Le dislocateur ne
comprenait plus. Il avait pu s'occuper de toutes les dépouilles sauf
de celles des étrangers. Les loups noirs étaient venus camper dans
la clairière. Chaque fois qu'il approchait de ce qui restait des
étrangers, la grande louve grognait. Il connaissait ce sourd
grondement. Il savait qu'il était employé dans le langage de la
meute. Ce grondement était un signal. Celui qui l'entendait
obéissait ou alors il devait défier le dominant. Jamais le
dislocateur n'avait pensé qu'un loup le considérerait un jour comme
faisant partie de sa meute. Il n'avait pas insisté mais avait brûlé
plusieurs fois du spimjac. La grande louve avait posé son regard
rouge sur lui pendant qu'il lui offrait la fumée du spimjac. Il
avait vu brûler ses yeux avec plus d'intensité devenant presque
comme deux petits soleils. Puis elle les avait fermés se mettant à
ronronner comme un gros chat. Un mâle s'était approché et avait
grondé. Le dislocateur avait jugé prudent de prendre du recul. Le
loup noir l'avait regardé partir sans le poursuivre, a priori
satisfait de sa soumission. Il s'était alors couché près de la
louve. Un deuxième mâle s'approchait à son tour. Le dislocateur
connaissait ce rite pour l'avoir déjà vu dans la meute. Tous les
mâles allaient venir le défier. S'il se rebellait, il y aurait
bataille et le vainqueur aurait rang avant le vaincu. S'il ne disait
rien, il serait l'oméga de la meute, celui qui prend tous les coups
et qui sert d'exutoire aux autres. Le dislocateur recula encore une
fois. Quand le troisième s'approcha, il vit que la louve le
regardait. Il s'accroupit en mettant une main à terre. Le loup
s'arrêta non loin et se mit à gronder. Le dislocateur répondit sur
le même ton. Il vit le loup se ramasser prêt à bondir. Il bondit
le premier. Le choc eut lieu dans les airs. Plus lourd et plus massif
que le loup, le déplacement tourna à son avantage. Le loup retomba
sur le dos. L'homme réussit à lui tomber dessus avant qu'il ne soit
sur ses pattes. Puissant et nerveux le loup tenta de se redresser. Le
dislocateur était presque trois fois plus lourd que lui. Il avait
refermé ses mains sur le cou de loup et tenait la tête à distance
en serrant de toutes ses forces. Le loup poussa un jappement et cessa
le combat. L'homme le lâcha. Le loup partit la queue basse. Le
dislocateur regarda les autres mâles de la troupe. Aucun ne
s'approcha. Il regarda autour de lui, se méfiant d'une possible
attaque, mais la louve avait redressé la tête et les oreilles. Les
autres loups retournèrent à leurs occupations sauf un jeune mâle
de l'année qui vint défier son vaincu. Le combat fut aussi bref. Le
jeune fut mis sur le dos d'un seul mouvement. Il n'insista pas et
présenta son cou. L'autre grogna une fois et partit vers la forêt.
L'homme se releva de toute sa hauteur. D'un pas lent, il partit vers
sa grotte.
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