Éeri l'avait serré dans ses bras
quand il avait appris la nouvelle.
- Je savais, je savais, répétait-il
trop ému pour dire autre chose.
Kalgar lui avait donné une bourrade
dans le dos.
- Quand tout cela sera fini, j'espère
que tu reviendras forger avec moi.
Chacun y avait été de son commentaire
dans la maison de Kalgar. Talmab l'avait même embrassé ce qui
l'avait fait rougir jusqu'aux oreilles.
Miasti l'avait taquiné comme à son
habitude et Cilfrat l'avait félicité avec gravité.
- La guerre est une mauvaise chose,
avait-elle dit.
Éeri n'avait rien ajouté mais Tandrag
avait senti qu'il n'était pas d'accord. La guerre était sa raison
de vivre. Un phalangiste aimait la guerre et l'honneur du beau
combat. Mourir n'était pas si grave si on mourait avec l'Honneur.
Cilfrat et Éeri avaient régulièrement eu des disputes autour de ce
sujet. Maintenant leur relation était plus calme mais l'un comme
l'autre évitaient le sujet.
Certains autres avaient réagi avec
colère ou jalousie. Tandrag ne les avait pas entendus directement.
On lui avait dit... On lui avait fait entendre que... Il ne pouvait
ignorer que sa nomination à la place de Cralnak n'avait pas plu,
surtout dans la maison Rinca. D'autres avaient fait des remarques
acerbes comme Tigane qu'il avait rencontré chez la Solvette un jour
qu'il faisait partie de la garde du Prince.
- Je ne t'aime pas, Tandrag. Je ne t'ai
jamais aimé. C'est moi qui aurais dû être à ta place. On prend
vraiment n'importe qui maintenant pour être konsyli.
Baissant la voix, il avait ajouté :
- Quiloma le regrettera !
Tandrag avait regardé dans la
direction du prince, mais celui-ci accompagnait le Solvette dans sa
pièce au fond. Il n'avait rien entendu parlant avec sa compagne.
Tandrag regarda Tigane. Il n'arrivait pas à comprendre pourquoi il
lui en voulait. Il ne lui avait rien fait, rien dit. Est-ce que le
seul fait d'exister pouvait être intolérable à d'autres ? Il
haussa les épaules et ressortit. Il avait pour mission d'aller voir
le chef de ville pour lui demander de se présenter devant le prince
pour faire un rapport sur les travaux. Depuis le début de la saison
chaude, Quiloma avait exigé qu'on fasse des remparts et des défenses
dignes de ce nom.
Les pluies étaient maintenant plus
rares, voilà une main de jours qu'il faisait sec. La température
montait avec les journées plus longues. Sans les menaces qui
planaient, tout le monde serait en train de se réjouir de cette
météo qui faisait du bien aux champs, aux hommes.
Tandrag vit Chan sur un échafaudage
près de la porte du bas. Les hommes travaillaient dur. Ils avaient
amené beaucoup de troncs pour renforcer ou pour dire plus vrai pour
faire un rempart à la place de la palissade.
- Bonjour, Maître de ville.
Celui-ci se retourna en entendant qu'on
lui parlait :
- Ah ! Tandrag. J'ai appris ta
nomination, félicitations. Que me veux-tu ?
- Le Prince Quiloma souhaiterait vous
voir pour parler des travaux.
- On sera prêt. J'irai le voir mais
dis-lui déjà qu'on sera prêt.
Tandrag hocha la tête. En lui-même,
il pensait que Chan mentait. Sa connaissance militaire était mince,
mais jamais ce qu'il avait sous les yeux n'arrêterait une armée.
Elle serait juste ralentie. Il se mit à espérer une intervention du
Dieu-dragon puisque c'est lui qui maintenant était au sommet du
panthéon de la ville.
Il fit un geste-ordre pour sa main de
soldats et ils manœuvrèrent pour retourner dans la rue de la
Solvette. Sabda sortait de la maison. Elle portait un panier. Il se
prit à penser qu'elle était devenue... euh !... jolie. Elle
éveillait en lui des sentiments inconnus.
- Tu pars chercher des herbes ?
- Ah ! Tu es là, toi !
Tandrag ne comprit pas. D'habitude,
elle lui souriait. Encore quelqu'un qui lui en voulait alors qu'il
n'avait rien fait de mal.
