lundi 16 juillet 2012


Natckin et les siens avaient beaucoup de travail. Les parents défilaient à la maison Andrysio pour proposer ou chercher un nom. A chaque fois, il fallait accomplir le rite. Natckin ne s'occupait pas de tous les enfants. Il lui fallait organiser le tour de chaque voyant pour confirmer ou pour proposer un nouveau nom pour l'enfant qui avait fait tout un cycle de vie et était encore vivant. Nés après la fête des rencontres de l'année dernière, ils avaient montré leur force de vivre. Sevrés, ils méritaient un nom public. Ils abandonnaient leur premier nom, celui choisi par les parents, pour prendre celui de l'enfance. Ils allaient le garder jusqu'à l'adolescence. A ce moment-là, un autre cycle commencerait.
Quand Sealminc vint, Natckin l'entendit. Les bruits portaient bien dans la maison Andrysio. Dans sa cellule de repos, il eut de nouveau l'impression que son cœur allait se rompre à battre aussi fort. Elle n'était malheureusement pas seule. Chountic l'accompagnait. Il parlait avec le responsable de l'accueil.
- Brtanef est un nom qui ne lui va pas. Je voudrais un patronyme plus en accord avec cet enfant.
- Bien, Maître Chountic. Je préviens le Maître Sorcier Natckin.
Le portier prit l'air important de l'homme affairé et s'enfonça dans le couloir. Natckin profita du temps que lui laissait cette requête pour se calmer.
- Maître Sorcier Natckin, dit le portier en frappant à la porte. Le maître de la maison Chountic est là.
- Je viens.
Natckin apparut sur le seuil suivi de Tasmi. Il arriva près de la porte en évitant soigneusement le regard de Sealminc. Il se concentra sur Chountic. Il nota l'œil injecté, le teint bouffi de celui qui consommait trop de malch noir ou de sicha. Chountic avait le verbe haut et tonitruant. Il voulait s'imposer sans voir qu'il indisposait.
- Bonjour, Maître Chountic. C'est un honneur de vous recevoir.
- Bonjour, bonjour, qu'avez-vous comme nom pour cet enfant?
Natckin ne releva pas l'offense. L'homme en face de lui malgré l'heure précoce, exhalait des relents de malch noir mal digéré.
- Il va falloir faire un rite.
- Encore ! Le vieux maître sorcier était plus efficace.
Natckin se dirigea vers la grange devenue site divinatoire. En grommelant, Chountic lui emboîta le pas, Sealminc suivit avec Brtanef dans les bras. Tasmi fermait la marche.
Tonlen voyant le groupe, se joignit à la procession. Pendant ce temps là, les autres se répandirent en commentaires sur ce qu'il venait de se passer. Tasmi sentait ce qu'il se passait. Depuis sa rencontre avec le Maître Sorcier Kyll, qui plus que jamais était son inaccessible idole, Tasmi sentait ce que les autres ressentaient. Chountic suait le mépris, les sorciers exhalaient la colère. Sealminc et Natckin semblaient ne former qu'une entité. Seul l'enfant lui demeurait curieusement étranger, ou plutôt étrange et familier. Bien repu par sa dernière tétée, il dormait dans les bras de Sealminc, mais son esprit renfermait une part de mystère qui se refusait.
Bientôt, ils arrivèrent devant l'autel au pied du Bachkam. Le rite du fils de la maison de Stoun finissait. Natckin fit un signe discret à l'officiant pour lui dire qu'il prenait la suite. Les servants firent signe à Chountic et Sealminc de s'approcher. Pendant ce temps, l'officiant s'éloignait lentement. Natckin et Tasmi avait commencé les rites d'ablutions préliminaires. Ils se concentraient sur le rite à venir. C'était un des rites majeurs. Moins démonstratif que les grands rites, il était vital. Un mauvais nom pouvait se révéler une catastrophe. Natckin restait persuadé que le rite du nom d'adulte de Chountic avait été mal fait pour qu'il soit devenu ce qu'il était. L'enjeu dans le cas de Brtanef était majeur pour lui mais aussi pour la ville. Kyll avait été formel. Tasmi nota l'inhabituelle concentration du maître sorcier Natckin. Il en fut heureux. Pour une fois, peut-être pourrait-il rester en retrait sans intervenir pour servir d'intermédiaire à Natckin. Les gestes et les déplacements des uns et des autres s'enchaînaient dans une fluidité rassurante.
Chountic toujours grommelant, se retrouva avec l'enfant dans les bras. Celui-ci faisait des bulles en dormant. Sealminc en tant qu'épouse et mère se tenait derrière le chef de la maison qui présentait son descendant. Chountic s'impatientait et le faisait sentir. Natckin qui aspergeait l'autel, s'interrompit et vint vers lui.
- Maître Chountic, il y a un problème.
Ce dernier sursauta.
- Quel problème?
- Un totem aussi puissant que le vôtre risque d'être contrarié que vous ne soyez pas venu revêtu des habits de votre clan.
Natckin savait que ce n'était pas une nécessité pour le rite, mais l'attitude de Chountic l'exaspérait et imaginer comment il pouvait traiter sa chère Sealminc le mettait en colère.
Chountic avait pâli.
- Dois-je aller le chercher?
- Non, le mal est fait. Je vais intercéder pour vous et les vôtres.
Il se retourna, se retenant de sourire en voyant le changement de figure de Chountic.
Face au bachkam, il se concentra. Il lui fallait s'ouvrir aux esprits pour recevoir le nom, le nouveau nom de l'enfant. Ce patronyme l'accompagnerait sur les deux ou trois prochains cycles de saisons qui le conduiraient de bébé vagissant à jeune capable d'aider. Un homme vivait quinze ou vingt cycles de saisons, guère plus. Le premier cycle correspondait à la prime enfance. Le petit trop dépendant de sa mère, pas assuré de survivre ne recevait qu'un nom familier donné par les parents. Puis venait le temps de la communauté. S'il avait atteint le deuxième âge, il pouvait recevoir les connaissances qui lui seraient nécessaires pour après. Brtanef en était là. Natckin s'imprégna de l'histoire de l'enfant, de l'histoire réelle pas de l'histoire officielle. Les esprits l'avaient favorisé. Exposé, il avait survécu grâce au miracle de la chaleur de la pierre qui bouge, comme la fille hors saison de Kalgar qui avait reçu le nom de Miasti, celle qui réjouit le cœur. Cet enfant était un survivant au passé mystérieux, mais il était aussi celui qui avait été donné pour remplacer celui qui était mort. Natckin sentit un totem puissant. Tasmi à ses côtés frissonnait. Il murmura :
- Ils approchent...
- Qui ça ? demanda Natckin à mi-voix.
- Les totems...
Ce fut au tour de Natckin de frissonner. Les totems venaient, pas un, mais tous. Vraiment, ils se passaient des évènements extraordinaires. Il fut heureux que la plupart des extérieurs soient partis. Il était sûr que cet enfant avait à voir avec eux.
- Là ! dit Tasmi.
Natckin vit les ombres des formes sortant du bachkam. L'ours vint en premier, suivi du loup. Chountic et Sealminc, comme tous les assistants furent frappés par le changement qui arriva. L'air sembla plus lourd, plus chargé de présence, de puissance, comme un soir d'orage d'été juste avant la foudre. L'enfant avait ouvert les yeux et regardait. Voyait-il?
Tasmi mit sa main sur l'épaule de Natckin. Sa vue devint plus claire. Les totems se rangèrent en rond dans la salle. L'ours vint se placer devant Chountic et hurla à sa face. Chountic, insensible humain attaché à son plan de vie, n'entendit et ne vit rien. Natckin et Tasmi avaient compris. Chountic était maintenant rejeté de sa fonction par son totem. Le présage était funeste. Puis le totem Ours se retourna vers le bachkam, oscillant de droite et de gauche en grognant. Les autres totems faisaient de même, chacun dans son langage. C'est alors qu'un halo de lumière prit naissance. Le grand totem apparut : le Dragon encore une fois.
L'immense ombre lumineuse s'arrêta devant les sorciers. Son regard de feu se posa sur eux.
- Il est mien !
Puis tout disparut. Les deux sorciers s'entreregardèrent. Jamais ils n'avaient vécu cela. Jamais un totem n'avait revendiqué un enfant de cet âge.
- Tandrag est son nom. Ainsi en ont décidé les totems!
En entendant les paroles de Natckin, les participants semblèrent reprendre vie. Ceux qui avaient suspendu leur respiration, inspirèrent bruyamment. Les autres échangèrent des regards interrogateurs. Ce nom ne leur évoquait pas grand chose, une idée de choix et de force mais aucune périphrase ne pouvait traduire ce qu'évoquait ce nom.
La suite de la cérémonie se déroula sans autre interruption. Quand vint le moment du départ, Chountic remercia du bout des lèvres. Il semblait presque absent. Natckin y vit l'action du totem Ours. Au moment de la séparation, Chountic avait déjà fait trois pas hors de la maison Andrysio quand Sealminc arriva à la porte. Elle put sans risque échanger un long regard avec Natckin.

