La malédiction s'était brisée en même temps que la tête de la voix aux yeux noirs. S'il était maître de son destin maintenant, il n'avait pas retrouvé ses souvenirs. Il connaissait le nom des choses, il avait retrouvé le pouvoir de nommer. Cela le satisfaisait. Ses souvenirs oubliés : il verrait cela plus tard. La mort de la voix aux yeux noirs avait surtout tout déstructuré. Les soumis ne l'étaient plus. S'ils ne voulaient plus obéir, ils ne savaient pas décider. Les premiers jours furent chaotiques. Chacun faisait ce qu'il lui plaisait. On pilla les réserves, on but trop, on mangea trop, on fit du feu dans toutes les cheminées de la demeure et surtout on discuta de nom. Quand on lui avait demandé le nom qu'il souhaitait, il n'avait pas su répondre. Il avait bien pensé : « Le mien ! », mais le voile de l'oubli le recouvrait. Il ne savait ni qui il était, ni d'où il venait. Il savait juste qu'il ne voulait pas revivre ce qu'il venait de vivre. Les autres lui en avaient collé un après avoir proposé : le tueur de la voix ou l'exploseur de cervelle, pour n'en citer que deux. Les autres maintenant l'appelaient Puissanmarto. Il avait accepté d'autant plus facilement que le marteau était la seule chose qui lui restait de sa vie d'avant. Parmi les survivants, il y en eut un, qu'on nomma Tienbien, qui lui apprit son histoire récente. Comme les autres Tienbien avait perdu son nom et son histoire. Il était au service de la voix aux yeux noirs depuis longtemps. Elle avait capturé des hommes venus de la montagne avec leurs armes. Il y avait eu un combat avec des morts et des blessés. Elle avait soumis les survivants et ramassé les blessés. Tienbien avait aidé à la manœuvre. C'est en revenant qu'elle avait trouvé Puissanmarto. Il était dans un arbre, posé comme une poupée de chiffon qu'on aurait jeté là. Cela avait étonné la voix aux yeux noirs. Elle l'avait examiné. Tienbien l'avait entendu dire dans son incessant babil : « … celui-ci est différent. Il y a de la puissance. Ramassons-le. Il pourra servir... ». Puissanmarto était resté de longs jours avant de se réveiller. Tienbien avait été étonné que la voix aux yeux noirs continue à s'occuper de lui. Pour les autres qui ne guérissaient pas assez vite, elle avait employé sa technique habituelle et ils avaient cessé de vivre.
Le récit de Tienbien avait conforté les autres dans leur opinion. Puissanmarto avait un destin.
- Si tu ne le trouves pas, il te trouvera, avait proclamé Tienbien comme une sentence.
Après le chaos des premiers jours, un début d'organisation s'était installé. Puissanmarto en était devenu le chef naturel. Le froid devenait plus vif. La neige et ses flocons commençaient à tenir. Le paysage devenait monochrome. Puissanmarto convoqua le groupe pour prendre une décision pour l'avenir. Si le froid s'installait pour longtemps comme il le pressentait, il n'y aurait jamais assez de vivres pour tous, ni assez de bois. La discussion fut houleuse. Pour le chauffage, on pouvait toujours déboiser autour. Restait le problème de la nourriture. Puissanmarto remarqua qu'il y avait ceux qui avaient déjà repris des forces et ceux qui étaient encore très faibles. La voix aux yeux noirs éliminait les soumis quand venait le froid. Elle n'en gardait qu'un minimum pour son service. Ce petit nombre survivait jusqu'à la nouvelle saison chaude. Eux, étaient trop nombreux. Comme il ne se voyait pas attendre le manque de vivres dans cette demeure, Puissanmarto avait proposé de partir. Tienbien avait approuvé tout de suite. Même s'il n'avait pas plus de souvenirs que Puissanmarto sur sa vie d'avant, il disait qu'il existait des endroits plus sûrs pour passer l'hiver qu'on nommait villes. D'autres ne croyaient pas à l'accueil possible dans ces villes. Peut-être qu'en se rationnant un peu, on pourrait passer la saison froide ici. Nakunoeil était le plus virulent défenseur de cette idée. Au bout de deux jours de discussion, un consensus fut trouvé. Puissanmarto et ceux qui le voudraient partiraient tenter leur chance et Nakunoeil resterait avec les autres ici dans la demeure de la voix aux yeux noirs.
Il y eut encore de longs débats pour savoir comment on partagerait les vivre entre ceux qui partaient et ceux qui restaient. Enfin, quand tout fut décidé, Puissanmarto se retrouva à la tête d'un groupe d'une dizaine d'hommes. Ils avaient cinq jours de vivres et de quoi affronter le froid. La chance semblait leur sourire. La neige avait fondu, une relative douceur s'était installée. Quand il donna le signal du départ, il ne restait de la neige que des plaques dans les endroits toujours à l'ombre.
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