mardi 10 avril 2012


Le vent hurlait. Les hommes se terraient, quelle que soit leur origine. Ceux de la ville utilisaient les passages protégés qui leur permettaient de se déplacer pour aller de maison en maison ou rejoindre les grottes de machpe sans trop s’exposer. L'enfant de Sioultac pilonnait la région depuis déjà cinq jours. Le jour existait-il encore? Cette pâle lueur durant quelques heures ne mettait en relief que les bourrasques de neige. Elle ne réchauffait ni les corps ni les esprits. L'humeur de Chountic était toujours aussi sombre. Il ne parlait plus, il hurlait comme le vent. Tour à tour, il laissait exploser sa colère sur ses ouvriers, sur les extérieurs, sur Chan, sur le temps, sur Sealminc, seul Brtanef échappait à son ire. Curieusement en présence de ce fils, il n’osait pas élever la voix. Heureusement pour sa femme, il passait le plus clair de son temps à s’occuper des plans de machpe, ou à boire à la maison commune avec Rinca dont il entretenait la haine.
Dans la maison Andrysio, Natckin, Tonlen et quelques autres tentaient de redonner sens à leur monde en cherchant dans ce qui avait été sauvé, des pistes pour pouvoir refaire les rites. Le désespoir commençait à s’infiltrer en eux. Ils ne trouvaient rien et dans cette maison même Tasmi n’avait pas de vision. Pour Tonlen le monde s’était écroulé. Il ne pouvait même pas envisager de refaire des rites ailleurs que dans le temple. Sa plus grande angoisse était de ne pas le purifier correctement. Il s’usait les yeux et la mémoire à essayer de retrouver avec l’aide des plus vieux, les passages les plus importants de la Tradition.
Dans le temple, les extérieurs s’occupaient comme ils pouvaient. Il n’y avait pas de place assez grande à l’abri pour organiser des entraînements dignes de ce nom. Méaqui et Qualimpo devisaient, inquiets de savoir Quiloma et ses hommes dehors. Pour Jorohery, ils ne doutaient pas que tout allait bien pour lui. Ils supputaient leur chance d’éviter sa colère quand il verrait qu’ils avaient fait cesser les recherches de l’anneau au début de la tempête. Cinq jours déjà que Quiloma était parti à la chasse au crammplac. Qualimpo ne donnait pas cher de ses chances de revenir vivant. Méaqui était plus confiant. Si quelqu’un pouvait s’en sortir, c’était bien lui. Il n’avait pas les pouvoirs de Jorohery mais avait de l’intuition et sûrement une amulette puissante qui le protégeait. Méaqui ne s’expliquait pas autrement que Quiloma ait traversé toutes ces campagnes sans une égratignure.
Mitsiqui maintenait la rigueur du protocole princier et même s’il donnait parfois son avis, il incarnait aux yeux de tous, la permanence de leur civilisation. Il avait su recréer en peu de temps et avec peu de choses, l’atmosphère d’une résidence princière. Sans le remercier ouvertement, Méaqui et Qualimpo en étaient fort satisfaits. Cela leur permettait de garder l’esprit libre pour faire cohabiter les trois phalanges. Des paris étaient pris sur les chances de Quiloma de revenir. Quoi qu’il arrive, beaucoup de pièces changeraient de poches. Des disputes éclataient régulièrement. Les konsyli essayaient de se débrouiller sans en référer à leurs supérieurs en organisant des rencontres-combat pour vider les querelles. Mais ce jour-là ça avait été trop loin. La phalange de Quiloma et la phalange de Qualimpo s'étaient presque mises en ordre de bataille. Les deux princes avaient dû intervenir. Qunienka n'avait pas assez d'autorité pour régler cela. Méaqui comprenait les hommes de Quiloma. Ils étaient à cran de savoir leur chef dehors par une telle tempête. On ne pouvait pourtant pas laisser faire pour autant. Techniquement, il n'était pas possible de punir tous les hommes. Il fallait faire un exemple. Méaqui prit en mains les opérations. Rassemblant les seconds des trois phalanges, il fit son enquête. Elle fut rapide. Il ressortait que le grand gaillard qui portait le nom de Maéri, était le responsable des coups ayant mis hors de combat quatre guerriers. Le règlement était clair. Il méritait la mort en combat avec le roi dragon.
C’est à la nuit que le cérémonial se déroula. Il eut lieu dans le temple. On ne pouvait y faire tenir tous les phalangistes. Les konsyli prirent place autour de la salle. Maéri muni de son épée en bois fit face au roi dragon. Il connaissait la règle. Face à lui le prince dixième portant le masque du roi dragon avait ses deux épées en main. De chaque côté quatre hommes portant une seule épée, symbolisaient les griffes du roi dragon. Derrière, quatre archers, aux flèches enflammées, se tenaient prêts pour mimer le souffle brûlant. Maéri ne voyait aucun des visages. Le prince portait le grand masque, avec la collerette déployée aux yeux brillants, les autres portaient de petits masques de bois creusé. S'ils les rendaient méconnaissables, ils gênaient la vue. Maéri savait que la seule manière de sauver son honneur était de mourir dignement dans ce combat inégal. Devant lui les dix épées de métal et les flèches enflammées symbolisaient la puissance du roi dragon. Son épée de bois et son petit bouclier rond rappelaient la faiblesse de l’homme. Il regarda Mitsiqui qui tenait encore haut le fanion du signal. Quand il abaisserait son bras, la mort se mettrait en marche. Il avala sa salive, inspira profondément et se rua avant que le tissu ne touche terre. La patte droite du roi dragon se déploya. Il évita les épées, para presque tous les coups. Son sang coula mais trop près de son adversaire, il l’empêchait d’utiliser le feu. Quand la gueule aux dents acérées et aux yeux brillants se rapprocha trop, il fit un roulé-boulé. Une flèche l’atteignit au flanc, provoquant une cuisante douleur. Il continua son mouvement vers la patte gauche. Son sang coulait sur la terre. Parant du bouclier, les quatre griffes de métal, il blessa un des doigts du roi dragon qui se replia. Les trois autres n’en furent que plus agressifs. À la lueur des torches, les konsyli regardaient le combat. Ils avaient hurlé leur fierté quand il avait blessé le roi dragon. Ils hurlèrent encore quand il blessa encore le roi dragon. Ils le virent se reculer un peu pour repartir au combat. Ses plaies se multipliaient. Malgré plusieurs flèches qui le brûlaient, il repartit à l’assaut une fois, deux fois, trois fois, la dernière fois à genoux. Les crocs acérés explosèrent son bouclier et reculèrent juste le temps que quatre flèches le transpercent. Maéri, la poitrine en feu, leva une dernière fois son épée de bois. Les crocs acérés s’abattirent à nouveau. Il y eut un instant d’immobilité et de silence, pendant que le sang s’écoulait emportant la vie du combattant. Puis vint le cri de victoire du roi dragon poussé par les gorges des porteurs de masque hormis les deux blessés qui avaient mis genoux à terre.

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