Méaqui poussait avec entrain sur ses
bâtons. Ils rentraient. Qualimpo le suivait. Il était un peu moins
joyeux. Ils rentraient mais le Bras du Prince n'était pas là. Il
pensait aussi que la guerre les attendait. Si le Prince Majeur les
rappelait, il supposait que la campagne contre les Gowaï allait mal.
Il n'avait jamais participé à une bataille en tant que prince à la
tête d'une phalange. Pour lui, ce début de commandement ne se
passait pas comme il l'avait rêvé. Autant être parti avec Jorohery
pour une mission était un honneur, autant revenir sans lui et sans
l'anneau lui évoquait le déshonneur. Il pensait aussi que la vie
était plus légère loin de Jorohery. Heureusement, le mouvement
régulier et rapide qu'imposait Méaqui le satisfaisait. Les deux
phalanges couraient côté à côte. Ils avaient laissé derrière
eux les serviteurs qui rentreraient à leur rythme. Sans faire la
course, ils se stimulaient sérieusement. Leur progression était
rapide. Le temps était froid mais beau. Ils iraient plus vite qu'à
l'aller. Qualimpo avait hâte de retrouver son pays.
Du haut du col, le groupe des
serviteurs regardait les deux phalanges prendre de la vitesse et de
la distance. Même sans les guerriers, Mitsiqui n'avait pas peur. Ils
arriveraient à bon port. Leur chemin ne croisait pas de zone en
guerre. Il goûtait ses instants rares. Serviteurs sans maître à
servir, il pouvait se laisser aller avec ceux qui étaient comme lui.
Le Macoca portait presque toutes les affaires, ce qui allégeait leur
marche. Ils allaient vivre de bons moments. Ils avaient des
provisions et pas d'ordre. Mitsiqui savait que même sans traîner,
son groupe n'allait pas se presser. Les choses sérieuses ne
reprendraient qu'en arrivant.
Un jour était passé. La phalange de
Qualimpo était arrivée avant celle de Méaqui au bivouac. Qualimpo
fit le tour de son campement pour prévenir ses hommes. Il leur
confirma que Méaqui n'avait pas apprécié. A leur sourire, il n'eut
pas besoin d'ajouter que, pour la journée de demain, le rythme
serait le même. Pendant ce temps Méaqui faisait de même, menaçant
ses hommes de sanctions s'ils ne tenaient pas leur vitesse.
Qualimpo se préparait encore quand il
vit partir l'autre phalange. Il jura et fit passer l'ordre de départ.
Sa mauvaise humeur dura jusqu'au col. Arrivant avec les premiers, un
konsyli de l'avant garde lui montra la phalange de Méaqui non loin
de là. Alerté, il fit mettre ses hommes en ordre de combat. Quelque
chose n'allait pas. Ce qu'il voyait montrait que Méaqui s'était
préparé à se battre. Les deux phalanges firent jonctions sans que
rien de mauvais n'arrive.
- Que se passe-t-il ? demanda Qalimpo à
Méaqui.
- Regarde là-bas, répondit ce dernier
en désignant la vallée vers la gauche.
- Je ne vois rien d'anormal.
- Les charcs !
Qualimpo concentra son attention sur
les oiseaux. Il y en avait trop.
- Ils ne sont pas sur notre route.
- Non, mais ce n'est pas un bon signe.
Quelque chose les attire.
- Oui, la mort.
- Ils sont plus nombreux que sur un
champ de bataille. Je n'ai rien vu qui puisse en attirer autant.
- Il n'y a qu'à continuer, ils ne nous
gênent pas.
- Rappelle-toi la légende du Prince
qui ne voulait pas croire aux signes et comment il a mal fini. Ce que
tu vois là est un signe. A nous de l'interpréter. Appelle ton
second, nous allons tenir conseil.
Les deux phalanges se mirent en place,
prêtes à toute éventualité. Au centre du dispositif, les deux
princes dixièmes et leurs seconds tenaient conseil.
Les premières patrouilles étaient
rentrées sans rapporter de signes de danger.
- Je crois que nous allons pouvoir
continuer, dit Qualimpo
- Puissiez-vous dire vrai, mon Prince,
dit son second Miaro. Je suis comme le prince Méaqui, je n'aime pas
voir ces oiseaux de malheur.
