dans cette eau sombre aux reflets rouges. Il sourit et quand tous furent là, il les entraîna vers la grotte dont lui avait parlé le dragon.

Les deux hommes étaient épuisés à courir derrière Jianme. Il s'était réveillé il y a deux jours en disant :
- Bon ça suffit de perdre du temps. On va par où?
Torétaro lui avait indiqué la direction.
- Alors on y va tout droit, avait-il ajouté en prenant ses affaires sans attendre que ses compagnons soient prêts.
Depuis, ils couraient derrière lui, sans pause, presque sans dormir. Jianme n'écoutait plus rien. Torétaro avait bien essayé de lui dire qu'on s'était éloigné de la ligne droite, et même qu'on tournait en rond, il n'écoutait plus. Il voulait tuer le dragon et le plus tôt serait le mieux. Alors qu'ils pensaient qu'ils allaient s'écrouler de fatigue à chaque pas, ils virent Jianme s'effondrer sur le sol. Comme il ne bougeait plus, ils s'approchèrent. Il était tombé d'épuisement et son casque avait heurté une racine. Schtenkel vérifia qu'il respirait. Les deux hommes s'assirent et reprirent souffle.
- On est loin?
- Il nous a fait tourner en rond. Nous sommes perdus. Il faudra que je remonte sur un arbre pour retrouver la direction.
- En attendant qu'il se réveille, reposons-nous. Deux jours à courir, je n'en peux plus.
Le matin trouva les trois hommes endormis. La lumière du soleil réveilla Torétaro. Il regarda un instant les deux autres hommes qui dormaient. Il se leva en silence. Sans bruit, il s'éloigna.
Schtenkel se réveilla en entendant crier un oiseau. S'il vit tout de suite Jianme, il ne trouva aucune trace de Torétaro. Il jura entre ses dents. Ce salaud était parti avec les provisions. Il alla jeter un coup d'œil à Jianme. Celui-ci n'avait pas bougé. Tout équipé, il était tombé, tout équipé, il dormait, seul son casque reposait à côté de lui. Et s'il ne se réveillait pas? Schtenkel eut un moment de panique. Il secoua Jianme qui grogna.
- Debout, mon lieutenant, il faut y aller.
Jianme jeta un regard torve sur Schtenkel. Puis un éclair de compréhension sembla passer dans ses yeux.
- Je dors depuis combien de temps?
- Une journée, mon lieutenant.
- Alors ne perdons pas de temps, allons-y.
Jianme se leva péniblement. Schtenkel le soutint.
- Votre tête a tapé sur une branche quand vous êtes tombé.
- Où est le guide?
- Il a dû partir en reconnaissance. Il n'était pas là quand je me suis réveillé.
- Tu veux dire qu'il a fui, le lâche ! La gorge doit être vers le soleil couchant, allons-y.
Les deux hommes se mirent en marche. La pluie se mit à tomber. La forêt était touffue dans cette partie. De nombreux arbres tombés, de lianes et de ronciers gênaient la progression. Quand le crépuscule arriva, ils commençaient à désespérer d'arriver à la gorge. La pluie avait diminué d'intensité mais persistait. Les deux hommes marchaient la tête basse, complètement détrempés. Ils n'avaient rien mangé depuis deux jours.
- La pluie ne va pas nous lâcher, marchons tant que nous pouvons.
Dans la nuit presque noire, Schtenkel glissa. Jianme entendant son cri, s'arrêta net. Il appela son compagnon. Il n'eut pas de réponse. On ne voyait plus rien. Il tâta le chemin avec son pied. Il fit un pas, puis un deuxième, au troisième, il glissa dans la boue. La chute fut rude. Il se mit à glisser dans une espèce de toboggan naturel. Des branches le fouettaient au passage. Heureusement, son armure le protégeait. Sa tête heurta quelque chose. Il perdit connaissance.

Schtenkel se sentit tiré. Il reprit conscience, il avait froid, il avait mal. Ouvrant les yeux, il vit d'abord le vert des arbres. Il entendit quelqu'un jurer. Il se mit à grelotter.
- Tu pourrais faire un effort !
En entendant cette voix, son cerveau se remis en marche. Il se rappela la nuit, la glissade, le choc. Il poussa avec ses pieds. Il prit conscience qu'il était dans la boue et quelqu'un le tirait par les aisselles. Après un dernier effort, ils roulèrent l'un sur l'autre. En se dégageant, Schtenkel reconnut Torétaro. Trop épuisé pour réagir violemment, Schtenkel lui dit :
- Tu nous as bien lâchés!
- C'est vous qui avez fait n'importe quoi. J'ai emmené les bagages et les provisions pour ne pas nous surcharger et j'ai trouvé une route simple pour aller vers l'antre du dragon. Et quand je suis revenu vous aviez disparu.
- Tu aurais pu le dire !
- J'ai laissé un cairn messager, tu ne l'as pas vu?
- Non, Jianme était trop pressé. D'ailleurs où est-il?
- Enfoncé dans la boue lui aussi, un peu plus loin. Il a eu de la chance, il est tombé sur le dos, sinon, il se noyait.
Se remettant péniblement debout, Schtenkel accompagna Torétaro. Ils trouvèrent Jianme comme prévu. Son casque lui retombait sur le nez. Ils le tirèrent à deux de la fange dans laquelle il baignait. Schtenkel lui enleva son casque, vérifia qu'il respirait et se tourna vers Torétaro.
- Tu as une couverture?
- Comme les vôtres, trempée.
- On peut faire du feu ? Ou c'est trop dangereux ?
- Vous avez atteint la vallée du dragon loin en amont. Le vent nous est favorable. Je pense qu'on peut essayer.
Après de multiples essais, ils eurent la chance de trouver du bois flotté échoué depuis longtemps sous un auvent de pierre creusé par la rivière. Sur un sol de sable, ils purent enfin faire démarrer un feu. Ils ramenèrent Jianme à côté. Schtenkel s'était rincé dans la rivière et se chauffait au feu en faisant sécher ses affaires. Heureusement, l'air n'était pas trop froid. Ils dévêtirent Jianme pour le réchauffer aussi. Les couvertures, bien que mouillées, avaient été utilisées pour faire des cloisons pour couper le vent.
A force d'alimenter le feu pour qu'il ne fume pas trop, il commença à faire chaud dans l'espace ainsi préservé. Schtenkel cessa de trembler quand il eut mangé. Torétaro avait même réussi à attraper du poisson.
Jianme grogna. Ses compagnons l'avaient recouvert de sable sec qu'ils avaient de surcroît chauffé avec les pierres du foyer.
- Où suis-je ?
- Tout va bien, mon lieutenant. Nous avons fait une chute mais tout va bien.
Il posa des yeux chargés d'incompréhension sur les deux hommes.
- Schtenkel, qu'est-ce qui s'est passé?
- Pendant que Torétaro cherchait une piste, nous nous sommes égarés. Je suis tombé et vous m'avez suivi dans un cours d'eau mineur qui se jette dans la rivière. Cela a fait comme un toboggan. Heureusement, Torétaro nous a retrouvés.
- Le dragon ?
- Pas de nouvelle, mon lieutenant.
- On va se reposer un peu et puis on ira le tuer.
Jianme se rallongea et s'endormit.
Les deux hommes se regardèrent et haussèrent les épaules.
- Repose-toi, je vais aller chasser. S'il va bien nous repartirons demain.

