mercredi 26 septembre 2012

Tandrag était heureux à la forge. Le travail était dur mais Kalgar s'il était un maître exigeant, était un homme juste. Tandrag se sentait bien avec lui. Il s'étonna de découvrir que la vie pouvait s'écouler paisiblement sans cris ni hurlements de la part des adultes. Kalgar ne haussait pas la voix. Ses ordres étaient accomplis par les apprentis sans discussion. Quand le travail était terminé, les repas se prenaient ensemble autour de la même table. Chacun y avait sa place. Kalgar en désigna une à Tandrag. Elle était loin de lui et de sa famille. Il était le nouvel apprenti. Il savait qu'il progresserait autour de la table plus près du maître de la forge au fur et à mesure qu'il progresserait dans son apprentissage. Miasti lui faisait de petits signes de loin. Parfois son père lui faisait les gros yeux quand elle lui coupait la parole, mais tout le monde avait remarqué la tendresse de Kalgar pour Miasti et comment elle en jouait. Talmab était plus sévère avec sa fille et cette dernière le savait. Quand Talmab intervenait, Kalgar s'interrompait pour l'écouter. Le silence se faisait alors autour de la table et la voix flûtée de Talmab portait d'un bout à l'autre de la grande pièce. Après le repas et les services, Talmab réunissait les plus petits et racontait des histoires pendant que ses doigts faisaient leur ouvrage. Tandrag prit vite goût à ses réunions. Il aurait pu être avec les autres à parler de choses d'adultes. Sa position d'apprenti le lui autorisait. Il y avait assisté une première fois. Il n'avait fait qu'écouter en bâillant. C'est Kalgar qui lui avait suggéré d'aller voir Talmab et surtout Miasti. Il avait quitté les « grands » pour rejoindre les « petits » et les femmes. Il n'avait pas remarqué les sourires qui avaient accompagné sa sortie. Quand il arriva dans la grande pièce de la cuisine où régnait une douce chaleur, Talmab venait de céder à Miasti qui réclamait une légende. Tandrag la vit réfléchir quelques instants. Miasti qui l'avait repéré lui fit signe de venir s'asseoir au pied de sa mère. Il hésita un peu. Son rang n'était pas celui d'enfant de la maison. C'est Talmab qui lui dit :
- Viens, Tandrag. Miasti t'invite.
En disant cela, elle lui montra un petit banc devant elle. Tandrag n'arrivait pas à y croire. Jamais il n'avait connu cela chez sa mère. Sans savoir pourquoi, Tandrag avait toujours eu pour Talmab des sentiments très profonds d'attachement. Cela semblait réciproque. Tandrag s'interrogeait sur cela, mais ne savait pas à qui demander.
- Raconte l'oiseau aux plumes d'or, demanda Miasti.
Tandrag n'avait jamais entendu parler de cette légende. Il faut dire que dans la maison Chountic, on n'entendait les légendes qu'à la fête des rencontres.
- Il était une fois, quand Hut le fondateur n'était pas encore arrivé devant le Bachkam de la ville, une région...
- D'habitude, tu commences pas comme ça, dit Miasti.
- Miasti, c'est moi qui raconte, dit Talmab. Et je choisis ma version.
Sa fille fit une petite moue mais n'insista pas. Elle aimait trop les histoires. Peut-être même qu'elle ne la connaissait pas ! Sa mère excellait dans cet exercice de mémoire et d'improvisation.
- Dans cette région lointaine, vivait un roi.
- C'est quoi un roi ? demanda Tandrag.
Talmab se tourna vers Tandrag et lui caressant la joue lui dit :
- Si toi aussi tu t'y mets, on ne pourra pas tout raconter ce soir...
Tandrag ne répondit pas tellement il était sidéré par le geste de Talmab. C'est la première fois que quelqu'un lui caressait la joue. Cela le mit dans un état d'émotion intérieure qui le bouleversa. Il mit quelque temps à pouvoir se concentrer sur ce que racontait la maîtresse de maison.
-... Dans ce pays lointain, il y avait beaucoup de malheurs. La joie et la gaieté avaient déserté la vie des habitants. Depuis la mort du bon roi, le chambellan avait pris la direction de tout. Un chambellan est celui qui doit diriger le pays pour le roi en faisant tout ce qu'il lui dicte. Mais comme le roi était mort sans revoir son enfant, la reine pleurait, pleurait, pleurait et le chambellan en profitait pour faire ce qu'il voulait. Il augmentait les impôts et mettait tout le monde à la corvée pour se faire construire des palais tout en disant que c'étaient les ordres de la reine. Ceux qui refusaient d’obéir, finissaient dans un cachot sombre et humide dans la forteresse noire. Imaginez l'endroit. Sur une falaise dominant la mer, et la mer c'est comme un lac qui n'aurait pas de fin, donc sur une falaise de roches noires se dressaient de hauts murs noirs, encadrés de tours sombres. C'est là qu'étaient gardés dans des cages bardées de fer ceux qui avaient déplu au chambellan. C'est dans la plus sombre des tours, au fond du plus sombre des couloirs que les gardes noirs gardaient retenue la fille du roi. On les appelait les gardes noirs à cause de leurs habits et de la couleur de leur peau. Imaginez, les enfants, des hommes à la peau plus noire que la suie, habillés avec des peaux de loup noir...
Les enfants remuèrent sur leurs sièges, imaginant sans peine ces êtres sombres. Tandrag, comme les autres, ne quittait pas les lèvres de Talmab des yeux. Son imagination courait déjà dans les couloirs de la citadelle.
-...Le chambellan les faisait venir des régions les plus lointaines du royaume. Dévoués corps et âmes à leur maître, ils parlaient une langue curieuse, effrayante. Partout dans le pays, les gens tremblaient de peur quand ils voyaient arriver les hordes de gardes noirs. Ils étaient signe du malheur tombant sur des malheureux. Ils revenaient de leur périple traînant de longues files d'êtres enchaînés dont plus personne n'entendait parler. La peur les précédait, les accompagnait et les pleurs les suivaient. Au pied de la forteresse, battait la mer, tumultueuse comme la rivière dans les gorges de l'est. Le rivage était inhabité ou presque. Le village le plus proche était à une journée de marche. Composé de pauvres hères peinant jour et nuit pour subvenir aux besoins des gardes noirs, on y vivait courbé. Il y avait bien eu un semblant de révolte mais le sang des villageois avait coulé jusqu'à la mer. Les survivants s'étaient réfugiés dans le mutisme et le travail. C'est là sur la plage que vivait la famille de Stien. Pauvre famille, le père était pêcheur. Absent le jour de la barbarie, il avait retrouvé sa femme presque mourante protégeant encore l'enfant, leur enfant. Il l'avait enterrée quelques jours plus tard au pied de la falaise. À cette place, il avait dressé une pierre blanche, seule tache claire sur le noir de la roche. Depuis ce sombre jour, elle lui servait de repère pour retrouver sa maison. Il emmenait Stien avec lui pour pêcher. Comme cela ne suffisait pas à les faire vivre, ils s'étaient faits un peu pilleurs ou pirates. Ils partaient ainsi en mer quelques jours cherchant des proies faciles que deux hommes décidés pourraient piller. Ce jour-là, la mer était belle et les vents favorables après plusieurs jours de tempête.
- Père, une voile !
Regardant dans la direction indiquée, le père de Stien, régla les voiles de leur barque. Bientôt ils se rapprochèrent d'un vaisseau qui semblait dériver. Imaginez une barque grande comme une maison, avec des mâts aussi hauts que des bachkams. Les mâts étaient brisés et traînaient dans l'eau, ralentissant la course du bateau.
- La tempête l'a démâté. Il y a sûrement des choses à récupérer, dit Stien.
- Il y a peut-être des survivants, dit son père.
- On a nos armes.
En moins de temps que le soleil ne met à parcourir la moitié du ciel, ils furent à coté du vaisseau.
- Les gardes noirs sont derrière ça. Il ne faut pas traîner. Va voir dans la tente, je fouille le reste et on dégage vite.
- Bien, père.
Stien se dirigea vers la tente, enjamba le mât. Il dut en faire le tour pour trouver une issue. A l'intérieur, tout était sombre. Il vit des étoffes et cela le mit en joie. Il pourrait les négocier facilement. Il commença à les ramasser pendant que ses yeux s'habituaient à la pénombre. Il sursauta en voyant quelque chose bouger. Reprenant son arme, il s'approcha. Coincé sous le mât, couvert par un pan de la tente, un homme bougeait légèrement. Stien lentement fit mouvement vers lui.
- Trencamitosta, dit l'homme dans un souffle.
Stien sursauta en entendant cette voix. Il ne comprenait rien. L'homme redit la même chose en montrant quelque chose du doigt. Stien regarda. Un vase était arrimé un peu plus loin. Superbe, pensa Stien. Ça, ça avait de la valeur. Sans s'occuper de l'homme écrasé qui n'était pas un danger, il attrapa le vase. Il était lourd. Stien, souleva le couvercle. Dedans, il vit du sable. Il commença à le jeter.
- Niennnn... cria l'homme.
Stien s'arrêta. Il entendit son père accourir. Le cri l'avait alerté.
- Ce n'est rien, cria-t-il. Un mourant qui crie.
Son père passa la tête par l'embrasure de la tente.
- J'ai vu une voile au loin. Si ce sont les gardes noirs, il faut qu'on parte.
- Regarde les tissus et le vase.
- Prends tout, on fera le tri plus tard.
Joignant le geste et la parole, il ramassa le tas de tissus en fit un baluchon et sortit en se pressant. Stien le suivit en portant le vase.
La tête de l'homme retomba. Ses lèvres remuèrent comme une dernière prière.
Stein et son père se laissèrent descendre dans leur barque et firent mouvement, non sans avoir pris le temps de regarder où était la voile noire à l'horizon. Stien grimaça en la voyant.
- Tu crois que nous pourrons les semer ?
- Oui, mon fils, dit le père en larguant les amarres et en hissant la voile. On va prendre par les îles du feu.
Stien ne dit rien, mais sentit son cœur accélérer. Les îles de feu ainsi nommée à cause du volcan non loin de là. Il fumait toujours et gardait son aura de danger. Pourtant aucun homme vivant ne l'avait vu en éruption. Au village le sage disait que c'est lui qui avait craché toutes les pierres noires de la région. Stien en doutait. Comment une montagne qui fume pouvait cracher des pierres ? Pourtant la région était maudite car rien n'y poussait. Son père était le seul à braver l'interdit de temps à autre. La pêche y était souvent bonne. Les autres pêcheurs n'y allaient pas. Les hauts-fonds de roches acérées pouvaient couler un bateau.
Ils firent voile vers la côte, espérant que la voile noire ne serait pas derrière eux. Ils durent déchanter. Sans s'arrêter au vaisseau abandonné, la voile noire fit route à leur suite. Leur barque était rapide mais pas assez. Stien dit à son père :
- Ils se rapprochent.
Celui-ci se retourna, regarda le bateau encore loin :
- Oui, mais pas assez vite. La nuit sera là et nous serons entre les îles de feu.
- Nous y allons de nuit ?
- Oui, et tu comprendras leur nom.
La fin de la journée se passa ainsi. Stein, nerveux, surveillait sans cesse la voile noire. Son père réglait la voile au mieux, utilisant ses connaissances des courants et des vents locaux pour rester à distance. Quand le soir arriva, ils pouvaient compter les rames du bateau qui les poursuivait.
- Avant que le soleil ne soit couché, ils nous aurons rattrapés.
- Non, après cette pointe, ils abandonneront.
Stein quitta le bateau des yeux pour regarder devant. Ils allaient doubler un cap. Le soleil, bas sur l'horizon faisait briller les roches. Stein avait toujours pensé que c'est à cause de cela que la région portait le nom d'îles de feu.
- Accroche-toi, Stein, le courant va forcir.
Le père manœuvra habilement la barque pour lui faire prendre le courant. Malgré cela, ils furent ballottés comme un fétu de paille par les flots. Stien s'accrocha pour ne pas tomber à l'eau. Son père avait affalé la voile. Arc-bouté sur le gouvernail, il fixait droit devant lui, luttant pour rester au centre du courant. Stien se retourna pour voir ce que faisaient les gardes noirs. Il vit la proue de leur bateau passer la pointe, les rames toujours en action. Le courant les prit violemment et par le travers. Sous la puissance des flots, le bateau gîta considérablement. Les rames bâbord touchèrent les rochers. Stien malgré la distance entendit le craquement sinistre du bois. Le bateau à la voile noire sous le choc, se mit en travers du courant et chavira. Stien eut une bouffée de joie à voir disparaître ses poursuivants. Quand il se retourna, sa joie se transforma en peur. Devant lui, la montagne rougeoyait éclairant dans la nuit naissante des flots d'encre se jetant sur des roches encore plus noires. Toujours emporté comme une brindille dans un torrent leur barque frôlait des cascades de pierre, évitant un obstacle pour aller vers un autre. Stien regarda son père. Le sourcil froncé, il menait sa barque de la main sûre de celui qui sait. Il le vit faire un geste brusque sur le gouvernail. Le bateau partit de travers, il entendit plus qu'il ne vit la voile se déployer au-dessus de lui. Il eut l'impression qu'ils s'envolaient et ce fut le calme. Autour d'eux, la mer était calme.
- Nous sommes à l'abri ici. Repose-toi, demain il fera jour.
Talmab fit une pose le temps de boire un peu d'eau. Elle vit toutes les paires d'yeux fixés sur elle comme hypnotisés. Elle reprit :
- Quand le jour se leva. Stien découvrit les lieux. Il était dans une petite crique où la mer allait et venait doucement. Tout autour, il vit une multitude d'îlots. Plus loin, il devina la côte dans la brume matinale. Il était juste à côté du flanc du volcan. Les rougeoiements venaient de lui. Ils pâlissaient au fur et à mesure que se levait le jour. Stien vit son père préparer le bateau. Il remonta la pierre d'ancre et lança la voile. Le vent, calme lui permit de manœuvrer doucement. La brume s'épaississait.
- C'est bien, Stien, elle va nous cacher. Nous allons à la crique du piton poser ce que nous avons pris et nous pêcherons un peu avant de rentrer.
Leur parcours se passa sans difficulté. Ils atterrirent sur la plage de la crique du piton quand le soleil était au zénith. Le brouillard transformait sa lumière en un halo laiteux. Un silence rassurant régnait. Stien sauta à terre, bientôt rejoint par son père. Ils débarquèrent ce qu'ils avaient récupéré à bord du vaisseau. Les tissus étaient magnifiques. Ils seraient parfaits pour aller à la grande foire de la ville à l'automne. Ils avaient aussi toute une collection d'outils de métal. Le père de Stien les avaient préférés aux armes. Beaucoup plus discrets, ils se vendraient bien et cher. Il rangea tout dans une grotte. Pendant ce temps Stien examinait le vase qui l'intrigua, trop riche, avec tout ce métal précieux pour le décorer. Il devait contenir un trésor plus grand encore. Sinon pourquoi un tel décor ? Stien l'ouvrit et fit la moue. C'était bien du sable et pas de la poudre d'or. Il commença à vider le vase quand sa main rencontra une résistance. « De l'or ! » pensa-t-il en retirant le gros objet rond. Il fut déçu. Bien-sûr, il était doré, bien-sûr il était gros, mais ce n'était qu'un œuf ! Il le secoua contre son oreille et fut surpris d'entendre comme un bruit, une sorte de tac-tac. Il le regarda plus attentivement. Sous ses yeux, la coquille se brisa. Il lâcha tout.
La coquille finit de se rompre en arrivant à terre. Une sorte d'animal aussi doré que son œuf était posé à terre. Stien se pencha pour regarder. Il sursauta quand l'animal bougea. Il le vit déployer des ailes. Stien pensa qu'il n'avait jamais vu d'oiseau pareil avec de l'or comme plumage. Il le ramassa. L'oisillon émit comme un ronronnement. Il en tomba amoureux.
Tandrag avala sa salive. Il aurait aimé trouver l'oiseau, un oiseau rien que pour lui, un oiseau merveilleux pour vivre plein d'aventures...
Talmab avait marqué une petite pause pour soutenir son suspense. Elle reprit :
- Le temps avait passé et l'oiseau avait grandi. Il volait autour de Stien, se posant sur son épaule ou sur la cabane. L'oiseau qui avait une belle couleur dorée ne s'éloignait jamais beaucoup de la plage où ils vivaient, ou de leur bateau. Un jour Stien le sentant se poser sur son épaule droite, dit :
- Ah ! mais tu deviens lourd, l'oiseau !
- Si tu veux je peux me faire plus léger.
Stien avait sursauté, tournant la tête, il avait regardé l'oiseau :
- Mais tu parles !
- Oui, Stien. Tu en doutais ?
- Je n'ai jamais entendu un oiseau parler.
- C'est parce que je suis différent.
- Cela sera notre secret, alors ?
- Si tu le désires, Stien.
L'oiseau aux plumes d'or s'était fait plus léger sur l'épaule de Stien. Ce dernier se sentait important avec cet oiseau et petit à petit, il s'était redressé quand il marchait dans le village sans voir les regards de haine que certains lui jetaient. La situation empira encore avec l'été. Pour une raison inconnue les poissons semblaient avoir fui la région. Même en pêchant longtemps, ils ne ramenaient que de maigres butins. La faim s'installa aussi dans la cabane au bord de l'eau. Quand les gardes noirs venaient pour récupérer la nourriture, ils prenaient tout, ne leur laissant que les têtes des poissons et les queues. Stien se cachait avec son oiseau lors de ses visites. Ce jour-là, son père lui avait dit de prendre la barque et d'aller pêcher vers l'île verte. Stien avait été étonné. Il avait obéi prenant l'oiseau avec lui comme lui demandait son père. C'était la seule île de la région qui était couverte de végétation grâce à une source d'eau douce en son centre.
Stien et son oiseau se reposaient sur l'herbe en parlant ensemble.
- Ton père est un homme sage.
Stien regarda l'oiseau qui avait la taille d'un aigle. Il était toujours aussi étonné de la capacité de cet animal de changer de taille. Il était capable de passer de la taille d'un charc ce qui était suffisant pour son épaule à celle d'un aigle, taille beaucoup plus adaptée à la chasse.
- Pourquoi dis-tu cela ?
- Quand j'ai changé de plumage, il a récupéré mes vieilles plumes pour les vendre.
- Quoi !
- Ah ! Tu n'avais pas remarqué.
- Non, tu m'avais dit de les enterrer.
- Tu l'as fait. Je sais cela. Ton père a été les chercher.
- Mais pourquoi ?
- La nourriture était rare. Il les a vendues à un marchand qui les a cédées à un négociant qui a cru bien faire en les vendant au chambellan. Maintenant, il me cherche.
Stien fut atterré par la nouvelle.
- Qu'est-ce que je peux faire ?
- Le chemin va être difficile pour toi.
- Parle !
- Si tu rentres, tu seras pris et torturé comme ton père.
Stien s'effondra en pleurs à l'idée de ce qui arrivait à son père. L'oiseau merveilleux avait le don de savoir beaucoup de choses. Stien ne mettait pas en doute ses paroles. Il comprenait les signes qu'il avait vus ces derniers jours.
- Et mon père ?
- Tu sais son entêtement. Il va finir dans la noire forteresse.
- Il faut le délivrer !... Viens, dit Stien en se dirigeant vers la barque.
- Avec ton épée d'obsidienne face à leurs armes de métal ? Tu manques de raison, Stien.
- Que proposes-tu ?
- Lève une armée.
- Et tu dis que je manque de raison ! Tu ne t'écoutes pas.
- Je serai ton étendard. Chacune de mes plumes d'or deviendra un signe de ralliement. Deviens ce que tu es.
- Je suis quoi ?
- Tu es pirate.
Stien se tut et regarda l'oiseau en réfléchissant. Il avait raison. S'il avait le sens de la mer, il n'avait pas le sens de la pêche. La seule chose qu'il savait faire à part naviguer, était le pillage des navires.
- Mais je n'ai qu'une barque et une épée de pierre.
- Je peux t'aider. Je peux être porteur de feu.
- Tu ferais cela comment ?
- Le volcan peut me donner ce qui me manque.
- Explique.
- Ma race est protégée du feu par ses plumes d'or. Pour être porteur du feu, il nous faut à nous une aide, soit quelqu'un de ma race, soit un humain pour nous lier à lui. Tu es peut-être celui-là, ou celui qui me guidera jusqu'à lui. Pour le savoir, il nous faut monter au volcan. Le feu de la terre me donnera la force de porter le feu et me dira si tu es mon lien ou mon guide.
