Quand Quiloma était arrivé blessé,
la Solvette l'avait fait installer dans la pièce principale de son
habitation. Puis étaient arrivés les ennuis avec les blessés et
les malades.
La Solvette habitait une grande maison.
Beaucoup se demandait comment elle pouvait vivre seule dans cet
endroit. Ceux qui y étaient entrés, décrivaient une pièce grande
comme une grange, encombrée d'herbes de toutes sortes, aux senteurs
étranges, avec un feu qui semblait brûler en permanence sous un
chaudron où cuisait on ne savait pas trop quoi. Les quelques
courageux qui avaient regardé plus en détail, ou bien ceux qui
avaient séjourné comme blessés, décrivaient une pièce à la
chaude ambiance rassurante. La Solvette semblait être partout à la
fois, autour du feu pour cette soupe revigorante qui mijotait dans le
noir chaudron, auprès de chaque personne qui reposait dans une des
alcôves souvent cachée par les lourdes tentures qui en faisaient un
espace privé, auprès des différents animaux qui surgissaient d'on
ne sait où, chercher une caresse, un soin, ou encore plus étrange,
venaient apporter qui du bois, qui des baies, et qui repartaient
discrètement, on ne savait comment.
Elle avait mis Quiloma pas très loin
du feu. Tout s'était bien passé au début. Les étrangers comme les
locaux, restaient sur le seuil de la porte, intimidés par la
sensation de puissance contenue. Ceux qui avaient voulu aller plus
loin, étaient ressortis encore plus vite, poussés par un vent
violent qui semblait obéir à la Solvette. Les premiers blessés
qu'elle avait accueillis, n'avaient rien dit. Serviteurs ou
subalternes, ils avaient trop de crainte ou de respect pour dire ou
faire quelque chose. Elle sentait bien leurs sentiments, aussi noirs
que son chaudron, quand leurs pensées se tournaient vers Quiloma.
Mais cela n'allait jamais très loin. La douleur, la fatigue et le
confort du lieu, atténuaient le ressentiment.
Elle avait senti le changement à
l'arrivée de Bislac. Son histoire était dure et sa haine féroce.
Il devait se lier avec une fille de la maison Andrysio. L'action des
extérieurs avait détruit ses espoirs et éveillé en lui le démon
de la haine. Savoir son ennemi à côté le rendait fou. Cela avait
commencé à la forge. Apprenti chez Kalgar, il devait supporter la
proximité de ceux dont il souhaitait la mort. C'est à cause de cela
d'ailleurs qu'il s'était si gravement brûlé. Kalgar, l'avait
rappelé à l'ordre plusieurs fois, le mettant en garde contre son
inattention. Les rappels avaient été de plus en plus secs au fur et
à mesure que la haine emplissait son cœur, jusqu'à ce jour maudit
où ils lui avaient volé son pied. C'étaient ses mots à son
arrivée. La Solvette l'avait fait parler après lui avoir donné une
potion calmant la douleur. Elle avait ainsi pu reconstituer les
faits.
Tout à sa rancœur Bislac était
devenu un ouvrier distrait. Pourtant son rôle était important. Il
surveillait et apportait le métal en fusion pour le couler dans les
moules. C'est alors que le creuset atteignait presque la température
idéale qu'il l'avait renversé. Heureusement pour lui, la plus
grande partie du métal en fusion l'avait évité. Le peu qui l'avait
touché, venait de le rendre estropié pour la vie. La Solvette
n'avait jamais encore vu de telles brûlures. Dénudant le pied
jusqu'à l'os, le métal avait fait disparaître les tendons et la
chair. Il ne devait la vie qu'à Kalgar qui avait eu le réflexe de
lui mettre le pied dans l'eau pendant qu'il éteignait l'incendie qui
naissait dans l'atelier. Bislac souffrait peu physiquement malgré
l'importance des lésions. Sa souffrance était surtout morale. Le
responsable était tout trouvé, c'était l'étranger qui après lui
avoir volé sa promise, lui volait sa santé et son avenir.
La Solvette l'avait pansé et installé
près de la porte, à l'opposé de Quiloma. Celui-ci toujours aussi
faible, n'avait que de rares moments de conscience. Elle commençait
à espérer qu'il allait s'en sortir. Tous les jours son second
venait, et restait un moment près de lui. Elle sentait la vénération
dont Miaro entourait Quiloma. A sa première venue, il avait voulu
entrer avec ses guerriers. La Solvette s'était mise devant lui. Ils
s'étaient fixés dans les yeux. Miaro avait baissé les yeux le
premier. Il voyait lui aussi les progrès. Le regard qu'il portait à
la Solvette changeait aussi. L'admiration commençait à s'y lire.