samedi 14 juillet 2012


Quiloma avait des ordres. Mais cela ne l'arrangeait pas tout en lui convenant. La guerre dans le monde blanc se passait mal. Le messager n'avait pas dit cela, mais c'est ce que Quiloma avait compris. Le peuple Gowaï ne rendait pas les armes. Le Prince Majeur, en cette saison du jour sans fin, ne pouvait pas mobiliser toutes les ressources du pays. Il devait aussi prévoir les artisans pour la chasse, les récoltes et toutes ces choses indispensables qui se faisaient en cette période. Les phalanges des princes dixièmes avaient été battues. C'est ce qui ressortait du premier ordre de renvoyer la moitié de la phalange pour « compléter la victoire », avait dit la Voix du Prince Majeur. Quiloma avait entendu « pour boucher les trous ». Qunienka allait devoir partir avec dix mains de guerriers. Quiloma avait ordre de rester là pour surveiller, et si possible apprivoiser le dragon pour le Prince Majeur. Cela le laissait en position de faiblesse. Avec les morts et les blessés, dont lui, il n'avait pas assez de force pour tenir le village face à une révolte, ou face à une attaque venue de l'extérieur. Il en avait discuté avec Qunienka. Celui-ci lui avait fait remarquer que vu le nombre de nouveaux-nés aux yeux allongés dans le village, il y avait peu à craindre. Bien sûr, ils restaient quelques exaltés prêts à se battre, mais même les prêtres ne demandaient plus le retour dans le temple. Ils avaient adapté la maison Andrysio à leurs rites. Leur panthéon local avait adopté le Dieu Dragon comme dieu des dieux. De plus le dragon vivant qui volait dans la région suffisait à renforcer cette idée. Quiloma en avait convenu. Homme prudent, il avait prévu de faire de l'ancien temple, une forteresse. Il fallait aussi qu'il adapte l'armement et les tenues des hommes à une vie sans neige. La question de l'apprivoisement du dragon le laissait dubitatif. Il avait fréquenté assez de marabouts pour savoir que les dragons, hé bien sont les dragons, des êtres libres par essence, à la force suffisante pour ne pas se laisser dicter leur conduite et à l'esprit différent des humains. Celui qui volait dans la région était jeune, voire très jeune. Peut-être pouvait-on le rendre docile ? Il fallait aussi qu'il ne soit pas un dragon lié. Quiloma ne pouvait s'empêcher de rapprocher les deux faits. L'enfant qui avait disparu ici, avait précédé de peu le dragon. Quant à l'anneau, il était dans la région. Et cela aussi intéressait le Prince Majeur. Il lui fallait cet anneau pour en finir avec le Gowaï. Quiloma avait quand même une petite idée. Ses hommes avaient vu le juvénile lors de l'explosion. Si le dragon avait l'anneau, le Prince Majeur aurait bien du mal à le récupérer. On ne touche pas au trésor d'un dragon. Tout le monde savait cela. Exceptionnellement, les dragons donnaient certains de leurs trésors, mais cela les liait au receveur. Peut-être qu'un juvénile serait plus influençable? Quiloma pouvait peut-être jouer sa propre partition. Si le dragon le laissait manipuler l'anneau-roi alors son rang dans la hiérarchie des princes le mettrait juste derrière le Prince Majeur. L'image de Jorohery s'imposa dans son esprit. Il grimaça. S'il avait l'anneau, il lui faudrait composer avec lui. Cela valait-il le coup?
Mais le plus important, même s'il ne se le reconnaissait pas, était la Solvette. Une telle femme ! Il n'avait jamais rencontré de femme comme elle. Dans son pays, les femmes étaient des mères potentielles, la plupart du temps discrètes pour ne pas dire soumises. Seuls les compagnes officielles des princes avaient du répondant, un peu de répondant si on les comparait à la Solvette. Elle était marabout, commandait aux charcs et aux éléments. Non vraiment Quiloma ne voyait pas à qui la comparer. Elle lui avait fait un enfant. Non, il ne pouvait pas dire cela. Elle l'avait choisi pour être le père de l'enfant qu'elle désirait. C'était une fille. Elle répondait au nom de Sabda, mais dans le village tout le monde l'appelait la petite Solvette. Si elle avait les yeux un peu allongés, elle avait le regard de sa mère. Quiloma se sentait interpellé par ce petit bout de fille, lui qui n'avait jamais prêté d'attention aux enfants qu'il avait essaimés ça et là. Même s'il ne le reconnaissait pas, il aimait être avec elles. Il ne savait pas que ses guerriers trouvaient la relation de leur prince fort satisfaisante. Si la discipline et l'entraînement ne s'étaient pas relâchés, ils trouvaient leur prince encore plus attentif à leur sort. Cela rendait l'éloignement du pays plus tolérable.
Quiloma fit la liste des partants avec Qunienka. Cela lui serra le cœur de se séparer de ses hommes. Il n'avait pas le choix. Ils devaient accompagner la voix du Prince Majeur. S'il y eut quelques larmes au départ des guerriers, il y eut beaucoup de sourires aussi. Avec neuf mains de guerriers, pourrait-il remplir sa mission?

mercredi 11 juillet 2012


Kyll serrait dans ses bras le crammplac. Celui-ci repartait vers les régions froides. S'il était le maître des terres glacées, sa trop chaude fourrure lui rendait déjà la vie difficile alors que Cotban n'était pas encore arrivé avec toute sa fougue sur les terres de la montagne.
- Tu me reverras au prochain hiver si cela est nécessaire, Kyllstatstat. Je suis déjà resté trop longtemps. La neige a déjà beaucoup fondu.
- Je sais, Stamscoïa. Il est toujours triste de quitter un ami. D'autant plus que je ne sais toujours pas pourquoi je suis venu ici. Ton arrivée m'a fait croire que la réponse allait m'être révélée, mais rien ne se passe comme je le pensais.
- Celui qui n'a pas de nom a demandé mon aide. Je la lui ai accordée. Maintenant, il me faut partir mais Rrling est là.
Rhinaphytia, Nomenjaari et Iarango regardaient les adieux. Avec le recul de la neige, ils avaient réussi à mieux se déplacer. Ils savaient atteindre l'entrée des grottes de machpes de ce côté-ci. Ils avaient envisagé d'aller jusqu'à la ville pour récupérer des provisions et rendre compte de ce qu'il se passait ici. Kyll n'avait pas jugé la démarche prudente et l'avait interdite. Iarango n'avait pas bien compris et se disait qu'il passerait peut-être outre les conseils de Kyll. Il rêvait surtout d'une nourriture un peu plus diversifiée et d'un peu de malch noir. Rhinaphytia lui donna un coup de coude et lui montra Kyll s'éloignant avec le Crammplac vers le col de l'homme mort.
- Il ferait mieux de ne pas passer par le col. Sinon, il va être vu des hommes de la ville et surtout des guerriers blancs.
- Je ne crois pas que Stamscoïa fasse cette erreur. Il est toujours passé par les bois et les barres rocheuses.
Kyll se retourna vers ses compagnons et leur fit un signe qui voulait dire qu'il allait revenir.
- Bon voilà qu'il lui fait un bout de conduite, dit Nomenjaari. Je crois que je peux laisser tomber les préparatifs du rite, il ne le fera pas tout de suite.