Le jour se leva en haut. Dans le fond de la gorge, la lumière ne pénétrait pas beaucoup. Le feu était braise mais une douce chaleur régnait derrière les couvertures étendues.
Torétaro cuisait du poisson. Schtenkel rassemblait les affaires. Jianme s'équipait. Lentement, il mettait sa tenue de combat.
- Tu dis que nous sommes dans la vallée du dragon en amont de son antre.
- Oui, mon lieutenant, répondit Torétaro. Une demi-journée de marche tout au plus.
- Nous partirons dès que nous aurons le ventre plein. Il ne faut pas que je refasse les erreurs des jours passés.
Schtenkel et Torétaro s’entre-regardèrent. Si le discours était plus sensé, il était prononcé par un homme au regard fou. Il leur laissa quand même le temps de plier les affaires. La pluie avait cessé mais le vent restait violent. Ils se mirent en route. Torétaro ouvrait la marche et portait les bagages avec Schtenkel. Jianme l'arme au point suivait. La progression fut aisée jusqu'au moment où la gorge se resserra. Il n'y eut bientôt plus de place pour marcher hors de l'eau. Torétaro fit une reconnaissance. Il fit passer les bagages en les portant à bout de bras. Pendant ce temps, Schtenkel aidait Jianme à se déshabiller. Ce dernier avait bien essayé de passer comme cela mais il avait failli se noyer. Emporté par le poids de son armure, il aurait coulé sans l'aide de Schtenkel. Arrivé à l'extrémité du passage, il s'arrêta. Il y avait un petit déversoir finissant dans une vasque. Mais son attention fut surtout retenue par ce qu'il voyait. Immense et gigantesque, l'antre du dragon s'ouvrait là-bas, droit devant lui. Il faillit se mettre à courir. Torétaro le retint.
- Non, mon lieutenant. Si vous tombez maintenant, vous ne pourrez plus combattre. Nous serons au pied de son antre vers le milieu de l'après-midi.
Torétaro installa une liane pour aider les deux autres à descendre. Après la vasque inférieure, il était de nouveau possible de marcher à côté de l'eau. Jianme se rééquipa. Il marchait le bouclier dans une main et l'épée dans l'autre. Il avait pris la tête du convoi. Torétaro se tenait juste derrière lui pour le guider. Ils eurent une alerte en voyant le dragon voler vers sa caverne. Les trois hommes se cachèrent sous des buissons.
- Nous a-t-il vus?
- Je ne crois pas, dit Torétaro. Nous avons été rapides et il semblait rentrer dans son antre.
Jianme risqua un coup d'œil hors du buisson. Le ciel était libre de toute présence. Il se remit en marche bientôt rejoint par les deux autres. Il marchait plutôt lentement, ne quittant pas l'ouverture de la caverne des yeux. Ils ne virent pas le dragon.
La vallée s'élargissait en changeant de direction. La grotte du dragon s'ouvrait dans ce tournant au beau milieu d'une paroi rocheuse de quelques centaines de pas de haut. L'espace dégagé devant permettait au dragon de manœuvrer pour entrer et sortir.
- Bon choix, pensa Torétaro en regardant la région. Le fond de la vallée était occupé par un bois. Il pensa que cela faciliterait leur progression. Sous les arbres, ils ne seraient pas visibles. Toujours à l'affût d'un mouvement, ils commencèrent leur descente. L'approche se passait bien. La rivière coulait au milieu du bois. Ils en suivaient le cours. Un peu plus de mille pas plus loin, ils arrivèrent à une lisière. Ils s'approchèrent doucement. Un rocher obstruait le cours d'eau qui en faisait le tour. L'eau glissait sur la surface de la pierre lui donnant des reflets aux multiples couleurs pour rejoindre un lac. L'endroit respirait le calme. Les arbres faisaient comme un écrin autour de l'eau couverte de petites lentilles vertes. Aucune vague, aucune ride n'en troublait la surface. Seuls quelques arbres tombés en brisaient la régularité. Torétaro sentait Jianme impatient derrière.
- Alors ? demanda celui-ci.
- A priori tout est calme. Nous sommes presque sous l'entrée de la grotte. Après le lac, il faudra se rapprocher de la paroi. Je pense qu'il y a un chemin possible pour l'atteindre. Je crains qu'il ne soit à découvert. Il faudra peut-être attendre la nuit.
- Vous pourriez parler plus bas, chuchota Schtenkel. Être aussi près du dragon me panique.
Jianme haussa les épaules, affermit sa main sur la garde de son épée et commença à descendre pour rejoindre le bord du lac.
De près les berges étaient plus encombrées que ce que l'on devinait de loin. Ils enjambaient ou se glissaient sous de multiples branches, ou troncs qui s'entremêlaient. Arrivés au bout du lac, ils virent une petite plage où les animaux devaient venir boire vu le nombre de traces dans la boue. Jianme vit qu'un tronc couché traversait opportunément pour ne pas s'enfoncer dans la boue. Tel un équilibriste, il s'y engagea.
Il atteignait la houppe de l'arbre. Les branches partaient un peu dans tous les sens. Jianme posa la main sur le bois à sa portée et chercha des yeux le meilleur chemin. Sur sa droite, il partait vers un roncier, devant lui, plusieurs branches barraient le passage et nécessitaient des acrobaties pour passer et à gauche, on se retrouvait au-dessus de l'eau. C'est alors qu'il regardait dans cette direction qu'il vit les lentilles d'eau remuer. Un rocher rouge apparut, bientôt accompagné de deux disques dorés, puis émergèrent des dents.
- Bonjour, petit homme. Je crois que tu voulais me voir.
Jianme contempla la tête du dragon. Elle avait la taille d'un jeune tracks. Elle continuait à s'élever pour culminer plusieurs pieds au-dessus de lui. Jianme n'était pas à main. Il se tenait à une branche de la main gauche et avait son épée dans la droite, alors que le dragon était à gauche. Il regarda le cou. Il y avait là la plaque sensible. Il en était sûr. Il n'aurait droit qu'à un essai. Il calcula. Quatre ou cinq pas pour atteindre le bout de la branche qui surplombait l'eau, puis l'attaque. C'était serré mais jouable.
- Bonjour, dragon. Mon roi trouve que tu lui voles beaucoup d'or.
- Lui-même ne le vole-t-il pas au cours de ses combats?
- Le roi est le roi. C'est son droit, reprit Jianme en pivotant.
- Et qui fixe ce droit, si ce n'est le roi ?
- Non, les règles sont plus anciennes que lui. Elles viennent des rois qui l'ont précédé.
Jianme avait fait un pas vers le dragon.
- Alors ce sont des règles de rois pour des rois. En quoi s'appliquent-elles à moi ?
- Le roi Yas gouverne ce monde et cette région. Tu voles son bien.
Un pas supplémentaire, il ne lui en restait plus que deux avant de pouvoir frapper. Le dragon ne bougeait pas. Jianme sentit son cœur accélérer.
- Les dragons ont besoin d'or. C'est leur loi. Je ne suis pas roi, les règles des rois ne sont pas faites pour les dragons. Je ne crois pas que je vais lui rendre quoi que ce soit.
- Je suis venu seul avec mes guides pour négocier mais d'autres pourraient venir en nombre pour reprendre ce qui est au roi.
Jianme avança encore une fois le pied et transféra son poids pour préparer son attaque.
Le craquement fut sinistre. Schtenkel et Torétaro assistèrent impuissants à la chute de Jianme. La branche avait cassé sous son poids. Il lâcha son arme dans la chute mais ne put se raccrocher aux branches. Il y eut un plaouffff et puis le silence. Il ne resta qu'un rond clair dans les lentilles d'eau que les trois protagonistes restants regardèrent un moment.
La tête du dragon se tourna vers eux.
- Vous avez de la chance, petits hommes.
Les deux hommes n'osaient plus bouger. Les prunelles jaunes qui les fixaient, les hypnotisaient.
- Je te reconnais, petit homme à la doublure d'or, te revoilà sur mon chemin. L'être debout qui voit les esprits, m'a demandé de t'épargner. Ton destin n'est pas fini. Nous nous reverrons. Et toi petit homme qui lit la terre, ton combat n'est pas le combat de ce roi qui veut des règles de roi. Si je te revois, tu n'auras pas un meilleur sort que le petit homme qui n'a pas flotté.
Le dragon bondit hors du lac et de toute la puissance de ses ailes, il prit son envol. Sous le souffle, les deux hommes se retrouvèrent assis. Ils regardèrent le ciel où le dragon rapetissait et s'entre regardèrent. Ils étaient vivants. ILS ÉTAIENT VIVANTS.
Ils éclatèrent d'un rire nerveux. C'était fini. Soulagés, ils se relevèrent. Il ne restait plus qu'à rentrer.
Torétaro plaqua Schtenkel qui eut un regard étonné.
- Flèche, cria-t-il.
Le bruit mat d'un trait qui se plantait dans l'arbre retentit au-dessus d'eux. Ils virent de l'autre côté du lac des guerriers du froid. Torétaro et Schtenkel prirent la fuite vers l'intérieur du bois.