De nouveau Talmab marqua une pause. Son public était captivé. Quand elle se mit à décrire le voyage de Stien et de son oiseau aux plumes d'or vers le volcan, elle vit Tandrag retenir sa respiration. Depuis qu'elle l'avait nourri, elle gardait une tendresse pour lui. Il était le frère de lait de sa fille. Sans lui, Miasti n'aurait sûrement pas survécu. Elle continua son récit :
- Alors Stien, étouffant à moitié dans les fumées du volcan, déposa l'oiseau dans le feu de la terre. Le bâton qu'il avait utilisé prit feu. Il le retira vivement. La chaleur était insoutenable. Stien en souffrait beaucoup. Il vit avec horreur l'oiseau s'enfoncer dans le lac de feu comme si c'était de l'eau. Il n'avait pas bien compris pourquoi l'oiseau ne pouvait y aller seul et ne devait pas voler. Il lui avait fait confiance. Le lac de feu entra en ébullition. Stien se recula vivement. Il le vit déborder et couler vers lui. Il partit en courant se réfugier sur une muraille de lave plus loin. Il regarda le lac de lave bouillonner. Il vit, brillant comme le soleil, grand comme un vaisseau l'oiseau aux plumes d'or pendre son envol en poussant un cri puissant.
Talmab l'imita provoquant un sursaut dans l'assemblée. Elle sourit de son effet et reprit la parole :
- L'oiseau vint vers Stien. Il était géant. Stien pensa qu'il n'aurait jamais la force de porter un tel être sur l'épaule. L'oiseau sembla rétrécir à mesure qu'il approchait. Quand il eut atteint la taille d'un charc, il vint se poser. Cette silhouette brillante portée sur l'épaule devint le symbole de la rébellion au chambellan. Bientôt dans la région, la rumeur le désigna comme le pirate à l'oiseau aux plumes d'or. Attaquant les bateaux du chambellan, il en devint le cauchemar.
Les rebelles s'étaient petit à petit regroupés autour de Stien. L'oiseau aux plumes d'or était le symbole et l'arme. Stien se retrouva à la tête d'une flottille de barques et de petits vaisseaux. Il mit au point une attaque efficace contre les grands vaisseaux remplis de gardes et armés de balistes. Stien attaquait en tête avec l'oiseau aux plumes d'or qui allait porter le feu sur le navire quand il refusait de se rendre. Stien montait à bord le premier. Il avait pour toute arme, un étrange bâton qui semblait à moitié brûlé. Il le découvrait et tous ceux qui le regardaient, étaient paralysés. Les autres intervenaient alors pour vider les richesses. Les gardes noirs qui étaient à bord étaient tous éliminés. Une fois le navire pillé, les marchands et les passagers étaient libres de repartir. Stien leur laissait assez d'eau et de vivre pour rallier un port.
Ce jour-là, les choses ne se déroulèrent pas comme d'habitude. L'oiseau au lieu de mettre le feu au navire de gardes noirs repéré, revint se poser sur l'épaule de Stien.
- Ils veulent se rendre, dit-il. Ils ont mis un drapeau de reddition.
- Que cachent-ils ? dit un des compagnons.
- Tuons-les tous ! dit un autre.
- Que dis-tu, l'oiseau ? demanda Stien.
- Si leur peau est noire, leur cœur est sincère, dit l'oiseau.
C'est ainsi que Stien rencontra Mactombou. L'homme était un chef de tribu de ces hommes noirs. Mais il ne supportait pas l'autorité du roi qui avait fait alliance avec le chambellan.
- C'est un mauvais roi, dit-il. Il ne pense pas au bien des siens mais au trésor qu'il amasse. Le sorcier de mon village a dit que pour le vaincre je devais aider l'homme à l'oiseau qui luttait contre le mal du pays des mille îles. C'est pour cela que je viens. J'ai servi le chambellan. J'ai dirigé la forteresse noire. Aujourd'hui, j'ai dit : « ça suffit ! ». Les miens me suivent.
- Tu as dirigé la forteresse noire ?
- Oui, je dirigeais les gardes des remparts.
C'est alors que Stien apprit la suite de l'histoire de son père. Torturé pour lui faire avouer d'où venaient les plumes d'or, il avait refusé de parler. Le chambellan l'avait fait enfermer dans la sombre tour où restait la fille du roi. Cette dernière ne sortait qu'une fois par an quand le soleil brillait au zénith et éclairait la cour. Le chambellan lui faisait servir un somptueux repas et invariablement lui demandait de l'épouser. Depuis toutes ses années, elle refusait. Alors quand la lumière du soleil quittait la petite cour, il la faisait reconduire dans son cachot où le mage noir la mettait en catalepsie pour un an.
L'oiseau prit la parole :
- Stien, tu es mon guide. Il faut que je voie celle qui refuse.
Stien eut un pincement au cœur. Il pensait l'oiseau à lui et il n'était que son guide. Bien sûr, il n'était pas fils de roi. Il était simple pêcheur.
- Ne sois pas amer Stien. Tu es maintenant quelqu'un d'important. Le chambellan donnerait beaucoup pour t'avoir.
Stien sourit à l'évocation de ce fait.
- Je n'ai jamais eu à me plaindre d'avoir suivi tes conseils, l'oiseau.
Se tournant vers le chef des gardes noirs, il ajouta :
- Tu vois, Mactombou, tu nous ouvres des perspectives passionnantes.
Les jours qui suivirent, Stien et Mactombou passèrent beaucoup de temps à discuter. Certains mettaient en doute en privé la sincérité des hommes noirs. Stien rassura ses hommes. Les hommes noirs allaient attaquer les premiers, eux passeraient par un vieux passage secret pour se retrouver dans la tour sombre. L'oiseau en était tout exalté. Il avait décidé que le meilleur jour pour attaquer serait le jour où le soleil éclairerait la cour de la tour sombre. Mactombou lui faisait miroiter la possibilité d'en finir avec le chambellan le même jour. Petit à petit l'impatience gagna tous les rebelles. Le combat final approchait. On allait en finir avec le chambellan et redonner le pouvoir à la justice et à la paix. La saison était chaude, très chaude.
Le jour le plus long approchait maintenant rapidement. Avec Mactombou, ils préparaient le plan de l'attaque. Il fallait la commencer au petit matin pour que les bateaux puissent approcher assez près et envoyer un contingent par la terre. Les espions de Stien dans la capitale avaient confirmé que le chambellan préparait son voyage comme chaque année. Les mages lui avaient dit que le nouveau cycle verrait l'émergence d'un nouveau pouvoir tel qu'il n'en avait pas été vu depuis longtemps sur cette terre. Il avait interprété cela comme étant le jour de son triomphe. Stien faisait la même interprétation mais ne voyait pas le même triompher...
La vieille du long jour arriva. Les préparatifs ne pouvaient pas être améliorés. Le groupe d'action terrestre était parti pour se mettre en place. La tension sur l'île des pirates était palpable. La peur aussi. Les cœurs battaient plus vite. Quand la nuit tomba, les bateaux prirent la mer. Le ciel était dégagé. Stien grimaça, ils seraient plus facilement repérables. Il donna l'ordre de ne surtout pas faire de lumière. La faible lumière d'un croissant de lune éclairait la mer. Stien comme toujours, était dans le bateau de tête avec Mactombou. Le reste de la tribu de Mactombou était dans des embarcations qui se dirigeaient vers le pied de la forteresse noire. Ils allaient arriver à marée basse. Ils n'auraient alors le choix que de vaincre ou périr avec la remontée de l'eau. La navigation se passa sans encombre. Stien devinait les ombres de la flottille mais doutait que les guetteurs fassent attention à ces ombres dans la nuit. Quand ils approchèrent de pointe de la forteresse, Stien scruta le haut des remparts. L'oiseau partit en reconnaissance. A son retour, il murmura que tout semblait calme. C'est là que le bateau de Stien se sépara des autres. Il lui fallait d'ici l'aube avoir atteint un point précis dans la baie adjacente qu'on ne pouvait atteindre que lorsque la mer se retirait. Il s'agissait d'une caverne. Mactombou lui avait assuré qu'on atteignait ainsi la cour de la tour où était la fille du roi. Si atteindre la baie ne posa de pas de problème, aller jusqu'à l'entrée de la caverne nécessita de mettre les rames en jeu. Stien tremblait à l'idée du bruit que faisaient les avirons en pénétrant dans l'eau. Il lui semblait à chaque instant qu'il allait entendre la trompe d'alarme dans la forteresse. De nouveau l'oiseau aux plumes d'or fut sollicité pour aller en reconnaissance. A son retour, il rassura Stien :
- Rien ne bouge là-haut. Le seul garde sur les remparts semble dormir.
- Vu le bruit que nous faisons, cela ne me semble pas normal. C'est à se demander s'il n'y a pas un piège là-dessous.
- Si nous allons là où je crois, nous ne risquons rien. Voilà la grotte.
Stien manœuvra la barque avec finesse, synchronisant l'entrée avec le relevage des avirons. Le temps d'amarrer la barque, il se retourna pour voir l'oiseau. Celui-ci lui dit de loin :
- Je ne supporterais pas d'être dans le tunnel, je vous rejoins par en haut.
Stien se sentit brusquement mal. Sans l'oiseau aux plumes d'or sur son épaule, il était sans protection, sans étendard, sans pouvoir. Il serra plus fort l'amarre de son bateau et sauta sur la corniche. Mactombou avait déjà allumé une torche et montrait l'entrée du tunnel à la dizaine d'hommes qui l'accompagnaient. Stien se sentait piégé, mais il n'avait plus le choix. Ils avancèrent à la lueur d'une mauvaise torche qui fumait beaucoup.
Talmab fit une nouvelle pause. Elle entendait le souffle court de ceux qui étaient emportés dans la légende qu'elle racontait. Même Miasti s'était prise au jeu. C'est la première fois que Talmab la racontait ainsi dans tous ses détails. Elle but à nouveau un peu pendant que les autres avalaient leur salive.
Les combats avaient commencé sur la plage. A l'aide de grappins, aux premières lueurs du jour, ils avaient réussi à prendre pied sur une première plateforme. Malheureusement une solide porte en bois leur avait interdit de pénétrer dans la forteresse. La tribu des hommes noirs s'était alors attaquée à la deuxième plateforme. Les combats étaient beaucoup plus rudes. La tribu qui tenait la position sur les remparts, bien que de même couleur de peau, se battait avec énergie. Quand l'autre groupe d'attaque passa à l'action, il eut aussi un rapide succès, puisqu'il prit le contrôle de la poterne et de la basse cour mais ne put atteindre la haute cour. Là aussi les combats furent violents.