Les deux amis marchaient lentement en montant vers la crête. Kyll avait pensé accompagner son compagnon défenseur jusqu'au pied de la falaise. Bientôt, ils sortirent du bois. Devant eux, la prairie était encore enneigée, mais déjà les touffes d'herbes jaunies les plus hautes apparaissaient. Kyll ne fut pas surpris de voir une meute de loups noirs. La grande louve au regard de feu s'avança. Kyll n'entendit pas de son mais comprit la salutation qu'ils échangeaient. Ayant ainsi agi, elle et les siens repartirent en forêt. Le Crammplac les regarda un moment. Qaund le dernier loup eut disparu dans les bois, il donna un dernier petit coup de tête amical à Kyll et entreprit de gravir la falaise rocheuse. Kyll contempla toujours avec autant d'étonnement Stamscoïa en action. Déjà celui-ci atteignait la première plateforme. Il tourna la tête, fit un geste de la patte et d'un dernier coup de rein se hissa sur la prairie d'au-dessus.
Ce fut un chambardement. Il y eut des cris, des bruits de course, de sabots tapant sur des roches. Un clach apparut, courut quelques foulées en l'air comme s'il volait puis se mit à tomber. Kyll se jeta en arrière vers la falaise pour ne pas prendre le clach sur la tête. Il n'atteignit pas le sol. Une ombre immense semblant surgir de nulle part venait de le recouvrir. Ce que vit Kyll, le laissa sans voix.
C'est comme un rocher qui volait. C'était gros, noir, anguleux. En entendant le claquement d'une mâchoire, son esprit comprit que la bête qu'il voyait était encore plus grosse que Stamscoïa. Elle tenait sans effort un clach dans sa gueule, tout en volant. Il n'avait même pas peur, il était trop surpris. Il fit un geste. Aussitôt un œil jaune à la pupille fendue se fixa sur lui. L'énorme bête vint atterrir, presque avec grâce sur la prairie devant lui. Sans le quitter des yeux, elle entreprit de manger le clach. Kyll remarqua la taille des griffes, la longueur des dents. Il pensait avoir vu le maximum avec l'armement du crammplac poilu, mais il devait reconnaître que là, il ne devait pas exister sur terre de crocs plus gros ou de griffes plus acérées. Ces dernières avaient la taille d'une dague. Kyll resta appuyé sur la paroi. Il ne vit pas Stamscoïa regarder par-dessus le rebord, esquisser la grimace qui lui servait de sourire et repartir le cœur léger vers les siens.
- Tu es qui, être debout?
Dans son état de surprise, Kyll ne tiqua même pas d'entendre parler l'assemblage de crocs, de griffes et de carapace qu'il avait devant lui.
- Je suis Kyll.
- Qui est kyll?
- Je suis le maître sorcier de la ville.
- Est-ce pour cela que tes pensées sont claires?
- Je parle aux esprits.
- Je ne suis pas un esprit et pourtant tu me parles.
- Je parle aussi aux animaux. Stamscoïa me comprenait.
- Je ne suis pas un animal et pourtant tu me parles.
- Qui es-tu?
- Moi.
- C'est court pour te désigner.
- Pour le moment, cela me suffit. J'ai rencontré un être debout dont les pensées sont aussi claires que les tiennes. Il m'a dit qu'un jour, je désirerais avoir un nom. Mais pour le moment, je n'en ai pas, je suis moi et cela me suffit.
- Tu es un bon chasseur.
- Oui, j'ai vu le crammplac monter la falaise. Quand les quatre pattes qui broutent paniquent, ils font n'importe quoi. Il n'y a plus qu'à les attraper.
- Tu aimes le clach?
- Qu'est-ce qu'un clach?
- Ce que tu as mangé.
- Ah! Le quatre pattes qui broute avait un nom. C'était un des animaux à qui tu parles?
- Non.
- Je n'ai donc pas mangé ton ami. Tous les quatre pattes qui broutent ont un nom?
- Non, ceux qui sont comme moi, appelle les quatre pattes qui broutent des clachs.
- Alors celui que j'ai mangé n'avait pas de nom?
- Non, c'était juste un clach.
- Je comprends, être debout Kyll.
L'esprit de Kyll s'était remis à penser. « Moi » ne semblait pas vouloir le manger, ni le tuer. Cet être énorme ne se considérait pas comme un animal. Cette grandeur, ses griffes et ses crocs lui évoquaient un souvenir. Il ne se souvenait pas lequel. Cela avait à voir avec le temple. Il fit défiler dans sa mémoire tous les visages en commençant par son vieux maître. Comme un voile qui se déchire, le souvenir revint à sa conscience. Tasmi lui avait décrit « Moi » en lui parlant de l'esprit du Dieu Dragon. Manifestement, il n'avait pas un esprit en face de lui. « Moi » était un dragon en chair et en os, ou plutôt en griffes et en crocs.
- Es-tu un dragon? demanda Kyll.
- Oui, je le suis.
- Veux-tu que je te donne un nom?
- Non, être debout Kyll. Je ne le désire pas. Pour le moment je suis Moi et cela me suffit.
Le dragon détourna la tête, comme s'il avait entendu quelque chose. De deux puissants coups d'aile, il prit son envol. Kyll en fut plaqué contre la falaise. Le temps qu'il rouvre les yeux qu'il avait fermés sous la force du souffle, et qu'il se redresse, plus rien ne laissait penser qu'il avait vu un dragon. La neige devant lui était toute piétinée mais un troupeau de clachs aurait fait la même chose. Il pensa qu'il vivait des choses curieuses. Il regardait le ciel tout en avançant vers la grotte de la médiation. C'est pourquoi il ne les vit pas, les loups gris. Quand il s'en aperçut, il était cerné et au milieu de la partie dégagée. Prudents les loups n'avaient pas attaqué tout de suite, ils l'avaient d'abord entouré. La peur lui tordit les boyaux. Stamscoïa était loin maintenant et la grotte lui semblait hors de portée. Il n'avait que le bâton qu'il avait coupé pour s'aider à marcher. Il le prit à deux mains tout en tournant sur lui-même en se demandant d'où viendrait le premier assaut. Son cœur battait à tout rompre. Le temps semblait arrêté.
Les loups ne comprirent que trop tard l'origine de vent qui venait de se lever. Le dragon en avait écrasé deux et égorgé un troisième. Les autres préférèrent fuir que d'affronter un tel ennemi.
- Quand on a aussi peu de griffes que toi, la distraction peut coûter cher, être debout Kyll.
Le dragon avala le loup qu'il venait d'occire. Kyll regardait autour de lui sans comprendre. Il se voyait mourrir et tout était fini. Il y avait un côté irréel à la situation.
- Je n'aime pas cette chair. Elle n'a pas bon goût. Je préfère le clach.
- Merci de ton aide, dit Kyll
- Je ne t'ai pas aidé. J'avais encore une question à te poser.
- Parle, je t'écoute.
- Tu es curieux, être debout Kyll. Tu nommes les choses mais tu ne sais pas te défendre. Comment nommes-tu ces choses aigres que je mange.
- Des loups. Est-ce ta question?
- Non, mais tu me donnes envie de savoir le nom des choses. Peut-être me donneras-tu envie d'avoir un nom.
Kyll ne répondit rien. Le dragon mâchouillait le deuxième loup.
- Non, vraiment, je n'aime pas le goût des loups. Ils pourraient faire un effort pour avoir meilleur goût.
- Connais-tu le goût que tu as?
- Non.
- Eux, non plus.
- Ce que tu dis est vrai, être debout Kyll. Ton savoir est grand !
- Quelle est ta question?
- Tu sembles bien pressé, être debout Kyll. Les questions viennent en leur temps.
Le dragon tourna la tête vers les bois.
- Tes amis sont là. Je les sens derrière les arbres.
Kyll regarda vers la lisière de la forêt. Il ne vit rien.
- Je reviendrai te voir. Tout n'est pas dit entre nous. Garde ce bâton. Il sera notre relais.
Kyll se retrouva assis par terre quand le grand saurien décolla. Il était à peine parti, que Kyll vit ses amis sortir du bois, qui avec une massue, qui avec un couteau, qui avec une épée.
- Qu'est-ce que c'était? demanda Nomenjaari
- Je n'avais jamais vu cela! c'est énorme! déclara Rhinaphytia.
- Tu n'as rien? s'inquiéta Iaryango.
Kyll se releva, regarda le point noir qui s'éloignait dans le ciel.
- C'est un dragon. Un vrai dragon, pas un esprit. Tasmi m'a communiqué sa vision de l'esprit du Dieu Dragon. Je ne pensais pas rencontrer un tel être. S'il revient, et il reviendra n'essayez pas de vous battre, je pense que nous ne risquons rien.
En silence les quatre amis se dirigèrent vers la grotte de la médiation.

dimanche 8 juillet 2012


Quiloma pestait contre la boue partout présente. Ses hommes pataugeaient, mal à l'aise dans cette chaleur. Les lunes étaient passées, la pluie venait et revenait sans cesse. La neige fondait, laissant apparaitre la terre. Les habitants du village commençaient les travaux extérieurs. Ils remontaient les murets qui en avaient besoin, réparaient les terrasses. Quelques troupeaux avaient fait leur apparition dans les champs les plus bas. Quiloma se déplaçait encore avec difficulté. Cette chasse au Crammplac avait été plus éprouvante qu'il ne le craignait. Il aurait préféré être mort que de rester encore handicapé comme il l'était. Il sentait aussi qu'une partie de lui se révoltait contre l'idée de la mort. La Solvette continuait à occuper ses pensées. Sans ses remèdes et sa tendresse, il ne serait pas aussi bien. Son ventre très rond, laissait augurer que la naissance ne tarderait pas. Quand il lui avait dit qu'il espérait un fils, elle avait souri en lui expliquant que ce serait une fille parce que telle était la tradition des marabouts d'ici. Comme si cela ne suffisait pas à ses ennuis, il n'avait pas de nouvelle du Prince Majeur. Il gérait la situation comme il pouvait. Cela ne le contentait pas. Il souhaitait des ordres. Ses soldats lors d'une chasse pour avoir de la viande, avaient vu le juvénile. C'était lui, à n'en pas douter dont les charcs parlaient. Il était loin de sa maturité, mais il était déjà impressionnant. Malgré ses difficultés Quiloma avait participé à d'autres chasses. Il l'avait vu aussi. Il était déjà grand. Un aussi beau spécimen devait avoir vécu plusieurs fois la saison sans nuit. Quiloma avait été étonné de le voir rater un clach, comme un bébé. Une pensée fugace lui traversa l'esprit, mais il la repoussa comme impossible. Vu sa taille, il ne pouvait pas être un bébé, sinon il avait sous les yeux un futur géant. Quand il était parti de la capitale, personne ne parlait de dragon vivant. Maintenant il en avait un sous les yeux en permanence ou presque. Il avait envoyé un messager au Prince Majeur pour le prévenir. Aucune réponse n'était venue. Maintenant que la saison pluvieuse avançait, le dragon volait de plus en plus fréquemment près du village. Les villageois avaient paniqué la première fois, puis leurs sorciers avaient dit quelque chose. Tout le monde s'était calmé et avait repris ses activités. Il restait méfiant quand même. Ces villageois étaient potentiellement un danger, d'autant plus grand que ses hommes commençaient à pactiser avec eux. Sans le dragon, il serait reparti avec sa phalange. Ils n'étaient pas adaptés à la chaleur, ni à une situation d'occupation. Leur équipement ne supporterait pas les températures des terres chaudes. Il allait, là aussi, devoir prendre des initiatives. Il ne pouvait pas laisser un dragon sans personne pour le servir en cas de besoin. Il se remémorait les règles qui régissaient les relations entre les dragons et les hommes. Un juvénile ne pouvait être la réincarnation du Dieu Dragon. Mais était-ce un dragon libre ou un dragon lié? La réponse était de la plus haute importance. Il en avait fait part au Prince Majeur. Il ne comprenait pas pourquoi ce dernier n'avait pas répondu. La question était cruciale pour lui aussi. En attendant, il surveillait. Des patrouilles essayaient de repérer sa grotte. Un dragon avait toujours un trésor. Il était plus prudent de savoir où pour ne pas y aller et empêcher les fâcheux de s'en approcher. Il n'était pas bon de mettre un dragon en colère.
Chez Chountic, le malch noir coulait à flot. Pour une fois, elle avait fait un bébé qui ressemblait à quelque chose. Il n'était pas chétif, mais bien membré. Dans la brume de son ivresse, il le voyait déjà lui succéder. Ce n'est pas l'aîné, ce minus souffreteux qui pourrait tenir la maison, quant au deuxième, ce Brtanef, on ne savait même pas d'où il venait. Et puis, il ne se sentait pas à l'aise en sa présence. Chountic était tellement content qu'il avait même accordé à sa femme le droit de faire venir un sorcier pour faire les rites de protection à la maison. Quand il avait vu arriver le Maître Natckin, il avait été flatté. Tout le monde serait obligé de reconnaître sa valeur puisque les sorciers lui envoyaient leur maître pour officier. Chountic ne doutait pas que si le maître sorcier Kyll avait été là, c'est lui qui serait venu.
Sealminc était heureuse. Cet enfant était un rêve incarné. Depuis des lunes, elle était libérée de l'intimité de son mari. Elle n'avait aucune envie de reprendre des relations avec cet homme brutal et toujours plein de malch. Natckin, lui, était plein d'attention à son égard. Il était celui qui avait réveillé ses premiers émois de jeune fille. Après la vie les avait séparés, chacun avait suivi sa route. Ils étaient maintenant tous les deux dans la classe dominante de la ville. Leur situation restait quand même fragile. Sealminc devait donner une descendance à Chountic et Natckin suivre les règles des sorciers. Par eux-mêmes, ils ne possédaient rien. Depuis la fête des rencontres, ils étaient riches de leur relation mais fragiles de leur secret. Au temple, tout se passait bien. Les sorciers l'avaient adoptée, au point qu'elle avait le sentiment de leur soutien et de leur discrétion. Chez elle, la prudence était de mise. Son cœur s'était affolé quand elle avait vu Natckin arriver pour la cérémonie de protection. Elle n'avait pas osé en rêver. Malheureusement, cette visite était comme un glaive à double tranchant. Le bonheur de se voir était contrebalancé par la difficulté à cacher leurs émois. Après la visite du maître sorcier et sa rencontre avec Sealminc, les serviteurs ne doutèrent pas. C'est Miatisca qui pensa qu'elle avait peut-être un moyen de progresser dans la vie. Elle subissait le maître depuis le début de la grossesse. La tradition permettait au mari de prendre une servante de couche jusqu'au retour du sang chez sa femme. Mais parfois, le maître gardait la servante de couche pour en faire son épouse. Miatisca se voyait bien dans ce rôle.
Kalgar entendait annoncer les naissances autour de lui mais aussi parfois les déceptions d'un enfant mort-né, ou d'une grossesse qui n'aboutissait pas. Il tremblait intérieurement pour Talmab. Deux grossesses si rapprochées étaient une bénédiction des dieux mais une épreuve pour la mère. Il ne disait rien, ne montrait rien mais multipliait les offrandes devant son autel dans la forge pour que tout se passe bien. La grossesse lui semblait longue et Talmab bien fatiguée. Il avait pris une servante de la maison de Bartone pour aider sa femme et pour la sauver de la mendicité. Si la forge était son domaine, il était toujours un peu mal à l'aise dans la maison. Talmab sentait bien que son époux s'inquiétait, même si comme d'habitude, il ne disait rien. Elle multipliait les gestes de tendresse dans l'espoir de le rassurer. Bien que fatigante, la grossesse se passait bien. Et puis, Kalgar en engageant Cifalt l'avait bien soulagée. Efficace et douce, elle savait bien la décharger des travaux de la maison. Quand le travail commença, ce fut elle qui l'aida le plus efficacement en gérant le grand gaillard paniqué qu'était devenu Kalgar.
Chan notait au fur et à mesure les naissances. Il dessinait les symboles sur le mur pour que la mémoire en soit conservée. Chaque naissance donnait lieu à une petite réjouissance. Il savait bien que ce qu'on attendait maintenant, était la fête de la dernière neige. Quand toutes les rues seraient débarrassées de l'hiver, les sorciers prépareraient un grand rituel pour la nomination des enfants qui avaient survécu à leur premier hiver et qui étaient sevrés.

