mardi 18 septembre 2012

Les tiburs n'étaient pas des bêtes faciles. Ils pouvaient être extrêmement têtus. C'est ce que pensait Tandrag alors qu'il essayait de faire manœuvrer les bêtes qu'il avait sous sa garde. Le grand mâle ne voulait pas revenir vers la grottable. Il avait décidé d'aller vers le fond et pas vers l'entrée. Tandrag essayait de le ramener vers la lumière. Si la bête n'était pas agressive, elle était braquée. Le tibur s'était appuyé sur la paroi et résistait ainsi à la traction de Tandrag. Du haut de ses trois saisons, ce dernier s'arc-boutait en tirant sur la longe sans aucun résultat. Il avait demandé, crié, injurié l'animal qui faisait vingt fois son volume sans que celui-ci ne bouge. Heureusement, les femelles ne semblaient pas avoir envie de s'éparpiller. Quand il était arrivé dans les étables, Tandrag avait apprécié. Les grottes-étables ou grottables avaient toutes des accès à la lumière naturelle. Les tiburs ne supportaient pas la nuit intégrale. Il y régnait une chaleur plutôt douce. L'odeur forte des bêtes plaisait bien à l'enfant. Il s'était retrouvé à plusieurs de même saison. Non, vraiment, il n'avait pas regretté les grottes à machpes. Le petit groupe d'enfants avait trouvé sa place parmi ceux qui s'occupaient des bêtes. Leur rôle était d'aller faire boire les tiburs par petit troupeau. Cela les occupaient toute la journée vu le nombre d'animaux. Les plus grands s'occupaient du fourrage et des litières. Le matin Tandrag faisait le tour de ses bêtes. Avec le temps, il avait appris le nom de chacune. Une fois vérifié que tout allait bien, il emmenait le premier lot vers la grotte de l'eau. Il y avait alors tout un jeu subtil pour arriver à faire boire ses bêtes avant celles des autres. Cela se jouait entre gens de la même maison mais aussi entre les différentes maisons. Tandrag aimait ces déplacements et déployait beaucoup d'astuces pour arriver en tête au point d'eau. Mais aujourd'hui le grand mâle tibur ne voulait rien savoir. Rmata avait décidé qu'il n'obéirait pas. Sûr de sa force, il ne laissait aucune chance à son gardien. Derrière les femelles restaient groupées et attendaient. Tandrag enrageait. Il avait vu passer le groupe de Tsien et celui de Melk. On était au milieu de la journée et jamais il ne pourrait quitter les grottables tôt. Il en aurait presque pleuré. Soudain Rmata se redressa et beugla. Tandrag se retrouva assis par terre. Il mit quelques secondes à comprendre. Un autre troupeau arrivait. Ce beuglement était un cri de défi. Tandrag avait déjà entendu cela lors des parades pour les femelles. Pour Rmata, celui qui arrivait était un concurrent. Dans la maison Chountic, il avait éliminé ou soumis tous les mâles présents. Aucun ne s'opposait à lui lors des rites d'accouplement des bêtes. Même si Rmata ne vivait dans sa grottable qu'avec une dizaine de femelles et de petits, il était celui qui dirigeait le troupeau de la maison Chountic dans les pâtures, celui qui attaquait les loups et autres prédateurs quand ils étaient trop prêts. Tandrag essaya de percer la pénombre. Il entendait effectivement un troupeau arriver mais ne pouvait en deviner la maison. Un beuglement répondit à celui de Rmata. Tandrag ne sut plus quoi faire. On lui avait déjà parlé de combat de mâles dans les tunnels. En général cela se finissait mal. L'un des deux protagonistes restait sur le sol. Cela finissait en affrontement entre les maisons. Qui était responsable ? Qui payait à l'autre les dégâts ? Sans parler des blessures voire pire aux gardiens. Rmata martela le sol. Lui qui avait opposé toute son inertie à Tandrag, était maintenant une masse de muscles bandés, prêt à l'action. Tandrag tira sur la longe, ce qui n'eut strictement aucun effet. En face, il devina un autre mâle martelant lui aussi le sol. Les deux mâles raclaient le sol et beuglaient chacun leur tour. Tandrag avait déjà vu cela dans un champ. Les bêtes se défiaient pendant un moment et puis c'était l'affrontement. Les deux bêtes chargeaient et front contre front, se poussaient, se bousculaient, se frappaient à coup de sabots, se mordaient jusqu'à ce qu'un mâle cède. Malheur à celui qui se trouvait entre les deux. Les femelles s'éloignaient prudemment. Restaient les deux gardiens. Sensiblement du même âge, il tenait chacun la longe de leur animal. Mais vingt fois moins lourds, ils se savaient impuissants. Entre le désir de la fuite et le savoir de la punition qui les attendaient pour avoir laisser se développer une telle situation, ils étaient dans l'impossibilité de réagir sereinement. Les beuglements se firent plus forts, plus longs. Le moment de la confrontation approchait. Tandrag tremblait de tous ses membres mais ne lâchait pas la longe. Son homologue choisit la fuite, le laissant seul face aux deux bêtes prêtes à la confrontation. Tandrag sentit la longe se tendre. Rmata avait fait un pas en avant. Il était fils d'un chef de maison. Il ne pouvait laisser faire. La peur au ventre, il cria de toutes ses forces :
- Ça suffit, Rmata !
Il eut la surprise de sentir la corde se détendre et d'entendre le reniflement bruyant de la bête. Rmata passa de la colère la plus noire à la peur. Il déféqua et entraînant Tandrag partit au galop vers sa grottable. Tandrag sentit la corde lui brûler les mains avant qu'il ne s'étale par terre. Quand il releva la tête, l'autre troupeau avait fait pareil. Les femelles avaient pris le parti de suivre leur chef. Il était maintenant seul au milieu du couloir, étalé dans la bouse du tibur. Étonné, il se releva. Devant les dégâts à ses vêtements, il se demanda ce qu'il devait faire.
- Tu devrais aller te laver. Tu sens la bouse de tibur.
Tandrag se retourna pour voir qui parlait. Devant lui se tenait un adulte, s'appuyant sur son bâton. Même dans la pénombre, il eut le regard aimanté par ce bâton. Il en resta bouchée bée. Il n'en avait jamais vu de pareil. Presque aussi haut que l'homme, il était couvert de dessins merveilleux qui semblaient onduler devant lui.
- Comment t'appelles-tu, enfant ?
Tandrag ferma la bouche, avala sa salive :
- Tandrag, je suis de la maison de Chountic, son enfant deuxième né.
- Ah, c'est toi ! dit l'homme, et bien heureux de te rencontrer. Je suis Kyll. Je viens pour la fête de la longue nuit.
Tandrag regarda mieux. Trois sorciers le suivaient. Ils étaient restés en retrait et ne disaient rien. Kyll devait être un sorcier. D'ailleurs qui, à part un sorcier, voyagerait en plein hiver pour venir fêter la longue nuit ?
- Tu sens vraiment mauvais, reprit Kyll.
- C'est à cause des tiburs.
- Oui, j'ai entendu leurs beuglements. Alors j'ai pressé le pas.
- C'est à cause de vous qu'ils se sont enfuis comme cela ?
- Non, pas tout à fait à cause de moi. A cause de mon manteau, tissé de poils de crammplac et à cause de mon bâton.
- Il est beau comme un dragon.
Trandag se mordit la lèvre. Pourquoi avait-il dit cela ? Un bâton pouvait-il être comparé à un dragon ? Et pourtant, son regard captivé par les sinuosités des gravures voyait comme le vol du dragon.
- Tu es observateur, Tandrag, fils de Chountic.
Kyll recouvrit le haut du bâton d'un tissu. La magie n'opéra plus. Tandrag put regarder le personnage avec plus d'attention. Sa tenue était simple, elle évoquait pourtant la puissance. Tandrag ne savait pas si d'autres sorciers habitaient d'autres villes, mais celui-là devait être un maître parmi les sorciers.
- Il faudra qu'on se rencontre plus longuement, dit Kyll. Quand tu seras propre. Allez, va te laver.
Tandrag partit en courant vers la grotte abreuvoir. Il entendit quand même les trois autres sorciers disant :
- C'est lui ?

samedi 15 septembre 2012

Tandrag en avait assez des grottes. Il souffrait d'être enfermé sans voir la lumière du jour. Au bout de quelques jours, comme rien de nouveau n'arrivait, il commença à trouver que les torches n'avaient rien de palpitant, que les changer était un boulot sans intérêt. Comme le lendemain de son absence personne n'avait fait de remarque, il se dit qu'il pourrait peut-être refaire une petite fugue. Cela ne changerait rien pour les autres et lui serait plus heureux. N'était-il pas le fils du chef de maison ? Il se mit à guetter le moment favorable. Il entendit un soir au repas parler de nouvelles grottes à nettoyer pour le lendemain. Sentir à nouveau l'odeur nauséabonde des moisissures qui poussaient là, lui sembla au-dessus de ses forces. Il décida de profiter du flottement engendré par les nouvelles tâches pour fausser compagnie au groupe. Il prit quand même le soin de dire à Tilcour qu'il partait avec le groupe du secteur trois. Celui-ci, tout occupé à distribuer ses ordres, lui grogna une réponse qu'il décida de prendre pour un accord. Il avait fait à peine une centaine de pas, c'est-à-dire qu'ils n'étaient plus en vue de l'entrée, quand Tandrag dit au chef de groupe :
- J'ai oublié de donner un message à Tilcour. Je vais lui dire et je partirai avec le groupe deux.
Le chef de groupe lui donna une petite tape sur la tête et répondit :
- Cours, tête d'oiseau, va lui dire, je te laisse aller. Tu ne risques pas de te perdre.