samedi 11 août 2012


La pluie arriva. Il faisait chaud et humide. Les lourds nuages noirs se vidaient sur les pentes, noyant hommes et bêtes.
- Knam, knam, knam...
- Ne jure pas comme cela, Chountic, tu vas indisposer les esprits.
- On voit bien que ce ne sont pas tes terres qui sont sous l'eau.
- Attends, je suis comme les autres, mes récoltes ne vont pas tenir leurs promesses. La saison des pluies est en avance cette année et les esprits l'ont voulu abondante.
- Oui, mais être obligé de rentrer les récoltes dans les grottes pour les faire sécher, on n'avait jamais vu ça.
La discussion se poursuivit entre les deux hommes qui descendaient la grande rue pour aller vers les grottes. Tout encapuchonnés et recouverts de leur cape de pluie, Chountic et son voisin baissaient la tête pour éviter la nouvelle averse. Comme les autres, ils ne prêtèrent pas attention aux deux hommes qu'ils croisèrent. Équipés comme eux, ils longeaient l'autre bord de la rue pour éviter de patauger dans la boue. Cette pluie arrangeait bien, Schtenkel et ses hommes. Elle avait commencé le lendemain de leur arrivée dans la ville. Tombant par averses violentes qui duraient la moitié de la journée, la pluie obligeait tout le monde à se terrer. Schtenkel jubilait. Après la peur lors de la rencontre de la femme le premier soir, ils avaient pu grâce à la pluie, passer inaperçus. Il avait maintenant un plan de la ville et de ses remparts. Il avait une idée exacte des forces dont disposait le chef ennemi. Il avait même réussi à apprendre son nom. C'était le prince Quiloma. Une ou deux fois, il avait craint pour sa sécurité et celle de ses hommes. Les soldats du prince étaient manifestement surentraînés. C'est la pluie qui en redoublant les avait à chaque fois sauvés. Il faisait avec Bistasio une dernière reconnaissance pour aller voir la vallée d'où viendrait le dragon. Ils se dirigèrent vers la clairière de la dislocation. C'est là qu'ils retrouvèrent les autres. Tous les six se dirigèrent vers la rivière en gardant la même altitude. Bistasio avait cru comprendre qu'une patrouille surveillait systématiquement le repaire du dragon, mais il n'en était pas sûr. Schtenkel faisait avancer ses hommes avec précaution. Il ne voulait pas risquer la confrontation avec les soldats du froid. Ce furent deux longues journées, s'arrêtant souvent pour essayer de repérer des ennemis. La nuit avait été calme. Ils avaient repris leur progression. Bistasio fit signe qu'ils approchaient de la vallée. Schtenkel fit monter son groupe sur la ligne de crête. C'est là qu'ils aperçurent le groupe de cinq à l'abri d'un auvent rocheux. Ils avaient fait un feu et ne semblaient pas en alerte. Schtenkel remarqua quand même que l'un d'eux guettait les environs. Il fit signe à ses hommes de reculer. Ils firent demi-tour pour gagner l'autre côté de la crête. Ils arrivaient en haut quand le soleil se démasqua derrière les nuages. La lumière fut tout de suite très violente. Bistasio jura. Ils étaient complètement éclairés. Si les hommes de Quiloma étaient dans le coin, ils étaient des cibles trop faciles. Ils se mirent à courir jusqu'à un bois voisin. Cachés derrière les fûts des arbres, ils regardèrent le panorama. Au loin un grand oiseau volait. Le dragon ! pensa Bistasio. Effectivement peu après, ils virent passer en dessous d'eux le grand animal. Schtenkel donna tout de suite l'ordre de départ. L'occasion était trop belle de découvrir le repaire du monstre. Il devait y avoir des courants porteurs car le dragon se mouvait lentement sans battre des ailes. Ils purent ainsi le suivre pendant un bon moment. Le souffle devenait court et les muscles durs quand ils le virent disparaître à leur vue.
- Le repaire doit être quelque part là dessous, dit Schtenkel. On va s'approcher discrètement pour en voir plus.
Pendant que ses quatre compères reprenaient leur souffle, Schtenkel et Bistasio s'approchèrent du bord. Malheureusement, ils ne purent que constater qu'une corniche quelques pieds plus bas cachait la vue. Si la grotte était là, il faudrait être sur l'autre rive de la vallée pour la voir. Schtenkel jugea qu'il en savait assez. Il ne se voyait pas faire encore tout un détour de plusieurs jours pour atteindre la berge opposée. Il rampa en arrière pour ne pas tomber et se redressa. Bistasio fit de même. Ils avaient à peine fait quelques pas qu'un violent coup de vent les renversa. En tombant Bistasio se fit la remarque que les soldats de la plaine faisaient vraiment une drôle de tête.
Une voix venue de très haut les interpella:
- Alors, êtres debout, que faites-vous si près de chez moi ?
Schtenkel se retourna et tenta de fuir à quatre pattes sur le dos. Cela fit rire le dragon.
- Tu n'es pas un être debout, tu es juste un petit homme.
Un des soldats se rua sur le dragon en hurlant, l'épée au point. Déployant le cou, celui-ci le happa et l'envoya voler dans le vide de la vallée. Son cri se répercuta longtemps avant de s'éteindre.
- Je reconnais votre odeur... Vous êtes des petits hommes de la plaine. Votre odeur ressemble à celle des loups gris et je n'aime pas les loups gris.
Les survivants étaient tétanisés. Plus personne ne bougeait.
- Mais ça sent aussi l'or...
Le mufle du dragon s'approcha des hommes.
- Toi, petit homme, tu possèdes de l'or.
- Mais non, j'ai tout laissé à Tichcou.
- Ah! Tu viens de ce village. Je sens que je vais aller y faire un tour. Mais tu sens l'or... petit homme.
Tu as intérêt à trouver où tu le caches...ou je vais perdre patience et aller le chercher moi-même.
En disant cela le grand saurien s'était approché de Schtenkel. Celui-ci fouillait frénétiquement ses poches sans rien trouver. La peur le faisait trembler. Ses pensées tournaient en rond à toute vitesse. Ce n'était pas possible. Ce qu'il vivait ne pouvait exister. Juste au moment où il allait perdre espoir, ses doigts sentirent un corps dur dans la tunique.
- Là, là il y a une pièce dans la doublure...
Schtenkel disait cela en tendant le vêtement. Avant qu'il ait compris quoi que ce soit, le dragon avec arraché le morceau d'un coup de crocs.
Schtenkel regarda sa tunique déchirée et son bras, quelque chose n'allait pas. Et puis la douleur arriva et le sang gicla. Sa main avait disparu. Il hurla. Bistasio qui était à côté se retourna pour vomir. Un des hommes se précipita pour faire un pansement.
- Je vais vous faire cadeau de votre vie pour cette fois, petits hommes, mais ne revenez jamais. Quant à toi, être debout Bistasio, évite ces gens-là.
Le dragon déploya ses ailes et dans un déchaînement de bourrasques, prit son envol.
- Viens, Schtenkel, ne restons pas là. Les guerriers du froid vont arriver.
Soutenant leur chef, les trois hommes et Bistasio s'enfuirent vers les bois proches.
Le retour fut pénible. Schtenkel délirait à moitié avec la fièvre qui l'habitait. Bistasio les avaient laissés après le premier col. Il refusait d'aller plus loin. Le passage du dragon au-dessus de leur tête avait renforcé sa détermination. La pluie avait rendu les passages quasiment infranchissables. Le chemin de la gorge fut un calvaire, aucun des trois rescapés n'en sortit valide. C'est épuisés qu'ils arrivèrent à Tichcou, couverts de plaies, de miasmes. Ils pensaient pourvoir se reposer et se refaire une santé mais ils arrivèrent dans une bourgade qui semblait avoir connu la guerre. Ils reconnurent à peine Jianme qui n'avait plus de cheveux et dont le visage était brûlé. Tichcou avait connu la fureur du dragon. Seules les pluies diluviennes avaient sauvé les habitations et leurs occupants.