jeudi 5 juillet 2012


La première pluie fut fêtée comme il se doit. Elle annonçait la saison du travail dans les champs, la fin du confinement. L'année se déroulait normalement malgré les évènements. Le vieux maître-sorcier avait agi avec les dieux pour que renaisse le temps lors de la fête de la longue nuit. Malgré sa disparition et celle de son successeur, la fête des rencontres avait eu lieu et avec elle, les espoirs de fécondité. D'anciennes alliances avaient disparu, de nouvelles avaient été scellées. Les couples avaient le devoir de se reproduire pour que les enfants arrivent avec le début de la saison des champs verts. La fête de la première pluie était moins grande que celle des rencontres. Son rôle était surtout la reconnaissance que la semence avait germé. On comptait les ventres devenus ronds. Il y avait ceux qu'on attendait, ceux qui étonnaient et ceux qui alimentaient les conversations.
Parmi ceux-là, il y avait celui de la Solvette. Les vieux racontaient que déjà du temps de sa mère, ça avait été comme cela. On ne savait pas qui était le père de la Solvette. Les rumeurs avaient été bon train. Comme la Solvette ressemblait surtout à sa mère, les ragots ne s'étaient pas concentrés sur un nom. Bien sûr comme aujourd'hui, on avait bien regardé qui fréquentait la maison en bas de la ville près du cours d'eau. Des noms avaient circulé sans qu'une certitude n'émerge. Le père ne s'était jamais vanté de son exploit. Avec la Solvette, les plus cités étaient Bartone qu'elle avait gardé bien longtemps et ce prince étranger qui marchait encore bien mal et qui continuait à venir se faire soigner par elle. On parlait aussi de Bislac, de Bistasio et de quelques autres sans trop y croire. Mais si elle faisait comme sa mère, personne ne saurait vraiment. Les commères guettaient, les autres vivaient leur vie, surtout la Solvette.
Si Chountic se rengorgeait devant les autres, il gardait une certaine amertume à voir s'arrondir le ventre de sa femme. D'abord, il n'avait pas de souvenir. C'est vrai qu'il avait beaucoup, beaucoup bu à la fête des rencontres, mais de là à oublier... Il s'interrogeait. Ses relations avec Sealminc étaient assez tendues. Elle faisait son devoir mais pas plus. Quand ils partageaient la même couche, il trouvait qu'elle manquait d'entrain. Leurs étreintes étaient brèves et plutôt tristes. Depuis qu'elle se savait enceinte, elle lui refusait tout contact. Elle pouvait. Ça le rendait de mauvaise humeur mais la tradition était pour elle. De plus elle virait bigote. Sous prétexte de mettre les esprits de son côté, elle allait au nouveau temple régulièrement faire des offrandes et prier. Chountic espérait que cela allait lui passer. En attendant, il passait ses nerfs et ses envies avec la jeune servante de la maison de Bartone qu'il avait recueillie. Celle-ci trop heureuse de ne pas rester dehors en hiver, acceptait de jouer le rôle de suppléante de grossesse.
Car Bartone avait cessé de vivre. Les guerriers ne l'avait même pas tué. Enfermé dans sa geôle, il attendait que le prince décide de son sort. Le jour de son retour parmi les siens, le prince avait demandé à rencontrer Bartone. Le konsyli était revenu en courant. Il s'était jeté aux pieds de Quiloma en demandant pardon. Ce dernier avait compris que son prisonnier était mort. Il était allé voir par lui-même. Les choses étaient comme le konsyli avait décrit. Bartone gisait livide dans la mare de sang qu'il avait vomi.
- Le Dieu Dragon a décidé, déclara Quiloma. Qu'on rende le corps aux villageois.
Il en avait parlé avec la Solvette. Il ne savait toujours pas comment se comporter avec elle. Elle était trop différente des femmes de son pays. Là-bas, un prince de son rang n'avait que l'embarras du choix. Partager sa couche et se faire féconder par lui était un tel honneur que beaucoup le recherchait. Avec la Solvette, rien de tout cela. Elle décidait si oui ou si non. Une fois, où il avait été trop pressant, elle l'avait congédié d'une bourrasque. Elle était marabout avant tout. Il avait payé pour s'en souvenir. Pour autant, quand elle était dans ses bras, il vivait d'intenses moments de bonheur qui semblaient partagés. Elle restait une énigme pour lui. L'enfant à naître serait de lui. Il ne pouvait en douter. D'ailleurs elle ne le niait pas, mais elle refusait qu'il donne son avis sur la suite. Cette liberté dont elle faisait preuve n'était pas coutumière dans le village. Il s'était renseigné. Elle était à part sur tous les plans. Ses hommes approuvaient sa conduite. Il le voyait dans leurs yeux. Elle avait une aura de mystère et de puissance. Pour eux, elle avait été séduite par leur prince. Lui en était moins sûr.
Pour Bartone, elle ne semblait pas étonnée de sa fin. La blessure du flanc avait été profonde. Les armes des soldats étaient très affûtées et coupaient fort bien. Elle pensait qu'il avait pu saigner à nouveau et en mourir. Elle avait écarté le sujet d'un revers de la main, tout en se rapprochant de lui.
- Les charcs me racontent des choses.
- Que se passe-t-il?
- Leur esprit ne fonctionne pas comme le nôtre, mais un nouveau prédateur est arrivé dans la région. Un grand, très grand oiseau qui chasse les clachs. Si gros qu'ils n'osent l'attaquer. Si tu as des informations, j'aimerais les avoir. Une telle bête m'est inconnue et me semble menacer l'équilibre de la nature.
Il lui avait promis. Il n'avait pas pu l'interroger plus. Elle avait des moyens délicieux de le faire taire.