Elle respectait cette intimité entre les deux hommes.
C'est le chenvien qui errait la nuit
dans la maison qui l'avait réveillée. A son comportement, elle
avait compris que quelque chose n'allait pas. Elle s'était
précipitée dans la grande salle. Bislac, appuyé sur une béquille,
avait tiré la tenture de l'alcôve de Quiloma et s'apprêtait à le
frapper avec le couteau pris près du feu.
- NON ! hurla la Solvette.
Quiloma entrouvrit les yeux. Au-dessus
de lui, un couteau visait son cœur, derrière comme une apparition
brillant comme la dame blanche des glaces, la silhouette de la
Solvette. Ses réflexes de combattant jouèrent. Les deux hommes
luttèrent, Bislac avec la force de sa haine, Quiloma pour sauver sa
vie.
Bislac eut un sentiment de jubilation.
Il dépassait en force l'étranger. Il n'avait pas pu éviter de se
faire déséquilibrer mais il avait repris le dessus. Son bras retenu
par la main de l'autre descendait doucement. La pointe du couteau
allait lui percer le cœur. Malgré la douleur qui lui broyait le
pied et la cheville, il banda ses muscles pour le dernier effort.
Une poigne de fer lui arrêta le bras.
Il poussa un cri. Levant la tête, il ne vit que les deux yeux noirs
comme la mort qui le transperçaient. Il se vit dedans, il se vit tel
qu'il était réellement. Il hurla, lâchant l'arme, il tenta de fuir
au loin. Sentant sur lui ce regard, il se réfugia au plus profond
de l'alcôve qu'il occupait.
La Solvette vit Bislac fuir en rampant.
A lui qui se croyait victime innocente, elle lui avait fait voir ce
qu'il était vraiment. Le choc était tel qu'elle n'était pas sûre
qu'il s'en remettrait. Elle repoussa cette idée dans un coin de son
esprit pour s'occuper de Quiloma. Celui-ci maintenant que le danger
était passé, avait perdu connaissance. Elle ne pouvait le laisser
là. Elle posa ses mains sur les tempes de l'homme inconscient. Elle
posa son front contre le sien et se laissa aller à ses perceptions.
Elle ressentit le monde comme il le ressentait. La connaissance du
monde de Quiloma vint en elle. Ce n'était pas des mots, c'étaient
des impressions, des souvenirs, des sentiments. Descendant plus
profond, elle chercha la source vitale. Elle la trouva. Elle était
claire et fraîche. Elle sourit, le crammplac n'aurait pas le dessus.
Elle le sentait, il allait survivre et servir encore son roi dragon.
Elle pensa que ce monde était aussi plein de superstitions et de
règles que celui dans lequel elle vivait.
Se relevant, elle regarda autour
d'elle, dans la pénombre de la pièce, elle vit que toutes les
tentures étaient tirées. Derrière l'une d'elle, un homme pleurait.
Elle s'en occuperait plus tard. Pour le moment, il fallait mettre
Quiloma en lieu plus sûr. Elle prit une couverture. Avec d'infinies
précautions, elle le roula dessus. Tirant le tout, elle passa la
porte de sa pièce privée. Elle l'installa près de son feu. Elle
fit un peu plus de lumière, examina les pansements. Elle jura entre
ses dents quand elle vit que certaines plaies en bonne voie de
cicatrisation s'étaient réouvertes dans le combat. Toujours
doucement, elle refit les pansements. Quiloma ne bougea pas. Il eut
une grimace de douleur quand elle détacha les herbes collées par le
sang. Elle lui passa la main sur le front et dans les cheveux. Ce
geste avait le don de l'apaiser. Il se laissa faire dans un abandon
total qui la touchait beaucoup.
Laissant Quiloma à la garde des
chenviens, elle retourna dans la grande pièce. Bislac pleurait
toujours. Elle alla jusqu'à lui. Quand il la vit, il se
recroquevilla encore plus. De nouveau, elle passa ses mains dans les
cheveux de l'homme en murmurant des sorts d'apaisement. Elle s'assit
à côté de lui, tout en parlant doucement. Le moment qu'elle
attendait, arriva. Lui prenant les jambes, tel un enfant malheureux,
il pleura des vraies larmes de peine. La Solvette avec les mots doux
de la tendresse d'une mère, l'accompagna dans ce retour sur
lui-même. Quand elle le quitta, il était apaisé, pour la première
fois depuis les évènements en paix avec lui-même.