Tandrag ne se le fit pas dire deux fois. Il fila sous le regard du chef qui le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il arrive au carrefour et qu'il tourne du bon côté. Tandrag joua le jeu en courant sans s'arrêter. Une fois hors de vue, il se glissa dans un refuge qu'il avait découvert. De sa sombre cachette, il observa Tilcour qui se découpait en ombre chinoise à la sortie. Il parlait fort. Tandrag entendait tout ce qu'il disait.
- ...allez vers le secteur quatre pour commencer à nettoyer, puis après le repas vous viendrez aider au secteur trois. Maintenant allez et ne traînez pas. Je dois faire mon rapport à Chountic ce soir ? Faites qu'il soit content de ce que je lui dirai.
Le groupe passa devant lui en maugréant après Tilcour qui leur donnait toujours les plus mauvais secteurs. Tandrag fut étonné de ne pas voir Tilcour. Il arrivait que ce dernier reste dans la ville pour régler d'autres problèmes. Il attendit un moment avant de sortir de sa cachette et se dirigea vers le bout du tunnel. Il se cacha à nouveau derrière le tas de torches entreposées à cet endroit. Il y avait toujours, près de chaque entrée un vaste recoin, où l'on entreposait des torches pour ceux qui allaient travailler dans les grottes. Chaque maison participait au renouvellement du stock. Tandrag entendit les gens d'une autre maison, se servir dans le tas. Ils discutèrent, le temps de les allumer, des bonnes dates pour la plantation des machpes, des rites des sorciers et de ce que cela coûtait. Il les entendit s'éloigner. Il attendit encore un moment avant d'oser mettre le nez dehors. C'était un jour gris. La neige tombait, étouffant les bruits et bouchant la vue. A cause des circonstances, il prenait le risque de ne pas entendre approcher un adulte, mais d'un autre côté, on ne pouvait pas le voir de loin. Il fit aussi vite qu'il put la distance qui le séparait de sa destination. Il avait repéré un passage entre deux planches dans le soubassement de la grange. Plus exactement, il avait remarqué Abci se glissant par la fente. Cela lui avait donné l'envie d'aller voir ce qui se cachait là-dessous. Il était contre le mur de planche quand il entendit le piétinement. Il se dépêcha de se glisser dans l'espace qu'il venait de dégager. Il regarda ce qui faisait tout ce bruit. Il vit le poitrail imposant d'un tibur mâle emmenant le troupeau de la maison Rinca. Son père aussi avait des bêtes. Elles étaient en stabulation plus bas dans les grottes non loin de l'eau. En hiver des sources jaillissaient dans ces parties de la montagne mais en été, il fallait aller chercher l'eau dans la rivière. Il soupira. Soigner les tiburs était sûrement plus amusant que de changer des torches au fond des grottes sans lumière. Il attendit la fin du passage pour se retourner vers l'intérieur de la grange. Il était derrière le fourrage d'hiver. Comme toutes les maisons, la maison Chountic avait besoin de beaucoup d'espace pour stocker les quantités de fourrage nécessaire aux bêtes durant le long hiver. Il était dans la grange où étaient entreposées les longues herbes sèches qui servaient de litière et de nourriture d'appoint. Elles ne fermentaient pas, ce qui était un avantage dans des bâtiments en bois. Elles gardaient une odeur un peu poussiéreuse et servaient de nid à de nombreux rongeurs. Abci et ses congénères venaient chasser ici. Tandrag se déplaça doucement sur la terre battue. Il voyait fuir les rongeurs devant lui. Cela l'amusait de voir tous ces petites boules de poils grises courir se cacher sous les herbes. Il avança comme cela jusqu'au bout de la grange. L'endroit était tranquille en ce début d'hiver. On commençait par les réserves des grottes. Il se dit qu'il serait bien caché en haut du tas pour dormir. Il escalada une palissade de planche comme on monte sur une échelle. Arrivé en haut du tas d'herbes il se jeta dessus. Il apprécia la souplesse de ce matelas qui l'accueillait. Il s'installa à son aise et sombra bientôt dans le sommeil.
Il se réveilla en se demandant où il était et ce qui avait pu le réveiller. Il entendit à nouveau les bruits. Quelqu'un était dans la grange. Il fut tétanisé. Il eut peur de se faire découvrir. Il regarda autour de lui pour trouver une échappatoire. Il prit conscience que les bruits qu'il entendait n'étaient pas des signaux de danger. Avec des gestes lents, il s'approcha du bord du tas. En dessous, sur une autre plateforme d'herbes, deux corps enlacés bougeaient en rythme. Tandrag fut fasciné par ces mouvements. Cela lui évoqua l'accouplement des tiburs. C'était donc cela les bruits qu'il avait déjà entendus une fois ou l'autre. Après une accélération, les deux corps s'arrêtèrent. L'homme se retourna sur le dos. Tandrag recula vivement : Tilcour !
Il jura comme il avait déjà entendu les adultes faire. Il allait être découvert. Tandrag sentait son cœur battre à tout rompre. Rien n'arriva. Il entendit des mouvements en contrebas. Il revint à son poste d'observation.
- Bon, dépêche-toi. Il ne faudrait pas que Chountic se doute de quelque chose.
La voix aiguë de Miatisca répondit.
- Il est déjà plein de malch !
Tandrag sentit la colère monter en lui contre cette femme qui détruisait son père.
- Je rentre mais toi, fais ce que tu dois faire. Si on n'en profite pas maintenant, après ce sera trop tard.
- Ne t’inquiète pas pour cela. J'ai déjà l'acheteur.
Tandrag les entendit partir. Ainsi c'est cela qu'il faisait. Il se demanda ce qu'il devait faire de ce savoir. Il ne se voyait pas dire cela à quelqu'un. Il faudrait qu'il avoue qu'il avait fugué. Il resta perplexe un bon moment. Puis ses pensées furent distraites par Abci qui venait d'apparaître dans la pénombre. Le félin leva la tête et regarda Tandrag. Il sauta de botte en botte jusqu'à arriver à hauteur de Tandrag. Il vint se frotter en ronronnant. Tandrag en oublia ses interrogations et s'occupa de caresser Abci avec application.
Quand arriva le milieu de la journée, il se dit qu'il n'avait pas pensé à prendre de la nourriture. Son estomac lui rappela douloureusement ce fait. Il fit un nouveau plan. Il allait retourner dans les grottes et se joindrait au groupe pour le repas en évitant d'aller là où serait Tilcour. Il se mit en route. Arrivé à la fente, il guetta pour être sûr que la rue était déserte. Il se glissa dehors. Il se mit à courir vers les grottes. Un ordre claqua :
- Toi, arrête !
Tandrag s'immobilisa en tremblant. Il regarda qui avait parlé. Il jura à nouveau comme les grands qu'il avait entendus. Bistasio !
- Sais-tu où est Tilcour ?
- Non, je le cherche, répondit Tandrag avec soulagement. Il pensa qu'il avait peut-être une chance d'éviter de se faire disputer.
- Il devrait être dans le secteur trois, ajouta-t-il.
- Alors, allons-y.
L'homme et l'enfant partirent ensemble dans les grottes. Tandrag se chargea de torches pour avoir un prétexte possible pour son absence. Heureusement pour lui, Bistasio semblait connaître le chemin et ne pas faire trop attention à ses explications. Tandrag fit un effort pour mémoriser les points clés de leur itinéraire. La nervosité le gagna au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient du secteur trois. À leur arrivée, Tilcour les regarda. Il se leva précipitamment.
- Toi, va manger, dit-il d'un ton dur à Tandrag.
Puis prenant Bistasio par le bras, ils s'éloignèrent. Il revint seul alors que Tandrag finissait de manger. Tilcour l'attrapa par un bras, le mit debout :
- Tu crois que tu vas t'en sortir comme cela. Tu penses que tu peux faire ce que tu veux. Quand je vais dire cela au maître ce soir, il te fera fouetter, fils ou pas fils. Et d'abord, où étais-tu ?
Tandrag s'éloignait le plus qu'il pouvait. La main qui lui serrait le bras lui faisait mal. Quand il entendit parler de fouet, il eut peur. Tilcour disait vrai. Tandrag connaissait les punitions pour ceux qui ne faisaient pas leur travail.
- J'étais dans la grange, hoqueta-t-il, prêt à éclater en sanglots
Tilcour se calma immédiatement. Le lâchant, il lui dit :
- Dans la grange des herbes litières ?
- Oui, renifla Tandrag.
D'une voix plus douce, Tilcour demanda :
- Pourquoi tu as fait cela ? Je t'ai cherché partout.
Éclatant en pleurs, Tandrag balbutia :
- Je ne peux plus sentir les moisissures.
- Bon repose-toi là, on verra ce soir.
S'il n'avait pas pleuré, Tandrag aurait vu les regards étonnés qu'échangeaient les ouvriers. Personne ne dit rien et chacun plongea le nez dans son écuelle quand Tilcour se redressant jeta un regard circulaire autour de lui.
L'après-midi se passa morne et triste. Tandrag s'occupa des torches en s'interrogeant sur ce qui l'attendait le soir. Quand Tilcour donna l'ordre du départ, il ne savait pas s'il était soulagé ou s'il avait peur. Le chemin lui parut long jusqu'à la maison. Quand arriva le moment où chacun regagnait ses pénates, Tilcour le prit par le bras. Tandrag suivit sans résistance. Il savait qu'il allait se retrouver devant son père. Alors que toujours entraîné par Tilcour, ils remontaient le couloir, Miatisca sortit de la chambre du père, un pot de malch vide à la main. Elle s'arrêta à la hauteur de Tilcour :
- Tu l'as vu ?
