jeudi 26 avril 2012


Le surlendemain Quiloma était toujours vivant. Meaqui avait convoqué Qunienka et les survivants du groupe de chasse. Qunienka n'avait pas apprécié. Il aurait préféré entendre son supérieur donner sa version. Sans l'autorité de.son prince pour le protéger, il ne pouvait qu'obéir. Les hommes avaient dormi un jour entier. Il avait été attentif à ce qu'ils soient bien nourris. Il ne pouvait faire mieux pour eux. Ils se retrouvaient dans la grande pièce devant les deux princes. Le mot enquête n'avait pas été prononcé. Pourtant tout le monde y pensait. Le bilan était lourd... Cinq soldats n'étaient pas rentrés, un prince neuvième était entre la vie et la mort mais le plus grave était d'être sans nouvelle de Jorohery. Ni Méaqui, ni Qualimpo ne voulaient endosser la responsabilité de sa disparition. Les deux princes étaient assis le dos à un des murs, sur une des banquettes qui surplombaient un peu la salle. Qunienka se tenait debout à deux pas devant eux. Il regardait vers le centre de la pièce où étaient les cinq soldats. Ils avaient pris la position rituelle de la présentation. Un genou à terre, les deux poings fermés posés sur le sol, bras tendus, ils baissaient la tête en signe de soumission et de déférence. Qunienka sentit la colère monter en lui. Ce salut n'avait pas lieu d'être. Ils n'étaient que princes dixièmes et eux soldats d'un prince neuvième. Ils ne respectaient pas les convenances. Il se tut pourtant. Il ne voulait pas tenter l'épreuve de force. C'est Qualimpo qui avait exigé le salut complet. Méaqui aurait accepté le salut simple.
Dans la voix du konsyli survivant, Qunienka entendit vibrer la colère. Il pensa que la même colère les unissait face à ce qui était un manque de respect envers Quiloma. Voilà encore un fait qui n'allait pas rendre simple la cohabitation des phalanges. Il se concentra sur le récit que celui-ci faisait.
-... Nous sommes arrivés dans le bois sombre, mais le Bras du Prince Majeur avait disparu. Nous ne pouvions continuer sur nos planches. Le Prince Neuvième nous les a fait ôter. C'est alors qu'est arrivé un grand chambardement de branches et de troncs. J'ai su que le crammplac poilu arrivait. Il nous a dépassés sans s'arrêter. Nous avons couru alors que déjà les bruits de lutte se faisaient entendre devant nous. A notre arrivée sur la plateforme, le Bras du Prince Majeur avait disparu. Le Prince Neuvième s'est approché du précipice et c'est là qu'il a subi l'attaque du crammplac poilu. Il a pu éviter le pire mais il a perdu connaissance. J'ai vu où était tombé le Bras du Prince Majeur. Nul ne peut survivre à une chute de cette hauteur et il avait perdu un bras. Nous avons décidé de sauver le prince. J'ai fait les pansements et nous avons préparé la civière.
- Vous n'avez rien fait pour savoir où était le Bras du Prince Majeur ! aboya Qualimpo. C'est impardonnable. Vous auriez dû essayer de descendre pour le retrouver.
Le Konsyli garda le silence. Qunienka vint à son aide.
- Prince Qualimpo, vous avez raison. La topographie est la responsable. Le konsyli et son groupe n'étaient pas équipés pour l'escalade. Maintenant que la tempête s'est tue, je soumets à votre sagacité ma suggestion : qu'une demi-phalange parte avec ce konsyli pour retrouver l'endroit et entreprendre les recherches. Bien équipée, elle aura les résultats souhaités.
Qualimpo le fusilla du regard. Il allait répondre quand Méaqui prit la parole de sa voix de basse:
- Merci Qunienka de ta suggestion, mais avant tout j'aimerais entendre la fin du récit de ton konsyli. Comment ont-ils survécu avec un blessé grave, aussi peu de vivres et un temps de tempête ?
- Prince Méaqui, nous avons cru mourir plusieurs fois. La première fut à la sortie du bois sombre. Il y a là une traversée étroite en pleine pente. Nous n'avions qu'un but courir le plus vite pour sauver le prince.
Eéri ouvrait la route, Zothom suivait. Je suivais tirant la civière. Mlaqui poussait. Ivoho surveillait nos arrières. Le vent nous a déstabilisés. Nous sommes tombés. Eéri nous a sauvés. Il a eu le temps de bloquer la corde qui nous reliait sur une souche. Zothom a freiné sa chute quand la corde l’a tiré en arrière. Sur cette neige glacée, nos planches ne tenaient pas. Cela nous a pris des heures pour déchausser et remonter les quelques pas qui nous séparaient de Eéri. Quand nous avons pu nous regrouper la nuit tombait. Le froid devenait plus intense. J’avais gardé souvenance de notre chemin. Avant qu’il ne fasse tout à fait nuit, j’avais repéré la direction des rochers. Nous les avons atteints à la troisième veille. C’est à tâtons que nous avons retrouvé l’endroit où nous avions bivouaqué. Nous nous sommes posés là. Le vent et le grésil continuaient à tout balayer. Notre abri était précaire. J’espérais pouvoir repartir le lendemain. Nous avons installé le prince et c’est à ce moment que j’ai constaté la disparition de Zothom. Nous avons fait le compte des vivres. L’espoir nous a quittés. Même en nous rationnant sévèrement, nous n’avions plus assez pour faire face à la tempête. Lors de notre chute, les paquetages étaient tombés de la civière. J’ai fait coucher les hommes sur le prince pour le réchauffer. A l’aide des deux dernières capes qui nous restaient, Eéri et moi avons fait une cloison contre le vent.
