lundi 16 janvier 2012

Les bruits les plus étranges


Les bruits les plus étranges circulaient en ville. On y parlait de monstre, de guerre, d'armées, de guerriers sur des monstres. Les récits étaient tous plus terrifiants les uns que les autres. C'est à celui qui en dirait le plus. Kalgar n'aimait pas ces manières. Quand il avait eu la demande du chef de ville, il était venu avec ses apprentis les plus vigoureux et les moins peureux. Sur la place près de la porte des hautes terres, c'était la cacophonie. Chaque maître de maison présent était venu avec quelques serviteurs, armés de faux, de piques ou de marteaux. Sstanch regardait ce rassemblement hétéroclite. Sur les cent maisons de la ville, il n'y avait pas la moitié des maîtres. Il savait pouvoir compter sur Kalgar et ses gaillards. Il y avait aussi ceux qui aidaient la milice, venus avec leurs hommes. Si en nombre, ils surpassaient ceux qui arrivaient, que valaient-ils au combat?
- Ils arrivent!
Le cri figea toutes les gorges. Le silence se fit. On entendit juste un bruit de glissement. Sstanch grimpa le plus vite qu'il put à la tour. Il arriva en haut pour voir la troupe sortir du bois. En tête courait un homme. Gand, très grand, couvert de fourrures de loup blanc, il tenait une cadence que personne de la ville ne pouvait soutenir en raquettes plus de quelques minutes. Derrière lui, dans un alignement parfait, dans un synchronisme absolu, des guerriers sur des planches glissaient en s'aidant de leurs bras pour pousser sur des lances courtes. Les premiers étaient déjà sortis de la forêt et cela continuait.
Sstanch se pencha vers la place:
- Que ceux qui ont un arc montent sur la palissade. Les autres, regroupez-vous près de la porte. Calt, préviens Chan!
- Je suis là, dit-il en sortant de la maison d'arme. Que vois-tu?
- Des guerriers, bien armés. Leurs arcs sont petits, ils ont deux lances courtes, deux armes à la ceinture et deux carquois pleins. Le premier vient de s'arrêter!
Sstanch regarda le géant qui avait fait halte derrière la pierre qui bouge. Il était à plus d'une portée de flèche. Derrière, les guerriers habillés de blanc aussi, arrivaient et se mettaient en rang. Il en vit dix partir d'un côté et dix de l'autre. Ils formèrent une ligne de part et d'autre de l'homme en raquettes. Un autre guerrier blanc se détacha du groupe et vint se placer près de celui que Sstanch appela l'éclaireur. Derrière, les hommes continuaient d'arriver et se rangeaient selon un ordre impeccable. Sstanch qui avant de devenir capitaine de la ville, avait servi dans la plaine, savait reconnaître une armée quand il en voyait une. Devant lui, le spectacle qu'il voyait confirma ses pires craintes. Même si ses hommes disposaient de grands arcs et de lances longues, même s'ils étaient plus nombreux, il pensa qu'ils ne faisaient pas le poids.
Aux ahanements qu'il entendait, Sstanch comprit que Chan arrivait sur la tour.
- Qu'est-ce qu'ils font? demanda-t-il entre deux respirations sifflantes.
- Ils se mettent en position. Ils sont bien armés, bien entraînés. Je ne sais pas ce qu'ils veulent, mais il faudra faire attention.
- Nous sommes beaucoup plus nombreux qu'eux.
- Oui, maître de ville, mais ils vont nous surpasser en combat.
- Nos grands arcs les tiendront à distance.
Calt intervint:
- Regardez, ils se préparent.
La vingtaine de guerriers avaient mis genoux à terre et bandé leurs arcs courts. Celui près de l'éclaireur fit de même. Il cria:
- Scantalquiloma!
- Qu'est-ce qu'il dit? demanda Chan.
Il n'avait pas fini sa phrase qu'une flèche à empennage noir se planta à deux doigts de la tête de Chan. Celui-ci devint blanc.