jeudi 9 août 2012


Bistasio guidait un groupe sur le chemin des crêtes. Il n'était pas très rassuré par la tournure que prenaient les évènements. Il n'avait pas eu le choix. Son arrivée à Tichcou n'avait pas été aussi simple qu'il l'avait espéré. Son contact sur place au lieu de garder le silence sur sa présence, avait alerté les soldats. On lui avait confisqué ses tiburs et il s'était retrouvé prisonnier. Il s'était fait frapper sans en comprendre les raisons. Les soldats qu'il avait vus, parlaient une langue chantante qu'il ne comprenait pas. Le maître de la ville de Tichcou était arrivé avec le chef des troupes. On l'avait interrogé longuement et pas toujours avec douceur. Il avait raconté l'arrivée des soldats du froid, leur nombre, les divisions dans la ville, il avait cité Chountic et Rinca et leur désir de se venger des occupants. L'attitude du chef des soldats avait changé à partir de ce moment-là. Les questions étaient devenues plus techniques sur le chemin et la topographie du terrain. Après il y avait une longue discussion dans la pièce d'à côté entre le militaire en chef et ses sous-fifres. Quand il était revenu, on lui avait traduit les ordres. Il allait conduire des soldats dans la ville pour espionner et ils redescendraient rendre compte. Bistasio avait dit l'impossibilité d'une telle chose. Les abords étaient trop surveillés. Les soldats du froid ne seraient pas dupes. Il fallait que la présence des soldats de la plaine soit naturelle pour que tout se passe bien, c'est-à-dire qu'ils aient l'air de serviteurs de Bistasio portant les marchandises qu'il avait eues en échange de ses tiburs. La négociation avait été serrée, le chef de ville ne voulait pas perdre les tiburs qu'il avait confisqués, ni donner des produits en échange. C'est le militaire qui avait tranché. Bistasio aurait ses marchandises. Le chef de ville avait fait grise mine mais avait cédé. C'est ainsi que Bistasio guidait cinq hommes sur le chemin des crêtes. Ils portaient tous une charge de tissus, de métal ou d'objets qui manquaient dans la ville. Rinca et Chountic seraient contents d'avoir cela à vendre. Les soldats qui l'accompagnaient parlaient un peu la langue du cru, et avaient été habillés comme les locaux. La seule différence était les armes qu'ils portaient sous leurs habits. Le chemin fut rude avec les charges. Bistasio les guida avec beaucoup de précautions si bien qu'ils ne virent pas âme qui vive avant d'arriver sur les pâtures orientales. La réparation du chemin de la gorge avait tenu. Les soldats de la plaine parlaient entre eux dans leur langue. Bistasio les fit taire. Ils étaient trop près de la ville pour prendre le risque. Ils s'arrêtèrent avant le dernier col. La nuit serait assez claire pour qu'ils puissent atteindre la ville sans se faire remarquer. Bistasio leur avait expliqué qu'il allait les conduire dans des grottes, où ils pourraient se cacher. Ils pénétrèrent dans la ville par la porte près de la maison de la Solvette. Ils étaient tous nerveux. Bistasio espérait qu'ils ne paniqueraient pas. Si l'un d'entre eux sortait une arme, ce serait le massacre. Les premières ruelles étaient vides. Avant de s'engager dans une autre voie, Bistasio jetait un coup d'œil devant lui. Ils passèrent devant la maison de la Solvette, sous le regard intéressé des charcs qui, comme toujours, étaient posés sur les murs. Encore deux, trois rues et ils seraient dans les grottes. Encore un tournant...
- Bonsoir Bistasio.
- Bonsoir Cifralt, tu sors bien tard ce soir.
- Oui, il me faut aller chez la Solvette, les enfants de Kalgar en ont besoin.
- Je vois que tu es bien tombée chez eux.
- Cela me change de la maison Andrysio. Mais toi, que deviens-tu? Tu es avec des étrangers.
- J'ai fait une expédition jusqu'à Tichcou et l'acheteur m'a prêté des serviteurs pour ramener les marchandises. D'ailleurs je passerai voir Kalgar, j'ai du métal.
- Fais attention avec le bruit des combats, les étrangers pourraient être mal vus.
- Ils repartent demain à la première heure. Ce soir il est trop tard.
- A bientôt Bistasio.
- Au revoir Cifralt.
Il la regarda tourner au coin de la rue. Il entendit alors les armes qui glissaient dans leurs fourreaux.
- Venez, leur dit-il.
Il les guida jusqu'à la zone des grottes de l'ancienne maison Andrysio. Mal ventilées, elles avaient été délaissées. Bistasio savait qu'ils y seraient tranquilles.