- Qu'est-ce qui se passe, Sabda ?
Elle continua à avancer sans lui
répondre avec une moue au visage. Tandrag qui s'était arrêté, fit
deux pas rapides, lui prit le bras et la força à se retourner vers
lui :
- Qu'est-ce qui se passe ?
Il n'avait pas crié mais avait élevé
la voix avec énervement. Sabda fronça les sourcils et lui dit le
visage fermé :
- A cause de toi, Quiloma et ma mère
se sont disputés !
Tandrag lâcha le bras de Sabda. Il
n'en croyait pas ses oreilles. Là aussi, il se retrouvait au cœur
d'évènements qu'il ne comprenait pas.
- Mais pourquoi ? bafouilla-t-il.
- Quiloma voulait savoir d'où tu
venais vraiment et ma mère lui a répondit vertement qu'il n'avait
pas à le savoir.
- Et je viens d'où ?
- J'en sais rien, moi, dit Sabda avec
colère. Ce que je sais c'est que sans toi tout ça ne serait pas
arrivé !
Sabda planta Tandrag là. Il resta
immobile ne comprenant rien. Il avait la tête pleine de questions.
Il fallait qu'il sache qui il était vraiment. Il fallait qu'il voie
la Solvette et qu'il lui demande. Il en était là de ses réflexions
quand Quiloma sortit brusquement de la maison de la Solvette. Il fit
le geste-ordre de rassemblement autour de lui. Tandrag fit bouger ses
hommes et les fit mettre en formation. Quiloma avait le visage fermé.
Ils se mirent en mouvement vers Montaggone. Il était encore à la
hauteur de la forge de Kalgar quand Qunienka arriva en courant :
- Prince, Prince, la patrouille du Mont
Pelé vient d'arriver. Elle a des nouvelles !
Quiloma accéléra le pas. Arrivé à
la porte de Montaggone, il se tourna vers Tandrag.
- Prépare-toi ! Demain tu
prendras deux mains d'hommes et tu partiras vers la vallée du
dragon. Tu iras patrouiller de l'autre côté de la vallée. Sois de
retour dans deux mains de jours.
Tandrag fut étonné de l'ordre. Il fit
un geste d'acceptation, et salua le prince. Qu'est-ce que cela
voulait dire ? La deuxième partie de la journée fut réservée
à la préparation de la patrouille.
Le soir venu, Tandrag eut
l'autorisation de rentrer chez Kalgar. Il pensa que les nouvelles de
la patrouille du Mont Pelé devaient être alarmantes. Bien que le
prince ait gardé le silence sur le rapport de ses hommes, les ordres
donnés laissaient penser que la bataille approchait à grands pas.
Tandrag partait en mission de reconnaissance mais pour tous les
autres les préparatifs étaient ceux de la formation de combat.
Il arriva à la forge au moment du
repas. Il salua en entrant. Kalgar lui fit signe de s’asseoir à
côté d'Éeri. L'atmosphère de la pièce était comme toujours
chaleureuse et conviviale.
- Trecal...(Alors konsyli, tu pars en
mission !)
Tandrag fut étonné que Éeri lui
parle dans le langage des hommes du froid à la table commune. Il lui
répondit pareil et aussi à voix basse :
- Smaln...( Je vais commander deux
mains d'hommes et aller vers la vallée du dragon ! Si tout va
bien, je le verrai de près.)
- Tsei...(Très bien ! Le Prince a
su apprécier tes aptitudes. Cela n'a pas plu à certains, mais tu es
là où tu dois être.)
- Trima...( Les nouvelles de Tichcou ne
doivent pas être bonnes pour que Quiloma ordonne les préparatifs de
combat. Il m'éloigne alors que la guerre arrive.)
- Quiloma... (Le Prince Quiloma est un
Prince neuvième. Ce qu'il fait et décide est ce qu'il y a de mieux.
Il saura nous mener à la victoire!)
- Sraa...( Tu n'aurais pas eu des
nouvelles de ceux qui sont revenus par hasard?)
- Prad...( Donne ta parole de ne pas
dire ce que tes oreilles vont entendre. C'est au Prince que reviennent
le moment et le lieu de l'annonce.)
Tandrag regarda autour d'eux. Personne
ne semblait s'occuper de leur discussion à mi-voix. On riait même
au récit de Miasti.