- Je préférerais les fuir. Ils ne
nous coupent pas la route, dit Lozadi.
- Je serais comme toi, dit Méaqui, si
un marabout ne m'avait prédit avant le départ que je les verrais et
que j'aurais à prendre la bonne décision pour que l'avenir soit.
- Mon prince, comment décider avec
aussi peu d'éléments ? reprit Lozadi.
- Je propose que nous attendions les
dernières patrouilles. Si nous n'avons rien de plus, nous repartons.
Le Prince Majeur nous attend.
Ils se séparèrent sur ces dernières
paroles.
Le groupe des serviteurs descendait du
col quand arriva la dernière patrouille.
- Parle Konsyli.
- Mon Prince, nous avons poussé
suivant les ordres, aussi loin que possible. Nous avons pénétré
dans le bois. Les arbres sont couverts de charcs sauf sur une étroite
zone. Nous avons suivi cette ligne. Ils nous ont regardés sans
bouger. Nous avons continué à progresser. Et puis Gara a voulu se
soulager. Il s'est éloigné de quelques pas sur la droite. Les
charcs ont attaqué. Une fois revenu près de nous, ils sont repartis
se percher de part et d'autre. J'ai fait faire plusieurs tentatives
sans plus de succès. On dirait qu'il existe un chemin où l'on ne
risque rien. J'ai fait faire demi-tour au groupe sans que rien de
fâcheux n'arrive.
- As-tu vu quelque chose au bout de ce
chemin? demanda Méaqui.
- Non, Mon Prince, il était trop tard
pour aller plus loin. Nous sommes venus rendre compte.
Qualimpo posa quelques questions sans
pouvoir percer ce mystère. Quel chemin les charcs gardaient-ils?
Quand Méqui proposa d'aller voir, il approuva.
Comme la nuit approchait, ils
bivouaquèrent sur place sans abandonner l'état d'alerte.
Aux premières lueurs, Méaqui se
prépara avec quatre groupes.
- Si demain, je ne suis pas de retour,
continue ton chemin avec ta phalange, dit-il à Qualimpo. Le Prince
Majeur nous attend. Quant à Lozadi, il suivra si je ne suis pas de
retour dans deux jours.
Qualimpo et les seconds regardèrent
partir la patrouille. L'attente commençait.
Le Konsyli qui avait déjà fait le
chemin ouvrait la marche avec ses quatre hommes, derrière suivaient
Méaqui et le reste des groupes. En s'approchant du bois, il vit que
tout était comme le konsyli lui avait rapporté. Il n'avait jamais
vu autant de charcs. Ils trouvèrent l'endroit libre de volatiles.
S'arrêtant un moment, Méaqui chercha des indices pour comprendre ce
qu'il se passait. Ils étaient descendus dans une vallée. Derrière
eux, la route qui passait par les crêtes. C'était le chemin le plus
direct entre chez eux et le village où l'Anneau avait disparu. Vers
la droite, la pente était raide. Des grandes parois rocheuses
coupaient la montagne, isolant des zones parfois boisées. A gauche,
la pente s'élevait jusqu'à une crête arrondie. Devant la forêt
commençait et cachait la vue. Le silence des oiseaux était ce qui
inquiétait le plus Méaqui. Il avait toujours vu les charcs piailler
sur les champs de bataille quand ils étaient nombreux. Aujourd'hui
il les voyait perchés ne bougeant pas ou presque. Seuls leurs yeux
suivaient les hommes. C'est dans cette ambiance étrange qu'ils
pénétrèrent sous les ramures. La forêt était dense. La lumière
faible. On n'entendait que les chuintements des planches glissant sur
la neige et le vol lourd des oiseaux qui semblaient les accompagner.