mardi 7 août 2012


La Solvette parcourait les champs et les bois pour recueillir des plantes. Elle ne partait pas longtemps laissant sa fille à la garde des animaux de la maison. La petite poussait bien. En une saison, elle passait du statut de bébé dépendant de sa mère à petit être presque autonome. Si tout se passait bien, elle pouvait espérer connaître une vingtaine de cycles de saison. La Solvette avait déjà connu sept cycles. Sa mère lui avait dit qu'alors ce serait bon pour elle d'avoir une descendance. Elle ne s'était pas posé la question d'un partenaire avant cette saison. Et Quiloma était arrivé. Elle savait que les réponses arrivaient en leur temps et qu'il ne servait à rien à vouloir savoir avant. Elle différait des autres habitants qui se tournaient vers les sorciers pour avoir des prédictions. Elle se trouvait dans une clairière qu'elle aimait bien. Elle y trouvait ces plantes rares dont les fleurs avaient des vertus guérisseuses. Elle était à genoux en train de ramasser délicatement fleurs et feuilles quand un grand vent se leva pour s'arrêter presque aussitôt. Sans se presser elle se retourna.
- Bonjour, jeune dragon.
- Bonjour, être debout.
La Solvette garda le silence. Elle regardait le dragon dans les yeux. Celui-ci la dominait de toute sa taille.
- Ton aura est étrange, être debout.
- Mon nom est Solvette.
- Je sais ce nom mais il n'est pas tien, être debout.
- Le mien fut oublié avec mon jeune temps.
- Tu dis vrai, être debout. Dis-tu toujours vrai?
- Si je répondais : « oui », tu ne me croirais pas.
Le rire du dragon fit rire la Solvette.
- Ta langue est agile être debout Solvette. Tu es la seule à rire quand je suis là.
- Tu as parlé de mon aura, jeune dragon. Que voulais-tu dire?
- Tu ressembles à l'être debout Mandihi. Lui aussi irradiait cette couleur. Lui aussi était un marabout. Il connaissait les secrets qui font guérir.
- T'a-t-il guéri?
- En quelque sorte, il m'a guéri d'une partie de mon ignorance. C'est pour cela que je suis venu te voir.
- Qu'ignores-tu, jeune dragon?
- Encore trop de choses, être debout Solvette, mais pour l'instant parle-moi des enfants qui ont été sous la pierre qui bouge.
- Je suis étonnée que tu connaisses cette histoire. Elle s'est passée avant que tu n'arrives. Qui te l'a contée?
- J'ai rencontré l'être debout Bistasio qui avait bien du souci avec les loups. Il m'a raconté beaucoup de choses.
- Il y a peu à dire. Les sorciers ont imposé la cérémonie de l'exposition et les enfants ont été exposés.
- Je sais cela, être debout Solvette. Mais qu'as-tu fait?
La Solvette vit la prunelle du dragon virer au jaune brillant. « L'or fondu n'a pas de plus belle couleur », pensa-t-elle.
- Mon savoir m'a permis d'aider les enfants à ne pas avoir froid, enfin pour la fille. Je n'ai pas pu faire grand chose pour le garçon.
- La pierre a-t-elle beaucoup chauffé?
- La neige avait fondu sur plusieurs pas autour. Une meute de loups noirs en avait profité pour passer la nuit au chaud.
- Des loups noirs, voilà une nouvelle intéressante. Ressemblent-ils aux loups gris?
- Non, jeune dragon. Le loup noir est plus grand, plus fort, plus rapide, il ne vit qu'en meute.
- Tes paroles sont pleines d'enseignement pour moi. Sois remerciée, être debout Solvette.
Le dragon commença à bouger pour partir.
- Attends, jeune dragon. Moi aussi j'ai des questions pour toi.
Le dragon s'immobilisa, reposa ses pattes avant, replia ses ailes et se retourna vers la Solvette.
- Tu es un être débout extraordinaire, être debout Solvette. Tu sais rire quand je suis là et tu oses poser des questions. Quelle est ta question?
- On dit dans les légendes que les dragons sont Maîtres du feu.
- Les légendes disent vrai...
- Nous ne savons pas faire naître le feu. Le prince venu du froid le sait. Il a juré de ne le révéler à personne, pas même moi. Pourrais-tu m'enseigner?
- Je ne t'enseignerai pas ce que sait le prince. Ce savoir est leur savoir.
La déception envahit le visage de la Solvette. Elle regardait le grand saurien et elle eut l'impression d'une moquerie dans son œil.
- Mais, mais, mais, n'es-tu pas maître dans la connaissance des plantes ? reprit le dragon. As-tu déjà regardé ce champignon qui pousse au pied des clams?
- Oui, je connais ce champignon, il gâche le clams, n'est pas mangeable et donne des coliques aux bêtes qui en consomment.
- Ah! Je reconnais là quelqu'un qui a la connaissance, mais pas toute. Cueille-le, découpe-le en lamelles et laisse-le tremper avec la poudre blanche de vos grottes. Quand il sera bien sec, fais une étincelle avec un couteau et cette pierre dure et sombre qu'on trouve à côté de ta maison, tu verras naître ce que tu cherches.
- Sois remercié, jeune dragon. Puis-je encore te demander un service?
- Parle être debout Solvette. Si cela est en mon pouvoir j'y accéderai.
- J'aimerais que tu allumes un feu pour moi dans cette clairière.
- Qu'il soit fait comme tu le souhaites, être debout Solvette. Rassemble les pierres du foyer et le bois, je mettrai la flamme en son sein.
La Solvette rassembla des pierres et des branches comme l'avait demandé le dragon. Puis elle s'éloigna un peu. Le grand saurien pencha la tête presque jusqu'à toucher le sol et d'un tout petit jet de flammes, mit le feu au bois.
- Que tes jours soient heureux, être debout Solvette.
- Que les tiens soient fructueux, jeune dragon.
S'étant ainsi salués, ils se quittèrent. La Solvette regarda le dragon s'éloigner vers la plaine. Quiloma lui avait expliqué que le dragon, qui aimait l'or et les pierres précieuses comme tous ceux de sa race, partait en chasse dans la plaine pour en trouver. Elle pensa que cela ne le rendrait pas heureux toute sa vie.
Elle sourit. Le dragon l'avait bien aidée sans le vouloir. Elle était devenue dépositaire du secret du feu comme Quiloma, mais elle avait maintenant un feu à sa disposition. Elle était assez loin de la ville et elle allait pouvoir faire ses expériences en paix.
Elle sortit de sa musette un peu de cette pierre noire qu'elle avait demandée à Quiloma, elle y mélangea un peu de la pierre jaune réduite en poudre qu'elle avait déjà préparée. Elle les pétrit bien.
Faisant une petite cuvette dans le sol sablonneux de la clairière, elle y déposa son mélange et y mit le feu. Une fumée vert jaune âcre et piquante s'éleva du mélange qui brûlait. Quiloma avait raison. L'odeur en était insupportable.
Elle recommença son essai en y ajoutant de la poudre blanche qu'elle avait récupéré sur les plateaux des brancards qu'utilisaient les ouvriers dans les grottes. Cette poudre semblait naître des parois, elles-mêmes. On l'enlevait régulièrement. Avec son pilon, elle malaxa longuement le mélange. De nouveau, elle creusa une cuvette et y déposa un peu de sa préparation. Elle eut à peine le temps de poser le brandon enflammé dessus que tout avait brûlé avec un grand bruit et une fumée blanche. Elle sursauta. C'était tellement violent qu'effectivement cela pouvait être la cause de l'effondrement de la montagne. Décidée à en avoir le cœur net, elle prépara une nouvelle cuvette, remit de la poudre dedans, en répandit un peu autour et boucha le tout avec une pierre. Saisissant une branche de résineux, elle l'enflamma et la jeta sur le trou. Le bruit fut plus violent, la pierre vola au loin. La Solvette regarda le résultat, abasourdie. Elle n'aurait jamais imaginé une telle violence contenue dans d'aussi petites choses. Quiloma avait raison de penser qu'il y avait de la puissance des dieux dans ce mélange. Elle pensa qu'il valait mieux garder cela secret. Les hommes étaient trop fous pour un tel savoir. Elle pensa au dragon. Un tel maître du feu, connaissait-il ce secret? Elle pensa que oui. Il lui avait conseillé de mélanger le champignon avec la poudre des grottes, il devait savoir pour les autres pierres.
Profitant du feu, elle se fit cuire son repas, tout en réfléchissant à tout ce qu'elle venait d'apprendre.

dimanche 5 août 2012


Jianme examinait la situation. Il ne pouvait pas retourner voir le roi sur un échec. La paroi qu'il avait devant lui demanderait des mois de travaux pour y faire un chemin, sans compter le risque de réveiller les esprits mauvais. De plus il avait entrevu des mouvements en haut. Il se doutait que son ennemi avait laissé des hommes pour surveiller. Il envoya plusieurs patrouilles pour chercher une autre route. Lui-même décida d'aller explorer le lieu d'effondrement. Il s'approcha avec son groupe en prenant toutes les précautions possibles, mais rien ne se passa. Si des yeux les observaient, personne ne se manifesta. Il découvrit ce qu'il restait de la vallée. Une grande dalle était venue comme une porte barrer la vallée, des rochers de la taille d'une maison bloquaient les espaces restants. De l'eau coulait un peu par en dessous mais pas autant qu'à leur arrivée. Par contre de nouvelles sources étaient apparues en hauteur. Jianme comprit que l'eau allait s'accumuler derrière la paroi. Jusqu'à quand?
- Lieutenant ! Lieutenant !
Jianme se retourna. Un messager arrivait au galop. Il démonta avant que sa bête ne fut arrêtée. Il s'inclina et sans attendre se redressa :
- On a fait une prise, un homme du village de là-haut.
- Raconte.
- Il est arrivé sans se faire remarquer. Il conduisait un petit troupeau de bêtes de somme. C'est le chef de Tichcou qui est venu nous prévenir.
- Mon tracks !
Les deux cavaliers repartirent au galop.

Bistasio se demandait s'il avait bien fait de se lancer dans cette aventure. Les évènements ne se déroulaient pas comme prévus. Il était arrivé sans plus d'encombres à Tichcou mais son interlocuteur n'avait pas joué le jeu de la discrétion. Ses tiburs avaient été saisis et lui-même était retenu sous bonne garde en attendant l'officier qui commandait. De plus, ils parlaient une langue qu'il ne comprenait pas. Habitué au parlé rocailleux des gens de la montagne, il n'arrivait pas à suivre le phrasé chantant des hommes des plaines. Quelques mots lui étaient compréhensibles mais cela ne suffisait pas à suivre les conversations. Alors qu'il ressassait pour la centième fois ces questions, un homme entra. Il était grand. Son costume chamarré, son port hautain et les réactions du garde qui s'était mis au garde-à-vous le désignaient comme le chef.
- Vous pouvez me détacher. Je ne vais pas m'enfuir. Je suis là pour coopérer.
Le coup qu'il prit dans le ventre le plia en deux et il tomba à genoux, le souffle coupé.
- Chanti...(Tu parleras quand on te le dira.).
- Simati...(Vous n'auriez pas dû le frapper, il était prêt à vous aider).
Celui qui venait de parler était le chef de la ville de Tichcou.
- Cimap...(ça le rendra plus souple!) dit le Lieutenant Jianme. Sialt...(Vous allez traduire).
Le chef de ville fronça les sourcils mais n'ajouta rien. Il fit l'interprète pour l'interrogatoire. Il sentit la haine de Jianme pour cet homme et tout ce qu'il représentait. Les questions étaient courtes, incisives, orientées. Les réponses de Bistasio étaient plus vagues, plus descriptives. Petit à petit le lieutenant sembla prendre conscience des forces en présence. Les guerriers blancs devinrent une réalité différente des gens de la ville. Tout le monde n'était peut-être pas à mettre dans le même panier. Les noms de Rinca et de Chountic vinrent se mêler à la conversation. Puis les questions s'orientèrent sur le chemin. Des tiburs avaient réussi le voyage, donc des tracks pourraient passer. Bistasio expliqua que s'il avait pu passer avec quelques bêtes, il n'en serait pas de même pour un corps d'armée avec armes et bagages. Sur le chemin du haut, un seul homme pouvait bloquer une colonne pendant des jours.
Jianme réfléchissait à tout ce qu'il avait appris. Les guerriers du froid n'étaient pas nombreux. S'il avait compris le bouseux, il n'y en avait qu'une cinquantaine tout au plus. Avec sa compagnie, il était largement mieux doté. Il fallait en savoir plus, mais il n'avait aucune confiance en Bisatsio. A moins que celui-ci ne soit vraiment ce qu'il disait être, c'est-à-dire un résistant à l'envahisseur venu du froid. Il décida de monter une expédition par le chemin des crêtes.