- Oui, mais il y a plus grave. Tandrag était dans la grange.
En entendant cela, Miatisca jeta un regard noir vers l'enfant. Elle se pencha pour se mettre à sa hauteur :
- Qu'est-ce que t'as vu, toi ?
- Rien...
- Ne mens pas !
- Presque rien, dit Tandrag de nouveau au bord des larmes, vous étiez...
La porte s'ouvrit à toute volée, Chountic en sortit en hurlant :
- Alors ce malch, ça vient, Mia....
Il s'arrêta net en voyant les trois personnages dans le couloir.
- Tandrag ? Qu'est-que tu fais là ?
Tilcour l'avait lâché et Miatisca s'était redressée. Moité pleurant, Tandrag s'adressa à son père :
- Je ne veux plus aller dans les grottes...
- Entre, répondit Chountic. Toi aussi, Tilcour. MIATISCA, AMÈNE DU MALCH !
Ayant hurlé les derniers mots, il rentra dans sa chambre. Tandrag le suivit. Tilcour avait à peine fait un pas que Miatisca l'attrapa :
- Éloigne l'enfant des grottes, sinon on ne pourra pas conclure.
- TILCOUR ! hurla Chountic de l'intérieur.
Il se dépêcha d'entrer.
Quand Miatisca revint en portant le lourd pot de malch noir, elle trouva Chountic non pas affalé comme il en avait l'habitude mais bien droit sur son siège de maître de maison. Tilcour et Tandrag étaient debout devant lui. Tilcour, la tête droite, regardait son maître, Tandrag la tête baissée écoutait son père :
- … intolérable conduite de la part d'un fils qui doit être l'exemple pour les gens de la maison. Cela appelle une punition.
- Oui, Père.
- J'ai entendu la supplique du maître des services. Son intérêt pour toi, son attention à ton égard et le profond respect qu'il témoigne à notre service, plaident pour que cette punition soit suspendue si tu rachètes ta conduite par l'obéissance dans le nouveau service qui sera le tien.
- Oui, Père.
- J'ai donc décidé qu'à partir de ce jour, tu seras affecté au soin des tiburs et autres animaux. Ne me déçois pas, sinon ma colère sera grande.
- Oui, Père.
- Maintenant, va et laisse-nous.
- Oui, Père.
Tandrag mit un genou à terre, salua d'une inclinaison du buste et sortit. Il n'irait plus dans les grottes. Il n'en revenait pas. Quand Tilcour l'avait emmené voir son père, Tandrag pensait au fouet. Il avait vu suffisamment de punitions pour toutes sortes de motifs. Il savait qu'il méritait le fouet pour avoir déserté son poste dans les grottes. Il ne comprenait pas pourquoi Chountic ne l'avait pas décidé. C'est vrai que Tilcour avait plaidé pour lui. Pourtant il avait senti comme à chaque fois son père comme gêné devant lui. Il y avait là un mystère qu'il ne comprenait pas. Il ne retenait qu'une chose, il n'aurait pas le fouet.

mercredi 12 septembre 2012

- Jorohery était plus mort que vif. Sans ce regard de feu qui brûlait au fond de ses orbites, je n'aurais pas donné cher de sa vie. Mon prince m'a donné les ordres pour faire un traîneau brancard. La crainte des hommes était palpable. C'est alors que mon prince a dit à Mitsiqui de le cacher à la vue des hommes le plus vite possible. Je peux t'assurer, Eéri, que même fatigués, tous ont travaillé vite pour finir le traîneau couvert. Nous avons pu reprendre la route deux jours après. C'est Mitsiqui qui a donné le signal. Dans son groupe, il y a Taumza.
Devant l'air interrogateur de Eéri, il dit :
- Mais si, tu le connais, c'est le jeune frère de Zothom. Il tient de son peuple de gestes qui soignent. C'est lui qui s'est occupé de Jorohery. Le macoca tirait le traîneau, mais il ne pouvait pas aller vite. Mon prince a discuté avec Qualimpo. Comme Jorohery avait demandé cette phalange pour l'accompagner en plus de la nôtre, il a accepté comme un honneur de servir de garde à Jorohery pendant que nous prendrions de l'avance pour aller nous mettre sous les ordres du Prince Majeur. Le lendemain, nous sommes partis au pas double comme à l'aller pour rejoindre les terres du Grand Royaume. Mon Prince pensait que nous mettrions deux mains de jours pour arriver et nous avons gagné une journée. Ce fut une belle course. Mon Prince a félicité les hommes au regroupement avant d'entrer dans La Blanche.
- Qu'est-ce que la blanche ? demanda Cilfrat.
- C'est la capitale du Grand Royaume. Quand vous ferez le voyage jusqu'à là-bas, vous ne pourrez qu'être séduite. Imaginez des palais et des rues pavées de la plus belle des pierres de glace. Mon Prince s'arrête toujours sur la dernière crête avant de rentrer pour contempler la ville. Mais ce jour-là certaines pierres étaient noires. Mon Prince ne nous a pas laissés nous reposer et nous arranger pour entrer en ville. Il a redonné l'ordre du départ immédiat en armes. C'est les armes à la main, prêts à tout que nous sommes entrés dans La Blanche. Les gardes de la phalange de la ville nous ont arrêtés à la porte. Un konsyli nous a expliqué que les Gowaï avaient fait un raid montés sur des crammplacs poilus. L'attaque avait eu lieu, trois jours auparavant en l'absence du Prince Majeur qui conduisait les phalanges à la guerre. Mon Prince a contenu sa colère. Ce n'est pas tant aux Gowaï qu'il en voulait. Depuis le temps qu'on leur fait la guerre, on sait bien qu'ils ne se soumettront qu'à l'arrivée d'un nouveau roi dragon. J'ai senti sa rage monter contre le prince Tramstout. Que cet incapable ait été nommé prince huitième en charge de la capitale le révulsait. « Où est le prince Tramstout ? » a-t-il demandé. « Il se repose. Il a été blessé pendant la bataille ! » lui a-t-on répondu. Mon Prince Méaqui m'a envoyé au fort avec les troupes pendant qu'il allait rendre visite au prince Tramstout. Je ne l'ai revu que tard dans la soirée. Il était furieux. Non seulement, Tramstout avait mal défendu la ville, mais en plus sa blessure était une égratignure dans le dos. J'ai rarement vu mon Prince dans un tel état. Tramstout n'aurait pas été prince huitième, il l'aurait défié en duel de dragon.
- C'est quoi un duel de dragon ? chuchota Miasti à l'oreille de Tandrag.
- Chut, écoute ! lui répondit-il.
- Ah ! Oui Cilfrat, vous ne connaissez pas nos coutumes. Quand un prince juge qu'un autre prince de même rang a perdu l'honneur, il le défie en un combat à mort. C'est cela un duel de dragon. Quand deux dragons se battent pour une belle, il ne peut en rester qu'un. Mais mon Prince ne pouvait pas faire cela pour Tramstout. Un prince huitième ! Ce n'est pas possible...
- Il aurait dû demander au Prince Majeur pour le défier, suggéra Eéri.
- Malheureusement, le Prince Majeur était à quatre mains de jours de voyage. Il avait laissé ses ordres pour nous. Dès le lendemain nous devions faire mouvement pour aller renforcer nos phalanges dans la plaine du vent. Mon Prince a fait son rapport au vieux Prince troisième qui a envoyé un messager pour prévenir le Prince Majeur. Le vieux Prince Troisième a donné l'assurance que tout serait prêt pour l'arrivée du Bras du Prince Majeur. J'ai bien voulu le croire. Il a toujours aussi peur de Jorohery.
- Vous êtes reparti aussi vite ?
- Oui, le temps semblait manquer. Mon Prince soupçonnait le Prince Majeur d'avoir écouté de mauvais conseillers pour cette campagne. Trop occupé par la succession et par la chasse à l'enfant et à l'anneau, il avait négligé les rapports alarmants sur le nombre de Gowaï à nos frontières et sur la prolifération des crammplacs poilus. Ce fut de nouveau la course pour nos deux phalanges. Malgré son inexpérience, le prince Qualimpo a bien géré ce voyage vers le lieu du combat. Nous avons établi le contact au bout de trois mains de jours. Les phalanges marchaient en bon ordre mais nous avons senti le vent de la défaite. Mon Prince et le prince Qualimpo sont allés présenter leurs salutations au Prince Majeur. Celui-ci a fait arrêter son macoca pour s'entretenir avec eux. Cela a beaucoup impressionné les autres princes. Que le Prince Majeur fasse une pause pour recevoir des princes dixièmes est inhabituel. Mon Prince m'a rapporté quelque temps plus tard, que le Prince Majeur voulait des nouvelles de l'enfant, de l'anneau. Le dragon l'a beaucoup intéressé. Malheureusement, les Gowaï ont attaqué. Soutenu par des crammplacs poilus, le combat fut rude. Manifestement, ils visaient le Prince Majeur. Les phalanges se sont mises en position de défense. J'ai admiré le travail des sapeurs qui ont réussi à construire des murs pour nous mettre à l'abri. Quand la nuit est arrivée, nous avions un rempart qui faisait le tour de notre position. Il n'était pas très haut mais nous a bien servis. Par les autres phalanges, nous avons appris que cela faisait une main de jours que les Gowaï attaquaient ainsi la colonne. Le but du Prince Majeur était d'atteindre le bord de la grande plaine pour se réfugier dans le fort Smiloun. Pour faire bouger toutes les troupes, il fallait compter encore une main de jours. Les attaques des Gowaï tenaient plus du harcèlement que de l'attaque en règle. Elles étaient pourtant particulièrement meurtrières. Qualimpo en fit l'amère expérience. Étant en périphérie du dispositif au début du combat, sa phalange avait encaissé le premier assaut. Quand le silence était revenu, Qualimpo était encore debout. Si tu l'avais vu, il s'est battu comme un dragon. Sa tenue blanche était rouge du sang des ennemis. A ses pieds, un crammplac poilu agonisait. Qunienka n'a pas démérité. Avec trois konsylis et leurs hommes, ils ont cassé le mouvement d'attaque, l'obligeant à se détourner. Le Prince Majeur leur doit beaucoup. Il a fait venir Qualimpo et Qunienka devant lui avec ce qu'il restait de la phalange. Simplement armés de leurs armes légères de déplacement rapide, ils ont tué trois crammplacs et de nombreux Gowaï. Le Prince Majeur les a félicités et a créé pour eux une escouade rouge dans sa phalange personnelle. «  Quand nous serons au fort Smiloun, vous irez voir le prince Remnia qui dirige ma phalange, il vous dira ce que vous ferez. »
- Il a créé un groupe pour eux ! s'exclama Eéri.
