Dans le petit matin, les deux hommes se
glissaient d'ombre en ombre. Ils rasaient les murs, évitant les
rafales de vent, mais restant à l'aguet. Ils s'arrêtèrent
plusieurs fois pour laisser passer des patrouilles d'étrangers, de
ces démons blancs à qui ils devaient d'être là.
- Ça va ?
- Ça ira mieux quand on sera arrivés!
L'homme qui avait répondu à voix
basse, s'était appuyé sur le mur. Il reprenait son souffle.
- On est bientôt arrivés.
Le deuxième homme remit son bras sous
les épaules de son compagnon et il l'aida à se remettre debout. Ils
continuèrent leur progression. Heureusement, ils descendaient, ce
qui rendait la marche plus facile. Boîtant bas, accroché à son
jeune aide, Bartone, un des fils de la maison d'Andrysio, se
dirigeait vers la maison de la Solvette. Comme ceux de sa famille, il
avait eu une rencontre désastreuse avec les démons blancs. Dans les
grottes de machpes, il avait voulu s'opposer à un de ces trios
patrouillant dans les couloirs. Un coup d'épée l'avait mis au sol.
C'est l'intervention de Sstanch qui lui avait probablement sauvé la
vie. Celui-ci bénéficiait d'un certain respect des étrangers,
respect fondé sur sa qualité de combattant. Il avait aussi demandé
à Muoucht de lui enseigner quelques rudiments de leur langage.
S'entendre interpeller dans leur langue avait bloqué l'action des
soldats blancs. Sstanch avait ensuite hurlé sur Bartone et son
groupe les obligeant à reculer dans un couloir latéral. La
patrouille était repartie sans chercher à aller plus loin.
Aux reproches de Sstanch avaient
répondu la rancœur et la haine de Bartone. Bistasio était
intervenu avec quelques autres pour éviter qu'ils n'en viennent aux
mains. Une fois la tension retombée, Bartone avait senti ses jambes
le lâcher. Bistasio l'avait une première fois soutenu. L'examen de
la plaie lui avait fait faire la grimace. Le sang poissait le tissu
sur le flanc. Sans expérience de ce genre de plaie, ils prirent
peur.
- Faut aller voir la Solvette, sinon ça
va mal finir.
- Mais non, Bistasio, ça va passer. Je
vais aller m'allonger un peu.
- Vous êtes le dernier de la maison
d'Andrysio. On ne peut pas courir ce risque.
La fatigue aidant, Bartone s'était
laissé convaincre d'aller voir la Solvette. Arrivant près de sa
maison, se posa la question de la présence de gardes en raison de
celui qu'elle hébergeait. Bistasio aida son maître à s'asseoir sur
un muret.
- Je vais aller voir et je reviens vous
chercher.
Bartone répondit d'un geste las de la
main, lui faisant signe de partir. Quand Bistasio tourna pour
s'engager dans la ruelle de la Solvette, il marqua un court arrêt.
De chaque côté de la porte, il y avait des gardes. Comme toujours
avec un parfait ensemble, ils firent face. Il s'avança lentement,
les mains en avant paume en l'air pour montrer qu'il ne portait pas
d'armes, puis faisant des signes vers la porte en disant :
- Je viens voir la Solvette ! Je viens
voir la Solvette !
Les lances se mirent en travers de son
chemin. Bistasio sentit la sueur lui couler dans le dos. Il continua
d'avancer quand même, il ne pouvait pas laisser Bartone dans cet
état. Les lances se firent plus menaçantes. Il avança montrant ses
mains vides et criant presque sa demande. Quand le fer de lance
toucha sa poitrine, il s'arrêta.
- Mais ça va pas ! hurla la voix de la
Solvette.
Les gardes se retournèrent comme un
seul homme. Dans sa robe couleur feuilles d'automne, venait de surgir
la propriétaire des lieux. Ses yeux étaient d'un noir profond comme
la parure des charcs qui semblaient arriver de partout comme par
magie. Devant cette apparition, les gardes laissèrent la place.
- Ça ne vous suffit pas de rester
plantés là, il faut en plus que vous fassiez peur à tout le monde
!
