Kalgar bénissait son métier qui lui
permettait d’avoir chaud malgré la rigueur du temps. Sa fille
poussait bien. Elle lui avait souri. Il avait fondu. C'est tout juste
s'il entendait le vent qui faisait siffler la cheminée. Il prenait
l'habitude de voir les extérieurs dans son atelier. Aujourd'hui, il
ne faisait même pas attention à eux. Il avait un long travail pour
réparer les outils pour cultiver les machpes. Il avait vu Muoucht
venu pour lui traduire les demandes des extérieurs. Il en avait
profité pour demander des renseignements sur ces pierres noires
qu'il avait vu utiliser. Son interlocuteur avait eu l'air étonné
qu'ils ne les connaissent pas. L'homme qui portait un anneau rouge au
majeur droit, avait déclaré qu'il allait en discuter avec ses chefs
pour qu'on en donne un peu à Kalgar pour qu'il fasse le travail pour
eux. L'esprit de Kalgar était à la fois occupé à la tâche du jour
et à imaginer ce qu'il allait essayer s'il obtenait ses pierres
noires qui brûlaient si bien.
Chan écoutait le vent. Il était dans
le même état d'esprit que le temps. Devant lui le malch noir
attendait qu'il y touche. Il n'arrivait pas à croire que la
situation était ce qu'elle était. De mémoire de chef de ville,
cela n'avait jamais existé. Il cherchait où était la faute.
Pourquoi les esprits s'en prenaient ainsi à eux? Ses pensées
dérivèrent sur les sorciers. Il vécut la perte du vieux maître
sorcier comme une catastrophe de plus. Le jeune maître sorcier avait
disparu. Le maître sorcier Natckin ne valait pas ses maîtres. Il
pensait qu'il avait toujours obéi aux esprits. Il en était bien
mal récompensé. Il but un peu de malch noir. Ses pensées
dérivèrent vers les sombres tunnels où se préparait la récolte
hivernale. Ce qu'il avait vu ne le réjouissait pas. Les pots de
machpe ne se remplissaient pas vite. Rinca était moins pessimiste
que lui. Il avait déjà vu des mauvais débuts de pousse qui avaient
bien été compensés par un fin de saison floride. Chan aurait aimé
croire Rinca. Il restait pessimiste surtout avec toutes ces bouches à
nourrir. Les extérieurs chassaient, mais ils vidaient aussi les
réserves de la ville. Il se félicitait du départ de grand chef qui
était arrivé, cela avait fait baisser les exigences des occupants.
Il fallait bien leur donner ce nom. Les extérieurs devenaient des
occupants. Il ne croyait pas, non plus, qu'ils allaient trouver ce
knam d'anneau. Vu toute la neige qu'ils avaient remuée, ils
l'auraient déjà trouvé. Comment allait-on pouvoir répartir la
pénurie? Chaque maison allait vouloir garder ses provisions. Il
n'avait pas d'exemple de partage facile. Lors de la dernière famine
quand le père de son père vivait, ils avaient eu recours à la
force pour obliger certains à partager. Aujourd'hui, il ne pouvait
pas prévoir, tout dépendait d'évènements qu'il ne pouvait
maîtriser. Chan avait l'impression de tourner en rond. Il finit son
verre et alla s'occuper de ses propres grottes.
Kyll écoutait le hululement du vent et
le crépitement du grésil sur la roche, assis le dos à la paroi,
les genoux ramenés sous le menton. Un enfant de Sioultac mettait une
main ou deux mains de jours pour passer. La première était passée
sans qu'il ne semble s'affaiblir. Les quatre amis avaient investi la
chambre reculée de la grotte de la médiation pour en faire le lieu
de leur repos. Le petit couloir qui allait vers la salle aux
machpsapsa, avait été déclaré sacré par Kyll sans que les autres
ne s'y opposent. Le Crammplac allait et venait sans se soucier du
temps. II ne semblait pas affecter par les bourrasques. Sa chasse
était souvent fructueuse. Il ramenait aussi du bois mort pour
entretenir le feu qui brûlait au fond de la grotte à l'entrée du
passage.
- Tes rêves sont-ils agréables ?
demanda Rhinaphytia.
Kyll releva la tête.
- Pas tellement, Rhina. Je pense à la
ville, au temple. Comment s'en sortent-ils? Je continue à
m'interroger sur cet appel qui m'a fait tout quitter.
- Pourquoi ne ferait-on pas un rite
divinatoire?
- On peut en dehors du temple?
Intervint Nomenjaari
- Je pense, reprit Kyll, j'ai fait
quelque chose comme cela en goûtant au machpsapsa.
- Tonlen m'a toujours appris qu'on ne
le pouvait pas!
- Pourtant à la grotte de la
médiation, il y a des rites.
- Oui mais ce ne sont pas ceux du
Temple. On ne peut faire une divination en dehors du Temple. Tonlen
est formel.
- Qu'est-ce qu'on risque à essayer ?
demanda Rhinaphytia. Avec cette tempête, ça nous occupera.
- Tu manques de respect aux rites, dit
Nomenjaari
- Ne vous disputez pas, intervint
Iaryango, vous avez tous les deux raisons. Les rites sont importants,
mais pourquoi ne pas profitez de ce temps d'attente pour tenter
quelque chose.
- Iaryango a raison. Nomenjaari que te
faut-il pour m'assister dans un rite de divination?
Ils se mirent tous à la préparation.
Ils transposèrent ce qu'ils savaient faire dans le Temple à la
grotte de la médiation. Sans bougie, ils utilisèrent des torches.
Sans bois odorant, ils brûlèrent des morceaux de machpsapsa. Kyll
entra très rapidement en contact avec le monde des esprits. Par
rapport à d'autres, il en gardait la mémoire. Il vit la ville sous
la domination des extérieurs. Le mot « occupation »
résonnait chez tous les habitants de la ville. L'espoir manquait.
Pourtant l'avenir n'était pas complètement noir. Une lumière,
petite mais nette, s'élevait des enfants. Kyll ne les reconnut pas.
La scène n'était pas claire. Il ne savait s'il se situait dans le
passé ou dans l'avenir. Il se concentra sur l'enfant qui lui
semblait le plus prometteur. Il s'en approcha. Au moment où il
pensait pouvoir prendre contact avec l'esprit de l'enfant, ce fut
comme s'il avait reçu une gifle magistrale. Il sortit brutalement de
la transe :
Kyll dit :
- L'enfant d'hiver fait revenir l'été
!
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