- Oui, ils le méritaient. Il ne restait plus que quatre mains d'hommes valides quand les Gowaï sont repartis. C'est sa phalange qui a eu le plus de pertes en une fois. Les autres phalanges ne valaient guère mieux. C'est ce qu'on a découvert le lendemain en marchant avec eux. Pour notre part, nous étions déjà au centre du dispositif quand les ennemis sont arrivés. Nous avons eu des blessés et un mort. L'attaque suivante ne nous a pas surpris. Nos guetteurs avaient repéré le groupe d'attaque des Gowaï. Ils n'ont pas insisté. Les jours ont passé avec cette peur de l'attaque. Elle arrivait chaque jour, parfois d'une violence inouïe comme au moment de notre arrivée, parfois nos guetteurs donnaient l'alerte assez tôt pour monter les murs. Quand nous avons atteint le fort Smiloun, nous n'avions pas fière allure. Mon Prince était blessé aux bras. Sa crainte était d'avoir été empoisonné par une lame perfide. Moi, j'avais croisé le chemin d'un crammplac mais comme j'étais au centre de deux mains d'hommes, nous l'avons abattu avant qu'il ne fasse trop de dégâts.
Lozadi releva sa manche droite. Quatre longues stries blanches zébraient sa peau. Cilfrat poussa un petit cri qui couvrit le bruit de surprise que fit Miasti. Tandrag lui donna un coup de coude dans les côtes en lui disant :
- Chut !!!!
- Non, ce n'était pas grand chose, comparé à ce que Eéri a souffert. Je vous ennuie avec mon récit alors qu'ici aussi vous avez souffert.
- Continue, Lozadi. Je connais le fort Smiloun. C'est toujours le prince Dalkant qui le dirige ?
- Oui, mais nous avons subi un siège en règle. Au bout de cinq mains de jours, nous avons commencé à être rationnés. Les attaques journalières ne laissaient que peu de répit pour le repos. Les murs de glace du fort ne sont pas vraiment un obstacle pour les crammplacs. Leurs griffes s'y agrippent trop facilement. Nous dormions quasiment sur les remparts pour les repousser dès leur arrivée. Certains crammplacs arrivaient malgré tout, à pénétrer dans le fort. Pas un n'est ressorti. Si cela nous a fait de la viande, ils ont tué beaucoup des nôtres. C'est à l'occasion d'une telle attaque sur le mur au soleil levant que Qualimpo a trouvé l'honneur de la belle mort. Nous étions nous sur le mur froid. Une mauvaise place face au vent. Je crois que mon Prince n'est pas assez reconnu dans l'entourage du Prince Majeur. Qualimpo avait intégré l'escouade rouge sous les ordres du prince Remnia. La place est rude, la discipline de fer, mais la reconnaissance est à la hauteur des inconvénients. Nous repoussions une attaque nocturne de crammplacs, quand nous avons entendu des cris et des bruits de combat sur le mur au soleil levant. Nos adversaires ont tourné les talons dès qu'ils ont entendu que l'attaque était éventée de l'autre côté. Je pense qu'ils en voulaient au Prince Majeur. Qualimpo lui a de nouveau sauvé la vie. D'après Miaro que j'ai vu en allant saluer mes hommes blessés, Qualimpo s'est de nouveau battu comme un dragon. Avec les lances lourdes, il a mis hors de combat deux crammplacs avant d'être déchiqueté par ceux qui surgissaient tout autour de lui. Mais l'alerte était donnée. L'escouade rouge a disparu dans cette défense, seul Miaro a survécu quelques temps. Ce furent des temps noirs. Les messagers ne passaient pas. Leurs têtes étaient lancées le matin sur les remparts. Mon Prince ne décolérait pas. Pour lui le fort Smiloun était une impasse. Il aurait voulu qu'on tente une sortie pour aller vers la vallée sacrée. Les Gowaï ne nous auraient pas suivis. Ils ont trop peur de l'esprit des dragons qui rôde dans ces lieux. Il m'a partagé son impression. Le Prince Majeur non plus ne voulait pas rencontrer l'esprit du dieu Dragon.
- Comment cela s'est-il fini ? demanda Cilfrat.
- Dix mains de jours plus tard, alors que nous n'étions plus qu'un guerrier sur trois, vivant ou en état de combattre, la tempête est arrivée. L'enfer est venu avec. Si les Gowaï se sont terrés, les crammplacs poilus ont attaqué de plus belle. En quelques jours, nous avons perdu plus d'hommes qu'en deux mains de jours de combat. L'espoir n'était pas dans notre camp, d'autant plus que le Prince Majeur tergiversait sur la conduite à tenir. J'ai cru plusieurs fois que le fort allait tomber. Mais toujours au prix de lourdes pertes, nous avons réussi à repousser l'ennemi. C'est au plus fort de la tempête, alors que je faisais face à deux crammplacs, que mes hommes étaient hors de combat que j'ai eu la surprise de les voir s'arrêter. Ils ont humé l'air et sont repartis d'un bond. Juste après la tempête s'est calmée et un grand silence s'est fait. Tous les guerriers survivants sont montés sur les remparts. Nous étions persuadés que nous allions découvrir la foule des Gowaï devant nous quand le soleil se lèverait pour l'assaut final. La tension était à son comble quand l'aube fit blanchir le ciel.
Tandrag se colla littéralement au plancher pour ne pas perdre une miette du récit. A travers, la fente, il voyait Eéri et Cilfrat aussi tendus que lui, regardant Lozadi. Celui-ci se ménagea une petite pause pour boire un peu d'eau et il reprit :
- Quand la lumière a éclairé le sol, il n'y avait plus personne. Les Gowaï et les crammplacs avaient disparu. Il y avait juste un peu de poussière blanche au loin. Cela ne pouvait pas être l'armée de secours. Un groupe approchait. Les rumeurs les plus folles ont couru sur les remparts, jusqu'à ce qu'on voie l'étendard du Prince Majeur. Deux coureurs sont partis en reconnaissance. A leur retour, le Prince Majeur est monté sur le mur du plein soleil et il a annoncé l'arrivée de son Bras. Ce furent de nouvelles rumeurs. Jorohery que nous avions laissé en si mauvaise forme arrivait. Nous vîmes bientôt un macoca traînant sa litière. Un guetteur hurla : « Il a un bâton de pouvoir ! ». Tous les valides se précipitèrent sur le rempart du plein soleil pour voir cela. Attaché sur le devant de la litière, juste à côté de l'étendard, on devinait plus qu'on ne voyait à cette distance le grand bâton de pouvoir. Ce fut l'étonnement. Plus personne n'en avait vu depuis la génération du dernier roi dragon. Il avait été partagé en de multiples morceaux et chaque prince en portait un bout dans son équipement. Le Prince Majeur trépignait d'impatience de revoir Jorohery. Il ne doutait pas que la fuite des Gowaï venait de là. Jamais ils n'ont pu résister à la puissance d'un bâton de pouvoir. Certains dans le fort allèrent jusqu'à prétendre que Jorohery serait le nouveau roi dragon. Je n'y ai pas cru et la suite m'a donné raison. Mon Prince m'avait rejoint sur le mur du froid. Nous gardions la porte. Nous avons vu la colonne arriver. Je ne pouvais détacher mes yeux du bâton. J'ai entendu mon Prince cracher par terre et dire entre ses dents : « c'est un faux !». Je me suis tourné vers lui et l'ai interrogé du regard. Il s'est approché de moi et m'a glissé à l'oreille. « Le marabout Mandihi m'a expliqué un jour, que si un vrai bâton de pouvoir s'approchait du morceau que je porte dans son étui, il brûlerait immédiatement. Et tu vois, Lozadi, rien ne se passe ! ». Mon Prince a quitté les lieux avant que le Bras du Prince Majeur ne passe. Il s'est ainsi dispensé de le saluer. Pendant que tous allaient vers la place d'armes, j'ai suivi les serviteurs. Reconnaissant Mitsiqui, je me suis approché. Il m'a raconté que plus ils approchaient du Grand Royaume et mieux allait Jorohery. Il aurait trouvé le bâton de pouvoir non loin de La Blanche dans un tombeau scellé depuis des générations et des générations. Cet endroit était tellement ancien qu'il avait disparu des mémoires humaines. Jorohery a déclaré avoir eu la vision du Dieu Dragon pour le guider. Si son bras n'a pas repoussé, ses pouvoirs sont devenus encore plus puissants. Je crois mon Prince quand il me dit que ce bâton est un faux, mais entre les mains de Jorohery...Quelle arme !
Eéri ne put s'empêcher de sursauter.