Natckin brûlait intérieurement. C'est lui qui avait soufflé à Sealminc de venir le rejoindre et comment faire. Il vivait dans un grand sentiment de culpabilité. Qu'il soit le père de l'enfant de Sealminc n'était pas une faute si la conception remontait à la fête des rencontres. Par contre, leurs rencontres sous couvert de religion, était et un crime et un blasphème. Chaque jour, il pensait qu'il fallait rompre mais n'en trouvait pas la force. Quand Sealminc était là, la passion le dévorait, les dévorait tant, que toute rupture était impossible. Ils vivaient sans penser à demain, trop heureux des instants volés à leurs vies respectives. Au nouveau temple, tout le monde était gentil avec Sealminc, ce qui la mettait mal à l'aise. Elle avait l'impression de vivre dans le mensonge en venant comme cela.
Tasmi était de plus en plus impressionné par Natckin. Il était exclu des rencontres entre son maître et la maîtresse de la maison Chountic comme il appelait Sealminc. Natckin lui avait expliqué qu'il n'avait pas le niveau d'initiation nécessaire pour ce genre de rencontres entre un religieux et une femme de l'extérieur du temple. Tasmi n'avait pas insisté. Ils les voyaient s'isoler. Il lui semblait qu'une drôle de flamme brûlait dans les yeux du couple. Natckin lui en avait donné la raison. La fréquentation des esprits à ce niveau d'initiation était particulièrement exaltante. Tasmi avait alors demandé quand il pourrait avoir ce genre d'expérience. Pour toute réponse, Natckin l'entraînait dans des exercices d'ascèse pour le fortifier et le faire progresser. Tasmi s'appliquait de son mieux à faire ce que Natckin lui demandait. Au fur et à mesure que passaient les lunaisons, il se sentait se transformer. Le monde devenait plus transparent sous ses yeux. Des ombres apparaissaient. Au début ce fut en périphérie de sa vision et puis au moment de la fête de la première pluie, il les vit en face de lui. Ce fut un choc de rencontrer l'ombre de Barton en face de lui. Il avait continué sa marche et avait senti une légère gêne à son avancée. Il n'avait pas osé en parler avec Natckin. Il le voyait différemment, comme si autour de lui brillaient des ombres colorées. D'ailleurs tous ceux qu'il croisait avaient des ombres de diverses couleurs. Tasmi ressentait ces couleurs comme des émotions. Quand il regardait Tonlen, il voyait de l'or et du bleu. Quand il regardait Natckin, il découvrait une palette complète et changeante. Il en était perturbé. La dame de la maison Chountic partageait de nombreuses couleurs avec Natckin surtout quand ils étaient ensemble ou plus précisément quand ils ressortaient de leur isolement. Tasmi aurait bien voulu voir Kyll. Seul le Maître Sorcier aurait pu lui expliquer.
Kalgar frappait avec entrain la barre de métal qu'il travaillait. Non seulement la première pluie annonçait le travail des champs et donc le travail des outils à réparer ou à renouveler, mais elle montrait à tous que les esprits ne lui en voulaient pas d'avoir fait un hors saison, puisque de nouveau Talmab portait des espoirs de vie. Il voyait bien les commères y aller de leurs commentaires sur son passage. Elles qui jugeaient et jaugeaient toutes choses dans ce village, devaient reconnaître que, de mémoire d'homme, c'était la première fois qu'une telle chose arrivait. Deux enfants dans le même cycle des saisons, cela ne s'était jamais vu, ou bien alors à l'époque de Hut le fondateur avant que celui-ci n'édicte la règle qui commandait de ne pas faire d'enfant avant la fête des rencontres. Il trempait la barre dans un seau plein de neige quand il vit Tasmi. Il n'avait pas une haute opinion de lui. Il avait appris que Kyll l'avait adjoint à Natckin. En privé, il s'en était beaucoup amusé, tellement il lui avait semblé évident que le maître sorcier en agissant de la sorte, se préservait des ambitions de son second. Depuis, Kalgar avait perdu ses certitudes. Tout ce qui était arrivé avait amené Tasmi aux premiers rangs de la hiérarchie du nouveau temple. Même Natckin ne le traitait plus pareil. Chaque fois que Kalgar regardait Tasmi, il avait cette impression de voir un benêt. Aujourd'hui encore, en le voyant avancer dans la rue en semblant demander pardon aux courants d'air, il ne pouvait s'empêcher de penser que ce pauvre garçon n'était pas bien fini.
Tasmi était loin de penser qu'il était ainsi un sujet d'attraction pour ceux qui le croisaient. Il se vivait encore et toujours comme un individu sans intérêt. Chaque marque d'attention le bouleversait, c'est tout juste s'il y croyait. Pourtant depuis quelques temps, il ressentait bien dans le regard des autres un sentiment étrange pour lui. Dans les palettes qu'il voyait autour des gens, la tonalité était plutôt verte avec parfois des stries rouges, rien de bien agréable à regarder. La neige fondait petit à petit. Ce n'était pas encore la boue, mais l'eau s'écoulait maintenant régulièrement en rigoles dans la ville. Ce n'était pas les difficultés de marcher sur ce sol mouvant qui gênait le plus Tasmi, mais la rencontre avec tous les esprits. Il en était arrivé à pouvoir les toucher. Si Natckin s'améliorait en faisant les exercices, Tasmi décuplait ses capacités. Il ne quittait plus le monde des esprits. Non seulement, il les voyait plus distinctement que le monde réel mais maintenant, il pouvait les toucher. Il était très perturbé par ce fait. Il pensait que Kyll ne l'avait pas gâté contrairement à sa première impression. Il se trouvait face à des responsabilités auxquelles il n'avait jamais pensé. Il avait le sentiment que fréquenter les maîtres, les esprits, les grands de la ville était trop compliqué pour lui. De nouveau il se heurta à Barton le Vieux. Il pensa :
- Qu'est-ce que vous voulez?
- Viens avec moi. Quelqu'un veut te voir.
Tasmi eut peur. Qu'est-ce qui allait encore lui arriver?
- Ne tremble pas, jeune Tasmi. Tu ne risques rien. Je ne suis que le messager de celui qui m'envoie.
- Mais Monsieur Barton, je ne comprends plus ce qui se passe.
- Viens.
Tasmi, conditionné par son éducation, n'osa pas dire non. Il se mit à suivre le spectre de Barton. Ceux qui le virent passer pensèrent qu'il devenait fou. Il avançait la main en avant comme s'il tenait quelqu'un et semblant parler tout seul.
Ils s'engagèrent dans les grottes, s'enfonçant de plus en plus profondément. Devant lui le fantôme de Barton se dirigeait sans difficulté. Tasmi s'aperçut que lui aussi voyait dans ces passages obscurs même sans torche. Ils étaient dans une région qu'il ne connaissait pas. Barton s'arrêta. Sa pensée était claire, il fallait attendre ici que vienne celui qui devait venir.
Bientôt il y eut comme une lumière qui arriva par l'autre extrémité du tunnel. Tasmi se protégea les yeux, mais sa main n'arrêtait pas cette lumière. Au centre il y avait comme une ombre plus dense d'or pur.
- Merci d'être venu, Sorcier Tasmi.
Kyll, c'était la voix de Kyll. Tasmi mit genou à terre devant le Maître Sorcier.
- Maître, vous m'avez tant manqué !
- Lève-toi ! Tu n'es plus un apprenti. Ton pouvoir est grand, même si tu ne le sais pas encore.
- Maître, rentrez-vous avec moi?
- Non, je ne peux encore. Les esprits m'ont fait sortir pour une tâche qui ne s'est pas encore accomplie. Mais je ne suis pas ici pour parler de ce que je fais mais pour t'enseigner ce que tu dois savoir pour bien servir le Temple. Maître Natckin sait organiser et doit continuer. Seul toi peux l'aider à remplir son rôle. Les esprits m'ont montré sa relation avec Sealminc. L'amour qui existe entre eux est à protéger.
- Ils sont amoureux !!! C'est cela qu'ils font quand ils s'isolent !!! Mais, mais, mais...
- Non, Tasmi, je te répète, cet amour est à protéger. Les esprits les ont jugés et les ont trouvés justes.
Maître Chountic porte le mauvais sort. Sans cet amour et l'enfant à naître, l'avenir de l'enfant accueilli serait compromis et cet enfant est vital pour notre avenir. Sealminc sans Natckin, ne peut que mourir. C'est toute la ville qui a besoin d'eux. Tu seras mon intermédiaire avec les maîtres restés en ville. Je vais t'apprendre. Maître Natckin t'a fait faire des exercices qui vont t'être utiles maintenant. Assieds-toi et ouvre ton esprit.
Dans le passage obscur aux yeux humains, l'esprit de Barton vit l'aura de Kyll envelopper celle beaucoup plus tremblotante de Tasmi.

samedi 30 juin 2012


Chan était content. Le vent soufflait et ne semblait pas faiblir. Les hommes cueillaient les machpes. Encore deux jours et la récolte serait rentrée. La fête des rencontres était prête. Chaque maison avait préparé ses décorations. La Maison Commune avait un air de fête en attente. Les torches étaient au mur, prêtes à être allumées. On avait dressé les tables, les outres de malches noir étaient rangées. Les enfants devenaient difficiles à tenir.
Le maître sorcier Natckin était venu dire à Chan que les rites étaient clos. En débarrassant la grange de la maison Andrysio, ils avaient trouvé des jarres de sicha. Leurs rites interdisaient cette boisson trop forte. Ils avaient décidé d'en faire cadeau pour la fête des rencontres. Mélangée au Malch noir, elle allait faire chanter les habitants.
Quiloma, allongé dans la pénombre, discutait avec la Solvette de la fête des rencontres.
- Vos rites sont courieux. Il est possible de changer de femme.
- Rmi (ou de mari), répondit la Solvette, (ou de ne pas changer).
- Nous avons un cvaldale, je ne sais pas le mot dans votre langue. C'est une fête mais sans règles. Le mega peut aller avec qui il veut même la plus haute princesssse si elle l'accepte.
- Ici aussi pendant la fête des rencontres, c'est possible. Pas toujours bien vu, mais possible. Il ne peut y avoir de sanction pour avoir fait cela.
- Tnel cart, pardon le vent souffle toujours.
- Oui, mais je sens qu'il va finir. Dans deux ou trois jours, la fête sera.
- Je vais mettre mes hommes en alerte.
- Non, laissez faire. Qu'ils se méfient, qu'ils regardent mais qu'ils n'interviennent pas, sauf si on les invite.
- Lès invite? Qu'est-ce que cela veut dire?
- Certaines femmes d'ici ne sont pas insensibles au charme des guerriers blancs...
- J'ai raison, je vais mettre mes hommes en garde ! dit-il dans un grand rire.

