Sealminc préparait les machpes. Elle
maugréait tout en faisant son travail. Chountic était encore parti
traficoter avec les extérieurs. Il lui faisait peur. Il avait
échangé des machpes et de la nourriture contre du métal précieux.
La viande de clach avait été très appréciée et les extérieurs
avaient payé ce qu'ils achetaient, avec des éclats d'or... La
première fois, quand elle avait ouvert à la patrouille, elle avait
fait un bond en arrière. Elle avait cru sa dernière heure arrivée.
Avec leur curieux accent, ils avaient demandé après Chountic. Avant
qu'elle n'ait pu répondre, il était arrivé et avait emmené les
extérieurs vers la grange. Il était revenu quelques temps plus
tard, le visage très satisfait. Elle lui avait exprimé avec force
son refus de voir ces gens-là ici, sans lui parler de sa peur. Il
lui avait répondu sur un ton plus violent qu'elle n'avait qu'à la
fermer, qu'il était le chef de sa maison et qu'il faisait ce qu'il
voulait. Brtanef s'était mis à pleurer. Sealminc avait rompu la
discussion pour aller s'en occuper et Chountic était parti vers les
grottes à Machpes pour préparer la suite. Sealminc repensait à sa
vie. Elle avait suivi les désirs de sa maison et s'était retrouvée
alliée à un vieil homme. Sa maison était contente, l'alliance
avait été fructueuse. Le cadeau de Chountic avait été très
conséquent. Elle avait le droit de partir comme à chaque fête de
la rencontre mais sa maison devrait rendre le cadeau et elle n'était
pas assez riche. Elle avait vu ceux de son clan survivre grâce à ce
qu'elle leur avait rapporté, juste survivre. Elle ne pourrait jamais
quitter le Chountic sans mettre les siens en danger. Brtanef, comme
toujours quand elle le prenait, s'arrêtait de pleurer. Il la
regardait avec le même sérieux que le premier jour. Sealminc se
demandait toujours ce qui occupait cette petite tête. Elle se mit à
nourrir Brtanef. Avec le printemps, il recevrait un autre nom.
N'étant plus dépendant d'elle, il ne serait plus le même. Un autre
nom lui serait alors nécessaire. Elle-même avait changé plusieurs
fois de nom, mais avait toujours gardé à peu près la même
sonorité. Son nom actuel évoquait l'écoulement sa chevelure brune
quand, jeune fille aux rêves fleuris, elle dénouait sa coiffe.
C'est ce qui l'avait fait remarquer par Chountic. Son nom à lui
évoquait bien, pensa-t-elle, toute sa sécheresse.
Chountic hurlait à son habitude, sur
ses ouvriers. Il haïssait ces bons à rien qui ne lui rapportaient
jamais assez. Il se félicita d'avoir eu l'idée de vendre des
denrées aux extérieurs. Ils les haïssaient encore plus que ses
ouvriers, mais eux au moins, ils avaient du métal précieux. L'image
de Brtanef lui vint à l'esprit. Il n'aimait pas penser à lui. Cet
enfant qui vous regardait comme s'il comprenait tout, le mettait mal
à l'aise. Mais pour le printemps, il fallait le renommer. Il avait
encore le temps d'y réfléchir et puis, ces feignants de sorciers
lui souffleraient bien une idée. Il repensa à l'étrangeté de la
situation. Il avait vu Brtanef diminuer et avait espéré sa mort.
Cette femme était trop chétive et ne se donnait pas avec assez de
soumission pour faire un descendant correct. Elle se retenait trop.
La solution aurait été de changer lors de la fête des rencontres
mais pas tant que l'enfant vivait. Il avait cru en sa chance lors de
la mort du bébé. Et puis ce nouveau Brtanef était arrivé. Il
avait cru un instant qu'il remplacerait avantageusement le rejeton
chétif qui était parti, mais non. S'il était physiquement assez
fort pour résister à l'exposition sous la pierre qui bouge, il
était aussi un étrange étranger.
Il se posa encore une fois la question
de ce qu'il avait bien pu faire pour mériter une telle suite de
coups du sort. L'arrivée d'un de ses ouvriers l'obligea à se
concentrer sur l'instant présent. S'il voulait devenir le
fournisseur attitré des extérieurs, il fallait qu'il s'active. D'un
côté, il pensait comme Rinca que le mieux aurait été de les faire
disparaître, mais il était beaucoup plus lucide. Ils étaient trop
forts pour eux. Les évènements l'avaient conforté dans son
opinion. Comme on ne pouvait s'en débarrasser, il valait mieux faire
avec et en profiter. Les autres rentraient toujours en conflit avec
eux. Les extérieurs prenaient alors par la force. Il y avait des
blessés, des mécontents. Lors de la première rencontre, il avait
tenu un autre discours en disant qu'il n'était pas contre de leur
fournir des denrées mais pas pour rien. Il avait appuyé son
discours d'un don de viande de clach boucanée par ses soins. Cela
avait plu au chef de la patrouille et encore mieux, la viande avait
plu aux chefs des extérieurs. Quand ils étaient revenus, ils
étaient demandeurs. Ils lui avaient proposé de l'or. Chountic
s'était retenu pour ne pas se jeter dessus. Muoucht était là. Pour
une fois tout le monde s'était assis et avait négocié. Chountic
s'était engagé à fournir des machpes pour pas grand chose mais
avait obtenu plus qu'il n'espérait pour faire de la viande de clach
boucanée. Pour le moment et contrairement à ce qu'il leur avait
dit, il vivait sur ses stocks. Mais déjà des chasseurs étaient
partis et les premières bêtes arrivaient. Bien sûr, les autres
maisons allaient le critiquer, mais surtout, elles allaient l'envier
pour sa richesse.
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