Les feuilles prenaient des couleurs
chaudes que le soleil faisait resplendir. Il s'en moquait. La voix
aux yeux noirs avait parlé, il obéissait. « Du bois ! Il
me faut du bois pour l'hiver ! Va ! » Il parcourait
la forêt pour ramasser du bois. Bien que faible, il lui fallait
ramener du bois à la voix aux yeux noirs. Chaque pas lui coûtait.
Son corps lui faisait mal et la tête lui tournait. Il faisait
quelques pas, s'appuyait sur un arbre, se reposait et recommençait.
Il avait dû aller assez loin pour trouver des branches tombées. Il
n'était pas le seul à chercher du bois pour la voix aux yeux noirs.
Il avait fait un tas de ses découvertes. Il était content de lui.
Le tas était important. Il en ramassa une brassée. Il ne put se
relever. Il le posa et se redressa. Un brouillard passa devant ses
yeux et le monde se mit à danser. Cela dura quelques instants. Il
fut plus raisonnable à son deuxième essai. Il pensa qu'il
reviendrait chercher le reste au cours d'un deuxième voyage. Il
reprit le chemin de la maison de la voix aux yeux noirs. Déjà le
soleil baissait quand il arriva devant la porte. Le deuxième voyage
attendrait. La nuit n'allait pas tarder. Il arriva le dernier. Il vit
le portier qui commençait à fermer la porte. Il se glissa juste à
temps. Il haletait. Son corps fatigué réclamait du repos. Il lui
fallait pourtant se présenter à la voix aux yeux noirs avant que de
pouvoir aller se reposer. Il arriva dans la grande salle. Comme
toujours la voix aux yeux noirs parlait. Elle parlait sans cesse.
- … juste assez pour cette journée.
Mais te voilà, toi. Tu sais que tu es le dernier. Fais voir ce que
tu ramènes...
Il déposa comme une offrande les
quelques branches aux pieds de la voix aux yeux noirs. Malgré sa
fatigue, il avait apporté du bois et demain, il ramènerait le
reste.
- … C'est tout ce que tu m'apportes.
Crois-tu que je vais me chauffer avec cela. C'est à peine si cela
suffira à allumer la cheminée d'hiver. Je me demande pourquoi
j't'ai ramassé. Tu étais plus mort que vif et c'est comme cela que
tu me remercies de tout ce que je fais pour toi. Regarde-moi quand je
te parle...
Il leva les yeux. Il rencontra les deux
puits noirs où brûlait la flamme bleue. Il hurla de douleur. Il
avait mal fait et la voix aux yeux noirs lui faisait comprendre. Tout
était de sa faute. Elle avait tant fait pour lui et lui ne lui
rendait pas. La honte qu'il ressentait l'écrasait. Demain, demain,
il se rachèterait, même s'il finissait à genoux, il rapporterait
son quota de bois.
- … Maintenant, pars et va dormir. Tu
ne mérites même pas la nourriture que j'avais prévue pour toi...
Il fut tellement soulagé de l'arrêt
de la douleur que l'annonce du jeûne ne lui fit aucun effet. Il
partit à reculons pendant que la voix aux yeux noirs s'attaquait à
un autre de ses soumis.
Il s'effondra plus qu'il ne se coucha
sur sa paillasse.
Le lendemain, la faim le tenaillait. Il
sortit très tôt pour aller chercher son bois. Il ne retrouva pas
son chemin de la veille. Il eut une bouffée de désespoir.
Supporterait-il encore la déception de la voix aux yeux noirs ?
Ce n'était pas possible. Il fallait qu'il trouve quelque chose. Il
s’agrippa à une grosse branche. Voilà ce qu'il devait ramener.
Elle résista. Il ne pesait pas bien lourd et ses bras maigres
manquaient de force. Un nouveau vertige le prit. Il se laissa glisser
jusqu'au sol. Pendant qu'il reprenait son souffle, ses doigts se
refermèrent sur une pierre. Elle était lisse et brillante avec un
bord dentelé. Il eut un sourire. Avec cela, il allait pourvoir y
arriver. Malgré la faim et les vertiges quand le soleil passa
derrière la montagne, il avait coupé du bois et s'était fabriqué,
avec deux longues perches, un travois pour ramener son bois. Il fut
soulagé d'arriver à temps. Il se glissa avec les autres jusqu'à la
grande pièce où régnait la voix aux yeux noirs :
- … dis-toi bien que tu mérites ce
qui t'arrive. Tu devais m'obéir. Regarde-moi quand je te parle...
Il écouta la voix aux yeux noirs s'en
prendre à ce grand soumis. Il avait pourtant ramené du bois mais
n'avait pas fait quelque chose qu'elle avait demandé. Il écouta
hurler le soumis. Il le vit se rouler par terre et embrasser les
pieds de la voix aux yeux noirs en jurant qu'il ferait tout ce
qu'elle voulait. Il fut heureux de n'être pas à la place du puni.
Quand vint son tour, elle regarda le bois et le travois :
- … le bois que tu ramènes n'est
même pas sec. Il brûlera mal et il va fumer...
Il commença à se recroqueviller. Il
n'avait pas prévu cela. La voix aux yeux noirs voulait du bois sec
pour brûler tout de suite. La peur lui serra le ventre. Il allait
encore souffrir.
- … Tu es chanceux aujourd'hui. Tu
ramènes un outil précieux. Nul ne m'a ramené de nouveauté. Tous,
vous êtes plus stupides les uns que les autres. Tu es curieux, toi.
Puisque tu sais trouver des choses, demain je veux plus de bois...
La joie l'envahit. Il n'allait pas
souffrir. Il pourrait même manger. Il se dépêcha de partir pendant
qu'elle s'occupait du suivant. Il se dirigea vers la pièce à
manger. Un soumis lui tendit une écuelle à moitié fendue remplie
d'un gruau de farine de fruits secs. Quand il alla s'allonger sur sa
paillasse, il pensa qu'il était le plus heureux. Il avait le ventre
plein et un endroit pour dormir. Demain, demain serait un autre jour.
Les jours se suivaient et se
ressemblaient. Des fois, la voix aux yeux noirs voulait de l'eau, il
allait chercher de l'eau, des fois elle voulait du bois, il allait
chercher du bois. C'est ce qu'il faisait aujourd'hui. Il avançait
vers une région de la forêt où les arbres étaient moins hauts,
moins gros. Il pouvait en casser plus et en ramener plus. Il arriva à
la clairière où coulait une source. Il aimait bien venir là. L'eau
était claire et douce à boire. Il avança confiant en traînant son
travois. C'est là qu'il vit la bête. C'était une grosse bête au
pelage noir et aux yeux rouges. Elle était tranquillement allongée
au milieu de la zone herbeuse près de l'eau. Elle mangeait. Il la
regarda. Elle déchirait des morceaux à la carcasse encore fumante.
Elle le regarda approcher. Elle ne semblait pas avoir peur, ni être
dérangée par lui. Il avait su le nom de ces bêtes, autrefois. Il
ne savait plus. Il y avait tant de choses qui lui échappaient. Tout
cela n'avait aucune importance. Seule la volonté de la voix aux yeux
noirs comptait maintenant pour lui et pour les autres soumis.
Pourrait-il ramener du bois ou allait-il devoir se battre pour que se
fasse la volonté de la voix aux yeux noirs. Les yeux rouges le
regardaient. Un curieux ronronnement s'échappait de la gueule pleine
de crocs. Son estomac y répondit par un gargouillis de faim. Plus la
saison avançait et moins il y avait à manger. Il avait déjà vu ça
et là les dépouilles d'autres soumis morts de faim. Le froid se
faisait plus vif. Les quelques loques qu'il avait sur le dos ne le
protégeaient que médiocrement. La farine pour le gruau était
réservée à ceux qui passaient l'épreuve du soir sans irriter la
voix aux yeux noirs. Hier, il en avait subi la colère. Il avait
fauté en renversant l'eau demandée. Aujourd'hui, il voulait se
racheter. Il savait que son travois devrait crouler sous le bois pour
qu'elle lui pardonne son erreur funeste. Si elle ne l'avait pas puni,
il aurait fait pire. Son esprit se révulsait à l'idée de la
décevoir et son corps se convulsait à l'évocation des douleurs. La
bête noire aux yeux rouges lui posait problème. Elle pouvait être
un danger pour sa mission. Il regardait surtout la carcasse. De la
nourriture ! Son ventre réclamait et protestait de ne pas
recevoir selon ses besoins. Son esprit luttait. Il sursauta quand la
bête bougea. Elle s'éloigna d'un pas souple et silencieux, laissant
sur place sa proie. Il n'attendit pas. Il se jeta dessus. Le goût en
était délectable. Il ne laissa que les os bien nettoyés. Quand il
rentra le soir, une énergie nouvelle coulait dans son corps.