La Solvette avait bien senti. Dans la soirée du deuxième jour, le vent était tombé. Les machpes étaient cueillies. Tout semblait aller pour le mieux. Avec la nuit, tout le monde s'était dépêché d'aller couper des branches pour décorer la Maison commune et sa place. Les guerriers étaient étonnés. Personne ne faisait attention à eux. Qunienka avait rencontré Quiloma qui lui avait donné les consignes pour la fête: pas d'intervention intempestive, on avait juste le droit de se défendre. Il fallait laisser les villageois puisque maintenant ceux-ci semblaient vouloir se soumettre au Dieu Dragon.
Le conteur s'était installé. Toute l'assemblée était réunie sur la place devant la Maison commune. Même les guerriers extérieurs étaient là depuis la terrasse qui d'habitude servait aux sorciers. Avec le mur de pierre derrière lui, le vent qui était tombé et le soleil qui brillait, les conditions pour dire la légende étaient réunies. Il se gratta la gorge.
- Au début était la violence.
Il marqua une pause pour laisser les spectateurs réagir. Il remarqua Muoucht qui traduisait. Il reprit.
- Il y a bien longtemps quand la terre était plus jeune, les dieux luttaient pour avoir la suprématie. Des dieux aux noms oubliés disparurent dans la tourmente. Avec eux de grands peuples et de grandes civilisations. C'est à cette époque que Cotban s'installa, faisant du soleil son allié. En face de lui Sioultac s'arrogea les terres froides apprenant à maîtriser le vent et l'eau. Les autres dieux furent relégués dans les mondes souterrains ou dans les profondeurs sombres des océans lointains. Mais un dieu eut le génie de choisir un ancrage que nul ne pourrait lui ravir puisque c'est de lui qu'il naîtrait. A Cotban, il ravit la chaleur, à Sioultac, il déroba la dureté de la glace et la puissance du vent, ainsi fut créé le premier dragon, à la peau plus dure que la plus dure des glaces et au souffle plus brûlant que le plus brûlant des soleils. Il le dota d'ailes pour le rendre rapide comme le vent. Et les dragons lui rendirent hommage. Cotban jalousa le dieu dragon que ses adorateurs rendaient puissant et créa des hommes noirs pour lui rendre un culte. Sioultac cria sa rage dans une tempête effroyable, cinglant les enfants du dieu dragon de ses aiguilles de glace. Ce fut le premier hiver. Ceux-ci trouvèrent un refuge dans les grottes que le dieu souterrain Wortra, écarté des grands pouvoirs par les trois dieux souverains, ouvrit pour eux en échange d'un peu du feu qu'ils portaient. Sioultac voyant son échec créa les gowaï à la fourrure blanche et aux rites funéraires compliqués. Wortra ayant le feu, s'enfonça dans les profondeurs de la terre et créa les êtres des mondes souterrains, se désintéressant du combat de la surface. Cotban voyant la puissance de Sioultac s'étendre, et ses hommes noirs souffrir, lança son premier assaut contre lui. Grâce à la force de ces adorateurs, il avança vers les terres froides. Ce fut le premier printemps. Le dieu dragon chercha comment aider ses créatures. Ils étaient forts mais leurs ailes vulnérables. Ils étaient puissants mais leurs griffes ne valaient pas les mains des hommes noirs. Alors Le dieu dragon créa les hommes blancs pour que Sioultac ne les voie pas et pour qu'ils soient une aide pour ces premiers nés. Leurs mains furent secourables pour les dragons et les dragons les protégèrent. Ils travaillèrent la terre pour qu'elle produise ce qui est bon pour le dragon et pour les hommes. Mais Sioultac ne décolérait pas et repartait à l'assaut. Cotban refusait de se laisser battre et lui rendait coup pour coup, saison pour saison. Ainsi passa le temps. Les hommes se multiplièrent plus vite que les dragons. Travaillant encore et toujours la terre, ils réveillèrent les forces anciennes, un temps oubliées. De nouveaux totems apparurent. Les hommes sacrifièrent à d'autres esprits. Le dieu dragon en fut affaibli et avec lui les dragons. Il y eut moins de petits. Dans la grande plaine d'autres combats occupèrent les hommes qu'ils soient blancs ou noirs. Ils laissèrent Sioultac et Cotban continuer leur lutte. Certains comme Hut continuèrent à participer à la bataille de l'hiver par le rite de la longue nuit. Les autres firent d'autres cérémonies. La présence du dieu dragon déserta leur mémoire et devint une légende sur la terre d'en bas. Les saisons succédèrent aux saisons. Plus aucun dragon n'y volait quand Hut le fondateur monta chercher la paix sur la terre d'en haut. Il n'en trouva pas mais découvrit le bachkam. C'est dans ses branches vénérables qu'il créa la cité. C'est sur son écorce qu'il dessina l'histoire.
Mais les temps changent et aujourd'hui le totem du dragon a repris place au centre du cercle des totems.
Vivez que le conteur puisse conter.
Par ces mots rituels le conteur se tut.
Dans le silence qui suivit, le maître sorcier Natckin s'avança. Son habit de cérémonie, qui avait été sauvé lors de la prise du temple, comportait un symbole de chacun des totems connus et d'autres qu'il n'avait pas identifiés. Il en avait déduit qu'il existait des totems inconnus, des totems noirs sans représentant. Après le dernier rite hier soir, il avait scruté ces morceaux de plumes, de griffes, de plaques pour voir s'il pouvait trouver celui qui correspondrait au dragon, sans succès. Il prit position au centre de la place suivi par ses disciples. Il commença la danse du bachkam. Tous ceux dont il était le totem se levèrent et exprimèrent leur joie. Puis vinrent la danse de l'ours, du loup, du litmel, du charc. A chaque fois des habitants se levèrent pour approuver. Certaines danses étaient étranges et personne ne bougeait. C'était les invocations aux totems noirs. Puis Natckin entama un pas de danse, suivi par ses disciples dans un mouvement aérien, souple et puissant. Un cri jaillit de la terrasse du temple suivi du bruit des lances qui s'entrechoquent. Les guerriers blancs venaient de reconnaître la danse du vol du dragon. Ne voulant pas laisser les étrangers manifester seuls, Chan poussa le cri traditionnel de sa maison, immédiatement soutenu par tous ceux qui étaient de la maison de Chan. Kalgar se mit à chanter son hymne de forgeron, soutenu par tous ses apprentis, ses serviteurs et sa femme, jusqu'à sa fille qui se mit à vagir. Rinca leur emboîta la pas, compensant la faiblesse numérique de sa maison par la puissance de son cri. Chountic fut un des derniers à s'y mettre. Ce fut une immense clameur qui dura un bon moment et qu'on entendit de loin.
Quiloma avait dressé l'oreille au son qui lui parvenait. Qu'est-ce que représentaient tous ces cris? Il était encore assez faible pour ne pas tenter de sortir seul, mais il fit signe à un de ses soldats et l'envoya se renseigner. C'est Qunienka qui arriva peu après pour lui expliquer et demander des directives.
Pendant ce temps dans les rues commençait la déambulation. On allait chez l'un, on allait chez l'autre, on revenait à la Maison Commune où étaient réunis les chefs de maison. A chaque fois, on buvait un peu de malch noir, ou aujourd'hui du jus de lamboy agrémenté de Sicha. De ces rencontres naissaient des discussions entre maisons. Qui pourrait s'allier à qui ? Et pour quelle dot ? Des contacts avaient déjà été noués avant mais rien ne pouvait se concrétiser en dehors de la fête des rencontres. Si les chefs de maison étaient réunis dans la Maison Commune, discutant et buvant, parfois buvant plus qu'ils ne discutaient, les autres habitants étaient libres de bouger comme ils voulaient sans qu'on leur pose de question. Sur les différentes places et placettes, les joueurs d'instruments s'étaient installés. Leurs verres ne restaient jamais vides en contrepartie de quoi, ils jouaient sans s'arrêter. Il y avait le courdy au son aigrelet, les flûtes diverses suivant l'arbre qui les avaient données et les tambours. Si quelqu'un avait fait attention, il aurait remarqué ceux qui s'éloignaient discrètement pour revenir plus tard le visage rouge et les cheveux ébouriffés. Mais personne ne faisait attention, ils étaient trop occupés à organiser leur propre chemin, à profiter des largesses qui s'offraient.
Natckin, lui-même déambulait parmi la foule, profitant d'un orchestre ou d'un verre de malch noir; profitant surtout de l'absence de Tasmi. Il avait donné l'ordre à ce dernier de s'éloigner de lui le temps de la fête des rencontres et pour une fois, il avait obéi. Au bout de quelques arrêts, il avait les idées moins claires et trouvaient les femmes belles.
Rinca négociait âprement. Dans sa maison, il y avait beaucoup de veuves. Dans d'autres, il y avait des jeunes hommes seuls. S'il voulait reconstituer les effectifs de sa maison, il lui fallait accueillir et non voir partir.
Chountic, à côté le soutenait dans ses négociations tout en vidant force verres. Sealminc était derrière lui. Elle aurait préféré aller faire le tour de la ville, mais son époux refusait qu'elle bouge. Elle n'était pas la seule femme de chef à être présente, mais elle était la seule à ne pas avoir le droit de se mêler de la conversation. Quand une servante passa avec du Sicha, elle en récupéra une cruche, améliorant systématiquement le malch noir de son mari. Quand il commença à dodeliner de la tête, elle le cala sur la table sous le regard goguenard des autres et elle partit.
Malgré les directives et les ordres, les guerriers blancs qui patrouillaient, profitaient de l'ambiance pour boire un peu et parfois danser. Les konsylis n'étaient pas les derniers. De temps à autre, un guerrier disparaissait au bras d'une habitante. Qunienka avait bien donné les ordres mais il régnait un climat de légèreté, de fête et d'insouciance. Il espérait seulement que rien de fâcheux n'arriverait.
Kalgar, accompagné de Talmab en milmac blanc, tenait sa place à la table des chefs de maison. De temps à autre, il se penchait vers elle pour lui murmurer quelque chose à l'oreille. Talmab rougissait jusqu'aux oreilles mais lui répondait par un grand sourire. Il buvait peu et répondait aux demandes des uns et des autres. Il y avait surtout les pères qui voulaient placer un fils ou une fille en apprentissage. Il y eut aussi la surprise de voir arriver Qunienka, accompagné de Muoucht. Il s'assit devant Kalgar qui lui lança un regard étonné. Les autres froncèrent les sourcils. On acceptait que les guerriers se promènent dans la ville. On acceptait le dieu dragon car plus fort que leurs totems, mais le voir s'asseoir là fit interrompre toutes les conversations. Qunienka avait bien conscience de la tension qu'il venait de faire naître. Il posa sur la table le pot qu'il tenait à la main. Il fit un signe à Kalgar l'invitant à tendre son verre. Celui-ci n'osa pas refuser. Chan qui n'était pas loin se vit aussi inviter. Il s'approcha de Qunienka qui lui versa un peu du contenu de la cruche et se servit lui-même.