Stien ne savait rien de tout cela quand ils arrivèrent à la fin du tunnel. Il entendit Mactombou jurer. Il se glissa jusqu'à lui.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- La porte est bloquée !
Stien regarda la porte avec incrédulité. Mactombou ne lui avait rien dit de cette porte.
- On ne va pas rester bloqué pendant que les autres se battent.
Un des hommes prit sa hache de guerre et entreprit de casser la porte. Stien pensa que c'en était fini de la discrétion et de la surprise. Il espérait que les deux corps d'attaque avaient réussi à entrer dans la forteresse. Il fallut frapper à coup redoublés pour enfin réussir à faire tomber les panneaux de bois et passer dans les couloirs sous la citadelle. La progression reprit. Stien se rassura un peu en voyant qu'ils ne rencontraient pas d'opposition. Ils arrivèrent à un escalier. Mactombou et lui se regardèrent. Le moment de la confrontation était arrivé. Le chambellan logeait dans un appartement plusieurs étages au-dessus et la fille du roi dans une sombre pièce dans un des cachots de la même tour. Ils écoutèrent un instant le silence. On n'entendait rien. Ils grimpèrent les marches quatre à quatre. Une fois en haut, ils pénétrèrent dans la salle des gardes. Deux gardes noirs semblaient se reposer en parlant des combats qui se déroulaient dehors. Mactombou écouta un peu et lança son attaque. Les deux gardes furent assommés rapidement. Tout le groupe s'était rué à la suite de Mactombou, si bien que le filet les captura tous sauf Stien qui arrivait avec un peu de retard. Voyant la situation, il leva son bâton, tout en regrettant de ne pas avoir l'oiseau avec lui. Quand le rire éclata, il n'eut que le temps de jurer avant de sombrer dans l'inconscience.
Le garde noir qui venait d'estourbir le chef des rebelles se tourna vers le chambellan :
- Je l'achève ?
- Non ! Lie-le avec l'autre et montez les deux dans la cour. Éliminez les autres, ils sont inutiles.
Le chambellan laissa ses gardes noirs faire leur sombre besogne. Il remonta dans son appartement en sifflotant. Ses mages avaient raison, ce jour allait être son jour. Il se félicitait d'avoir fait espionner Mactombou. Il avait ainsi pris ses précautions, les groupes d'attaque s'épuisaient sur des terrasses sans issue. Le soleil allait atteindre son zénith. Il fallait qu'il se prépare pour le repas avec celle qui, il n'en doutait pas, allait céder aujourd'hui.
De l'autre côté de la tour, une frêle jeune fille se laissait apprêter, le regard vide. Les femmes noires qui l'habillaient et la paraient étaient les compagnes des gardes. Elle ne pouvait en attendre ni compassion ni soutien. Magnifiquement parée d'une robe brodée d'or, la fille du roi attendait debout comme chaque année que débute ce rituel qu'elle haïssait. Réveillée de son sommeil artificiel par un mage, elle allait subir une nouvelle fois les assauts du chambellan. La dernière main fut ajoutée à sa tenue sous la forme d'un diadème. Elle le reconnut. Suprême insulte, il s'agissait de celui que portaient les femmes de sa lignée depuis des siècles. Elle avait tant rêvé le porter pour le jour de son intronisation quand, au bras de son père, elle serait entrée pour être couronnée avec son époux. Une larme coula sur sa joue, laissant un sillon blanc.
Quand la porte s'ouvrit à nouveau, elle était prête. Elle entendait au loin des bruits de combat. Elle supposa que les gardes noirs avaient trouvé un nouveau jeu cruel pour martyriser son peuple. Dans ce cas, le chambellan saurait s'en vanter. L'espoir l'avait quittée. Autant en finir, elle avait décidé d'accepter la proposition et de se tuer devant son peuple au moment du sacre.
Quand Stien se réveilla, la tête lui faisait mal, les bras lui faisaient mal, les poignets lui faisaient mal. Il ouvrit les yeux essayant de comprendre. Devant lui, se tenait un homme richement habillé qui se mit à rire. Stien reconnut le rire qu'il avait entendu juste avant de perdre connaissance.
- Alors, le pirate à l'oiseau aux plumes d'or te voilà enfin. L'attente fut longue mais le résultat à la hauteur de mes désirs.
Le chambellan se dirigea vers l'homme suspendu à coté.
- Alors, Mactombou, que croyais-tu ? C'est ton roi qui m'a prévenu et qui m'a donné les espions pour te perdre. Rien ne pouvait me faire plus plaisir aujourd'hui. Le chef de la rébellion qui se prenait pour un grand stratège parce qu'il était vainqueur sur l'eau et le chef des rebelles noirs qui voulaient renverser mon ami le roi Tactalmou sont mes invités. Vous allez assister à ma victoire.
Se retournant en entendant une porte s'ouvrir, le chambellan ajouta :
- Ah voici son excellence ! Il ne manquera plus qu'un invité.
Il se dirigea vers l'escalier. Juste à ce moment-là, le soleil éclaira la porte, illuminant la silhouette qui venait d'apparaître. Stien en eut le souffle coupé. Jamais il n'avait pensé voir une femme aussi belle. Il en oublia toutes ses douleurs. La fille du roi auréolée de scintillement s'avança dans la lumière. Sur sa tête brillait un diadème. Stien tomba immédiatement amoureux.