Ils avancèrent comme cela pendant plusieurs heures. Il était
évident qu'il existait une route, un chemin, une trace. Méaqui ne
savait pas quel mot utiliser pour désigner leur itinéraire. Leur
progression n'était pas droite mais tortueuse. Sans les traces sur
la neige et les charcs, les groupes se seraient déjà perdus. Entre
le premier et le dernier, ils ne se voyaient pas. Les branches basses
étaient trop nombreuses, trop chargées. Ils descendaient. Ils
arrivèrent à un confluent entre deux vallées. A la fonte des
neiges, des ruisseaux devaient courir dans ce paysage. En cette
période, tout était blanc ou presque noir. Méaqui ordonna une
halte. Il aurait bien envoyé une patrouille vers l'amont de cette
vallée étroite qui s'ouvrait sur leur gauche. Les charcs n'étaient
pas d'accord. Leur nombre dans cette partie du paysage interdisait
tout espoir de passer. Il ne restait qu'une voie, la descente. La
neige avait pénétré partout malgré la densité des arbres. Sa
blancheur permettait de voir dans ce sous-bois, tout en donnant une
qualité de lumière quasi spectrale. Méaqui sentait que ses hommes
y étaient sensibles. Ils étaient nerveux, prêts à se battre, trop
prêts. Le moindre incident pouvait dégénérer. Il ne voulait pas
avoir à refaire une cérémonie du roi dragon.
Il fit repartir ses groupes un par un.
Ils laissaient de l'espace entre eux. Le dernier de chaque groupe
avait ajouté le tomcat à ses jambières. A chaque pas, il claquait
légèrement. Cela pouvait évoquer le craquement de la glace. Chaque
phalange avec son tomcat accordé différemment. Ainsi équipé, il
pouvait suivre ce qui se passait devant ou derrière. Ce bruit assez
sourd ne portait pas loin et ne les mettait pas en danger.
La course avait repris depuis quelques
milliers de pas quand Méaqui entendit que le premier groupe s'était
arrêté. Il prêta l'oreille. Il fut étonné d'entendre un autre
tomcat. La tonalité n'était pas celle de sa phalange, ni celle de
Qualimpo. Un tomcat de Quiloma lui sembla improbable. Il avança au
niveau du premier groupe. Par signes, le Konsyli lui fit comprendre
qu'il partageait son point de vue. Le bruit venait de devant. Trop
d'arbres cachaient la vue. Méaqui fit venir en silence tous ses
groupes. Toujours par signes, il ordonna de se préparer au combat.
Les armes furent apprêtées. Lancinant, le tomcat devant eux
continuait son battement.
Ils se glissèrent d'arbre en arbre,
attentif au moindre détail, tous leurs sens en alerte. Bientôt, ils
encerclèrent une petite clairière devant une entrée de grotte.
Pendu à une branche basse un tomcat se balançait en claquant
doucement. Rien d'autre ne bougeait. Les charcs entouraient la
clairière. Méaqui se dit :
- On est au bout du chemin.
Par signe, il donna l'ordre de vérifier
les alentours. Les arcs courts bandés étaient pointés sur l'entrée
de la caverne. Toujours aussi silencieux, les hommes de la phalange
de Méaqui revinrent faire leur rapport. Autour, il n'y avait pas âme
qui vive, pas de trace, ni d'homme, ni d'animaux. S'il y avait
quelqu'un, il était là depuis avant les dernières chutes de neige.
Méaqui ressentait le danger. Il avait
espéré trouver un danger concret contre lequel, il aurait pu lancer
ses guerriers. Là, dans ce silence de mort, il se prit à avoir
peur. Qu'est-ce qui se cachait dans la caverne?
En regardant ses soldats, il vit que la
même question devait les agiter. Le vent souffla un peu plus fort.
Le tomcat claqua un peu plus fort. Méaqui fit un geste. Les premiers
combattants s'approchèrent. Bientôt, ils encadrèrent l'entrée de
la grotte. Après un dernier regard vers son prince, le premier
konsyli pénétra dans la grotte suivi de son groupe. Quelques
secondes passèrent puis le deuxième groupe se positionna autour de
l'entrée. Le temps parut s'arrêter.
Puis le konsyli sortit sur le seuil :
- Mon Prince, venez voir.
Il fit aussi le geste disant qu'il n'y
avait pas de danger.
Méaqui s'avança et pénétra dans la
cavité. Ses yeux s'habituèrent peu à peu à la pénombre. Il
suivit un couloir et c'est presque accroupi qu'il se retrouva dans
une salle presque plongée dans l'obscurité.
Plusieurs corps étaient allongés. Il
en compta trois. Une odeur lourde et agressive régnait dans
l'espace.
- Konsyli, fais sortir tes hommes et
amène du feu.
Méaqui resta seul. Il se pencha sur le
premier. Il le toucha. Il était froid. Le deuxième était aussi
raide. Il s'approcha du troisième au moment où la lumière arriva.