La maison avait retrouvé un peu de
calme après cela. Quiloma reprenait conscience de plus en plus
souvent. Elle sentait son regard qui la suivait à chacun de ses
déplacements. De là où il était, il pouvait voir ce qu'il se
passait dans une bonne partie de la grande pièce. Les visites de
Miaro étaient devenues plus formelles. Maintenant, il commençait à
rendre compte et sans vraiment demander des ordres, il attendait que
son prince lui donne des directives. Quiloma tenait son rang, ce qui
l'épuisait. Après chacune de ces rencontres, il sombrait dans le
sommeil.
Bislac cicatrisait bien, mieux que ce
que craignait la Solvette. Il ne pourrait plus marcher normalement.
L'amputation ne serait peut-être pas nécessaire. Elle connaissait
Kalgar, il le reprendrait. Bien sûr, il n'aurait plus la même vie.
Pourtant, elle pensait qu'il pourrait être heureux.
Puis vinrent les temps noirs. La plaie
de Quiloma qui avait saigné lors du combat, laissait couler un
liquide épais et nauséabond. Sa conscience de nouveau absente, il
semblait souffrir en permanence. Les tisanes qu'elle lui faisait
boire le calmait mais l'endormait. La Solvette se posa la question de
ce qu'elle faisait. Elle se mit à craindre qu'il ne veuille plus
lutter et qu'il laisse aller le mal. Il lui aurait fallu une plante
de printemps pour le cicatriser mais le printemps était encore loin.
La fête des rencontres n'avait pas encore eu lieu. Avant que la
plante ne pousse, les grossesses de la fête seraient à terme.
Trop long! pensa-t-elle, beaucoup trop
long pour qu'il survive et dans cette civilisation, la mort du prince
devrait être rachetée par du sang quand elle n'était pas honorable
comme une mort au combat.
C'est dans cette ambiance que Bartone
arriva. Dès le premier jour la Solvette eut besoin de lui rappeler
les règles de sa maison. Elle n'arrivait pas à lui accorder la
confiance comme aux autres pensionnaires. Elle gardait un œil sur
lui. Pourtant il ne bougeait pas beaucoup de son grabat. Pâle, les
lèvres pincées, il restait couché la plupart du temps la main sur
le flanc gauche. Elle connaissait son histoire par les racontars de
la ville. Fils disgracié de la famille Andrysio pour une sombre
histoire de hors-saison dont personne ne pouvait jurer de qui il
était, il avait eu le droit à toutes les corvées. Cela lui avait
aigri le caractère mais sauvé la vie. Il était absent car envoyé
vérifier les champs de machpe. Ce n'était pas le rôle d'un fils de
maison, mais comme d'habitude, il n'avait rien dit à ce père à la
voix tonnante et à la punition facile. Resté seul à la tête d'une
maison vide et de trois serviteurs, il avait élu domicile dans les
grottes. C'est là qu'avait eu le combat qui lui avait coûté cette
plaie.
Petit à petit, elle relâcha son
attention. D'autres blessés ou malades réclamaient ses soins.
Ce jour-là Quiloma délirait. Miaro
était reparti contrarié. Les gardes à sa porte, étaient encore
plus nerveux que d'habitude. Ses alcôves étaient toutes vides sauf
Bartone qui semblait dormir, et Bislac qui passait le temps en
apprivoisant un jako. On voyait peu de ces animaux en hiver. Souvent,
ils hibernaient. Ils prenaient une fourrure blanche quand arrivaient
les premières neiges et ne reprenaient leur livrée foncée qu'au
printemps avancé. Ce jako était arrivé habillé de brun-noir et
avait semblé quémander son accueil en offrant un fruit de lamboy.
La Solvette avait ri de ses mimiques et avait agréé son offrande.
Il s'était alors réfugié près du feu. Le jako était resté très
discret jusqu'à l'arrivée de Bislac. Il y avait eu entre ces
deux-là un courant qui les avait rapprochés. La Solvette les avait
surveillés du coin de l'œil. Un matin en se retournant sur son lit,
Bislac s'était retrouvé nez à truffe avec le jako. Il n'avait plus
osé bouger, le jako non plus. Ils étaient restés là un long
moment, puis le jako avait léché le bout du nez de Bislac avant de
se réfugier près du feu. La Solvette lui avait expliqué que
l'animal le considérait comme lui et lui avait fait le salut en
usage quand deux jakos se rencontrent. Bislac avait acquiescé
gravement et depuis ils s'apprivoisaient l'un l'autre.
