mercredi 27 juin 2012


Le vent soufflait et ne semblait pas vouloir faiblir. Le conteur en était heureux. Quand le maître de ville lui avait annoncé qu'il dirait la légende du dragon, il s'était senti rempli d'importance. Le lendemain, il déchantait. Il y avait tellement longtemps qu'il ne l'avait pas racontée, qu'il ne s'en souvenait plus distinctement. Il se souvenait de son maître dans les hautes terres d'une autre vallée qui lui avait enseignée. Il se souvenait de l'importance qu'il accordait à cette geste.
- Ne l'oublie jamais, petit, elle pourra te sauver la vie.
Aujourd'hui c'est sa réputation qu'elle sauverait s'il s'en rappelait. Il décida d'aller faire un tour. Le soleil était revenu avec le vent. Tout le monde dans la ville préparait la fête. Lui seul la redoutait. Les guerriers blancs étaient devenus moins suspicieux depuis la cérémonie à la maison Andrysio. Le souvenir du totem dragon raviva ses craintes. Il marcha sans but. Il voulait juste trouver un coin tranquille à l'abri du vent pour essayer de se remémorer la geste du dragon.
Son vieux maître lui avait enseigné les mouvements-mémoire. Cette gestuation accompagnait les accords de son instrument et soutenait le récit. Elle servait aussi de support à sa mémoire. Il regretta encore une fois d'avoir laisser trop de temps passer sans faire les exercices propres à son art. Il reconnaissait que depuis qu'il était arrivé dans la ville, il se laissait un peu aller. Il y avait toujours un repas et du malch noir pour un bon conteur. Les gens d'ici étaient assez simples. Comme les enfants, ils voulaient entendre les mêmes histoires. C'était facile pour lui. Sa position de conteur lui avait valu les bonnes grâces du maître sorcier. Il lui avait fait récit des évènements propres à la ville. Il disait que les esprits lui avaient révélé qu'il ne fallait pas mettre tous ses souvenirs au même endroit et que c'est pour cela qu'il lui racontait ce qu'il lui racontait. Tout ne pouvait pas être dit, mais la majorité des récits lui permettait de faire un conte ou une légende propre à lui attirer les faveurs des habitants. Les vieux récits s'étaient ainsi affadis. Ne les gestuant plus, il les avait presque oubliés. Bien sûr, il connaissait les grandes lignes et les principaux évènements, mais il lui manquait tout ce qui rendait le récit crédible et vivant, tous ces détails sans lesquels un récit ne vaut pas mieux qu'un rapport militaire.
Avec ses raquettes, il marchait dans la neige fraîche. Des tourbillons de poudreuse lui fouettaient les jambes pendant qu'il avançait. Sstanch lui avait conseillé un chemin.
- Tu verras là-bas, tu seras à l'abri du vent. Tu pourras répéter sans rien dévoiler avant la fête.
S'il savait ! Il n'avait rien à dévoiler puisqu'il ne se souvenait plus. C'est en remuant ses pensées moroses qu'il arriva à la clairière que lui avait signalée Sstanch.
Effectivement le vent n'était plus qu'un murmure en ces lieux. Le soleil éclairait les pierres que la neige n'avait pas recouvertes.
- Voilà, un endroit idéal pour tenter de se souvenir, pensa-t-il.
Il accrocha son courdy à une branche. Il y faisait très attention. Il en était à son deuxième. Son premier courdy lui avait été donné par son maître. C'était un petit modèle. Il était toujours ému quand il repensait à cette période de découverte de la musique et du courdy. Il avait le don pour pincer les cordes. Il en tirait plus de sons que les autres. Une fois conteur confirmé, il avait fabriqué son courdy. Il y avait passé presque quatre saisons pour en faire l'instrument presque parfait qui l'accompagnait.
Il monta sur la grosse pierre noire qui occupait le centre de la clairière. Le soleil l'avait réchauffée. Elle n'était même pas froide. Sstanch avait raison, il serait bien ici pour répéter, car il allait répéter jusqu'à ce que tout revienne. Il allait commencer par des exercices de respiration. Comme lui disait son maître, le souffle est le maître de tout conteur quand il circule bien.
Le conteur s'assit au sommet le dos appuyé à un méplat. Il ferma les yeux et commença à respirer. Il se concentra sur le trajet de l'air, dans le nez, dans la gorge, dans la poitrine et jusque dans le ventre. Il respirait amplement et bruyamment. Il se sentit s'apaiser. Il allait pouvoir travailler.
- Voyons, comment commence l'histoire ?
- Par il était une fois ? Non ?
Il sursauta au son de cette voix. Il ouvrit les yeux et eut le bref sentiment qu'il voyait deux soleils. Il se frotta les yeux, mais l'image persistait. C'est alors qu'il remarqua les dents. Il sauta sur ses pieds et s'appuya sur la roche derrière lui, qui se mit à bouger. Il était sur le dos d'une bête énorme. Ce qu'il avait pris pour une roche était le dos du monstre.
- Tu es tout pâle, être debout. Tu ne te sens pas bien?
- Vous parlez !
- Tu es différent de Mandihi. Tes pensées n'ont pas la même odeur. Qui es-tu?
Tombant à genoux devant l'énorme gueule qui le surplombait; le conteur se mit à crier :
- Ne me mangez-pas ! Ne me mangez-pas !
Il aurait continué à supplier sans le rire qu'il entendit. Non seulement, il entendit la bête rire mais il dut s'accrocher à ce qu'il comprenait être ses écailles pour ne pas tomber, tellement ce rire secouait tout le grand corps sur lequel il était monté.
- Je ne voulais pas faire mal, je voulais juste retrouver la geste des dragons.
En entendant cela, la bête s'arrêta brusquement.
- Tu cherches la geste des dragons ?
- Oui, je l'ai sue mais ma mémoire me fait défaut.
- Alors regarde-moi, être debout.
Les yeux de la bête devinrent comme de l'or fondu. Le conteur ne pouvait s'empêcher de fixer ce regard qui le pénétrait. Le monde extérieur sembla disparaître...
Quand il se réveilla, le conteur se dit qu'il avait fait un rêve étrange. Un jeune dragon lui avait parlé, lui racontant toute la geste dont il avait besoin pour la fête des rencontres. Sstanch avait raison, cet endroit était très bien pour se remémorer les souvenirs. Maintenant, il se rappelait toute la légende des dragons. Il avait même l'impression d'en avoir touché un. Mais c'était sûrement dans son rêve. Il décida que la clairière devrait se nommer clairière du dragon. Il récupéra son courdy et décida de rentrer en ville. Le vent pouvait tomber, il était prêt.

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