dimanche 22 janvier 2012

Kyll sentit monter


Kyll sentit monter en lui la vision. Il fut étonné de sa netteté. Il voyait les étrangers comme en plein jour alors que le soleil était parti pour la nuit depuis une chandelle. Ils avaient monté un camp fait de toiles protégé par un muret de blocs de neige découpés. Des sentinelles veillaient, l’arc à la main, une flèche prête. Puis Kyll eut comme un sursaut. Il survolait la clairière de la dislocation. La grande louve au regard de feu surveillait les dépouilles des étrangers. Son esprit était en repos. Elle était là où elle devait être. Le grand être avait suggéré et elle obéissait. Les petits charognards qui auraient bien aimé se repaître des carcasses, maudissaient dans leur langage ces loups qui les empêchaient d’assouvir leur faim. Kyll ne fut même pas étonné d’entendre les pensées des animaux. Un nouveau bond l’emmena dans la maison commune. Il appréhenda dans un éclair de pensée, ce qui s’était dit et ce que voulaient faire Natckin et Chan. Tout s’éteignit pour se rallumer instantanément. Il était dans une des maisons de la ville. La lumière irradiait d’un des êtres près du feu. Il dormait. C’était un enfant. Une femme, lasse, à l’aura vacillante écoutait les péroraisons d’un gaillard fort en gueule à l’aura rouge sang. Chountic ! Lui seul avait cette aura de mauvais œil. Ses serviteurs venaient lui faire le compte-rendu de ce qui se passait et dans la maison commune et au-delà de la palissade. Nouvelle coupure. Kyll planait dans le temple. Natckin faisait l’offrande à Hut le fondateur. Son aura était striée de noir. Celle de Tasmi flageolait d’incertitude. Les gestes étaient faits, les herbes brûlées mais nulle trace de la belle et forte présence de Hut… Kyll s’interrogea en voyant les pensées de Natckin préparant déjà son discours à Chan. Il fallait qu’il intervienne !
- NON !
Le cri le déstabilisa. Il reprit conscience dans sa cellule de méditation. Il se leva péniblement pour aller arrêter Natckin.
- RESTE !
- Mais il blasphème.
- JE SAIS. CE MAL EST NÉCESSAIRE.
Dans l’esprit de Kyll, la voix était nette et forte. Il connaissait cet esprit. Il était le maître de la terre de la ville. Il avait de nombreuses fois sacrifié pour qu’il leur soit favorable au moment des récoltes de machpe.
- L’ESPRIT DE HUT TE DEMANDE DE TE RETIRER À LA GROTTE DE LA MÉDIATION.
- Pourquoi ?
- OBÉIS TOUT DE SUITE. NE DIS RIEN ET PARS. HUT T’ATTEND LÀ-BAS.
Kyll se retrouva seul dans sa cellule et dans sa tête. L’esprit de la terre l’avait quitté. S’interrogeant beaucoup, il rassembla ses affaires. Empruntant les couloirs qui conduisaient vers une sortie latérale, il comprit que personne ne le voyait. Tous ceux qui le croisaient, l’ignoraient.
Dans la grande salle du temple Natckin officiait. Il avait presque fini le rite et rien ne s’était passé. Nulle possession, ni de message écrit dans les fumées odorantes. Il fit ce qu’il pensait des autres officiants. Il inventa, simulant la possession et les dialogues. Il en arrivait au message principal. Il avait décidé que le mieux était de céder au prince des extérieurs en lui révélant où étaient les dépouilles et où était l’enfant qu’il cherchait. Dans son jeu scénique, il commença d’une voix grave, à révéler ce qui devait être fait. Il en avait fini avec la femme et l’homme. Au moment où, reprenant son souffle, il allait sceller le sort de l’enfant. Une autre voix s’éleva, forte impérieuse, faisant trembler les murs. Tous les officiants regardèrent Tasmi debout, transfiguré, disant :
- QUE JAMAIS CE QUI A ÉTÉ DONNÉ À LA MÈRE EN LARMES NE SOIT REPRIS !
Natckin fut déstabilisé mais préféra intégrer cela dans son augure. Finissant le rite, il demanda comme cela doit être fait aux témoins de lui rapporter ce qui avait été dit par les esprits lors de la possession.
Tonlen, le maître officiant du temple prit la parole :
- Les Esprits ont parlé : que l’on donne les dépouilles aux extérieurs, mais que l’enfant de Chountic reste l’enfant de Chountic. Les Esprits ont échangé les vies. L’enfant des étrangers est celui qui repose avec leurs dépouilles dans la clairière de la dislocation.

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