Pour la Solvette, c'était un
Jako-esprit. Elle désignait ainsi les animaux qui fréquentaitent sa
demeure. Ils étaient souvent un peu différents de leurs congénères.
Ce jako ne prenait pas la livrée d'hiver et acceptait d'être près
des hommes. Elle pensait même que le totem de Bislac avait sucité
la venue de ce jako-esprit pour aider le blessé à se remettre.
La Solvette était partie s'occuper
d'une femme qu'on avait retrouvé inanimée dans le haut de la ville.
Bislac jouait avec le jako. Il commençait à apprécier ce petit
animal doué de préhension qui lui tenait compagnie. Il entendit
gémir dans la pièce d'à côté. Quiloma souffrait. Bislac en fut
presque heureux. S'il se sentait moins en colère, il acceptait
encore difficilement sa blessure. Il comprenait ce qui l'avait
conduit là où il était, il voyait sa responsabilité mais il ne
pouvait pas pardonner ce qui était arrivé. Il savait qu'il ne
pourrait pas tuer. Il espérait juste qu'il mourrait de ses
blessures. Quand arriva le milieu de la journée, il alla près du
feu chercher ce qui était préparé pour le repas. Il ressentait la
fatigue. Il se posa sur le siège bas et commença à manger cette
soupe qui lui faisait du bien. Il pensa qu'il prendrait aussi de
l'infusion que la Solvette avait préparée pour calmer ses douleurs
et qu'il ferait la sieste. Le jako se mit en position d'alerte.
Bislac se retourna. Bartone avançait lentement vers lui. Les traits
tirés, tenant son flanc gauche, il marchait courbé. Bislac ne
l'avait pas entendu se lever.
- Vous voulez manger, maître Bartone?
- Je vais essayer.
Lui tendant une écuelle et une
cuillère, Bislac, lui désigna l'autre siège. Le jako émit
quelques jappements rauques pour signifier sa désapprobation à
laisser la place. Les deux hommes mangèrent en silence pendant un
moment. Quiloma gémit encore derrière la cloison.
- Comment peut-elle soigner un tel
monstre?
- Je ne sais pas, maître Bartone. Elle
ne sait peut-être pas faire autrement.
- Je l'aurais bien fait taire
définitivement, mais elle est toujours là.
- Pas pour le moment. On est venue la
chercher pour la servante de la maison Sabosti.
- C'est grave?
- Elle ne m'a rien dit. Elle m'a juste
montré où étaient le repas et la tisane pour me calmer.
Le silence revint entre les deux
hommes.
Bislac se servit un bol de tisane.
Bartone le regarda boire sans mot dire. Il le suivit des yeux encore
quand Bislac alla s'allonger. La tenture était restée ouverte. Le
jako avait rejoint l'alcôve.
Bartone se baissa et se servit aussi de
tisane. S'appuyant contre le mur, il laissa son regard errer sans but
dans la pièce. Son flanc lui faisait mal. Quelque chose n'allait pas
à l'intérieur. Il sentait cette tension qui devenait déchirement
s'il bougeait trop vite.
Le temps passa. La respiration de
Bislac se fit régulière. Il dormait. Précausionneusement, Bartone
se leva, évitant de faire du bruit. Il s'approcha de l'endroit où
dormait Bislac. Il le regarda quelques instants, puis alla chercher
un couteau sur le billot de la cuisine. Un rictus mauvais lui barrait
le visage. Il n'avait plus rien à perdre. Il s'arrêta pour
reprendre son souffle. Depuis le temps qu'il attendait ce moment
favorable, il fallait qu'il y arrive. Après quelques instants
d'arrêt, il reprit sa progression vers la chambre de la Solvette.
Le jako passa la tête pour observer
l'homme. Il ne l'aimait pas. Il avait ses sentiments qui sentaient
mauvais. Ce n'était pas comme la Solvette dont les sentiments avait
un parfum délicieux pour le jako, ni comme Bislac dont il espérait
une longue vie de complicité. Le jako n'avait pas besoin de mot pour
comprendre que ce que faisait l'homme n'était pas bien. Il regarda
Bislac. Il dormait. Il n'y avait rien à espérer de ce côté. Il
fallait qu'il trouve la Solvette. Silencieusement, il courut jusqu'à
l'étroit passage dans le mur. Avant de s'y engouffrer, il jetta un
dernier coup d'œil derrière lui. L'homme avait repris sa marche. Le
jako se mit à courir.
Bartone faisait cinq pas et s'arrêtait.
Il en refaisait cinq et de nouveau marquait une pause. Il avait ainsi
dépassé la porte et se driigeait vers la couche de Quiloma.
La Solvette descendait la rue du puits
ventru quand une boule de poils brun-noir s'agrippa à elle en
piaillant. Elle le prit à bras le corps et le tint devant elle. Les
expressions du jako étaient imprécises, mais elles sentaient
l'urgence et le danger. La Solvette reposa le jako par terre et se
mit à courir vers sa maison. Elle passa devant les gardes avec le
jako sur le dos et un vol de charcs autour d'elle. Sensibles au
sentiment de danger qui émanait d'elle, ils lui emboitèrent le pas
et pénétrèrent dans la maison juste derrière elle. Les charcs
volaient déjà au-dessus de la cloison séparant les deux pièces.
La Solvette arriva à la porte pour
voir une scène de cauchemar. Bartone le bras levé s'appretait à
poignarder Quiloma. Elle cria. Un charc plongea mais trop tard.
S'accrochant au bras de Bartone, il en déviait la trajectoire.
Bartone hurlait sa rage tout en frappant. La Solvette vit le couteau
plonger dans le corps de Quiloma à hauteur du pansement d'herbes sur
la poitrine. Les gardes derrière elle, hurlèrent et se
précipitèrent l'arme haute. Il y eut des cris des bousculades et
personne ne put faire un récit circonstancié des faits.
Quand la Solvette se pencha sur
Quiloma, il respirait encore. La manche du couteau dépassait du
pansement. Bartone, face contre terre, les deux bras coincés dans le
dos par des gardes, respirait avec peine.
- Tmo...( Le prince est mort?) demanda
le konsyli.
La Solvette fit non de la tête.
Hurlant des ordres, le konsyli fit
évacuer Bartone. Dans la pièce d'à côté Bislac, le jako dans les
bras regardait la scène avec des yeux horrifiés. Il fut témoin du
départ du konsyli au pas de course. Par la porte ouverte, il vit la
Solvette, avec des gestes très doux défaire le pansement.
Le temps sembla s'arrêta. Tous
semblaient suspendus à ces gestes.
La vie reprit son cours avec l'arrivée
de Miaro. Avec des paroles brèves et dures, il donna des ordres.
Puis sans s'arrêter, il alla auprès de Quiloma. Il fit comme
toujours le salut réglementaire. S'adressant à la Solvette, il dit
:
- Mra...( Comment est le prince,
marabout?).
Lentement, elle tourna son visage vers
lui. Plongeant son regard dans celui de Miaro, elle articula :
- Il vivra.
Il ne comprenait pas les mots, mais le
sens était clair. Il fit juste un geste et ce fut une explosion de
joie chez les guerriers qui attendaient dans l'autre pièce. Muoucht
entra avec d'autres guerriers.
Miaro se tourna vers lui :
- Mra... (Comment est le prince,
marabout?, qu'est-il arrivé?).
La Solvette n'attendit pas la
traduction :
- Dis-lui que son prince vivra. Bartone
voulait le tuer mais il lui a sauvé la vie sans le vouloir. Le
couteau a percé un abcès. Le mauvais s'écoule. C'est un bon
présage.
Miaro ne quitta pas des yeux la bouche
de Muoucht qui traduisait.
La Solvette fit le récit de ce qu'elle
avait vu en entrant. Le Charc avait détourné le coup du cœur et
avait permis que la lame en glissant sur la côte, fasse sortir les
liquides mauvais qui empoisonnaient le prince. Oui, Bartone était un
assassin qui en ratant son coup avait sauvé la vie du prince.
Miaro devint perplexe. Un assassin, il
savait ce qu'il avait à faire, un héros aussi mais là, il ne
savait pas.
- Quiloma...
Muoucht traduisit:
- Le prince Quiloma décidera de son
sort. En attendant, nous le gardons prisonnier.
Miaro donna des ordres. Sans
ménagement, les guerriers blancs poussèrent Bartone dehors. Il leur
emboîta le pas après voir dit une parole à Muoucht.
- Il a dit..
- Oui, je sais ! Il a dit qu'il
reviendrait tout à l'heure.
Quand tous furent partis, la Solvette
regarda vers Bislac. Il était blanc comme la neige. Le jako lui
donnait des petits coups de museau affectueux.
- Viens, lui dit-elle, nous allons
boire un coup de malch noir. On en a bien besoin.
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