- Votre excellence, approchez, approchez, que je vous présente nos invités.
Avec force révérences et ronds de jambes, le chambellan vint offrir son poing fermé à la main de la fille du roi. Celle-ci y posa sa main gantée de blanc et descendit les quelques marches. Le soleil poursuivait sa course, éclairant petit à petit la cour. Sur un ton obséquieux, le chambellan présenta Mactombou et Stien, comme s'il avait présenté de grands seigneurs à la cour. La fille du roi regarda les deux hommes. Elle fit un sourire à Mactombou.
- Un simple sourire pour un homme qui a donné sa vie pour vous sauver, je vous trouve bien avare excellence. Mais voici le seigneur Stien, maître de l'oiseau aux plumes d'or, grands maîtres des pirates de ces mers...
En entendant ses paroles, la fille du roi vissa son regard dans celui de Stien. La prophétie secrète... la prophétie que seuls connaissaient les rois et leur famille… Celle qui disait que quand tout semblerait perdu, le salut viendrait d'un oiseau aux plumes d'or.
Le chambellan vit l'échange des regards et éclata de rire :
- Tu crois encore à cette prophétie poussiéreuse bonne pour les enfants et les simples d'esprit.
Sans quitter Stien des yeux, la fille du roi répondit :
- Tu ne sais pas la force des prophéties, chambellan félon.
- Alors attendons ce dernier invité : l'oiseau aux plumes d'or qui viendra dans le soleil porteur du feu...
La fille du roi sursauta en entendant le chambellan répéter les paroles qu'elle croyait secrète. Elle leva les yeux vers le ciel. Stien l'imita. Le soleil éclairait maintenant toute la surface de la cour. Quelques instants passèrent. Il y eut un cri.
- L'oiseau ! pensa Stien.
Effectivement une grande ombre vint devant le soleil et commença à planer. Le chambellan s'exclama :
- Ah ! Que j'ai peur !
Il fit mine de se protéger avec le bras. Poussant un autre cri, l'oiseau se rapprocha du sol.
- Maintenant ! hurla le chambellan.
Un filet lesté de lourdes pierres fut lancé du haut de la tour. Il emprisonna l'oiseau dans ses rets, l'entraînant dans sa chute.
La fille du roi et Stien poussèrent un cri. Quand le filet toucha le sol, dix javelots le transpercèrent sous les rires du chambellan.
- Voici notre menu : brochette d'oiseau aux plumes d'or !
La fille du roi regarda le filet, les yeux agrandis par l'horreur, les deux mains sur la bouche. Stien regardait et le filet et la fille du roi. L'oiseau ! Celui en qui il avait mis tous ses espoirs, celui qui lui avait tant donné de victoires, ne pouvait pas finir en poulet rôti ! Seul Mactombou vit le petit éclair doré d'un oiseau gros comme son pouce filer vers la tête de la fille du roi et se poser sur le diadème. La fille du roi fit un pas en avant. Le soleil fit briller l'oiseau, le diadème, la robe. L'oiseau poussa un petit cri. La fille du roi se raidit. Écartant les bras, elle se mit à tourner sur elle-même dans la lumière. Le chambellan qui regardait ses gardes noirs soulever le filet, se retourna pour voir ce qu'il se passait. A chaque tour qu'elle faisait la fille du roi semblait gagner en luminosité. Bientôt plus personne dans la cour ne put regarder cette vivante étoile. Les liens de Stien et de Mactombou se consumèrent d'eux-mêmes. La boule lumineuse tournoyante qu'étaient devenus la fille du roi et l'oiseau, se mit à grandir. Stien fut bientôt englouti dans la lumière. Le temps sembla suspendu. Son bonheur fut immense. Ses douleurs disparurent. Il pensa que cet instant devrait durer toujours.
Quand la lumière reflua, il aperçut comme la silhouette de l'oiseau à taille humaine, en regardant mieux, il vit la fille du roi couronnée de son diadème où brillait un oiseau aux plumes d'or et aux yeux brillants comme des diamants. Autour de lui les pierres avaient cessé d'être noires. Elles brillaient comme remplies d'une lumière intérieure. Du chambellan et des gardes noirs ne restaient que les habits vides épars sur le sol.
Bientôt apparurent des soldats qui poussèrent des hourras en voyant Stien et Mactombou. Puis découvrant la silhouette auréolée de lumière, ils mirent genou à terre. La fille du roi s'avança vers Stien et tendit sa main. Répétant le geste du chambellan, il lui proposa son poing fermé. La fille du roi y posa la main :
- Maître des pirates, tu as su guider l'oiseau aux plumes d'or jusqu'à moi. Sauras-tu être mon roi ?
Stien mettant genou à terre, appuya les lèvres sur la main qu'il avait prise et s'exclama :
- Ma Reine !
Autour d'eux fusèrent les cris de joie et les hourras.
- C'est ainsi qu'en ce lointain royaume revinrent la paix et la prospérité.
Tandrag en entendant les dernières paroles revint à la réalité. Il ferma la bouche, regarda autour de lui comme au sortir d'un rêve.
- Allez, les enfants, il est temps d'aller se coucher. Demain le travail vous attend.

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