vendredi 3 août 2012


Quiloma était allongé nu sur les fourrures. La Solvette lui massait le dos à la lueur du feu. Dans la grande pièce à côté, toutes les alcôves étaient occupées. Les travaux des champs fournissaient quelques accidentés, mais la grosse majorité était occupée par les guerriers blancs blessés au combat. Le retour de la petite troupe s'était fait dans la discrétion. Les deux brancards avaient directement pris la direction de chez la Solvette. Quiloma avait sollicité ses services comme il avait vu faire les gens de la ville. Elle avait souri à cette marque de respect en songeant qu'il avait bien changé depuis son arrivée. Le konsyli était mal en point. Plusieurs coups d'épée l'avaient atteint. S'il s'en sortait, il ne pourrait plus marcher normalement. Le deuxième homme avait presque perdu un bras. Devant la grimace de la Solvette, Quiloma avait compris que l'amputation serait nécessaire. La Solvette exigea de voir tous les blessés. Malgré leurs armures de cuir renforcé de plaques de métal, tout le groupe qui était au fond de la gorge était blessé. Le guetteur aux tympans crevés intéressa beaucoup la Solvette. Quiloma attendit le lendemain pour venir voir ses hommes. Le konsyli dormait. L'autre blessé grave avait été amputé. Quant aux autres, les divers pansements montraient que la Solvette avait beaucoup travaillé.
- Viens boire quelque chose. Tu vas me raconter ce qu'il s'est passé.
Ils étaient passés dans la pièce privée. La Solvette alla voir que l'enfant dormait. Quiloma s'était assis lourdement sur le tabouret. Elle prit de l'eau chaude et revint vers lui. Elle prépara le mélange de plantes et versa l'eau dans les bois.
- Va-t-elle bien? demanda Quiloma en désignant sa fille d'un geste de tête.
- Elle grandit vite et elle sait ce qu'elle veut. Comment ton guetteur est-il devenu sourd?
Quiloma raconta le combat, ses incertitudes, les raisons de déclencher le feu, son erreur d'avoir cru qu'il pourrait contrôler les allumages des bûchers séparément. Il parla du dieu Dragon qui avait dû intervenir pour boucher la vallée. Pour lui c'était la seule explication. Il connaissait bien ce mélange des deux pierres, la noire et la jaune. Il utilisait régulièrement ce mélange soit en combat pour asphyxier un ennemi dans un tunnel, soit pour repousser certaines bêtes sauvages. Jamais, il n'avait vu cela.
La conversation se poursuivit un moment. À un moment alors qu'il parlait de toutes les possibilités d'actions pour l'avenir, il prit conscience d'un corps contre le sien et d'une bouche qui le faisait taire.

Stanch rapportait à Chan ce qu'il avait entendu. Ce dernier avait bien rencontré le prince à son retour. Il ne lui avait pas dit grand chose. Stanch en avait su plus en parlant avec les guerriers blancs.
- Leur nombre diminue. Si cela continue, il n'y aura plus d'occupants.
- Oui, peut-être, mais que ferons-nous si l'armée de la plaine monte jusqu'ici?
- On pourra leur expliquer.
- Non, le maître Sorcier est formel. Il a eu une vision. Les soldats de la plaine massacrent d'abord et s'expliquent après. Notre sort est lié aux guerriers blancs maintenant. J'espère juste que le prince a raison quand il dit que le chemin est fermé.