- … Tu m'étonneras toujours, toi. Je
te pensais devenu comme ceux qui meurent et tu ramènes du bois comme
deux. Tu auras ta part ce soir, mais demain puisque que tu sembles si
fort, tu me ramèneras encore plus...
Il écouta ce discours comme un
compliment. Il pensa que la voix aux yeux noirs serait contente
demain qu'il lui offre encore plus de combustible. Pour la première
fois depuis des jours et des jours, il dormit tranquillement.
Quand le soleil dépassa la crête des
montagnes, il était déjà parti, tout empli de sa mission sacrée,
satisfaire la voix aux yeux noirs. Dans la clairière, il trouva la
bête aux yeux rouges. Elle était allongée sur le tapis de mousse,
la tête posée sur les pattes avant. Elle le regarda avancer. Devant
elle, il y avait une carcasse fraîche, comme si elle l'attendait. Il
s'approcha presque à toucher la bête noire aux yeux rouges. De
fugaces images, d'imperceptibles impressions lui traversaient
l'esprit sans qu'il puisse fixer son attention dessus. Cette bête
aux yeux rouges, c'était... c'était... Non ! Il ne se
souvenait pas. La carcasse aussi était une bête qu'il avait déjà
vue avant. Avant quoi ? Avant ! Il y avait là, dans son esprit
quelque chose de rétif qui ne voulait pas coopérer. Il avança la
main pour saisir la viande. La bête aux yeux rouges ne bougea pas.
Il s'assit, déchirant à pleines dents cette chair encore tiède.
Tout en mangeant, il regarda autour de lui. Il vit un tas de bois. Il
fut étonné. Hier, il n'avait rien laissé. Cette clairière devait
être magique. Le bois mort s'y rassemblait. Aujourd'hui, il n'aurait
qu'à charger son travois pour avoir fini sa mission. La voix aux
yeux noirs serait contente, il ramènerait ce qu'elle avait demandé.
Quand il eut le ventre plein, il s'allongea. Le ronronnement de la
bête aux yeux rouges avait un effet quasi hypnotique. Il s'endormit.
Il se réveilla la tête claire. Il ne
s'était pas aussi bien reposé depuis... depuis... cela aussi lui
échappait. Il était sûr que c'était depuis longtemps. Il se leva
et chargea les branches. Le soleil était proche des sommets du
couchant. Il était temps de rentrer. Un arbre tombé l'obligea à
faire un détour. Il en fut heureux quand il découvrit un buisson
chargé de baies. Il en mangea un grand nombre. Sucrées et juteuses,
elles étaient délicieuses. Quand il arriva à la porte de la
demeure de la voix aux yeux noirs, il était dans les derniers.
Alors qu'elle avait puni tous ceux qui
le précédaient, elle ne lui dit presque rien. Elle se contenta de
lui demander encore plus pour le lendemain. Il fut heureux, la voix
aux yeux noirs n'avait pas trouvé de sujet de mécontentement en lui
et même, suprême satisfaction, elle était restée un instant sans
pouvoir parler quand elle l'avait vu. Il rejoignit le réfectoire et
les autres soumis. Il remarqua comme tous se tenaient voûtés et
semblaient prêts à tomber. Des questions affleuraient à son
esprit. Il prit son écuelle de gruau et alla se mettre dans un coin.
Ici, chacun mangeait seul en tournant le dos aux autres pour protéger
sa pitance. Il y avait déjà eu des vols de nourriture. Il vérifia
que personne ne le regardait. Quand il fut rassuré, il sortit
discrètement d'un repli des baies jaunes qu'il avait cueillies. Il
les mélangea en les écrasant à la farine tiède. Il pensa :
« Quelle belle journée ! ».
Le lendemain, il était de retour à la
clairière. Il eut le sentiment de revivre la veille. La bête aux
yeux rouges était là, la viande était là, le bois était là et
même des baies jaunes. Il prit le temps de se nourrir. Quand il eut
fini, la bête aux yeux rouges se leva. Elle s'approcha de lui sans
se presser et le poussa. Il se laissa faire. Elle continua son manège
jusqu'à ce qu'il la suive. Elle prit le petit trot. Il suivit un
moment et trop essoufflé s'arrêta. Elle l'attendit et recommença
son manège. Il comprit. Elle voulait jouer. La bête noire aux yeux
rouges cherchait un ami pour jouer. Il passa sa journée à courir
avec elle, à lutter pour la possession d'une branche ou pour faire
des roulé-boulés. Quand arriva le soir, il était fatigué mais
content. Il pensa que la voix aux yeux noirs n'était peut-être pas
le tout du monde.
Pendant tout le temps qu'une lune met
pour devenir pleine et disparaître, la voix aux yeux noirs sembla
moins s’intéresser aux soumis. La cérémonie du soir avait
toujours lieu. Les punitions étaient toujours aussi fréquentes.
Avec le froid qui semblait s'installer le nombre des soumis
diminuait. Quand il passait devant elle, son regard restait empli
d'interrogations mais la voix aux yeux noirs exigeait encore et
encore du bois. Quand il le rangeait dans le grand bûcher, il pensa
que même si tous les soumis ramenaient autant de bois que lui tous
les jours, il y aurait encore besoin de deux ou trois lunes pour le
remplir. Son corps lui parlait de saison froide chaque jour un peu
plus nettement.
Tous les matins, il sortait de la
demeure de la voix aux yeux noirs. Il ne s'inquiétait plus pour le
bois, la clairière ensorcelée lui en fournissait assez. Il pensait
à la bête aux yeux rouges et aux jeux qu'ils allaient découvrir
ensemble. Il était maintenant capable de soutenir le petit trot sur
de grandes distances et même de la soulever. Ce soir là, quand ils
se séparèrent le ciel était rempli de nuages sombres. Le froid
était plus mordant. Il prit son travois. Il commença à le tirer.
En arrivant à proximité de la demeure de la voix aux yeux noirs de
curieuses petites choses blanches flottaient dans l'air. Ça aussi,
il aurait dû en savoir le nom, mais ses souvenirs étaient dans sa
vie d'avant. Il en attrapa une et la mit dans sa bouche. Des images
affluèrent dans son esprit, des paysages blancs et froids, des
sensations de glisse, des impressions de crissement sous ses pieds.
Quand il ouvrit les yeux, il vit la demeure de la voix aux yeux
noirs. À la cérémonie du soir, il la vit cligner des yeux. Il en
fut étonné. Même si son babil continuait, il la sentit mal à
l'aise. Si elle le fixa dans les yeux, s'il vit la flamme bleue et
froide, il n'eut qu'un léger malaise. La voix aux yeux noirs se
rattrapa sur le suivant qui s'écroula par terre en hurlant. Il
quitta la pièce pour aller au réfectoire, la tête rempli de
sentiments contradictoires.
Quand il ouvrit la porte au matin, le
froid était vif et toutes ces petites choses blanches s'étaient
accumulées par terre. Ce n'était qu'un voile répandu sur le sol.
Dans son esprit d'autres images se présentaient. Elles étaient trop
fugitives pour que leur souvenir reste. Il en fut déçu. Il pensa à
la bête aux yeux rouges. Il était persuadé qu'avec cette chose
blanche, elle allait inventer un nouveau jeu. Il allongea le pas. La
nuit tombait vite maintenant, il ne voulait pas la manquer. Les
autres soumis sortaient à sa suite. De plus en plus voûtés, de
plus en plus maigres, ils se traînaient plus qu'ils ne marchaient.
Il pensa qu'au soir, beaucoup ne rentrerait pas. Ces pensées le
quittèrent aussi vite que les impressions de souvenirs. Il avait une
mission. La voix aux yeux noirs lui avait dit :
-... Va et apporte-moi le plus gros tas
de bois que tu pourras. Je te récompenserai à ta juste valeur. Tes
yeux ne quitteront plus les miens...
Il n'avait pas compris ce que cela
signifiait. Il avait juste entendu la promesse de contentement de la
voix aux yeux noirs. Maintenant, il courait. La bête aux yeux rouges
lui manquait. Il avait la sourde intuition que cette journée serait
leur dernière rencontre. Il arriva à la clairière. Il fut soulagé.
La bête aux yeux rouges était là. Mais... elle semblait partir.
Elle tourna la tête vers lui, émit un cri comme un adieu et
s'élança de toute sa puissance. Il ne tenta même pas de la suivre.