Même s'il ne comprenait pas le sens
des paroles, le ton était clair. Baissant la tête devant cette
marabout dont la rumeur amplifiait les pouvoirs, ils se réfugièrent
à l'opposé de la Solvette et de Bistasio.
- Alors qu'est-ce que tu veux ?
Le ton n'avait pas changé. Bistasio
avala sa salive :
- C'est pour Bartone, il est blessé.
- C'est pas possible, ils ne sauront
jamais se tenir tranquilles dans cette maison ! Amène-le !
- Mais les gardes ?
- Quoi les gardes ? cria la Solvette,
Ils vont se tenir tranquilles, les gardes, ou ils auront affaire à
moi.
D'un doigt impératif, elle fit un
geste vers les charcs. Aussitôt, tout un groupe se posa sur la route
entre les gardes et eux. Se tournant vers Bistasio qui regardait la
scène avec des yeux ronds, elle ajouta :
- Bon, tu vas le chercher ?
Il partit en courant vers le bout de la
rue chercher Bartone. La Solvette fit demi-tour et pénétra dans la
maison. Les gardes blancs ne firent pas un geste quand ils virent
apparaître Bistasio soutenant Bartone. Ils ne reprirent leurs place
que lorsque les deux hommes eurent passé le seuil de la porte et que
les charcs eurent décollé.
Dans la pénombre, la Solvette semblait
occuper toute la place. Elle donnait des soins à l'un ou l'autre
blessé qu'elle n'avait pu remettre à sa famille.
- Mets-le là ! dit-elle en désignant
un grabat. Alors Bartone, qu'est-ce que tu as fait ?
D'une voix altérée par la souffrance,
il répondit:
- C'est ces maudits qui m'ont fait ça.
Elle ne répondit rien, mais entreprit
de le déshabiller. Bartone, le plus jeune fils de la maison
Andrysio ne devait son salut qu'à son absence avec Bistasio et deux
autres serviteurs, au moment de l'attaque. La plaie n'était pas
belle. Celui qui avait porté le coup savait ce qu'il faisait. Les
bords étaient déchiquetés. La cicatrisation serait longue. Le plus
inquiétant venait du saignement qui ne s'arrêtait pas. Elle le fit
passer de la position assise à la position allongée. Prenant des
mousses et des herbes, elle fit un emplâtre qu'elle appliqua sur le
flanc de Bartone. Avec l'aide de Bistasio, elle fit un bandage.
On entendit crier dans la pièce d'à
côté. La Solvette aida Bartone à se remettre allongé :
- Ne bougez pas je reviens.
Quiloma criait dans son sommeil.
D'ailleurs était-ce un sommeil ou cet état qui précède la mort?
La Solvette ne savait plus quoi penser. Les plaies faites par le
crammplac cicatrisaient mal avec une lenteur étonnante. La fièvre
ne quittait pas le blessé. Elle essayait de ne pas perdre espoir.
Elle ne savait pas quoi faire de plus mais ne voulait pas baisser les bras. Plusieurs fois par jour elle le pansait et baignait le
front couvert de sueur. Elle s'approcha pour voir ce qui lui
arrivait. Il était une nouvelle fois brûlant. Elle changea le linge
mouillé sur le front. Elle fronça les sourcils en voyant les
pansements souillés. Ils devaient être changés plus tôt que
prévu. Entendant un bruit, elle se retourna. Bartone était à la
porte et regardait appuyé sur le chambranle.
- Comment pouvez-vous soigner un tel
monstre ? Moi, je l'aurais achevé !
La Solvette s'approcha de lui.
- Il vaut mieux que vous sortiez, lui
dit-elle en le prenant par le bras. Bartone se laissa faire mais la
colère brillait dans ses yeux. Bistasio vint l'aider à allonger
Bartone qui pâlissait à vue d'œil. La Solvette les guida vers une
alcôve libre. Sa maison était bien occupée par des blessés qui
demandaient des soins que personne ne pouvait leur donner ailleurs.
Le travail dans les grottes ou, maintenant, la confrontation avec les
étrangers fournissaient son lot de plaies qui nécessitaient son
savoir-faire. Elle installa Bartone, lui fit boire une tisane
calmante et retourna s'occuper de Quiloma.
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