Il eut un mouvement de recul. Le reflet de la flamme se dansait dans
deux yeux grands ouverts qui semblaient le fixer. Il se ressaisit et
regarda.
- Le bras du Prince Majeur !
Il se pencha pour le toucher. Il était
tiède. Les yeux avaient suivi ses gestes. Se tournant vers le
konsyli, il dit :
- Donne-moi ta torche, va préparer une
civière et envoie un groupe prévenir que nous rentrons avec un
blessé.
Tenant la torche, il se retourna vers
l'homme allongé. Seuls les yeux semblaient encore vivants.
- Ne vous inquiétez pas, nous allons
vous sortir de là.
Avec la lumière, il vit que le bras
droit manquait. Dans la caverne, il vit les restes d'équipements. Il
reconnut les sacs de la phalange de Quiloma. Il s'approcha des corps
étendus. Il les examina. Les yeux de Jorohery ne le quittaient pas.
Il eut un haut-le-corps. Il vit les mutilations sur les guerriers
morts. Il ne dit rien, coinça la torche et commença à déblayer
l'espace pour pouvoir bouger Jorohery. Il inspecta tout en dégageant
les affaires. Il accumula les indices. Quand arriva l'aide, Méaqui
pensa avoir une idée précise de ce qui s'était passé. Quiloma
serait fier de ses hommes. Ils avaient été au bout de leur devoir.
Il laissa la place aux hommes venus
sortir Jorohery. Il fut heureux de retrouver l'air libre. Le regard
de cet homme était vraiment difficilement supportable. Il avait
survécu. Méaqui fut heureux d'avoir suivi son intuition. Il
ramenait son Bras au Prince Majeur, même s'il n'avait pas l'Anneau,
il ne rentrerait pas sans honneur.
Les hommes s'étaient presque détendus
en attendant que l'on sorte le blessé. Seule la présence des
oiseaux les gênait. On avait retrouvé Jorohery, le retour
s'annonçait meilleur que prévu. Ils auraient sûrement droit à des
gratifications pour cette action. Ils virent leur prince apparaître.
Il donna ses ordres pour que dès que
la civière serait sortie, on rejoigne le plus vite possible le reste
de la phalange et les serviteurs. Mitsiqui saurait quoi faire.
Bientôt on vit des ombres s'agiter
dans l'entrée de la caverne, puis la civière apparut. Méaqui
regardait Jorohery. Quand la lumière lui toucha le visage, il ferma
les yeux.
Ce fut l'apocalypse, dans un
gigantesque bruit d'ailes et de cris, tous les charcs décollèrent.
Tous les hommes s'étaient accroupis
sous la surprise. Ils se relevèrent doucement, les uns après les
autres, regardant en l'air. On entendait encore au loin quelques
cris. Petit à petit le silence se fit dans la clairière.
C'est Méaqui qui reprit le premier ses
esprits.
- Ne traînez pas, il faut être au
bivouac le plus vite possible.
Si l'aller avait été prudent, le
retour se fit au pas de course. Un groupe partait devant. Il
s'arrêtait. Quand arrivaient ceux qui tiraient la civière, ils
prenaient le relais. Ceux-ci se reposaient un peu, puis ils
repartaient, doublaient la civière et attendaient plus loin.
Qualimpo et Mitsiqui avaient fait
préparer le bivouac pour accueillir le blessé. Le messager n'avait
rien dit et ils ne savaient pas qui arrivait. Dès que les guetteurs
virent le brancard, ils vinrent les prévenir. C'est en toute hâte qu'ils se portèrent au devant des arrivants. Méaqui donnait le
rythme. Une nouvelle fois Qualimpo admira son style qui lui
permettait d'aller aussi vite avec une telle économie de mouvements.
- C'est le Bras du Prince Majeur !
- Mais comment ...commença Qualimpo.
- Plus tard, répondit Méaqui, il faut
s'occuper de lui. Mitsiqui, je te le confie.
- Bien, Mon Prince.
Déjà les serviteurs s'activaient
autour de la civière pour l'emmener près du Macoca. Déjà certains
étaient partis couper des branches et des baliveaux pour faire un
traîneau pour le blessé. Une tente avait été dressée. Un foyer
de pierres à feu l'avait réchauffé.
Méaqui appuyé sur ses bâtons,
reprenait son souffle en regardant disparaître Jorohery dans la
tente.
