Miasti jouait les grandes. Elle avait
plusieurs atouts pour cela et en jouait avec adresse. D'abord, elle
était née avant les autres. Elle était une hors-saison. Ce mot
était tout à la fois une injure et un signe de jalousie. Elle ne se
comportait pas comme une hors-saison. Les sorciers avaient entouré
sa naissance de signes et de prédictions. Elle avait été à
l'origine du miracle de la pierre chaude. Les autres ne pouvaient pas
en dire autant. Eux étaient nés comme il fallait, quand il fallait
sans faire d'histoires. Et puis Miasti était mignonne, plus elle
était charmante et charmeuse. Elle savait mettre les adultes sous sa
coupe et obtenait ce qu'elle voulait. Ensuite, la Solvette la
connaissait. Alors qu'elle impressionnait tout le monde, la Solvette
saluait Miasti quand elle la voyait. Un tel privilège était signe
d'importance aux yeux de tous les enfants de cette saison là. Talgar
s'en serait bien passé. Lui qui rêvait de marteaux, d'enclumes, de
feu, d'exploits de forge devait obéissance à sa sœur. Cela avait
quelque chose d’insupportable. Quand elle le martyrisait trop à
ses yeux, il se réfugiait dans la forge. Il n’avait pas le droit
d'être là, il le savait. « La forge était un lieu dangereux
pour les enfants trop jeunes », lui avait dit son père. Il
avait trouvé un espace près du toit. Il y entrait quand la porte
restait entrouverte. Il se glissait discrètement. Il trottinait en
longeant le mur et gagnait la pente du rocher. Il grimpait à quatre
pattes jusqu'à son abri. Il y faisait chaud et il voyait tout sans
être trop visible dans la pénombre. Il se délectait des gestes des
uns et des autres. Il les mimait dès qu'il pouvait dans ses autres
jeux. Quand il se faisait repérer son père faisait les gros yeux,
mais il sentait bien qu'il avait du mal à ne pas rire. Puni mais pas
découragé pour autant, il recommençait dès qu'il pouvait. Talmab
avait du mal aussi à gronder Talgar. Ce dernier était plus
impressionné par Cilfrat et surtout par Eéri. Ce dernier se
déplaçait avec deux béquilles, mais restait impressionnant pour
l'enfant. Eéri avait eu l'autorisation d'aller vivre chez Kalgar. Il
continuait à servir le prince en prenant sa part des tours de garde
sur la tour de guet. Il avait renforcé la puissance de ses bras et
montait à l'échelle à leur seule force. Il y avait aussi
maintenant Sertvi qui était arrivé. Premier des enfants métis,
hors saison lui aussi mais fierté de son père, il avait eu droit à
la reconnaissance du prince. Quiloma l'avait adoubé, lui donnant
ainsi une filiation dans le monde blanc du Prince Majeur. Chan, à
son tour l'avait enregistré sur les murs de la maison commune, le
rattachant à la lignée de la famille Bartone, et à celle de
Kalgar. Certains dans la ville acceptaient mal ces changements. Les
sorciers avaient assuré que tout cela était bon pour l'avenir. Mais
Chountic ne les croyait pas. Il était devenu le chef de file de ces
contestataires. Il y avait ainsi deux clans en cours de formation.
Pour le moment, cela restait limité aux paroles. La présence de
guerriers ou la menace d'une armée dans la vallée calmait les plus
irréfléchis. Le souvenir de la bataille du côté du col de l'homme
mort restait vivace. Cela alimentait la haine et la peur des
contestataires. Si Chountic parlait beaucoup, il noyait son activisme
dans le malch noir. Il avait quand même gardé des contacts avec
Tichcou. Il avait son homme de main, Bistasio. Ce dernier avait
trouvé les moyens de passer. Il suivait la vallée, évitant le lac
neuf comme on appelait la retenue. Le poste de garde surplombait
l'eau. Ceux de la ville le laissaient passer moyennant quelques pots
de malch noir ou de Sicha. Il était maintenant à la tête d'un
petit réseau de marché noir, toléré par Chan. Il avait établi
son quartier général dans les grottes de Bartone qui n'étaient
plus utilisées.
La pluie doucement se chargeait de
neige.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire