Les bruits les plus
étranges circulaient en ville. On y parlait de monstre, de guerre,
d'armées, de guerriers sur des monstres. Les récits étaient tous
plus terrifiants les uns que les autres. C'est à celui qui en dirait
le plus. Kalgar n'aimait pas ces manières. Quand il avait eu la
demande du chef de ville, il était venu avec ses apprentis les plus
vigoureux et les moins peureux. Sur la place près de la porte des
hautes terres, c'était la cacophonie. Chaque maître de maison
présent était venu avec quelques serviteurs, armés de faux, de
piques ou de marteaux. Sstanch regardait ce rassemblement
hétéroclite. Sur les cent maisons de la ville, il n'y avait pas la
moitié des maîtres. Il savait pouvoir compter sur Kalgar et ses
gaillards. Il y avait aussi ceux qui aidaient la milice, venus avec
leurs hommes. Si en nombre, ils surpassaient ceux qui arrivaient, que
valaient-ils au combat?
- Ils arrivent!
Le cri figea toutes les
gorges. Le silence se fit. On entendit juste un bruit de glissement.
Sstanch grimpa le plus vite qu'il put à la tour. Il arriva en haut
pour voir la troupe sortir du bois. En tête courait un homme. Gand,
très grand, couvert de fourrures de loup blanc, il tenait une
cadence que personne de la ville ne pouvait soutenir en raquettes
plus de quelques minutes. Derrière lui, dans un alignement parfait,
dans un synchronisme absolu, des guerriers sur des planches
glissaient en s'aidant de leurs bras pour pousser sur des lances
courtes. Les premiers étaient déjà sortis de la forêt et cela
continuait.
Sstanch se pencha vers la
place:
- Que ceux qui ont un arc
montent sur la palissade. Les autres, regroupez-vous près de la
porte. Calt, préviens Chan!
- Je suis là, dit-il en
sortant de la maison d'arme. Que vois-tu?
- Des guerriers, bien
armés. Leurs arcs sont petits, ils ont deux lances courtes, deux
armes à la ceinture et deux carquois pleins. Le premier vient de
s'arrêter!
Sstanch regarda le géant
qui avait fait halte derrière la pierre qui bouge. Il était à plus
d'une portée de flèche. Derrière, les guerriers habillés de blanc
aussi, arrivaient et se mettaient en rang. Il en vit dix partir d'un
côté et dix de l'autre. Ils formèrent une ligne de part et d'autre
de l'homme en raquettes. Un autre guerrier blanc se détacha du
groupe et vint se placer près de celui que Sstanch appela
l'éclaireur. Derrière, les hommes continuaient d'arriver et se
rangeaient selon un ordre impeccable. Sstanch qui avant de devenir
capitaine de la ville, avait servi dans la plaine, savait reconnaître
une armée quand il en voyait une. Devant lui, le spectacle qu'il
voyait confirma ses pires craintes. Même si ses hommes disposaient
de grands arcs et de lances longues, même s'ils étaient plus
nombreux, il pensa qu'ils ne faisaient pas le poids.
Aux ahanements qu'il
entendait, Sstanch comprit que Chan arrivait sur la tour.
- Qu'est-ce qu'ils font?
demanda-t-il entre deux respirations sifflantes.
- Ils se mettent en
position. Ils sont bien armés, bien entraînés. Je ne sais pas ce
qu'ils veulent, mais il faudra faire attention.
- Nous sommes beaucoup
plus nombreux qu'eux.
- Oui, maître de ville,
mais ils vont nous surpasser en combat.
- Nos grands arcs les
tiendront à distance.
Calt intervint:
- Regardez, ils se
préparent.
La vingtaine de guerriers
avaient mis genoux à terre et bandé leurs arcs courts. Celui près
de l'éclaireur fit de même. Il cria:
- Scantalquiloma!
- Qu'est-ce qu'il dit?
demanda Chan.
Il n'avait pas fini sa
phrase qu'une flèche à empennage noir se planta à deux doigts de
la tête de Chan. Celui-ci devint blanc.
- C'est pas possible!
C'est pas possible! Ils sont trop loin, dit-il en s'accroupissant
derrière la protection les planches de la balustrade.
- Scantalquiloma!
- Relevez-vous, maître de
ville, vous ne risquez rien. S'il avait voulu, il vous aurait touché.
C'est le signe qu'il a repéré qui était le chef. Ça doit être un
signal.
Le géant en raquettes
s'approcha en hurlant:
- Ne tirez pas, je viens
parlementer.
Sstanch cria à son tour :
- Laissez-le approcher, ne
tirez pas.
Les archers baissèrent
leurs arcs. L'homme ôta ses raquettes pour marcher sur la neige
tassée des abords de la ville.
- C'est Muoucht. Je le
reconnais! C’est Muoucht, un des hommes de l'extérieur.
Quand il fut plus près,
il parla d'une voix forte.
- Écoutez bien gens
d'ici! Le prince Quiloma exige audience auprès du chef de ville.
Soit sa requête est acceptée, soit sa colère sera grande.
Du haut de la tour Sstanch
cria:
- Je descends, homme de
l'extérieur.
Chan toujours blotti
derrière sa protection de planche, dit :
- Mais qu'est-ce que vous
faites?
- Cet homme nous est
connu. Il faut que nous en sachions plus. Faut-il nous battre ou non?
- Allez-y vous avez toute
ma confiance.
- Calt et Filt vous restez
en couverture.
Haussant le ton, il
s'adressa aux autres :
- Que personne ne fasse
rien pendant que nous parlementons.
Sstanch descendit sans
hâte. Arrivé en bas, il mit son casque, prit un bouclier et une
épée.
- Sitca équipe-toi, tu
viens avec moi.
Pendant qu'il obéissait
et prenait ses armes, Sstanch se tourna vers Kalgar :
- Reste avec Tilson, avec
les tiens vous protégerez la porte.
Muoucht les bras croisés
sur la poitrine regardait la porte s'entrouvrir. Il vit Sstanch et un
milicien sortir. Il avait déjà rencontré Sstanch, mais le visage
de l'autre ne lui disait rien. Muoucht venait une à deux fois par an
à la ville pour échanger ses peaux contre ce qui lui manquait trop.
Il avait eu à faire avec Sstanch lorsqu'il avait déclenché une
bagarre après avoir trop bu de malch noir et accusé un habitant de
lui avoir volé son bien. Sans l'intervention de Sstanch, il y aurait
eu un mort.
Arrivé à cinq pas,
Sstanch s'arrêta. Il fit bien attention de laisser son bouclier
entre lui et la ligne d'archers. L'autre ligne lui était cachée par
la pierre qui bouge. Il ne risquait rien de ce côté.
- Parle, Muoucht.
- Ils me sont tombés
dessus, alors que je visitais mes pièges après que Sioultac se soit
calmé. De rudes gaillards...
Sstanch regardait Muoucht.
Il avait le visage marqué d'ecchymoses.
...J'ai pas vraiment voulu
coopérer au début. Leur chef, le prince Quiloma m'a convaincu avec
ses poings que je ferais mieux de me ranger de son côté. Voilà
toute une main de jours que nous marchons sans arrêt pour arriver
ici.
- Que cherche-t-il?
- Un enfant sacré, si
j'ai bien compris, a été enlevé par sa nourrice et un presque
prince. Ils sont à sa recherche. Ici est le seul lieu où ils ont pu
aller avec une chance de survie.
- Tu parles leur langue?
- Oui, un peu. Je fais du
troc aussi là-bas.
- Qui sont-ils?
Une flèche à empennage
noir se ficha contre la botte de Muoucht.
- L'entrevue est terminée.
Le prince Quiloma attendra jusqu'à demain une réponse favorable.
Sinon, il viendra fouiller la ville. Je viendrai chercher la réponse
demain quand la lumière naîtra sur la montagne.
Muoucht fit demi-tour.
Sstanch et Sitca reculèrent jusqu'à la porte qui se referma sur
eux.
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