- Oui, Eéri, une arme. Nous l'avons vu à l’œuvre quand nous avons repris l'offensive. Ce bâton crache le feu comme un dragon et les crammplacs ont dû fuir pour ne pas périr brûlés vifs. Ce que nous avions perdu avec Jorohery à notre tête, nous l'avons regagné. Petit à Petit le Prince Majeur lui a confié de plus en plus de tâches. Quand la saison du soleil est arrivée, nous avions le contrôle des zones fertiles et les Gowaï n'osaient plus attaquer. Quant aux crammplacs, nous ne savons même pas où ils ont fui. Le dernier qui a été aperçu, semblait fuir vers le désert du froid éternel. Le Prince Majeur n'a même pas pu organiser une chasse. Notre phalange bien que décimée continuait ses patrouilles et ses missions de défense. Nous sommes restés loin de La Blanche. Nous avons reçu les survivants de plusieurs autres phalanges. Si les princes qui ont participé à la campagne du fort Smiloun ont tous été récompensés, mon Prince n'a rien reçu hormis des missions difficiles. Cela n'a pas amélioré son caractère. C'est par ces renforts que nous recevions les nouvelles de la capitale. Le Prince Majeur ne sortait quasiment plus de son palais. Plus la saison du soleil avançait et plus il devenait évident que Jorohery avait pris le pouvoir. Plus rien ne se faisait sans l'avis du Bras du Prince Majeur. Seul mon Prince continuait d'envoyer ses rapports au Prince Majeur. Tous les autres avaient bien compris d'où venait le vent. Nous avons vu aussi les marabouts partir. Les quelques uns qui ont osé s'exprimer, nous ont fait un récit inquiétant. Le Prince Majeur semblait être devenu un pantin sans volonté. Les quelques uns qui s'opposent à Jorohery disparaissent ou sont retrouvés morts. Comme a dit un marabout : «  La peur règne à La Blanche. Je fuis comme les autres vers les vallées éloignées, où règnent encore la paix et l'équilibre. » Même le grand marabout Mandihi n'a pas été épargné. Il est au fond d'une geôle pour avoir dit à Jorohery qu'il outrepassait ses droits et qu'il oubliait ses devoirs. En entendant cela, j'ai vu la colère briller dans les yeux de mon Prince. Je l'ai entendu marmonner : «  Quand viendra le roi dragon, tout cela se paiera. ». En attendant si tu n'avais pas raconté tout ce qui est arrivé ici avec le dragon, je continuerais à penser que nous sommes dans des temps noirs. Est-il libre ?
- Nous ne le savons pas, Lozadi. Nous ne lui connaissons aucun lien, mais c'est un juvénile. Il a commencé à prendre sa livrée d'adulte. C'est un rouge.
Lozadi ne put réprimer une exclamation :
- Un rouge !
- Oui, j'espère que tu auras l'honneur de le voir. Il est déjà superbe.
Miasti donna un coup de coude à Tandrag. Celui-ci se retourna en faisant les gros yeux. S'approchant de lui, elle lui chuchota :
- Tu vas rater le temps de repas.
Tandrag fit la moue mais n'insista pas. Sans faire de bruit, ils laissèrent leur observatoire.

dimanche 9 septembre 2012

Tandrag aimait la neige. Il ne savait pas pourquoi mais, il aimait la neige, pas seulement pour sa blancheur, pour les boules de neige et les bonhommes qu'il faisait avec ses copains. De la voir ainsi tomber le réjouissait. Le froid était revenu et les sorciers avaient parlé de la smecna. Tandrag n'avait pas compris ce mot. Il avait été voir la vieille.
- Ah ! La Smecna, c'est la neige, mon grand, c'est la neige qui va tenir. Voici venir l'hiver. Mais tu prendras bien un peu de plich.
- Ben oui.
Tandrag s'assit pour dévorer le plich que la vieille avait étalé sur une galette. Les autres allaient et venaient dans la cuisine, parlant du temps ou de ce qu'ils devaient faire.
- Maintenant, que t'es un grand, jeune maître, je vais te montrer les grottes.
Celui qui avait parlé était grand, carré, le visage mangé d'une barbe qui fut noire. Tandrag sursauta. Le maître des services s'adressait à lui. Il faillit en rougir. Il se dépêcha de finir sa galette. Aller voir les grottes ! Il en rêvait. Il n'avait jamais osé aller plus loin que les premières réserves. Et là, il allait voir les grandes grottes à machpes sous la montagne. Quand Tilcour, le maître des services sortit de la cuisine, Tandrag lui emboîta le pas. Ils traversèrent la partie commune de la maison. Miatisca venait à leur rencontre. Tandrag pensa qu'elle allait voir son père. Elle s'arrêta à la hauteur de Tilcour. Tandrag ressentit que l'air prenait une consistance différente. Tilcour s'adressa à lui :
- Avance jusqu'à l'auvent, jeune maître. J'arrive.
Tandrag avança sans se retourner. Son attention se concentra sur ce qu'il entendait. Les adultes qui parlaient à voix basse, étaient toujours intéressants.
- … se retrouve comme d'habitude... murmura la voix grave
- ...quand il sera trop sâoul, pour le remarquer, chuchota la voix nasillarde
Tandrag concentré sur son audition, eut l'impression de voir sa mère et Natckin chuchotant ensemble. Il en fut troublé.
Tilcour le rejoignit alors qu'il sortait. Sous le porche, un groupe d'une dizaine d'ouvriers attendait. Tilcour leur fit signe et ils se mirent en route vers l'entrée la plus proche des grottes.
La neige tombait. Tandrag écoutait les hommes parlant du temps. La plupart évoquait un retour vers le soleil. Tandrag ne le sentait pas comme cela. Il s'abstint de le dire pour éviter les moqueries, tout jeune maître qu'il était. La neige allait tomber longtemps. Il en sentait le côté têtu et collant. Comme toujours, il pensa rapidement à autre chose. L'excitation le gagnait au fur et à mesure qu'il s'approchait des grottes. Il n'osait demander où était Biachtic, le fils aîné de Chountic. Biachtic était, à ses dires, le fils maudit. Rien ne lui réussissait. À sa deuxième saison, il avait fait une crise de diarrhées vertes. Il avait survécu mais restait souffreteux. Il semblait incapable du moindre effort, tant physique qu'intellectuel. Sans cesse rabroué par son père, il avait développé un instinct incomparable pour ne pas être trouvable. Tilcour avait bien essayé de le récupérer. Il le sentait plus influençable que le maître Chountic. Pour un maître des services, influencer son supérieur était source de pouvoir. Biachtic, par sa force d'inertie avait déjoué les plans de Tilcour. Il continuait à tricher comme il pouvait. On ne trompait pas Chountic facilement. L'été lui avait donné à penser. L'arrivée des étrangers, les combines du maître avec eux, ses manœuvres pour garder des liens avec Tichcou lui ouvraient des perspectives. Il n'aurait jamais osé aller plus loin sans l'arrivée de Miatisca. Avec elle, il se sentait venir les idées.
Tandrag tout fier de porter sa première torche, ne s'occupait pas de cela. Tilcour comme tous les adultes, était impressionnant. Son rôle de maître des services, le rendait quand même plus proche que Eéri, mais après Chountic, c'est lui qui donnait le plus d'ordres. Il était tellement attentif à sa torche qu'il ne faisait pas attention au chemin. Le groupe marcha ainsi pendant un bon moment. Ils arrivèrent dans le secteur de la maison de Chountic. Tilcour donna les consignes de travail pour la journée. Il garda Tandrag non loin de lui. Il lui donna la mission de s'occuper des torches. Le bois de stinmaym débarrassé de son aubier donnait une flamme presque sans fumée. Utilisé depuis des générations et des générations, il avait fini par noircir les plafonds et le haut des cloisons. Le reste des parois étaient couvertes de la poudre blanche qui restait quand l'eau avait coulé. C'est cette poudre qu'il fallait évacuer avant de planter les machpes. Les hommes s'activaient à gratter les murs. Ils remplissaient les brancards. D'autres les transportaient jusqu'à la grotte sans fond. On appelait ainsi une cavité dans laquelle on mettait tous les déchets. Cela faisait des générations qu'on le faisait et elle n'était jamais remplie. Alors on continuait.
Quand arriva la mi-journée, Tandrag en avait assez. Épuisé, il s’endormit dans un coin. Quand Tilcour éleva une nouvelle fois la voix parce que sa torche s'éteignait, il n'y eut pas de réponse. Étonné de ne pas être obéi, il se retourna pour disputer l'enfant. Il ne le vit pas à côté du tas de bois. Il craignit un instant d'avoir perdu un fils héritier. Même si un autre enfant était né après la fête des rencontres. Il n'était pas bon d'être le responsable de la disparition des enfants du maître de maison. Il le chercha quelques instants et le trouva dans un recoin, pelotonné dans sa pelisse. Il soupira. Il le secoua.
- Allez debout, viens manger !
Tandrag se frotta les yeux. Le regard de Tilcour ne lui laissait pas le choix. Tandrag se leva et suivit le maître des services.
- Change-moi cette torche, lui dit Tilcour en lui désignant celle qui fumait dans le coin de la salle des repas.
Tandrag toujours bâillant, alla chercher une nouvelle torche. Quand il revint, il s'aperçut que tous mangeaient et que lui n'avait rien.
- Et moi ? demanda-t-il.
- Tu peux te servir, il en reste dans la gamelle.
Tandrag se sentit blessé par ce manque de considération. Il était quand même le fils de Chountic. Il ravala ses larmes et alla racler le fond de la marmite. Ce n'était pas le meilleur mais il avait faim. Dès la fin du repas, Tilcour donna ses ordres. Se tournant vers Tandrag, il lui dit :
- Toi, tu fais comme ce matin, mais t'as pas intérêt à dormir sinon tu mangeras pas mieux que ce midi.
L'enfant ravala ses larmes et se remit à faire ce qu'on lui demandait. La journée s'étira en longueur. Quand Tilcour donna le signal du départ, Tandrag dormait presque debout. Sur le chemin du retour, il se fit bousculer une fois ou deux parce qu'il n'allait pas assez vite. Arrivé à la maison, même le spectacle de la neige ne le retint pas. Il alla s’effondrer sur sa paillasse.
Ce fut la main douce de la Vieille qui le réveilla le matin.
- Tiens mange, petit, tu vas en avoir besoin.
Il aurait aimé que ce soit sa mère qui vienne ainsi le voir, mais elle était trop occupée par Shteal, son dernier né. C'était lui qui avait droit aux câlins et aux caresses dans les cheveux. Tandrag avait droit au respect de Natckin, mais ce dernier ne semblait fondre que devant le bébé. Chountic lui-même semblait ému en regardant son rejeton. S'il maugréait toujours contre Biachtic, s'il semblait ignorer Tandrag, il accordait une importante importance à Shteal. C'est lui qui avait choisi ce nom qui évoquait le printemps et la reprise des plantes. Il disait à qui voulait l'entendre que ce serait un vrai maître celui-là. Une véritable fierté pour son père et un maître de qualité pour la maison Chountic. Tandrag ne comprenait pas ce que cela voulait dire mais sentait bien qu'il n'avait pas le beau rôle.
Le deuxième jour de travail ressembla au premier. Il eut quand même une différence. On lui en demanda plus. Il dut surveiller toutes les torches des grottes à machpes où l'on devait travailler.
Le soir venu, sans la Vieille qui était venue avec un plateau le faire manger, il aurait passé la nuit à jeun.
Les jours se suivirent sans qu'il n'y ait de changement dans son travail. Petit à petit, il se faisait aux efforts qu'on lui demandait. Il rentrait moins épuisé. La neige avait continué à tomber lentement sans s'arrêter. Les portes d'été avaient été condamnées pour les portes dites du grand hiver, plus en hauteur. Elles avaient été ainsi nommées après le terrible hiver que les pères des grand-pères des pères avaient connu. Sioultac à cette époque était particulièrement virulent. La neige avait atteint des hauteurs jamais égalées depuis. Cette année en deux mains de jours, il était tombé plus de smecna que de neige pendant tout l'hiver précédent. Les Sorciers avaient été prévenus par l'esprit de Hut le fondateur. Ils avaient fait le tour de la ville pour donner l'information à chacune des maisons. Il fallait se préparer à voir Sioultac prendre ses quartiers sur la montagne. Chaque famille avait fait les travaux urgents nécessaires. Il ne fallait pas qu'une maison s'effondre comme à cette époque lointaine. Cela avait laissé des traces profondes dans l'imaginaire de la ville. Un récit légendaire racontait comment les habitants avaient défié Sioultac en refusant de croire les esprits. Ils avaient été séduits par les discours du nouveau maître de la maison Tiebur. Il avait parlé tellement bien de l'avenir, de ce que les habitants de la ville pourraient faire s'ils se mettaient tous ensemble face aux sorciers. On ne serait plus obligé de nourrir ces fainéants à ne rien faire hormis des prédictions qui ne se révélaient jamais justes. Le maître Sorcier de l'époque avait fulminé ses imprécations sans résultats. L'été avait passé, chaud et prospère, laissant croire aux promesses du maître de la maison Tiebur. L'hiver avait commencé sous la pluie. Il n'y avait eu ni grêle, ni ouragan. Le maître Sorcier avait dû rationner ses gens pour qu'ils survivent. Les sorciers avaient dû travailler dans les champs pour mendier leur pitance. Les effectifs du temple avaient beaucoup maigri. A chaque prédiction de déluge répondait un temps sec et chaud. Quand le maître Sorcier prédisait la sécheresse venait une petite pluie bienfaisante qui abreuvait la terre et nourrissait les champs. Aux premiers flocons, la gloire du maître de la maison Tiebur était à son comble. C'est alors que s'était révélé un jeune sorcier, maigre comme une lame de couteau à force de privations mais aussi dur que le métal des lames. Alors que le vieux maître Sorcier vaticinait une nouvelle fois, il s'était levé et avait désigné le maître de la maison Tiebur du doigt :
- Avant la fête de la longue nuit, tu seras mort ! Ainsi en a décidé Sioultac.
Le jeune s'était alors effondré. C'est la Solvette de l'époque qui était intervenue. Elle avait accueilli le jeune inconscient dans sa maison, le soustrayant ainsi à la vindicte populaire, mais aussi au vieux maître Sorcier qui supportait mal ces interventions. Le jeune sorcier avait fait ainsi l'unanimité contre lui. Les premiers flocons avaient été suivis d'autres plus nombreux puis encore d'autres sans que jamais cela ne s'arrête. Au début on avait essayé de dégager les rues. Au petit matin tout était à refaire. Il tombait entre cinq et six pieds de neige par jour. On avait alors arrêté le dégagement et entrepris de faire des portes plus en hauteur. On avait aussi creusé des tunnels dans la glace pour rejoindre les grottes à Machpes. La vie suivait ainsi son cours. C'est en plein milieu d'une nuit bien noire que le craquement sinistre avait réveillé toute la ville. Il avait été suivi du bruit sourd de la neige tombant en masse. On n'avait pu que constater que la maison Tiebur avait cessé d'exister. Le maître de ville avait coordonné les secours. A la lueur des torches, on avait fouillé les monceaux de neige. Rapidement on avait extrait le premier sorcier. Le maître de ville l'avait interrogé sur sa présence en ce lieu. Il avait expliqué que toutes les nuits, le maître Sorcier venait lancer des imprécations sur le toit de la maison Tiebur afin que tombe le malheur sur les impies. Et le malheur était tombé sur lui. Alors que, quittant le versant de la colline, il avait mis les pieds sur le toit de la bâtisse qui y était adossée, tout s'était effondré. Entraîné par l'avalanche, le premier sorcier avait été emporté dans le maelström de neige. Le maître de ville avait alors pris la direction du bas de la ville, suivi par tous les habitants. Devant la maison de la Solvette, il avait demandé au jeune sorcier de devenir maître sorcier. Bien que contraire à toutes les règles habituelles, sa démarche avait été agréée. Le jeune sorcier au regard de feu était devenu le plus jeune maître Sorcier de l'histoire de la ville. Son « oui » avait été salué par Sioultac. La neige pour la première fois depuis des jours et des jours s'arrêta.
C'est à cette légende que pensait Tandrag en regardant la neige qui n'avait pas arrêté depuis dix mains de jours. Heureusement les grottes étaient plus chaudes. Tilcour discutait avec les ouvriers. Le grattage était bientôt terminé. Il faudrait alors prévoir le travail des bacs à machpes. C'est alors qu'ils virent Sstanch monter en courant, suivi par un groupe de soldats.
- Vite ! Vite ! criait-t-il
- Qu'est-ce qui se passe ? cria Tilcour.
- Des guerriers approchent...
Le groupe se figea. Les discussions allèrent bon train pendant un moment. Puis Tilcour trancha. - Il vaut mieux qu'on soit dans les grottes qu'à traîner dehors. Allez, on y va le travail nous attend.
Le groupe se remit en route tout en discutant. Tilcour délégua le commandement à un contremaître et repartit vers la maison. Tandrag qui s'était éloigné pour voir les soldats courir, vit le groupe s'éloigner vers les grottes pendant que Tilcour, courant à moitié, repartait en remontant la rue. Il était seul. Personne ne lui avait donné d'ordre. Il en conclut qu'il était libre de faire ce qu'il voulait. Il se dirigea vers la porte du haut.
Petit et léger, il ne laissait presque pas de trace sur la neige. Quand il approcha de la porte, il vit sur la tour de guet Eéri qui faisait des signes. En bas, le prince Quiloma tenait par les avant-bras un autre personnage. Arrivant derrière, parfaitement alignés, des guerriers blancs semblaient surgir de la neige. De chaque côté de la porte, les derniers guerriers de Quiloma et les soldats de la ville, impeccablement disposés, regardaient les deux princes se saluer.
- Tla Quiloma, queita bitra mastaila verkati sebima...
Si Tandrag ne comprenait pas la langue de prince, il appréhendait le sens général de ce qui se disait. Il s'était allongé dans la neige. Dans son habit blanc, il était presque indiscernable. Après des salutations, les deux hommes se retournèrent vers leurs troupes pour donner des ordres. Quiloma expliqua à Sstanch que des renforts arrivaient par l’intermédiaire du prince Méaqui. En regardant les deux hommes, il eut l'intuition qu'ils avaient des nouvelles graves à échanger.
Il les observa encore un moment avant de se retirer. Il avait compris qu'ils iraient dans l'ancien temple devenu fort, mais que les choses sérieuses se diraient ailleurs.
Il pensa en les voyant partir qu'il n'avait plus rien à voir par là. Il allait se lever quand il vit Eéri descendre. Boitillant sur ses béquilles, il s'approcha d'un guerrier qui avait un anneau au gant gauche.
- Eéri !
- Lozadi !
Les deux hommes s'attrapèrent par les avant-bras. Tandrag sentit l'émotion de la rencontre. Le dénommé Lozadi se retourna vers Méaqui qui fit un signe de tête. Les deux hommes s'éloignèrent alors vers la maison Kalgar.
Tandrag décida de les suivre. Il arriva à la forge après eux. Lozadi n'avait pas déchaussé et Eéri avait adapté des planches de glisse à ses béquilles. Tandrag profita de la distraction des apprentis et de Kalgar pour entrer dans l'atelier, puis il se glissa dans la maison.
