Son ventre lui faisait mal. Peut-être
allait-il mourir? De sa langue rouge et bifide, il lécha la plaie.
La pierre l'avait frappé là où son ventre n'avait pas encore de
carapace. Depuis ce jour maudit, il s'était réfugié dans la
profondeur de la caverne. Heureusement, il l'avait trouvée avant la
blessure. Face au soleil, l'entrée surplombait une falaise. Les
vents n'arrivaient pas jusqu'au fond de ce bout de vallée. Elle
était idéale pour en faire son repaire. Son regard se posa sur
l'Anneau. Ses yeux brillèrent encore plus, prenant la couleur de
l'or en fusion. Il en ronronna de plaisir. Maudite soit la blessure,
mais béni soit l'Anneau, son premier trésor. Il laissa son esprit
vagabonder. Son premier souvenir conscient lui revint en mémoire :
- Viens, je suis arrivé !
Il entendait encore ce cri résonner
dans sa tête. C'était plus qu'un ordre. Il avait déployé ses
ailes encore humides et était parti sans se retourner. Il était
tellement pressé de répondre qu'il avait oublié d'où il venait et
ce qui précédait. C'est à peine s'il avait gardé comme une
impression de bruit de fracture, et de morceaux d'écailles qu'il
avait brisées pour se libérer. Le vent était grisant. Il avait
tout de suite aimé le vol. Cela aurait duré des heures si son œil
n'avait pas repéré le troupeau. Ça n'avait pas de nom mais il
était sûr que c'était bon à manger. Il avait attrapé une des
plus petites bêtes dans ses griffes. Les autres avaient fui.
Heureusement, car il n'avait pas réussi à redécoller avec une
telle charge. Le goût de la chair chaude et saignante ne fit que lui
donner envie de recommencer. Plusieurs jours passèrent à ces
plaisirs. Les bêtes ne comprenaient rien. Elles fuyaient mais
toujours trop tard et le lendemain, elles étaient revenues. De jour
en jour, il se voyait grandir et prendre des forces. Il avait presque
oublié le premier cri quand de nouveau, il occupa sa conscience :
- Viens !
C'était un impératif. Laissant le
troupeau et ses agapes, il reprit son vol. Sans avoir appris, il
savait. Il sentait, l'appel venait de là-bas. S'il avait bien forci,
il manquait d'endurance. Un autre troupeau détourna son attention.
Il attaqua. Il apprit douloureusement que les coups de cornes font
mal. Il eut une patte endolorie plusieurs jours. Il bénit sa
carapace noire qui l'avait protégé. Sans elle, il aurait été
blessé comme par cette lumière qui avait explosé dans la nuit
alors qu'il venait chercher l'Anneau. Il tata son ventre. Non, il ne
mourrait pas. La plaie suintait plus qu'elle ne coulait. Il avait
quand même très mal, trop pour voler dans ce temps de vent et de
neige. Il n'avait rien mangé depuis des jours et la faim le
tenaillait. Il se dit que bientôt, il pourrait reprendre ses vols.
Il se retourna serrant l'Anneau dans ses griffes. Il pensa qu'il lui
faudrait trouver une cachette digne de lui, en attendant l'arrivée
de celui qui l'avait appelé. Il se laissa aller au sommeil.
Dans la demi-conscience de sa
somnolence, il revécut les vols au-dessus des terres gelées où
couraient de délicieuses proies. Qu'il fasse jour ou qu'il fasse
nuit, son œil était attiré par leurs mouvements prémisses de
festin. Quand il était arrivé au lieu de l'origine de l'appel,
l'appelant avait disparu. La morsure de la déception lui serra à
nouveau le cœur. La rencontre n'aurait pas lieu. Il resta à
proximité ne sachant quoi faire. La réponse était venue
curieusement. Alors qu'il cherchait des proies pour rassasier son
inextinguible faim, il les avait sentis. La sensation était
nouvelle. Il n'était plus seul à penser. Il existait d'autres êtres
pensants. Il se tint à distance, mais pas trop, essayant de
comprendre ce qu'il ressentait. Leurs pensées avaient un goût
étrange. Certaines étaient désagréables, d'autres chatouillaient
agréablement, mais toutes parlaient du danger à s'approcher. Il
avait pris ses distances. Un troupeau bien savoureux l'avait aidé.
Il s'était abattu sur une belle prise, lui brisant le cou d'une
seule morsure. C'est alors qu'il s'aperçut de la présence. Ce
n'était pas l'appelant, mais sa parole était claire et calme :
- Bonjour, Seigneur Dragon. Mon vieux
cœur est en joie de t'avoir vu. Je suis un être debout. Mon nom est
Mandihi.
Tout en dévorant son repas, il avait
regardé l'être debout. Ça n'était pas bien gros, pourtant son
instinct lui disait de se méfier de ses semblables.
- Tu as raison, Seigneur Dragon, si je
suis un être de paix, nombreux sont mes frères de guerre.
Il pensa que ce Mandihi le comprenait.
- Tu as raison encore, Seigneur Dragon,
je peux te comprendre. J'ai lu le grand livre de la nature. Il m'a
dit que je te verrais avant que de rejoindre mes ancêtres. Sais-tu
ton nom?
- Je suis moi, être debout. Cela me
suffit.
- Viendra un jour, où tu voudras un
nom. Alors il te faudra l'Anneau et son porteur...
Il avait beaucoup appris avec Mandihi.
C'est par lui qu'il avait entendu parler de l'Anneau, de l'enfant et
de la chasse. C'est encore lui qui lui avait parlé de Quiloma le
maître des chasseurs. Il avait découvert qu'en pensant à Quiloma,
il pouvait sentir vers où aller. Mandihi lui avait encore révélé
bien des choses. Il avait enregistré tout cela et bien d'autres
pensées non dites qu'il avait perçues. Mandihi l'avait guidé
jusqu'à une grotte.
- Ici, ont vécu ceux qui furent. Leurs
Noms sont gravés sur cette paroi.
Plus que les symboles des êtres
debout, il avait communié avec l'esprit de ceux qui avaient été
comme lui et qui avaient vécu ici. Si beaucoup de vérités lui
furent révélées, d'autres attendraient qu'il revienne avec
l'Anneau et son porteur. C'est en sortant de la caverne qu'il avait
entendu l'appelant appeler. Il tourna brusquement la tête vers la
région du soleil levant. Le geste n'avait pas échappé à Mandihi.
- Ton destin appelle ?
- J'entends son cri. Adieu, toi qui fus
lumière pour ma nuit.
- Je pourrai partir en paix, Seigneur
Dragon, puisque j'ai accompli ce qui doit l'être.
Il avait décollé sans se retourner.
Il pensa à l'appelant mais aussi à la chasse, aux chasseurs, à
Quiloma. Tout semblait lié mais il ne savait pourquoi.
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