Le vent hurlait. Les hommes se
terraient, quelle que soit leur origine. Ceux de la ville utilisaient
les passages protégés qui leur permettaient de se déplacer pour
aller de maison en maison ou rejoindre les grottes de machpe sans
trop s’exposer. L'enfant de Sioultac pilonnait la région depuis
déjà cinq jours. Le jour existait-il encore? Cette pâle lueur
durant quelques heures ne mettait en relief que les bourrasques de
neige. Elle ne réchauffait ni les corps ni les esprits. L'humeur de
Chountic était toujours aussi sombre. Il ne parlait plus, il hurlait
comme le vent. Tour à tour, il laissait exploser sa colère sur ses
ouvriers, sur les extérieurs, sur Chan, sur le temps, sur Sealminc,
seul Brtanef échappait à son ire. Curieusement en présence de ce
fils, il n’osait pas élever la voix. Heureusement pour sa femme,
il passait le plus clair de son temps à s’occuper des plans de
machpe, ou à boire à la maison commune avec Rinca dont il
entretenait la haine.
Dans la maison Andrysio, Natckin,
Tonlen et quelques autres tentaient de redonner sens à leur monde en
cherchant dans ce qui avait été sauvé, des pistes pour pouvoir
refaire les rites. Le désespoir commençait à s’infiltrer en eux.
Ils ne trouvaient rien et dans cette maison même Tasmi n’avait pas
de vision. Pour Tonlen le monde s’était écroulé. Il ne pouvait
même pas envisager de refaire des rites ailleurs que dans le temple.
Sa plus grande angoisse était de ne pas le purifier correctement. Il
s’usait les yeux et la mémoire à essayer de retrouver avec l’aide
des plus vieux, les passages les plus importants de la Tradition.
Dans le temple, les extérieurs
s’occupaient comme ils pouvaient. Il n’y avait pas de place assez
grande à l’abri pour organiser des entraînements dignes de ce
nom. Méaqui et Qualimpo devisaient, inquiets de savoir Quiloma et
ses hommes dehors. Pour Jorohery, ils ne doutaient pas que tout
allait bien pour lui. Ils supputaient leur chance d’éviter sa
colère quand il verrait qu’ils avaient fait cesser les recherches
de l’anneau au début de la tempête. Cinq jours déjà que Quiloma
était parti à la chasse au crammplac. Qualimpo ne donnait pas cher
de ses chances de revenir vivant. Méaqui était plus confiant. Si
quelqu’un pouvait s’en sortir, c’était bien lui. Il n’avait
pas les pouvoirs de Jorohery mais avait de l’intuition et sûrement
une amulette puissante qui le protégeait. Méaqui ne s’expliquait
pas autrement que Quiloma ait traversé toutes ces campagnes sans une
égratignure.
Mitsiqui maintenait la rigueur du
protocole princier et même s’il donnait parfois son avis, il
incarnait aux yeux de tous, la permanence de leur civilisation. Il
avait su recréer en peu de temps et avec peu de choses, l’atmosphère
d’une résidence princière. Sans le remercier ouvertement, Méaqui
et Qualimpo en étaient fort satisfaits. Cela leur permettait de
garder l’esprit libre pour faire cohabiter les trois phalanges. Des
paris étaient pris sur les chances de Quiloma de revenir. Quoi qu’il
arrive, beaucoup de pièces changeraient de poches. Des disputes
éclataient régulièrement. Les konsyli essayaient de se débrouiller
sans en référer à leurs supérieurs en organisant des
rencontres-combat pour vider les querelles. Mais ce jour-là ça
avait été trop loin. La phalange de Quiloma et la phalange de
Qualimpo s'étaient presque mises en ordre de bataille. Les deux
princes avaient dû intervenir. Qunienka n'avait pas assez d'autorité
pour régler cela. Méaqui comprenait les hommes de Quiloma. Ils
étaient à cran de savoir leur chef dehors par une telle tempête.
On ne pouvait pourtant pas laisser faire pour autant. Techniquement,
il n'était pas possible de punir tous les hommes. Il fallait faire
un exemple. Méaqui prit en mains les opérations. Rassemblant les
seconds des trois phalanges, il fit son enquête. Elle fut rapide. Il
ressortait que le grand gaillard qui portait le nom de Maéri, était
le responsable des coups ayant mis hors de combat quatre guerriers.
Le règlement était clair. Il méritait la mort en combat avec le
roi dragon.
C’est à la nuit que le cérémonial
se déroula. Il eut lieu dans le temple. On ne pouvait y faire tenir
tous les phalangistes. Les konsyli prirent place autour de la salle.
Maéri muni de son épée en bois fit face au roi dragon. Il
connaissait la règle. Face à lui le prince dixième portant le
masque du roi dragon avait ses deux épées en main. De chaque côté
quatre hommes portant une seule épée, symbolisaient les griffes du
roi dragon. Derrière, quatre archers, aux flèches enflammées, se
tenaient prêts pour mimer le souffle brûlant. Maéri ne voyait
aucun des visages. Le prince portait le grand masque, avec la
collerette déployée aux yeux brillants, les autres portaient de
petits masques de bois creusé. S'ils les rendaient méconnaissables,
ils gênaient la vue. Maéri savait que la seule manière de sauver
son honneur était de mourir dignement dans ce combat inégal. Devant
lui les dix épées de métal et les flèches enflammées
symbolisaient la puissance du roi dragon. Son épée de bois et son
petit bouclier rond rappelaient la faiblesse de l’homme. Il regarda
Mitsiqui qui tenait encore haut le fanion du signal. Quand il
abaisserait son bras, la mort se mettrait en marche. Il avala sa
salive, inspira profondément et se rua avant que le tissu ne touche
terre. La patte droite du roi dragon se déploya. Il évita les
épées, para presque tous les coups. Son sang coula mais trop près
de son adversaire, il l’empêchait d’utiliser le feu. Quand la
gueule aux dents acérées et aux yeux brillants se rapprocha trop,
il fit un roulé-boulé. Une flèche l’atteignit au flanc,
provoquant une cuisante douleur. Il continua son mouvement vers la
patte gauche. Son sang coulait sur la terre. Parant du bouclier, les
quatre griffes de métal, il blessa un des doigts du roi dragon qui
se replia. Les trois autres n’en furent que plus agressifs. À la
lueur des torches, les konsyli regardaient le combat. Ils avaient
hurlé leur fierté quand il avait blessé le roi dragon. Ils
hurlèrent encore quand il blessa encore le roi dragon. Ils le virent
se reculer un peu pour repartir au combat. Ses plaies se
multipliaient. Malgré plusieurs flèches qui le brûlaient, il
repartit à l’assaut une fois, deux fois, trois fois, la dernière
fois à genoux. Les crocs acérés explosèrent son bouclier et
reculèrent juste le temps que quatre flèches le transpercent.
Maéri, la poitrine en feu, leva une dernière fois son épée de
bois. Les crocs acérés s’abattirent à nouveau. Il y eut un
instant d’immobilité et de silence, pendant que le sang s’écoulait
emportant la vie du combattant. Puis vint le cri de victoire du roi
dragon poussé par les gorges des porteurs de masque hormis les deux
blessés qui avaient mis genoux à terre.
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