mercredi 1 août 2012


Quiloma écoutait Ivoho lui faire son rapport. Ils avaient bien travaillé. Toute la vallée était devenue un piège après la barrière des épineux. Il savait que cela ne suffirait pas à arrêter une armée. Il décida de piéger efficacement la gorge de Cantichcou. C'était le seul endroit possible pour le passage d'une armée. Quiloma avait envoyé une main de guerriers faire la reconnaissance de la région. Ils avaient cherché toutes les routes possibles pour descendre dans la vallée. Jamais une armée ne pourrait passer par les chemins qu'ils avaient découverts. Le chemin principal passait par la gorge de Cantichcou. Les bêtes de somme pouvaient emprunter ce chemin à condition d'avoir un pied assez sûr. La route des crêtes était certes difficile, mais possible. Tous les autres chemins comportaient des difficultés quasi-insurmontables pour un petit groupe. Jamais une armée ne passerait par ces endroits-là.
Quiloma savait que si l'attaque ne venait pas rapidement, une partie des pièges ne serait plus fonctionnelle. Il ne pouvait maintenir ses hommes dans une pression constante pour les vérifier tous les jours. Il lui fallait quelque chose de permanent qui résiste à une armée ou qui lui impose des restrictions de passage suffisantes pour qu'il puisse contrôler l'ennemi. Il ne pouvait compter sur le dragon. Celui-ci vivait sa vie. Si son peuple était au service des dragons, les dragons n'étaient pas à leur service. Il avait envoyé un konsyli et son groupe chercher sa grotte refuge. Il leur avait donné les indications reçues de la Solvette. Les charcs avaient rapporté avoir vu le dragon dans la vallée sombre. C'était une série de gorges profondes inaccessibles aux parois abruptes. Les guerriers de Quiloma avaient essayé de pénétrer dedans sans y parvenir. Par contre, ils avaient vu le dragon aller et venir en volant. La gorge était trop sinueuse pour qu'on voie l'entrée de la grotte. Ils avaient donc prospecté le haut des parois. La roche trop friable, leur avait interdit de s'approcher assez pour voir dans la vallée. Mlaqui était le responsable nommé par Quiloma pour s'occuper du dragon. Il avait exploré tous les trous, toutes les cavités s'ouvrant au sommet des parois. Il avait un doute sur une cheminée naturelle qu'il avait explorée. Il avait dû arrêter son exploration car elle devenait trop étroite. Pourtant un courant d'air ascendant lui avait fait sentir une odeur qu'il connaissait, celle du dragon. La grotte devait être en dessous pas très loin. Il n'avait pas insisté. Il n'est jamais bon de déranger un dragon chez lui.
La gorge de la Cantichcou ressemblait à cela avec des parois abruptes creusées de cavités et une roche assez friable qui en interdisait l'escalade. Seulement le fond en était plus large. Un chemin longeait la rivière. Assez sinueuse, elle se prêtait à une embuscade. Il fallait la préparer. Pour Quiloma, il y avait une certaine urgence puisque la Solvette lui avait confié sentir des forces de violence à l'œuvre contre la région. Elle ne comprenait pas pourquoi. Quiloma lui avait alors expliqué que les dragons avaient des rites bien à eux. Quand un dragon prend la livrée qu'il gardera adulte, c'est-à-dire sa couleur, avait-il précisé à la Solvette, il devait commencer à amasser un trésor. Un dragon sans trésor ne trouvait jamais de femelle. Quiloma pensait que les gens de la plaine ne supportaient pas les raids du dragon et qu'ils avaient sûrement l'intention d'intervenir pour les faire cesser, voire pour récupérer leurs biens.
Quiloma réquisitionna des hommes de la ville pour faire le travail. Dans les grottes à deux hauteurs d'hommes, il avait fait installer des tas de charbon de bois qu'il avait fait mélanger avec de la roche couleur herbe sèche. Il avait fait des essais. Cela produisait beaucoup de fumée âcre et lourde. Les vents soufflant le plus souvent vers la plaine, il pensait que cela ferait fuir les ennemis. Il fit faire une chaîne avec les brancards à machpes. Les gens de la ville de nouveau récriminèrent. Deux jours aller, deux jours retour, cela faisait beaucoup de jours perdus. Chan qui avait vu le massacre de la maison Andrysio, n'avait qu'une peur : que cela recommence. Il s'appuyait sur les dires des sorciers pour imposer d'obéir. Il organisa ainsi un tour de rôle pour que personne ne soit trop lésé. Ce qui n'empêcha pas Rinca et Chountic de venir se plaindre.
La première attaque vint avant que tout ne soit prêt. Aidés par l'arc géant, des fantassins allèrent jusqu'à la barrière d'épineux. Ils n'allèrent pas bien loin. Le groupe de cinq qui montait la garde avait réagit rapidement en faisant tomber des fagots de branches épineuses en travers des passages. Dans leur rapport, ils insistèrent auprès du prince. Ils n'avaient pas été très brillants. Heureusement que le bois de stijcac était dur et qu'il avait émoussé les lames des fantassins. Ils avaient pu tirer quelques flèches. L'arc géant était une menace mortelle. Il était servi par des hommes compétents qui savaient bien le régler. A chaque flèche à pointe noire tirée répondait une flèche géante ce qui empêchait d'être efficace en protection de la barrière naturelle.
- Combien? demanda Quiloma.
- Une main de jours, mon prince. Ce sera le temps qu'il leur faudra pour passer la haie.
Quiloma grimaça. Le temps que le konsyli vienne lui faire son rapport, il se passait dejà deux jours, le temps de réagir et cela ferait deux jours de plus. Il envoya tous les guerriers disponibles pour retarder l'avancée des troupes ennemies et descendit voir le maître de ville pour qu'il réquisitionne tous les hommes et les brancards pour emmener le charbon de bois et la pierre jaune dans les grottes de la gorge de Cantichcou.
Les hommes renâclèrent quand en rentrant de leur journée de labeur, ils durent descendre dans les grottes de machpes pour récupérer les brancards encore sales des autres labeurs. Éclairés par des torches, Quiloma leur fit prendre la route sans attendre. Les femmes furent elles-même réquisitionnées pour porter les provisions. Ce fut une étrange procession. Le dragon qui volait assez haut, descendit un peu pour voir cela. Dans la nuit noire personne ne le remarqua. Tous regardaient où ils mettaient les pieds. Un jour et demi fut nécessaire pour mener à bien la descente. Même ivres de fatigue, ils travaillèrent à installer leur charge dans les grottes selon les ordres. Quiloma les fit se retirer juste à temps. Ses guerriers se repliaient en bon ordre. Chaque Konsyli qui arrivait dans la gorge venait lui faire un rapport. Quiloma était nerveux. Il avait préparé ses meilleurs archers, des feux pour les flèches, mais se demandait si son piège serait suffisant. Les rapports faisaient état de soldats aguerris qui ne reculaient pas malgré les pertes. Aidés par l'arc géant, ils avaient remporté leur première victoire en obligeant les guerriers blancs à reculer. La troupe ennemie avançait lentement mais avançait. Quelques hommes avaient été mis hors de combat par les pièges mais globalement, ils n'avaient pas bien rempli leur rôle. Les pisteurs de la plaine arrivaient souvent à les déjouer. Quatre mains de guerriers avaient pris position derrière les grottes piégées. Quiloma tenait la crête avec les autres hommes. Les flèches se mirent à pleuvoir quand l'avant-garde ennemie arriva. Ils reculèrent prestement.

- Lieutenant ! Lieutenant !
- Ici ! répondit Jianme.
L'homme se dirigea au pas de course vers l'officier.
- Je pense que nous les avons fixés. Nous venons d'essuyer une volée de flèches.
- Combien?
- Je dirais entre trente et quarante.
- Que disent les pisteurs?
- L'endroit est idéal pour un piège. Les parois sont verticales et ils tiennent les crêtes. Il existe des grottes qui pourraient nous servir si nous les atteignons, mais il y a un groupe un peu plus haut dans la gorge.
Le lieutenant Jianme avait fait mouvement vers l'entrée de la gorge. Il regarda le terrain devant lui. La vallée assez large, se resserrait brutalement. Les pentes devenaient parois et des barres rocheuses coupaient la vue vers le haut.
- Continuez à les exciter. Qu'ils gâchent un maximum de flèches.
Ayant donné ses ordres, il repartit vers l'arrière. Le terrain n'était pas facile mais avec une compagnie, il devait pouvoir en venir à bout. La barrière d'épineux avait demandé surtout du temps pour se frayer un chemin. L'arc géant avait bien rempli son office. Ils avaient essuyé assez peu de tir et le corps transpercé qu'ils avaient trouvé en haut du passage avait prouvé son efficacité. La suite de la progression avait été assez facile. De nombreuses escarmouches entre l'avant-garde et des groupes de quatre-cinq soldats mais rien de bien sérieux. Jianme avait surtout peur d'une intervention du dragon. Il l'avait vu passer au-dessus d'eux plusieurs fois sans que celui-ci ne fasse mine de s'intéresser à ce qui se passait en bas. Le troisième jour, il commençait à penser que Tzenk était mort par hasard. Le dragon voulait de l'or et il en avait. Son épée était célèbre pour sa garde et ses incrustations de pierres. Jianme avait obligé ses hommes à poser leur or et comme personne n'avait de pierre précieuse, il s'espérait à l'abri du monstre volant. Ses pisteurs avaient bien joué leur rôle pour déjouer les pièges. Deux morts seulement, c'était peu. Les traces de sang trouvé ça et là étaient le signe que leurs flèches valaient bien celles de leur ennemi. Tout blessé en face rendrait la tâche plus aisée.
Arrivé près du gros de la troupe, il appela un sergent.
- Où est-il ?
- Les tracks ne sont pas des bêtes de somme, ils n'aiment pas tirer les charges. Ils ont pris du retard.
- Quand arriveront-ils?
- Demain dans la journée!
- Trop long, je les veux à pied d'œuvre demain matin. Pars et transmets mon ordre, qu'ils marchent toute la nuit mais qu'ils soient là au lever du jour.
Le sergent salua, sauta sur son tracks et partit au galop.
En attendant, Jianme donna l'ordre de bivouaquer.

