jeudi 3 mai 2012


Son ventre lui faisait mal. Peut-être allait-il mourir? De sa langue rouge et bifide, il lécha la plaie. La pierre l'avait frappé là où son ventre n'avait pas encore de carapace. Depuis ce jour maudit, il s'était réfugié dans la profondeur de la caverne. Heureusement, il l'avait trouvée avant la blessure. Face au soleil, l'entrée surplombait une falaise. Les vents n'arrivaient pas jusqu'au fond de ce bout de vallée. Elle était idéale pour en faire son repaire. Son regard se posa sur l'Anneau. Ses yeux brillèrent encore plus, prenant la couleur de l'or en fusion. Il en ronronna de plaisir. Maudite soit la blessure, mais béni soit l'Anneau, son premier trésor. Il laissa son esprit vagabonder. Son premier souvenir conscient lui revint en mémoire :
- Viens, je suis arrivé !
Il entendait encore ce cri résonner dans sa tête. C'était plus qu'un ordre. Il avait déployé ses ailes encore humides et était parti sans se retourner. Il était tellement pressé de répondre qu'il avait oublié d'où il venait et ce qui précédait. C'est à peine s'il avait gardé comme une impression de bruit de fracture, et de morceaux d'écailles qu'il avait brisées pour se libérer. Le vent était grisant. Il avait tout de suite aimé le vol. Cela aurait duré des heures si son œil n'avait pas repéré le troupeau. Ça n'avait pas de nom mais il était sûr que c'était bon à manger. Il avait attrapé une des plus petites bêtes dans ses griffes. Les autres avaient fui. Heureusement, car il n'avait pas réussi à redécoller avec une telle charge. Le goût de la chair chaude et saignante ne fit que lui donner envie de recommencer. Plusieurs jours passèrent à ces plaisirs. Les bêtes ne comprenaient rien. Elles fuyaient mais toujours trop tard et le lendemain, elles étaient revenues. De jour en jour, il se voyait grandir et prendre des forces. Il avait presque oublié le premier cri quand de nouveau, il occupa sa conscience :
- Viens !
C'était un impératif. Laissant le troupeau et ses agapes, il reprit son vol. Sans avoir appris, il savait. Il sentait, l'appel venait de là-bas. S'il avait bien forci, il manquait d'endurance. Un autre troupeau détourna son attention. Il attaqua. Il apprit douloureusement que les coups de cornes font mal. Il eut une patte endolorie plusieurs jours. Il bénit sa carapace noire qui l'avait protégé. Sans elle, il aurait été blessé comme par cette lumière qui avait explosé dans la nuit alors qu'il venait chercher l'Anneau. Il tata son ventre. Non, il ne mourrait pas. La plaie suintait plus qu'elle ne coulait. Il avait quand même très mal, trop pour voler dans ce temps de vent et de neige. Il n'avait rien mangé depuis des jours et la faim le tenaillait. Il se dit que bientôt, il pourrait reprendre ses vols. Il se retourna serrant l'Anneau dans ses griffes. Il pensa qu'il lui faudrait trouver une cachette digne de lui, en attendant l'arrivée de celui qui l'avait appelé. Il se laissa aller au sommeil.
Dans la demi-conscience de sa somnolence, il revécut les vols au-dessus des terres gelées où couraient de délicieuses proies. Qu'il fasse jour ou qu'il fasse nuit, son œil était attiré par leurs mouvements prémisses de festin. Quand il était arrivé au lieu de l'origine de l'appel, l'appelant avait disparu. La morsure de la déception lui serra à nouveau le cœur. La rencontre n'aurait pas lieu. Il resta à proximité ne sachant quoi faire. La réponse était venue curieusement. Alors qu'il cherchait des proies pour rassasier son inextinguible faim, il les avait sentis. La sensation était nouvelle. Il n'était plus seul à penser. Il existait d'autres êtres pensants. Il se tint à distance, mais pas trop, essayant de comprendre ce qu'il ressentait. Leurs pensées avaient un goût étrange. Certaines étaient désagréables, d'autres chatouillaient agréablement, mais toutes parlaient du danger à s'approcher. Il avait pris ses distances. Un troupeau bien savoureux l'avait aidé. Il s'était abattu sur une belle prise, lui brisant le cou d'une seule morsure. C'est alors qu'il s'aperçut de la présence. Ce n'était pas l'appelant, mais sa parole était claire et calme :
- Bonjour, Seigneur Dragon. Mon vieux cœur est en joie de t'avoir vu. Je suis un être debout. Mon nom est Mandihi.
Tout en dévorant son repas, il avait regardé l'être debout. Ça n'était pas bien gros, pourtant son instinct lui disait de se méfier de ses semblables.
- Tu as raison, Seigneur Dragon, si je suis un être de paix, nombreux sont mes frères de guerre.
Il pensa que ce Mandihi le comprenait.
- Tu as raison encore, Seigneur Dragon, je peux te comprendre. J'ai lu le grand livre de la nature. Il m'a dit que je te verrais avant que de rejoindre mes ancêtres. Sais-tu ton nom?
- Je suis moi, être debout. Cela me suffit.
- Viendra un jour, où tu voudras un nom. Alors il te faudra l'Anneau et son porteur...
Il avait beaucoup appris avec Mandihi. C'est par lui qu'il avait entendu parler de l'Anneau, de l'enfant et de la chasse. C'est encore lui qui lui avait parlé de Quiloma le maître des chasseurs. Il avait découvert qu'en pensant à Quiloma, il pouvait sentir vers où aller. Mandihi lui avait encore révélé bien des choses. Il avait enregistré tout cela et bien d'autres pensées non dites qu'il avait perçues. Mandihi l'avait guidé jusqu'à une grotte.
- Ici, ont vécu ceux qui furent. Leurs Noms sont gravés sur cette paroi.
Plus que les symboles des êtres debout, il avait communié avec l'esprit de ceux qui avaient été comme lui et qui avaient vécu ici. Si beaucoup de vérités lui furent révélées, d'autres attendraient qu'il revienne avec l'Anneau et son porteur. C'est en sortant de la caverne qu'il avait entendu l'appelant appeler. Il tourna brusquement la tête vers la région du soleil levant. Le geste n'avait pas échappé à Mandihi.
- Ton destin appelle ?
- J'entends son cri. Adieu, toi qui fus lumière pour ma nuit.
- Je pourrai partir en paix, Seigneur Dragon, puisque j'ai accompli ce qui doit l'être.
Il avait décollé sans se retourner. Il pensa à l'appelant mais aussi à la chasse, aux chasseurs, à Quiloma. Tout semblait lié mais il ne savait pourquoi.

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