Les jours succédaient aux jours. Le temps devenait plus froid. Il pleuvait plus qu'il ne neigeait. Puissanmarto n'aimait pas la pluie. Heureusement la forge avec ses foyers était un monde à part. Le travail était toujours aussi pressant, aussi important. Après quelques jours, tout le monde avait pris l'habitude de le voir conduire le feu à la perfection. Les forgerons alignaient les armes, lances, épées, pointes de flèches qui étaient rassemblées sur la grande place où se préparait la caravane pour l'armée du général Stramts. Tous les dix jours, on faisait une pause pour fêter les dieux. Puissanmarto participait aux célébrations. Tout le monde était tenu d'y participer. Il y avait ceux qui y allaient le matin et ceux qui y allaient l'après-midi. Avec les prismens de son atelier, Puissanmarto se retrouvaient derrière les Izuus forgerons. Seul Frapnal officiait toute la journée.
- On a de la chance, disait un prismen. Le dieu du feu est un dieu qui ne demande pas de longue cérémonie.
- Oui, répondit un autre, avec toutes les prières qu'on lui adresse tout au long de la journée, il n'en a pas besoin. D'ailleurs, toi aussi, tu le pries, Puissanmarto. J'ai entendu tes récitations à mi-voix quand tu t'occupes du feu. Même si la Fahiny t'a lavé la mémoire, elle n'a pas eu de pouvoir sur la foi au dieu du feu.
Puissanmarto ne répondit rien. Heureusement Frapnal venait de faire sonner le gong du début. Il fut ainsi dispensé de se justifier. Puissanmarto ne priait pas le feu, il lui parlait. À moins que ce soit cela prier. Pourtant ce qu'il disait dans sa langue, une langue qui n'était ni le prismen ni le Izuus, était plus ce qu'on disait à un serviteur qu'à un maître. Comme à chaque fois, on fit brûler des herbes dont la fumée lourde dense, donnait des vertiges. Frapnal et les Izuus psalmodièrent des chants que Puissanmarto et les prismens écoutèrent les yeux baissés.
Après la cérémonie, Puissanmarto se retrouva autour d'un pot de bistal dans la taverne en bas de la citadelle. Il était connu pour son silence. Il parlait peu mais écoutait volontiers l'un ou l'autre. Cela passait pour une marque d'intelligence et de réflexion. Quand on lui eut servit sa bistal, il demanda :
- Je ne comprends pas l'ordre des dieux. Le dieu du feu ne devrait-il pas être le plus grand ?
- Si tu dis ça à Frapnal, c'est sûr qui va encore mieux te considérer !
- Ouais, mais ça marche pas comme ça. Le gouverneur adore l'arbre sacré, c'est un Karya. Le seul qui existe ici est dans le jardin du palais. Si tu montes sur les remparts de la citadelle, tu le verras qui dépasse. Son feuillage reste toujours vert que ce soit en été ou en hiver, qu'il y ait beaucoup d'eau ou que ce soit la sécheresse. C'est l'incarnation du grand dieu des Izuus. Ne peuvent l'approcher que ceux de la caste des dominants. Le dieu du feu est assez haut dans la hiérarchie mais il vient après le dieu de la terre et celui de la pluie. Le dieu du feu est un dieu double.
- C'est-à-dire ?
- Il peut être bon, mais il peut être mal. Nous on forge des armes. C'est bien pour se défendre mais parfois on ne fait pas que se défendre...
La conversation dériva sur d'autres sujets. Puissanmarto écouta les uns et les autres. Ils parlèrent des ennuis que suscitait la pluie pour le transport et pour les outils. Ils parlèrent des autres forges de la ville qui travaillaient beaucoup pour refaire ce qui cassait. Puis on parla des troupeaux et des dégâts faits par les loups et surtout par le monstre. Le gouverneur depuis qu'un messager s'était fait assaillir, avait l'idée de mettre en route une expédition pour le détruire. Il faudrait du temps. Le convoi pour le général était prioritaire.
- De toutes les façons, après la fête des greniers, les hauts cols seront fermés et on ne pourra rien faire. Il faudra attendre le printemps.
- Ça nous met aussi à l'abri des autres armées, dit un autre.
- Le général aura peut-être pris le pouvoir !
- Ouais, ben ça c'est c'qui rêve le Frapnal. Moi, j'ai appris par un palefrenier que ça s'passait pas bien pour lui, reprit un troisième. I'srait coincé par l'armée de Saraya.
- Saraya ?
- Ouais, c'est sui qu'était l'plus proche d'Yas sur la fin et c'est sui qu'a la plus grosse armée.
- Je sais, Balnou, reprit le premier, mais faut pas désespérer, les Izuus sont meilleurs soldats que ceux de l'armée de Saraya.
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