- Gro (Chez nous les forgerons sont honorés les jours de fêtes. Aujourd'hui c'est la fête, mon prince veut que notre tradition soit respectée).
Muoucht traduisit. La tension retomba.
- Puno (Buvons à la beauté du travail du métal.).
Qunienka vida son verre.
- Buvons au dieu dragon qui créa la première forge.
Kalgar vida son verre. La boisson était pétillante, un peu âpre, plus sucrée que du malch noir mais moins forte que la Sicha.
- Buvons à la paix, dit Chan avant de vider le sien.
Qunienka montra à nouveau la cruche. Kalgar et Chan tendirent leurs verres. Les autres échanges reprirent lentement, les négociations n'attendaient pas. Muoucht s'assit aussi. La conversation s'engagea sur le métier de forgeron, les armes, la manière de faire de belles armes, la nécessité d'un bon feu, de pierres qui brûlent...
Pendant ce temps Chountic affalé sur sa table ronflait.
Sealminc profitait de la fête des rencontres. Elle avait goûté le jus de lamboy. Cela lui avait plu. Elle avait repris un deuxième verre. Au troisième, elle était gaie et pensait à danser. Quand elle arriva sur la place près de la fontaine, elle entendit le groupe qui entamait le vieil air du bachkam enchanté. Les souvenirs affluèrent à sa mémoire. Combien de fois, elle avait rêvé sur cet air de trouver le maître charmant qui l'emmènerait dans sa maison où elle aurait régné pour le bonheur de tous. Elle voulut danser. Elle s'avança vers le centre de l'espace. Elle rencontra un regard. Elle tendit la main. Elle se retrouva à suivre la musique de tout son corps. La tête lui tournait un peu mais elle gardait le rythme.
Son corps se lova contre un autre corps qui ne dit pas non. Les pas succédaient aux pas et se rapprochaient de la grange voisine. La tête lui tournait trop, elle se laissa tomber sur le foin sans lâcher les bras qui la tenaient. Le reste fut comme dans ses rêves, douceurs et joies.
Qunienka était resté un bon moment dans la Maison Commune. Ses connaissances du travail du métal dépassaient la moyenne. Kalgar était content. Il allait pouvoir expérimenter le pouvoir des pierres qui brûlent. Il avait déjà des idées de ce qu'il pourrait faire, de comment il pourrait améliorer l'acier qu'il utilisait. Les outils seraient plus solides, mais les armes aussi. Kalgar n'avait aucune expérience de la guerre. Chaque fois qu'il avait participé aux patrouilles de défense de la ville, il avait lutté contre des malfaisants comme une meute de loups. Il avait vu les morts de la bataille et entendu les récits de Sstanch sur ses guerres. Ça ne lui donnait pas une expérience du combat. Il se rappelait sa première épée. Sstanch avait beaucoup ri en la voyant. Il avait conseillé Kalgar sur ce qui était nécessaire pour qu'elle soit efficace. Ce qui avait le plus étonné Sstanch, était que le forgeron avait bien compris et si la deuxième épée manquait d'équilibre, la troisième était un bel objet. Quand il avait vu Qunienka discuter avec Kalgar, Sstanch s'était rapproché doucement pour finir par se mêler à la conversation. Quand Qunienka s'était levé pour partir, il manquait d'assurance. Sstanch pensa qu'il ne valait guère mieux. Seul Kalgar semblait encore complètement lucide. Le milieu de la journée était passé quand Talmab amena de quoi manger. Ils parlèrent tous les trois tout en mangeant. Après le repas Sstanch qui tenait un peu mieux debout, décida d'aller faire un tour en ville. Kalgar, comme tous les chefs de maison, ne pouvait bouger de la Maison Commune. Il profita de l'arrivée d'un groupe de musiciens pour faire danser sa femme. L'air qu'ils jouaient était langoureux. Il la serra fort. Elle lui glissa à l'oreille que maintenant que la fête des rencontres était passée, ils pourraient peut-être donner un petit frère à leur fille. Kalgar tout à son bonheur, ne fit pas attention à Sealminc qui revenait vers Chountic. Celui-ci ronflait toujours. Elle le secoua.
- Vous devriez manger!
- Hum....
Elle le secoua un peu plus fort. Posant devant lui une écuelle avec le brouet de machpe qu'elle avait fait préparer.
- A boire ! dit-il en tapant son gobelet sur la table.
Elle lui servit du malch noir. Il le vida d'un trait.
- Encore !
- Vous ne croyez pas que cela suffit.
- Je suis le maître, alors à boire !
Chan regardait la scène en hochant la tête. Plus il vieillissait et plus il devenait acariâtre. Il pensa à Sealminc. Il se rappela la jeune femme joyeuse qu'il avait connue dans la maison de la femme du frère de sa femme. C'était une maison pauvre qui avait de mauvaises terres et les grottes de machpes les moins fertiles. C'était aussi une maison riche en enfants qu'il fallait placer. Le mariage de Sealminc avait permis, grâce à la dote payée par le futur, de faire vivre la famille, pas de devenir riche. Ce que ne savait pas Chan, c'est qu'elle avait parlé ou essayé de parler avec le chef de sa maison de naissance pour casser le mariage. Tout cela s'était fait par allusions et mots couverts. La réponse était simple, même si on avait voulu payer, on n'en avait pas les moyens. II fallait serrer les dents et faire son devoir.
Puis son attention fut attirée par la musique qui se jouait. Il fut nostalgique d'entendre cet air. Lui revint en mémoire son père qui avait toujours raconté comment il avait dansé sa première danse avec sa mère sur cette sérénade.
Dans la salle commune les négociations de mariage, ou d'apprentissage prenaient fin. Les premiers chefs de maison s'approchèrent du Maître de ville, le sortant de sa rêverie pour qu'il inscrive sur le mur ce qui venait de se conclure.
Natckin était sur un nuage. Il l'avait tenue dans ses bras. Il avait dansé avec elle. Elle l'avait entraîné dans la grange. Il n'arrivait pas à y croire. Les sorciers n'avaient pas de famille au sens habituel du terme. Le temple était leur famille. Ils ne prenaient pas femme, mais ne devaient pas pour autant être chastes. Il existait dans la ville des femmes réputées pour leur accueil. En général, les sorciers recouraient à leurs services. Veuves ou séparées, elles vivaient des cadeaux qu'on leur faisait. Si la violence contre elles était interdite, elles n'en étaient pas bien vues pour autant. Il existait quelques histoires de liaisons entre sorcier et habitante, mais le sentiment de réprobation était fort. Ces histoires servaient surtout de bases au conteur pour faire ses contes dramatiques. Lors de la fête des rencontres, les échanges plus ou moins furtifs étaient nombreux. Ils servaient surtout de soupape à la pression sociale. Natckin n'avait pas le sentiment d'avoir vécu cela. Il faut dire qu'il était amoureux d'elle depuis longtemps. Bien sûr la relation était impossible entre un maître sorcier et une femme de chef de maison. Jusque là rien ne s'était passé. Il avait toujours eu l'impression qu'elle le regardait autrement que les autres. Il se demandait si ce sentiment n'était pas le reflet de ce qu'il pensait. Il ne pouvait pas le voir sans la trouver belle. Il y avait toujours en lui la bouffée de regret que la vie soit ce qu'elle était et qu'ils n'aient jamais pu se rencontrer librement. Maintenant qu'il avait goûté aux plaisirs de son corps, son cœur était enflammé. Il était prêt à fuir avec elle, loin de son monstre de mari. Il lui faudrait la revoir. Il ne pouvait pas vivre sans cet espoir. Sa raison protestait. Il avait un rôle à jouer. On comptait sur lui et ses pouvoirs. D'un autre côté que serait la vie sans elle? Si Natckin était sur un nuage, c'était un nuage d'orage.
Quiloma avait fait quelques pas autour de la maison de la Solvette, en s'appuyant sur un de ses guerriers. Il voulait voir de ses yeux, les joueurs de musique et l'ambiance dans la ville. Il était rentré fatigué. La Solvette l'avait obligé au repos avant de lui donner à manger. Elle l'avait servi à table et s'était assise avec lui.
- Vautre faite est courieuse, dit Quiloma.
- Vre (Vous n'avez pas une fête semblable ?) répondit-elle.
- Tza (Il n'y a pas de laisser aller comme cela. J'ai vu des gens s'isoler en couple).
- Oui, personne ne dira rien car tout le monde peut profiter de la fête.
- Sat (N'y aura-t-il pas de punitions pour ces gens-là?).
- Non, nos règles l'interdisent.
- Vos règles sont courieuses.
Le repas continua en silence.
L'après-midi tira en longueur. Qunienka passa deux fois pour faire un rapport. Malgré le désordre extérieur, tout se passait bien. Il n'y avait eu que quelques cris d'hostilité à signaler.
- Parle, tu as quelque chose à dire, dit Quiloma.
- Oui, mon Prince, c'est au sujet des hommes.
- Que se passe-t-il ? Tu m'as dit qu'il n'y avait pas eu de gestes agressifs.
- Non, mon Prince, ce serait plutôt le contraire. De nombreux soldats ont bénéficié des faveurs des habitantes.
- Est-ce que cela a entraîné des troubles?
- Non, mon Prince, mais nos règles l'interdisent...
- Oui, mais pas celles de ce village. Ils n'ont pas fait de scandale, alors, nous allons faire comme si rien ne s'était passé d'anormal.
Quiloma vit sourire la Solvette qui passait derrière. Il était toujours étonné de sa compréhension de leurs paroles. Elle ne parlait pas vraiment leur langue mais avait le savoir. Cela le déstabilisait, dans son pays, les marabouts n'étaient que des hommes. Dans ce village, elle avait un rôle à part. Les sorciers ne semblaient pas l'aimer, mais les villageaois avaient besoin de son savoir.
Qunienka le quitta. Il annonça son passage le lendemain. Après son départ, le silence s'installa dans la maison. Les autres blessés ou malades étaient rentrés chez eux. Il n'y avait que le bruit du crépitement du feu. Quiloma sentit la fatigue arriver. Il était resté tendu toute la journée. Une fête peut toujours dégénérer. Maintenant que la nuit était tombée, il pouvait y avoir des ennuis mais pas de mouvements de grande ampleur. La cérémonie avait bien changé les choses. Il alla s'allonger et sombra bientôt dans un sommeil agité.
Quand il ouvrit les yeux, la Solvette était penchée sur lui, lui appliquant une compresse mouillée sur le front. Il lui prit les deux mains. Elle le regarda dans les yeux. Doucement il l'attira vers lui, elle ne résista pas. Quand leurs lèvres se touchèrent, il pensa que sa vie allait devenir compliquée.