- Psst viens par là...
Tandrag se retourna pour voir Miasti lui faire un geste. La maison du forgeron était construite autour d'une cour et était desservie par un couloir qui ceinturait les pièces. Les deux enfants se dirigèrent vers l'arrière de la maison. Tandrag aimait bien Miasti. Il n'avait pas de sœur mais il pensait que s'il avait eu une sœur, il aurait aimé qu'elle soit comme Miasti.
- Laisse tes bottes, elles font du bruit.
Tandrag lui obéit et la suivit dans le couloir puis dans l'escalier. Ils avançaient silencieusement au-dessus des pièces d'habitation des adultes. Miasti lui montra du doigt un espace entre les planches dans une des réserves de l'étage. En dessous, des voix graves se faisaient entendre.
Tandrag chuchota à l'oreille de Miasti :
- Le guerrier qui vient d'arriver, Lozadi, ça doit être un chef car il a un anneau au doigt.
Il arrêta Miasti qui voulait répondre en mettant son doigt sur la bouche.
- Chut ! Écoute !
Les deux enfants se concentrèrent sur ce que disaient les deux guerriers blancs.
Eéri finissait de résumer l'été avec ses évènements. Cilfrat allait et venait dans la pièce avec leur enfant nouveau-né. Et puis Lozadi commença son récit.

jeudi 6 septembre 2012

Miasti jouait les grandes. Elle avait plusieurs atouts pour cela et en jouait avec adresse. D'abord, elle était née avant les autres. Elle était une hors-saison. Ce mot était tout à la fois une injure et un signe de jalousie. Elle ne se comportait pas comme une hors-saison. Les sorciers avaient entouré sa naissance de signes et de prédictions. Elle avait été à l'origine du miracle de la pierre chaude. Les autres ne pouvaient pas en dire autant. Eux étaient nés comme il fallait, quand il fallait sans faire d'histoires. Et puis Miasti était mignonne, plus elle était charmante et charmeuse. Elle savait mettre les adultes sous sa coupe et obtenait ce qu'elle voulait. Ensuite, la Solvette la connaissait. Alors qu'elle impressionnait tout le monde, la Solvette saluait Miasti quand elle la voyait. Un tel privilège était signe d'importance aux yeux de tous les enfants de cette saison là. Talgar s'en serait bien passé. Lui qui rêvait de marteaux, d'enclumes, de feu, d'exploits de forge devait obéissance à sa sœur. Cela avait quelque chose d’insupportable. Quand elle le martyrisait trop à ses yeux, il se réfugiait dans la forge. Il n’avait pas le droit d'être là, il le savait. « La forge était un lieu dangereux pour les enfants trop jeunes », lui avait dit son père. Il avait trouvé un espace près du toit. Il y entrait quand la porte restait entrouverte. Il se glissait discrètement. Il trottinait en longeant le mur et gagnait la pente du rocher. Il grimpait à quatre pattes jusqu'à son abri. Il y faisait chaud et il voyait tout sans être trop visible dans la pénombre. Il se délectait des gestes des uns et des autres. Il les mimait dès qu'il pouvait dans ses autres jeux. Quand il se faisait repérer son père faisait les gros yeux, mais il sentait bien qu'il avait du mal à ne pas rire. Puni mais pas découragé pour autant, il recommençait dès qu'il pouvait. Talmab avait du mal aussi à gronder Talgar. Ce dernier était plus impressionné par Cilfrat et surtout par Eéri. Ce dernier se déplaçait avec deux béquilles, mais restait impressionnant pour l'enfant. Eéri avait eu l'autorisation d'aller vivre chez Kalgar. Il continuait à servir le prince en prenant sa part des tours de garde sur la tour de guet. Il avait renforcé la puissance de ses bras et montait à l'échelle à leur seule force. Il y avait aussi maintenant Sertvi qui était arrivé. Premier des enfants métis, hors saison lui aussi mais fierté de son père, il avait eu droit à la reconnaissance du prince. Quiloma l'avait adoubé, lui donnant ainsi une filiation dans le monde blanc du Prince Majeur. Chan, à son tour l'avait enregistré sur les murs de la maison commune, le rattachant à la lignée de la famille Bartone, et à celle de Kalgar. Certains dans la ville acceptaient mal ces changements. Les sorciers avaient assuré que tout cela était bon pour l'avenir. Mais Chountic ne les croyait pas. Il était devenu le chef de file de ces contestataires. Il y avait ainsi deux clans en cours de formation. Pour le moment, cela restait limité aux paroles. La présence de guerriers ou la menace d'une armée dans la vallée calmait les plus irréfléchis. Le souvenir de la bataille du côté du col de l'homme mort restait vivace. Cela alimentait la haine et la peur des contestataires. Si Chountic parlait beaucoup, il noyait son activisme dans le malch noir. Il avait quand même gardé des contacts avec Tichcou. Il avait son homme de main, Bistasio. Ce dernier avait trouvé les moyens de passer. Il suivait la vallée, évitant le lac neuf comme on appelait la retenue. Le poste de garde surplombait l'eau. Ceux de la ville le laissaient passer moyennant quelques pots de malch noir ou de Sicha. Il était maintenant à la tête d'un petit réseau de marché noir, toléré par Chan. Il avait établi son quartier général dans les grottes de Bartone qui n'étaient plus utilisées.
La pluie doucement se chargeait de neige.

mardi 4 septembre 2012

Tandrag regardait l'eau qui tombait du ciel. Il était sous l'auvent de l'entrée, soupirant la disparition de la neige. Cette première neige n'avait pas tenu. Elle était devenue pluie. Cotban avait repris le dessus rapidement transformant le paysage en bourbier. Il avait entendu son père raconter que puisque la neige et la pluie avaient transformé les chemins en bourbiers, il n'y a aurait plus d'attaque des gens de la plaine contre le dragon. Il en était heureux. La première fois qu'il avait vu le dragon en vol, il était resté là, sidéré, la bouche ouverte. Bien sûr Sabda n'avait pas manqué de se moquer de lui. Maintenant, il avait intégré cette image dans ses rêves et dans ses jeux. Aujourd'hui, il ne pourrait pas rejoindre les autres pour aller jouer dans la prairie près de la rivière en bas de la ville. C'est là que Sabda avait vu le dragon de près. Tandrag l'enviait, lui qui ne l'avait aperçu que de loin. Elle le taquinait régulièrement. Avec son léger zozotement, elle lui disait :
- Bôô le dragon.
Tandrag s'énervait et Sabda rigolait. Moins libre que Tandrag, elle l'invitait parfois à renter chez elle. C'est là qu'il avait rencontré le prince étranger. Celui que son père n'aimait pas. Mais son père n'aimait personne. Lui aussi parlait à voix basse avec la Solvette, comme Natckin et sa mère. Il les avait vus s'isoler parfois dans l'autre pièce. Les bruits, curieux, qu'il avait pu entendre lui rappelaient, ceux des rencontres entre Nactkin et Sealminc. Il y avait là un mystère qui l’intriguait. Il y pensait puis s'occupait à autre chose.
Aujourd'hui, l'eau tombait du ciel comme d'une cascade. Il avait eu l'interdiction d'aller traîner. Laissant son regard errer sur la rue noyée, il rêvait de chevaucher le dragon. Avec son épée, il traquait les méchants, les réduisant en cendres par le souffle de feu de sa monture. C'est un rêve qu'il affectionnait. Il vit arriver Natckin, protégé de la pluie par un assistant qui tenait une protection. Tandrag rentra et décida d'aller de nouveau explorer la maison. Il se glissa derrière les cuisines dans une des réserves. Celle-là n'était pas souvent accessible à sa curiosité. Son entrée, trop près des foyers, était toujours sous le regard de l'un ou de l'autre. Pour une fois, ils étaient tous en grande discussion sur le rangement des réserves pour l'hiver. Les adultes s'occupaient dans la grande réserve laissant celle-ci sans surveillance. Tandrag s'y glissa. Les odeurs lui chatouillèrent le nez. Il regardait dans la pénombre, les récipients alignés comme des soldats pour la bataille. Il s'approcha du premier et le huma. Une odeur douceâtre lui amena l'eau à la bouche. Il reconnaissait l'odeur de la compote de plich. Il tâta le couvercle. Il essaya de le soulever sans succès. Les adultes l'avaient trop bien fixé. Il passa au second et connut la même déception. Il avança ainsi laissant traîner ses doigts sur les pots. A part les odeurs, il n'y avait rien d'intéressant. Il s’apprêta à ressortir quand il entendit Miatisca. Son cœur s'accéléra. Il ne fallait pas qu'elle le voit. Tandrag ne l'aimait pas. Elle donnait à son père trop de malch noir. Tandrag n'aimait pas quand Chountic avait trop bu. Il était violent. Il lui faisait peur. Son père ne l'avait pourtant jamais battu. La vision de la violence qu'il exerçait sur les autres voire sur sa mère le paniquait. Il se recula vers le fond de la réserve, cherchant un coin pour se cacher. Quand il fut dos au mur et que Miatisca souleva le rideau, il ne réfléchit pas et se jeta derrière une grande jatte à huile.
- Vous mettrez des pièges ! J'ai vu bouger au fond, il doit y avoir des rats.