Il savait que jamais il ne pourrait courir aussi vite qu'elle. Le
cœur tout triste, il avança jusqu'à la souche qu'il avait
installée pour se faire un siège. Il se laissa tomber dessus et
mettant les mains sur son visage, il pleura. Les choses blanches qui
tombaient avaient chassé la bête aux yeux rouges. Il pleura ainsi
un moment. Puis de hoquet en sanglots, ses pleurs se tarirent. Revint
alors à son esprit, la mission qui était la sienne : le bois
pour la voix aux yeux noirs. De ses yeux rougis, il regarda autour de
lui. La clairière avait encore ramassé du bois. Il aurait son
chargement pour le soir. C'est alors qu'il le remarqua. La certitude
l'envahit. S'il n'en savait pas le nom, l'objet était à lui. Sombre
et brillant, il était posé sur les plus grosses branches. Il
s'approcha. Il le prit. Le poids lui fut familier. Sa main se
souvint, son bras se souvint, son corps savait. Si les mots étaient
partis, le savoir de son corps était encore présent. Il éclata de
rire. Passant la lanière à son poignet, il fit des moulinets.
Parfait, l'objet sombre et brillant était parfaitement accordé à
son corps. Il l'abattit de toute sa force sur la branche qui explosa
sous le choc. A nouveau son rire se fit entendre dans la clairière.
La bête aux yeux rouges était partie, chassée par les choses
blanches et froides qui tombaient du ciel mais elle lui avait laissé
l'objet. Jamais il ne pourrait oublier la bête aux yeux rouges car
jamais plus il n'abandonnerait l'objet sombre et brillant. Il passa
sa journée à jouer avec. Son corps n'avait rien oublié du
maniement de cet objet merveilleux. C'est la voix aux yeux noirs qui
allait être surprise. Il était sûr qu'elle n'avait jamais vu
d'objet aussi beau et aussi utile. Elle serait aussi étonnée que
lorsqu'il était revenu avec le travois.
Le soleil n'avait pas disparu derrière
les montagnes quand il arriva devant la porte de la demeure de la
voix aux yeux noirs. Sur le chemin, il avait vu plusieurs soumis,
allongés. Il ne s'était pas arrêter. Il savait qu'ils étaient
morts, morts de faim et de froid. Telle était la vie quand on
servait la voix aux yeux noirs. Elle commandait, ils obéissaient
jusqu'à ce que mort s'ensuive. Devant lui, d'autres soumis
rentraient, portant de misérables fagots. Lui ne portait que son
objet sombre et brillant. Il le portait fièrement, raide et droit.
Il prit son tour dans la file qui allait à la cérémonie. Avec le
froid, le nombre des soumis avait beaucoup diminué. Il aurait peu à
attendre. La voix aux yeux noirs venait de punir un soumis quand ce
fut son tour. Il arriva les bras ballants, l'objet sombre et brillant
prolongeant son bras.
- … Quoi ! Tu arrives devant moi
sans même un bout de bois ! Tu as failli à ta mission !
La voix aux yeux noirs montait dans les
aiguës. Il savait ce qui allait arriver. Il y avait déjà assisté.
Le soumis qui avait déclenché cela, s'était effondré en hurlant.
Ses cris de douleurs avaient duré toute la nuit. Quand il était
passé devant lui le matin, il l'avait vu tout tordu et sur son
visage un tel rictus de souffrance qu'il avait pensé : « Jamais
ça ! ».
- Tu ne méritais pas ce que j'ai fait
pour toi. Au pied d'un arbre, tu étais tombé comme un mauvais fruit
que tu es. Par pitié, je t'ai soigné et t'ai donné une place parmi
les soumis. Sans cœur, tu fais plus que me décevoir. Aujourd'hui,
tu mérites ma colère...
- NON ! hurla-t-il en explosant la
table d'un coup de son objet sombre et brillant.
La voix aux yeux noirs resta sans
pouvoir éructer un son. Ses yeux virèrent au bleu froid et dur.
- TU OSES...
- OUI ! hurla-t-il en explosant le
tabouret où s'asseyait la voix aux yeux noirs.
- JE VAIS T'APPRENDRE QUI EST LE MAÎTRE
ICI !
- MOI ! hurla-t-il en explosant la
tête de la voix aux yeux noirs.
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