Quiloma avait donné l'ordre de ne tirer qu'à coup sûr. Il voulait donner l'impression qu'ils allaient manquer de flèches. Ce n'était pas le cas. Il avait obtenu de Kalgar des pointes de métal de bonne qualité. Ses hommes ne les aimaient pas car elles ne réagissaient pas comme leurs pointes habituelles. Il avait intensifié leur entraînement au tir pour compenser. Quand tomba la nuit, on comptait quelques blessés chez les assaillants mais pas chez les défenseurs. La nuit était avancée quand on le réveilla.
- Mon prince! Venez voir.
Quiloma vit les lueurs des torches dans la nuit. Il entendit les bruits dans le camp adverse. Il grimaça en pensant qu'ils avaient reçu des renforts. La bataille était loin d'être gagnée, pensa-t-il. Il fallut attendre le petit matin pour voir ce qu'il se passait.
L'arc géant trônait au milieu de la vallée. Il était loin, trop loin pour les tireurs de la vallée. Pour ceux des crêtes, avec l'aide de la différence de hauteur, ils avaient une chance d'être à portée de tir.
-Ivoho, essaie!
Ivoho regarda longuement les positions ennemies. Il vit les soldats décharger les lourdes flèches de l'arc géant. Prenant son arc, il s'avança au bord de la falaise. Encochant une flèche à bout de métal, il banda son arc. Il resta indifférent aux bruits venant du camp ennemi. On l'avait vu. On s'affairait pour viser avec l'arc géant. Ivoho décocha sa flèche quelques instants avant que l'arc géant ne tire. Les deux traits se croisèrent en vol. La lourde flèche fila droit sur le tireur qui se replia . Elle se planta dans un tronc non loin de Quiloma. On entendit un bruit évoquant le beuglement du macoca blessé. Quiloma se précipita pour voir une de leurs bêtes de trait s'enfuir en boitant. Bousculant des ennemis, Quiloma eut l'espoir un instant qu'elle renverse l'arc géant. Malheureusement pour lui, un soldat la détourna en la piquant avec une des grandes flèches. Il jura entre ses dents. Ivoho avait bien visé mais la portée était insuffisante. La bataille pour les gorges allait commencer.
Quiloma donna ses ordres et les informations sur les positions ennemies par code gestuel. La première attaque fut précédée par une pluie de flèches géantes sur la falaise. Ils avaient choisi un tir parabolique qui ne permettait pas de se mettre à l'abri. Quel que soit l'endroit du camp, on risquait de recevoir un projectile. Le guetteur fut touché. Le tir tomba à côté de lui. La lourde pointe de métal explosa la roche. Les éclats le blessèrent au front et à l'oeil. Quiloma dut le faire remplacer. Il ne voyait plus assez. Avant que son successeur ne soit en place, ils entendirent les cris de ceux qui chargeaient. Tout se précipita. Chacun connaissait son rôle. Protégés par de lourds boucliers de bois, les ennemis s'avançaient sur le chemin. Les guerriers blancs les plus en avant, posèrent leurs arcs et se préparèrent au corps à corps en sortant leurs deux épées courtes. Du haut de la falaise, les flèches se mirent à pleuvoir.
Jianme avait envoyé quelques dizaines d'hommes pour voir le dispositif de défense de cette gorge. Passer par la falaise était impossible. La roche en était pourrie. Il lui fallait passer en force. Il était content d'avoir fait venir le grand arc. Sa puissance allait être précieuse. La situation lui évoquait un siège quand la première brèche est ouverte. Il ne doutait pas de sa victoire. Il vit les archers, d'ailleurs pas très nombreux, de chaque côté. Il nota la position du premier groupe des défenseurs dans la gorge. Ils étaient derrière les rochers, probablement dans une de ces grottes. Il vit les premiers combats et la qualité des combattants. Il donna l'ordre de repli.
Quiloma fut étonné du retrait des ennemis. Il avait pensé qu'ils passeraient en force. Ils avaient sûrement une autre stratégie. Il fit le point, en haut, un blessé qui pouvait se battre, en bas, un konsyli plus sérieusement touché était hors de combat, ainsi que quelques autres moins atteints. Il n'y avait pas de morts, pas encore. Le reste de la journée se passa à attendre. Quiloma fit améliorer les défenses. Les ennemis n'allaient pas attaquer avec le soleil de face. Il fit préparer ses hommes pour le lever du jour.
La première grande flèche qui arriva, ne surprit personne. Elles se mirent à tomber régulièrement. Tout le monde se prépara au combat.
Jianme avait estimé le nombre de ses ennemis à quelques dizaines. Sans remparts, ils ne pouvaient pas tenir très longtemps. Le grand arc prépara le terrain.
Le premier groupe s'avança dans la gorge. Les lourds boucliers devant et au-dessus les protégeaient des flèches. Jianme avait fait préparer trente hommes. Comme un long serpent cuirassé, il avançait vers sa proie. Le grand arc tirait beaucoup mais pas assez vite pour empêcher l'action des jeteurs de pierres. Heureusement pour les attaquants les parois de la gorge n'étaient pas des remparts. De nombreuses pierres rebondissaient mal et s'écrasaient dans le ruisseau sans toucher personne. Jianme fit partir le deuxième groupe. Dès qu'ils se trouvèrent à l'entrée de la gorge, ils posèrent des échelles pour atteindre le premier niveau des grottes. Les défenseurs furent obligés de séparer leurs forces en deux.
Quiloma jura en voyant ces espèces de tiampos à plaques. On rencontrait ces animaux cuirassés dans le désert de glace. Ornés de lourdes plaques résistantes, les tiampos ne craignaient pas les épées. Accrochés à la glace, seul le feu pouvait les arrêter. Avec deux groupes d'ennemis progressant en bas, ses hommes ne tiendraient pas sans aide. Il décida d'enflammer le premier bûcher. Il fit signe à deux archers sur l'autre berge. Les deux hommes, côte à côte, tirèrent des flèches enflammées. Les premières furent inefficaces. Ils recommencèrent. Tout occupés à leur mission. Ils ne virent pas arriver la lourde flèche. Quiloma vit ses hommes se faire embrocher. Ils restèrent un instant comme figés puis lentement, ils basculèrent vers l'avant. Leur chute se fit sans un cri pendant que le bruit des premiers combats montait du fond de la gorge. Sans attendre, deux autres archers prirent leur place, décochèrent et se replièrent avant l'arrivée de la grande flèche. Le feu prit dans les branchages. Au départ, c'est à peine si on voyait la fumée. Le deuxième groupe des attaquants progressait juste en dessous. Quiloma ne voyant rien des foyers qui débutaient, fit préparer les cordes de lianes pour venir en aide à ceux qui combattaient en bas. Alors qu'on jetait la première, l'odeur caractéristique de pourri se fit sentir. Bientôt, Quiloma vit les volutes jaune-vert prendre du volume. Le bruit des combats cessa. Les guetteurs signalèrent le repli des ennemis. Le vent était favorable. Un gentil zéphyr courait dans la gorge. Quiloma eut un rictus de satisfaction. Bientôt c'est tout le camp ennemi qui allait être touché. Ses guerriers avaient comme ordre de se replier dès que viendrait la fumée. Ils avaient confectionné des masques en fibres végétales pour filtrer l'air.
Jianme enrageait. Il pleurait et toussait depuis un bon moment. Cette fumée était un mystère. Il y voyait la marque du dragon. Seul un souffle de ce monstre pouvait exhaler une telle puanteur. Elle était sortie d'une grotte juste au-dessus du deuxième groupe d'assaut. L'attaque se passait comme prévue. Le premier groupe avait établi le contact. Les combats étaient violents. Les longues épées et les boucliers avaient des avantages mais rendaient la manœuvre difficile dans cette gorge étroite. Les ennemis, ces infâmes serviteurs du démon, avec leurs deux épées courtes et leur petite taille avaient l'avantage de la mobilité. Alors que le deuxième groupe allait intervenir, les forces infernales s'étaient manifestées. Jianme avait fait reculer ses troupes jusqu'à avoir de l'air respirable. Il décida de préparer un rite pour contrer cela.
Quiloma avait aussi fait reculer ses hommes. Seul un guetteur restait pour surveiller l'ennemi. D'où il était, Quiloma voyait que le feu ne s'épuisait pas comme il avait pensé. Dans cet espace confiné qu'était la gorge de Cantichcou, la chaleur augmentait. Les autres bûchers étaient trop près. Pendant qu'il soignait les blessés, il vit un deuxième feu prendre puis celui d'au-dessus. Bientôt toute la paroi fut couverte de flammes. Ce qu'il se passa ensuite lui fut incompréhensible. Les légendes racontèrent que dans les flammes était apparu le dieu Dragon. Celui-ci avait alors fait exploser la roche provoquant le comblement de la gorge.
Quiloma n'en croyait pas ses yeux. La montagne avait ondulé comme si une main gigantesque l'avait modelée. Une épaisse fumée noire s'échappait du tas de roches qui obstruait la gorge. Le bruit, gigantesque, les avait quasiment rendus sourds. Le guetteur revint plus vite que prévu. De ses oreilles coulait du sang.
Dans le camp de Jianme, tout le monde était à terre. Les fumées jaune-vert irrespirables avaient fait exploser la falaise. Un vent de panique soufflait. Ils avaient vu voler des roches qu'aucun humain n'aurait pu soulever. L'une d'elles avait écrasé le grand arc comme s'il n'était que brindilles. Les animaux avaient rompu leurs liens et avaient fui. Les hommes se relevaient lentement, regardant autour d'eux comme s'ils voyaient le monde pour la première fois. Jianme regardait la gorge de Cantichcou. Une fumée épaisse et noire comme la nuit continuait à s'échapper de l'éboulis. Le passage avait disparu. La rivière s'asséchait.