Tandrag se faufila encore plus derrière pour atteindre le coin. Collé contre le pot, il écoutait les adultes. Miatisca continuait à donner ses ordres. Tandrag se sentit mal parti. Elle voulait qu'ils rangent autrement. La retraite était coupée. Jamais il ne pourrait sortir sans se faire voir. Il allait encore se faire disputer. Il n'aimait pas les cris, surtout ceux de Miatisca dont la voix aiguë lui faisait mal aux oreilles. Il aurait peut-être la chance que ce soit la vieille qui soit de corvée. Il ne savait pas son nom. Tout le monde l'appelait ainsi « la vieille ». Elle le laisserait tranquille, mieux, elle lui donnerait sûrement un peu de plich. Entendant un bruit non loin, il se colla au mur dans le coin le plus sombre. De l'air vint lui chatouiller la nuque. Il sentit plus qu'il ne vit une ouverture. Comme les pas se rapprochaient de sa cachette, il se glissa dans le trou. Après quelques contorsions, il fut invisible. Il écouta les pas aller et venir. La jatte fut bougée. Il entendit qu'on mettait autre chose. Il avança un peu et vit avec horreur qu'il n'y avait pas assez de place pour qu'il puisse sortir. Les larmes montèrent toutes seules. Il était piégé.
Il pleura lentement sans bruit. Il allait mourir là. Une ombre passa. Au bruit rapide du piétinement, il sut que c'était un rat. Il le sentit qui se glissait entre ses jambes pour filer vers le bas. Tandrag s'arrêta de pleurer pour regarder cela. Il se mit à gratter. Une planche sous la terre battue, bougeait un peu. En forçant à peine, elle céda. Un nouveau passage s'ouvrit. Un courant d'air en venait. Tandrag se laissa couler par le passage. Il se trouva sous le plancher. Il entendait maintenant les pas au-dessus de sa tête. Il avança évitant les obstacles. Lui trouvait cela normal. Il s'était aperçu que les autres ne voyaient pas dans le noir. Il avait été étonné pensant que cette capacité à voir dans le noir était commune. Il avait gardé cette information pour lui, comme un secret. Il était sous la cuisine. Il cherchait des yeux un passage pour sortir de là. Arrivé devant une cloison, il ne put que la longer. Il avançait à quatre pattes. Il passa sous le couloir. La poussière qui tombait et les bruits de pas fréquents et rapides, lui confirmaient qu'il se rapprochait de l'endroit des chambres. Parfois un peu de lumière passait par les interstices ou les trous dans les planches. Il commençait à trouver cela amusant. Il se posa la question de savoir si c'était pareil chez les autres.
- Donne-moi du malch et cesse de discuter !
La voix de son père le fit sursauter. Il s'arrêta. Il était sous la chambre de Chountic. Il vit un espace plus large entre les cloisons et se mit debout. Son visage arrivait juste au dessus du plancher. Entre deux planches, il voyait l'intérieur de la pièce. Miatisca était debout. Il ne voyait que le bas de son habit, mais était sûr que c'était elle. Sur le lit, Chountic était étalé. Son visage rouge violacé ne laissait aucun doute à Tandrag. Son père avait encore trop bu. Il valait mieux l'éviter pour la journée. Il écouta encore un peu les hurlements qui ne se calmèrent qu'à l'arrivée du pot de malch.
Tandrag se remit à quatre pattes pour continuer son chemin. Même s'il y avait une sortie proche, il valait mieux l'éviter. Il décida d'aller vers le fond de la maison. Il reprit sa marche sans bruit sous les dortoirs, toujours silencieux à cette heure du jour. Il s'arrêta un moment. Il entendit des pleurs au-dessus de lui. Ils lui rappelèrent les siens. Sa gorge se serra. Il ne reconnut pas la personne. Dans son esprit vint l'image d'une jeune servante. Peut-être s'était-elle fait disputer pour une faute dans son service ? Il continua son voyage souterrain en ressentant la peine et la peur. Et s'il ne trouvait pas de sortie.
Il passa sous un plancher. Un grincement régulier l'étonna. Il chercha un endroit pour voir et trouva dans un coin, une petite fente. Il ne voyait qu'un petit bout de la pièce. Il ne la reconnut pas tout de suite. En se déplaçant, il voyait le coin du lit qui bougeait en rythme. Il entendit des petits cris et des soupirs, puis après une brève accélération tout se calma. Le silence fut total quelques instants. Puis il entendit deux voix qui chuchotaient.
- ...dragon qui s'en est occupé.
- Comment cela ?
- Ils ont envoyé une expédition, mais avec la boue, elle n'a pas été loin. Kyll m'a fait savoir qu'il avait rencontré le dragon. C'est lui qui a expliqué que les gens de la plaine couraient plus vite qu'un troupeau de clachs quand il s'était posé non loin d'eux.
Tandrag sentit son cœur bondir à l'évocation des exploits du dragon. Et puis, il reconnut la voix. C'était celle du sorcier. Il était sous la chambre de sa mère. Il eut un sentiment de honte et de peur sans bien savoir pourquoi. Il n'avait jamais le droit de rester quand le sorcier venait. Il venait d'entrer par effraction dans l'intimité de sa mère. Mal à l'aise, il se mit accroupi vivement. Il fallait qu'il parte, qu'il fuit. Il reprit ses pérégrinations sous le plancher de la maison. Il s'enfonça davantage vers le fond de la maison. Il y avait par là les granges et les caves creusées dans la roche. Il avançait aussi rapidement qu'il pouvait. Il fut rejoint par une boule de poils. Abci !
- Ah, t'es là, toi !
Le félin se frotta contre lui en ronronnant. Tandrag s’assit et se mit à le caresser. Abci allait et venait, tournant et retournant pour profiter des mains de l'enfant. La queue haute, le ronronnement sonore firent du bien à Tandrag. Un bruit de course mit le félin en alerte. Il se mit en route. Tandrag le suivit. Plus rapide que lui, le félin le distança. Attentif au moindre mouvement, Tandrag changea plusieurs fois de direction. Il arriva contre le rocher. De nouveau bloqué, il regarda à droite et à gauche. Il crut discerner quelque chose à droite. Il alla par là. Au fur et à mesure de son avance, il vit la lumière.
- Une sortie !
Il accéléra. S'approchant de la cloison, il vit une fente, une simple fente par où passait la lumière. Les larmes de nouveau coulèrent toutes seules. C'est à ce moment-là qu'Abci arriva un rat dans la gueule. Il s'approcha de la fente et de la tête appuya sur le panneau. Tandrag vit la cloison s'écarter. Il emboîta le pas au félin. Il poussa lui-même sur le bois qui bougea. Il vit la fente devenir ouverture. Il se glissa dans l’entrebâillement et se retrouva dans le couloir des grottes réserves. Il y faisait noir. Il fut heureux de constater qu'il n'y avait personne. Il ne se ferait pas disputer. Toujours suivant Abci, il se dirigea vers les parties communes de la maison.

dimanche 2 septembre 2012

Sioultac s'était laissé aller. Pour une fois, c'était une bonne nouvelle. Les gens de Cotban ne pourraient plus monter. La neige avait rempli les rues, les combes, les chemins. Kyll avait fait un rite de remerciement. Toujours guidé par ses visions, il avait décidé de rester dans la grotte. Le jeune dragon avait encore besoin de ses discussions. Lui-même avait le désir de ces rencontres. Il avait même rencontré le prince Quiloma. Cela s'était bien passé grâce au bâton que le dragon lui avait fait graver. Le prince était reparti en le saluant et en l'invitant à venir en ville quand il voulait. L'arrivée de cette première tempête avait fait capoter son désir de venir saluer ses disciples. Tasmi remplissait bien son rôle d'intermédiaire. Par lui, il avait fait savoir aux siens où il se trouvait et leur avait demandé de garder la même organisation. Nactkin avait apprécié que Kyll ne rentre pas. Sa place de leader dans la cité ne serait donc pas contestée. Il aimait les bénéfices qu'il en tirait. Son principal était l'aide « spirituelle » qu'il apportait à Sealminc. Chountic sombrait dans la dépendance au malch noir alimentée par Miastica. Cette dernière manœuvrait pour prendre la place de sa maîtresse. Malheureusement pour elle, elle appréciait aussi le malch noir qui lui permettait de supporter les séjours dans la chambre de son maître.
Tandrag du haut de son deuxième hiver jetait un regard sombre sur ce qu'il voyait. Depuis que Natckin venait régulièrement, Sealminc était devenue plus douce. Tandrag en profitait pour passer des moments agréables près d'elle. Le reste du temps comme tous les garnements de son âge, ils jouaient ensemble. Ils savaient sans en avoir trop conscience que cette période finirait. Ceux qui reverraient le printemps, iraient comme leurs aînés travailler dans les champs.
La première neige qu'ils virent, leur donna l'occasion de nouveaux jeux. Le soir il y eut même une fête. Tandrag eut même droit de porter une bougie à cette occasion. Toute la ville participa au défilé de la première neige. Elle signait la fin des travaux des champs et le début de la saison des grottes. Il allait falloir préparer les bacs à machpes, faire passer les bêtes des abris d'été aux abris d'hiver...
Chan, en tant que chef de ville, marchait en tête. Lui aussi appréciait que la neige soit arrivée de bonne heure. L'apparition des soldats du roi Yas, des chevaliers venant pour tuer le dragon lui faisait beaucoup plus peur que les guerriers blancs maintenant que le dragon était là. Les sorciers suivaient aussi. Ils avaient introduit une nouveauté dans le rite de cette fête. Ils firent une danse avec des jets de feu en l'honneur de l'esprit du dragon. Cela plut beaucoup à Quiloma. Le cortège passa dans toute la ville, y compris devant chez la Solvette. Sabda ouvrait de grands yeux et agitait les mains. Sa mère lui laissa rejoindre le cortège et sourit quand elle la vit, sérieuse comme une grande, portant sa bougie et prenant la main de Tandrag. Elle aussi pensa à l'avenir de cet hiver. Que Soultiac soit aussi présent aussi tôt ne la réjouissait pas. De grandes forces étaient en marche. Elle le sentait au plus intime de son être.