J’ai supplié le Roi Dragon de nous venir en aide. Sans feu, sans vivre, avec quatre hommes pour toute escorte, un prince neuvième allait mourir. J’ai fait le serment de donner ma vie au Roi Dragon selon le grand rite s’il nous venait en aide.
- Tu sais à quoi tu t’es engagé, Konsyli ? demanda Qualimpo.
- Oui, Prince ! Je donnerai ma vie pour nourrir le Roi Dragon quand il se manifestera. Ce sera un honneur pour moi et les miens.
- Et quelle fut sa réponse ?
- Zothom est revenu. Il avait trouvé la dépouille de notre camarade mort. Il a récupéré son bardât et il nous a pistés.
- Dans la tempête ? Tu te moques de moi ? s’emporta Qualimpo.
- Non, Prince ! intervint Zothom. J’ai ce don de pisteur. Ma famille vient des terres hostiles du grand froid. Nous savons. Le Prince Quiloma m’a choisi parce que j’étais le meilleur de mon groupe.
- Tu oses me répondre sans que je t’interroge ! Tu mérites une punition. Je te ferai fouetter pour ton insolence !
- Permettez-moi d’intervenir, Prince Qualimpo, intervint Qunienka. Seul notre Prince peut prendre cette décision. Tant qu’il est vivant, il est le maître de nos vies.
- Il a raison Qualimpo, renchérit Méaqui. La loi est claire. Un prince de phalange est maître dans sa phalange. Seul un prince de rang plus haut peut intervenir. Quiloma est prince neuvième, ne l’oublie pas.
Qualimpo fit silence. La couleur pourpre de son visage rond parlait pour lui.
- Continue ton récit, Konsyli.
- Oui, Prince Méaqui. Zothom a ramené des vivres mais peu, des vêtements et de quoi faire du feu. Nous avions laissé des pierres à feu lors de notre passage. Nous les avons utilisées. Un jour passa, puis un deuxième sans que cessent les hurlements du vent de tempête. Au troisième jour, le roi Dragon nous a, une nouvelle fois, favorisés. Un troupeau de ses bêtes que les locaux nomment clachs, fuyant devant le crammplac poilu est passé au-dessus de nous. Nous avons senti la terre trembler à leur passage. La panique courait avec eux. Une bête est tombée de la falaise et s’est rompu le cou à quelques pas de notre abri, puis une deuxième s’est écrasée sur le rocher qui nous protégeait du vent. Le crammplac l’avait éventrée.
- Il n’est pas descendu récupérer sa proie ? demanda Qunienka.
- Non, c’est pour cela que j’y ai vu l’action du Roi Dragon. Nous avons profité de leur chaleur en les traînant dans notre abri. Ivoho les a dépecées et a enveloppé le prince dans les dépouilles chaudes. Le lendemain le vent a faibli. La neige tombait toujours mais Zothom et Eéri se sont relayés pour aller chercher du bois. Dans le sac que Zothom a retrouvé, il y avait des herbes pour les blessés. Elles ont permis au Prince de tenir. Une journée a passé. J’ai donné mission à Zothom de partir en éclaireur vers le village. Il a découvert une grotte mieux abritée et plus chaude. Nous avons mis une journée à l’atteindre avec la civière. Dans le ventre de la terre, silence et douceur régnaient. Le Prince fut installé, le mieux possible. C’est dans cet abri que nous sommes restés jusqu’à la fin de la tempête.
- Ton récit fera un beau chant, dit Méaqui. Je pense comme toi que le Roi Dragon a été favorable à Quiloma. D’ailleurs ne continue-t-il pas en lui fournissant le plus joli des marabouts que j’aie jamais rencontré ?
Un sourire apparut sur tous les visages, même sur celui de Qualimpo. Il se leva pour prendre la parole quand un de ses soldats entra dans la salle en disant :
- Celui qui est la Voix du Prince vient vous parler.
Il avait à peine fini de parler que le messager au col rouge pénétra dans la salle.
Les deux princes se levèrent. Méaqui fit un signe, tous sortirent sauf Qualimpo et Qunienka. Quand ils furent seuls avec le messager, ils firent le salut au Prince Majeur. Qunienka mit genou à terre pendant que Méaqui et Qualimpo mettaient leurs poings fermés à hauteur de poitrine.
- Ainsi parle le Prince par sa Voix que je porte.
Il s'interrompit perplexe, regarda autour de lui.
- Où est le Bras du Prince?
- Nous ne savons pas. Il est parti chasser les ennemis du Prince avec un groupe de la phalange de Quiloma et n'est pas rentré.
- Où est le prince neuvième?
- Il a été ramené mourant. Une marabout le soigne.
Le messager croisa les bras sur la poitrine. Le silence se prolongea. Il avait fermé les yeux, semblant regarder à l'intérieur de lui. Personne n'osait faire un geste. Seul la Voix du Prince pouvait reprendre la parole.
- Qui est le guerrier ?
Méaqui prit la parole :
- Il s'agit de Qunienka, second du Prince Neuvième.
De nouveau le silence s'installa. Le messager semblait écouter en lui.
- Moi, porteur de la Voix du Prince, j'ai à vous transmettre ce nouveau message. Le malheur est sur nous. Que mes princes valides et mes guerriers viennent jusqu'à moi pour m'aider dans la guerre qui est mienne. Apportez-moi l'Anneau s'il est retrouvé sans attendre. Grande est mon impatience. Que le prince neuvième reste avec ses troupes. Sa mission est de retrouver mon Bras dont je connais la force et la fidélité. Quand sa mission sera remplie qu'il vienne à moi. Telle est ma Parole, telle est ma Volonté.
Les deux princes et Qunienka dirent d'une même voix :
- Tels seront nos actes !

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