mercredi 27 juin 2012


Le vent soufflait et ne semblait pas vouloir faiblir. Le conteur en était heureux. Quand le maître de ville lui avait annoncé qu'il dirait la légende du dragon, il s'était senti rempli d'importance. Le lendemain, il déchantait. Il y avait tellement longtemps qu'il ne l'avait pas racontée, qu'il ne s'en souvenait plus distinctement. Il se souvenait de son maître dans les hautes terres d'une autre vallée qui lui avait enseignée. Il se souvenait de l'importance qu'il accordait à cette geste.
- Ne l'oublie jamais, petit, elle pourra te sauver la vie.
Aujourd'hui c'est sa réputation qu'elle sauverait s'il s'en rappelait. Il décida d'aller faire un tour. Le soleil était revenu avec le vent. Tout le monde dans la ville préparait la fête. Lui seul la redoutait. Les guerriers blancs étaient devenus moins suspicieux depuis la cérémonie à la maison Andrysio. Le souvenir du totem dragon raviva ses craintes. Il marcha sans but. Il voulait juste trouver un coin tranquille à l'abri du vent pour essayer de se remémorer la geste du dragon.
Son vieux maître lui avait enseigné les mouvements-mémoire. Cette gestuation accompagnait les accords de son instrument et soutenait le récit. Elle servait aussi de support à sa mémoire. Il regretta encore une fois d'avoir laisser trop de temps passer sans faire les exercices propres à son art. Il reconnaissait que depuis qu'il était arrivé dans la ville, il se laissait un peu aller. Il y avait toujours un repas et du malch noir pour un bon conteur. Les gens d'ici étaient assez simples. Comme les enfants, ils voulaient entendre les mêmes histoires. C'était facile pour lui. Sa position de conteur lui avait valu les bonnes grâces du maître sorcier. Il lui avait fait récit des évènements propres à la ville. Il disait que les esprits lui avaient révélé qu'il ne fallait pas mettre tous ses souvenirs au même endroit et que c'est pour cela qu'il lui racontait ce qu'il lui racontait. Tout ne pouvait pas être dit, mais la majorité des récits lui permettait de faire un conte ou une légende propre à lui attirer les faveurs des habitants. Les vieux récits s'étaient ainsi affadis. Ne les gestuant plus, il les avait presque oubliés. Bien sûr, il connaissait les grandes lignes et les principaux évènements, mais il lui manquait tout ce qui rendait le récit crédible et vivant, tous ces détails sans lesquels un récit ne vaut pas mieux qu'un rapport militaire.
Avec ses raquettes, il marchait dans la neige fraîche. Des tourbillons de poudreuse lui fouettaient les jambes pendant qu'il avançait. Sstanch lui avait conseillé un chemin.
- Tu verras là-bas, tu seras à l'abri du vent. Tu pourras répéter sans rien dévoiler avant la fête.
S'il savait ! Il n'avait rien à dévoiler puisqu'il ne se souvenait plus. C'est en remuant ses pensées moroses qu'il arriva à la clairière que lui avait signalée Sstanch.
Effectivement le vent n'était plus qu'un murmure en ces lieux. Le soleil éclairait les pierres que la neige n'avait pas recouvertes.
- Voilà, un endroit idéal pour tenter de se souvenir, pensa-t-il.
Il accrocha son courdy à une branche. Il y faisait très attention. Il en était à son deuxième. Son premier courdy lui avait été donné par son maître. C'était un petit modèle. Il était toujours ému quand il repensait à cette période de découverte de la musique et du courdy. Il avait le don pour pincer les cordes. Il en tirait plus de sons que les autres. Une fois conteur confirmé, il avait fabriqué son courdy. Il y avait passé presque quatre saisons pour en faire l'instrument presque parfait qui l'accompagnait.
Il monta sur la grosse pierre noire qui occupait le centre de la clairière. Le soleil l'avait réchauffée. Elle n'était même pas froide. Sstanch avait raison, il serait bien ici pour répéter, car il allait répéter jusqu'à ce que tout revienne. Il allait commencer par des exercices de respiration. Comme lui disait son maître, le souffle est le maître de tout conteur quand il circule bien.
Le conteur s'assit au sommet le dos appuyé à un méplat. Il ferma les yeux et commença à respirer. Il se concentra sur le trajet de l'air, dans le nez, dans la gorge, dans la poitrine et jusque dans le ventre. Il respirait amplement et bruyamment. Il se sentit s'apaiser. Il allait pouvoir travailler.
- Voyons, comment commence l'histoire ?
- Par il était une fois ? Non ?
Il sursauta au son de cette voix. Il ouvrit les yeux et eut le bref sentiment qu'il voyait deux soleils. Il se frotta les yeux, mais l'image persistait. C'est alors qu'il remarqua les dents. Il sauta sur ses pieds et s'appuya sur la roche derrière lui, qui se mit à bouger. Il était sur le dos d'une bête énorme. Ce qu'il avait pris pour une roche était le dos du monstre.
- Tu es tout pâle, être debout. Tu ne te sens pas bien?
- Vous parlez !
- Tu es différent de Mandihi. Tes pensées n'ont pas la même odeur. Qui es-tu?
Tombant à genoux devant l'énorme gueule qui le surplombait; le conteur se mit à crier :
- Ne me mangez-pas ! Ne me mangez-pas !
Il aurait continué à supplier sans le rire qu'il entendit. Non seulement, il entendit la bête rire mais il dut s'accrocher à ce qu'il comprenait être ses écailles pour ne pas tomber, tellement ce rire secouait tout le grand corps sur lequel il était monté.
- Je ne voulais pas faire mal, je voulais juste retrouver la geste des dragons.
En entendant cela, la bête s'arrêta brusquement.
- Tu cherches la geste des dragons ?
- Oui, je l'ai sue mais ma mémoire me fait défaut.
- Alors regarde-moi, être debout.
Les yeux de la bête devinrent comme de l'or fondu. Le conteur ne pouvait s'empêcher de fixer ce regard qui le pénétrait. Le monde extérieur sembla disparaître...
Quand il se réveilla, le conteur se dit qu'il avait fait un rêve étrange. Un jeune dragon lui avait parlé, lui racontant toute la geste dont il avait besoin pour la fête des rencontres. Sstanch avait raison, cet endroit était très bien pour se remémorer les souvenirs. Maintenant, il se rappelait toute la légende des dragons. Il avait même l'impression d'en avoir touché un. Mais c'était sûrement dans son rêve. Il décida que la clairière devrait se nommer clairière du dragon. Il récupéra son courdy et décida de rentrer en ville. Le vent pouvait tomber, il était prêt.