- C'est pas possible! C'est pas possible! Ils sont trop loin, dit-il en s'accroupissant derrière la protection les planches de la balustrade.
- Scantalquiloma!
- Relevez-vous, maître de ville, vous ne risquez rien. S'il avait voulu, il vous aurait touché. C'est le signe qu'il a repéré qui était le chef. Ça doit être un signal.
Le géant en raquettes s'approcha en hurlant:
- Ne tirez pas, je viens parlementer.
Sstanch cria à son tour :
- Laissez-le approcher, ne tirez pas.
Les archers baissèrent leurs arcs. L'homme ôta ses raquettes pour marcher sur la neige tassée des abords de la ville.
- C'est Muoucht. Je le reconnais! C’est Muoucht, un des hommes de l'extérieur.
Quand il fut plus près, il parla d'une voix forte.
- Écoutez bien gens d'ici! Le prince Quiloma exige audience auprès du chef de ville. Soit sa requête est acceptée, soit sa colère sera grande.
Du haut de la tour Sstanch cria:
- Je descends, homme de l'extérieur.
Chan toujours blotti derrière sa protection de planche, dit :
- Mais qu'est-ce que vous faites?
- Cet homme nous est connu. Il faut que nous en sachions plus. Faut-il nous battre ou non?
- Allez-y vous avez toute ma confiance.
- Calt et Filt vous restez en couverture.
Haussant le ton, il s'adressa aux autres :
- Que personne ne fasse rien pendant que nous parlementons.
Sstanch descendit sans hâte. Arrivé en bas, il mit son casque, prit un bouclier et une épée.
- Sitca équipe-toi, tu viens avec moi.
Pendant qu'il obéissait et prenait ses armes, Sstanch se tourna vers Kalgar :
- Reste avec Tilson, avec les tiens vous protégerez la porte.
Muoucht les bras croisés sur la poitrine regardait la porte s'entrouvrir. Il vit Sstanch et un milicien sortir. Il avait déjà rencontré Sstanch, mais le visage de l'autre ne lui disait rien. Muoucht venait une à deux fois par an à la ville pour échanger ses peaux contre ce qui lui manquait trop. Il avait eu à faire avec Sstanch lorsqu'il avait déclenché une bagarre après avoir trop bu de malch noir et accusé un habitant de lui avoir volé son bien. Sans l'intervention de Sstanch, il y aurait eu un mort.
Arrivé à cinq pas, Sstanch s'arrêta. Il fit bien attention de laisser son bouclier entre lui et la ligne d'archers. L'autre ligne lui était cachée par la pierre qui bouge. Il ne risquait rien de ce côté.
- Parle, Muoucht.
- Ils me sont tombés dessus, alors que je visitais mes pièges après que Sioultac se soit calmé. De rudes gaillards...
Sstanch regardait Muoucht. Il avait le visage marqué d'ecchymoses.
...J'ai pas vraiment voulu coopérer au début. Leur chef, le prince Quiloma m'a convaincu avec ses poings que je ferais mieux de me ranger de son côté. Voilà toute une main de jours que nous marchons sans arrêt pour arriver ici.
- Que cherche-t-il?
- Un enfant sacré, si j'ai bien compris, a été enlevé par sa nourrice et un presque prince. Ils sont à sa recherche. Ici est le seul lieu où ils ont pu aller avec une chance de survie.
- Tu parles leur langue?
- Oui, un peu. Je fais du troc aussi là-bas.
- Qui sont-ils?
Une flèche à empennage noir se ficha contre la botte de Muoucht.
- L'entrevue est terminée. Le prince Quiloma attendra jusqu'à demain une réponse favorable. Sinon, il viendra fouiller la ville. Je viendrai chercher la réponse demain quand la lumière naîtra sur la montagne.
Muoucht fit demi-tour. Sstanch et Sitca reculèrent jusqu'à la porte qui se referma sur eux.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire