Le vent s'était mis à souffler et ne
semblait pas vouloir faiblir. L'ambiance en ville était électrique.
Entre la fête des rencontres qui excitait petits et grands et les
suites de la cérémonie de consécration qui venait d'avoir lieu,
les gens n'arrêtaient pas de parler, de gloser, de réfléchir, de
râler, de supputer, de prévoir ou de deviner ce que l'avenir
réservait. Il n'y avait pas eu une telle effervescence depuis ...
depuis si longtemps que personne n'en avait le souvenir.
Chountic ne décolérait pas. Non
seulement, il ne s'était pas senti honoré à sa juste place, même
si la cérémonie du spimjac avait commencé par lui, mais en plus il
s'était entendu glorifier le roi dragon. Rinca en était lui
physiquement malade. Une diarrhée verte ne le lâchait plus, lui
déchirant le ventre de ses spasmes avant de le vider et de le
laisser pantelant. Il n'avait que le temps de récupérer un peu
avant que cela recommence. Le seul avantage, il n'avait pas à penser
à ses morts et à ses paroles de soumission aux étrangers.
Kalgar avait repris ses activités
tranquillement. Son totem était le litmel, cet arbre presque aussi
dur que le fer dont on faisait tous les manches d'outils ou de
lances. Il avait vécu avec plus de tranquillité comme son totem,
cette cérémonie. Il se demandait si cette cérémonie lui
permettrait d'avoir des pierres qui brûlent. Il en avait parlé avec
Talmab. Sa femme, toujours très pragmatique, avait soutenu la
soumission aux étrangers et à leur dieu dragon. Il était le plus
fort puisqu'il leur avait donné la victoire. Les sorciers eux-mêmes,
le disaient. Leur avenir passait par là. En se soumettant, ils
gagneraient. Alors autant accompagner le mouvement.
Chan ne savait pas quoi penser. Dans
les jours qui avaient suivi la cérémonie, il avait senti que les
étrangers étaient plus calmes, plus détendus. Il semblait y avoir
moins de conflits. Était-ce provisoire, ou bien est-ce un nouveau
climat relationnel? Le conseil des anciens avait beaucoup discuté
mais avait fini par se ranger derrière l'opinion des sorciers. Si la
paix revenait, on aurait peut-être la prospérité.
Sstanch qui bien qu'absent des
représentants des totems de la cérémonie, avait suivi les
évènements. Il avait vu arriver la cohorte des guerriers blancs qui
lui avait interdit d'intervenir. Il avait vu ce couple étrange
composé de Quiloma soutenu par la Solvette entrer dans la maison
Andrysio. Il avait entendu comme les autres témoins les cris de
soumission et de glorification. Ses rapports avec les soldats
étrangers avaient changé. Avant ils le respectaient comme on
respecte quelqu'un qui fait le même métier que vous, mais depuis la
cérémonie, ils acceptaient de communiquer avec lui. Ils avaient
même pour la première fois accepté qu'il s'entraîne avec ses
hommes sur le même terrain qu'eux.
Bartone dans son cachot avait aussi
senti le changement. On lui avait allongé ses chaînes de pieds et
libéré les bras. Il ne savait toujours pas ce qu'on allait faire de
lui, mais profitait de cet adoucissement de ses conditions de
détention.
Quiloma avait fait un effort pour aller
à la cérémonie. Il avait appris par Qunienka que les habitants
allaient faire une grande réunion, ce qui dans son esprit voulait
dire rébellion. Quiloma en avait parlé avec la Solvette. Ils en
avaient parlé plusieurs fois avant que Quiloma ne comprenne vraiment
ce qu'il se passait. Il était arrivé à la conclusion que
l'intervention de ses soldats ce jour-là risquaient plus de
déclencher une bataille rangée que de lui assurer la tranquillité.
Il pensa qu'il valait mieux pour sa mission qu'il n'y ait pas de
mort. La Solvette lui avait fait remarquer que c'était bien pensé
mais un peu tard. La cérémonie débuterait à l'aube et son second
ne viendrait que plus tard pour faire le rapport de son intervention.
Quiloma avait décidé d'y aller. Il s'était mis debout, avait
revêtu ses habits mais avait fait eu un vertige en arrivant à la
porte. La Solvette qui ne l'avait pas quitté des yeux, l'avait
rattrapé à temps. Les gardes devant la maison avaient été très
heureux de voir leur prince sortir. Ils n'avaient pas osé intervenir
quand ils avaient vu la maraboute soutenir leur prince. Ils les
avaient escortés. Eux aussi pouvaient témoigner de l'accueil fait
au prince par les villageois. Quelque chose avait eu lieu. Il y avait
là un mystère et cette maison nécessitait une attention spéciale
et beaucoup de respect.
Son retour chez la Solvette avait été
moins glorieux. Deux guerriers avaient été nécessaires pour le
porter sur son lit.
Kyll racontait son voyage de machpsapsa
à ses compagnons. Avec force gestes, il expliquait comment il était
arrivé juste au début de la cérémonie. Il leur décrivait les
totems qui arrivaient et comment ceux-ci prenaient possession des
porteurs de totem.
- C'est extraordinaire de voir l'esprit
de l'ours descendre sur Chountic. Le corps de Chountic est devenu
comme transparent. Je ne voyais que l'esprit puissant qui l'occupait.
Pareillement pour les autres. Kalgar bougeait comme un arbre. Rinca
hurlait comme un loup. Natckin a bien étudié son cercle. Je n'ai
pas vu une fausse note. Ils étaient tous à leur place. Il ne
restait que la place centrale. Je sentais bien qu'il l'avait réservé
au grand totem. Je l'ai vu. Tasmi a raison. Il est merveilleux de
majesté et de puissance. Il semblait flotter dans toute la pièce et
il est venu se poser sur le prince des étrangers soutenu par la
Solvette. Alors qu'elle aurait dû être repoussée quand le totem
est descendu sur le prince, elle est restée en contact. Il y a là
un mystère qu'il me faudra éclaircir. Le grand totem est leur dieu
dragon. C'est évident. Il ne peut y avoir en ce monde deux choses
aussi puissantes. Les esprits nous ont bien guidés. Sans eux nous
aurions résisté et nous aurions disparu. A son service, nous allons
devenir grands. Si nous ne faisons pas d'erreur.
Le conteur n'en revenait pas. Lui qui
depuis tous ces hivers, se contentait de réciter les histoires
banales, était sollicité pour dire la geste du dragon.
-Quand le vent tombera, tu la
réciteras, lui avait dit le maître de ville. Tu ouvriras la fête
des rencontres, afin que tous sachent ce qui est bon à faire ou à
ne pas faire.
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