- Lozadi !
- Oui, Mon Prince ?
- Double la ration des hommes, ils
l'ont bien méritée.
- Oui, Mon Prince!
Qualimpo bouillait d'impatience, mais
il connaissait les règles. Méaqui devait s'occuper de ses hommes
avant tout. C'est ce qu'il fit, prenant le temps qu'il lui fallait.
Quand ils furent réunis pour prendre
le repas, Qualimpo ne put retenir sa curiosité. Méaqui ne se fit
pas prier mais demanda aux seconds d'être présents. Ils utilisèrent
la langue des princes pour se parler. Sans être complètement
différente-différente de la langue courante, elle imposait une
gymnastique de l'esprit que les soldats ne maîtrisaient pas.
- Mes paroles sont vraies et mon récit
véridique.
Qualimpo tiqua. Si Méaqui commençait
avec les formules du serment c'est que ce qu'il avait à dire devait
rester secret, à moins que le Prince Majeur n'en décide autrement.
Il comprenait la nécessité de la présence des seconds. Si l'un
d'eux disparaissait, il resterait assez de témoins pour rapporter
les paroles de cette réunion.
- Mes paroles sont vraies et mon récit
véridique. Que le Prince Majeur soit celui qui reçoit le récit de
ma bouche par vos oreilles. Obéissant à sa Voix qui portait ses
désirs, nous avons mis nos actes en accord avec sa volonté. Ma
phalange courait comme un seul être fidèle et droit quand est
apparu le signe tel que l'avait prédit le sage guérisseur au palais
du prince Majeur. Ses claires paroles à mes oreilles résonnaient
encore. Par mon action, adviendrait l'histoire de mon peuple. Mon
« oui » ou mon « non » deviendrait le fil
avec lequel l'avenir se tissera. Les charcs montraient la voie. Ainsi
furent les paroles de mes éclaireurs. De nouveau, j'entendis le
marabout du Prince Majeur me disant qu'au bout de ce chemin était le
destin des miens semblables. Mes forces ont suivi ma volonté. La
course fut longue et éprouvante mais au bout nous fûmes
récompensés. Dans un espace libre s'ouvrait un réceptacle de
pierre. Quand j'y pénétrais, point de lumière. C'est à peine si
je distinguais les corps. Ce n'est pas un blessé que nous avons
découvert, mais trois corps dont un encore tiède. Je fis amener la
lumière qui fut révélatrice. De toute sa force survivait le Bras
du Prince Majeur. Mettant tout mon savoir au service du Prince, j'ai
lu les signes de leur histoire. A trois ils sont arrivés dans cette
grotte. Déjà le Bras du Prince Majeur était blessé. Les guerriers
de Quiloma ont fait ce que leur devoir dictait. Ils se sont sacrifiés
pour que vive le Bras du prince Majeur. Le premier est mort de faim
et de froid. Le second a survécu plus longtemps. Écoutant son
honneur et son devoir, il a préparé son compagnon pour que les
provisions ne manquent pas. Découpant les plus riches morceaux, il
les a préparés pour que le Bras du Prince Majeur puisse les prendre
même après la mort qu'il sentait venir. J'ai trouvé tout disposé
comme je le décris. Le deuxième soldat s'est sacrifié, de son sang
il a fait un breuvage grâce auquel a survécu le Bras du Prince
Majeur. Mon instinct me dit que plus que lui permettre de survivre,
le sang lui a ouvert la puissance de sa magie. Sans cette magie,
jamais les charcs ne seraient venus ainsi. J'ai fait fermer la pièce
de pierre qu'elle devienne tombeau pour les soldats d'honneur à qui
nous devons la vie du Bras du Prince Majeur. Leurs louanges pourront
être chantées et leur prince félicité.
Mes paroles sont vraies et mon récit
véridique.
Un long silence succéda aux paroles de
Méaqui. Puis Miaro, le plus jeune se leva :
- Que la gloire soit sur les
combattants qui ont bien combattu !
Il leva sa coupe, fit le geste
d'offrande et la but.
Les trois autres se levèrent et en
chœur reprirent la formule et le geste.
Méaqui eut un sourire en regardant
sortir les seconds. Ils allaient répandre le récit du sacrifice
héroïque des hommes de Quiloma. Ainsi naissaient les chansons de
gestes qui étaient chantées aux veillées.
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