- Quiloma...( Le Prince Quiloma a toute
ma fidélité et ma discrétion. Le Dieu-dragon m'en est témoin. Je
saurais me taire.)
Éeri apprécia que Tandrag utilise les
formules de serment propre aux guerriers blancs. Il fut fier de
l'enseignement qu'il lui dispensait depuis tout ce temps. Cela
illumina son visage un bref instant puis son front redevint soucieux.
- Ivoho... (J'ai rencontré Ivoho. Ses
yeux ont vu et ils ne mentent pas. La vallée de Tichcou est comme un
lac où chaque goutte d'eau serait un soldat. Il n'a jamais vu autant
d'hommes. Notre langue ne contient pas de mot pour dire autant. Nous
pensions nous battre à deux mains d'hommes contre un. Ivoho pense
que nous nous battrons à une phalange contre un. Il a vu la grande
tente. Elle est plus grande que Montaggone. Là doit être le roi de
ce peuple.)
Tandrag eut du mal à contenir sa
réaction. Une armée aussi grande était impossible.
- Cmab...(Il faut que je reste pour
combattre...)
- Tris...(Surtout pas. Le Prince sait
ce qu'il fait. Le dragon a besoin qu'on l'aide. Même s'il est grand,
il est encore jeune. D'autres hommes suivront tes traces. Le dragon
est ce qu'il y a de plus précieux.)
Tandrag finit son repas en mangeant du
bout des lèvres. Il ne fit pas attention aux regards que Kalgar et
Talmab posaient sur lui. Quand hommes et femmes se séparèrent pour
la soirée, il demanda à Kalgar la permission de sortir.
- Oui, Tandrag, mais nous parlerons à
ton retour.
Tandrag le salua et sortit. La
Solvette, il fallait qu'il voie la Solvette.
La soirée était belle. La température
était douce. Il descendit vers la rivière en bas de la ville. Il
arriva dans la rue de la Solvette, il fut étonné du nombre
d'oiseaux qui allaient et venaient. Il frappa à la porte. Sabda vint
lui ouvrir.
- Ah ! C'est toi. Ma mère avait
raison. Entre, elle t'attend.
Sabda n'avait plus l'air en colère. Il
pénétra dans la maison. Il fut étonné par l'ambiance.
Habituellement il régnait calme et sérénité. En ce soir, il ne
vit plus personne en soin. Par contre de nombreux charcs entraient et
sortaient, d'autres animaux s'agitaient aussi par-ci par-là.
- Qu'est-ce qui se passe ? demanda
Tandrag.
- Des forces s'accumulent autour de
nous. Cotban et Sioultac vont s'affronter et nous sommes au milieu.
Tu viens pour ton rêve ?
- Oui, non. Enfin oui.
La Solvette lui sourit.
- Sabda a raison. Ton rêve parle de
dragon. Il te faudra l'affronter.
- Parle-moi de mes origines !
s'écria Tandrag.
- Ah ! Cela aussi est important.
Assieds-toi.
La Solvette s'approcha de lui et
prenant un tabouret s'installa à côté de lui.
- Il était une fois, dans cette longue
nuit qui s'allonge quand on ne sait si l'hiver va tenir ou si la
lumière reviendra, un rite pour que tourne la roue de la vie...
Quand Tandrag quitta la Solvette, il
était secoué. Tout ce qu'il venait d'apprendre faisait beaucoup
pour son esprit. Bien que fils de Chountic, il était fils d'étranger
et même peut-être fils de prince. Il avait partie liée avec le
dragon. Il pensa qu'il aurait à l'affronter pour le lier à lui.
Tout n'était pas clair dans le récit de la Solvette. Il marcha
lentement à la lumière de la lune pour retourner chez Kalgar. Son
esprit s'arrêta un instant sur Talmab. Il comprenait maintenant ces
gestes d'attention. Il était frère de lait de Miasti. L'idée lui
plut. Il aurait eu à choisir une famille, il aurait choisi celle-là.
Quand il atteignit la place du puits ventru, il entendit le cri. Sans
jamais l'avoir entendu, il sut. Le dragon venait de lancer un cri
d'alerte. Il se mit à courir vers Montaggone. Quand il y arriva, les
torches brûlaient déjà. Le Prince était debout sur la butte de la
parole. Il finissait de revêtir ses habits de combat. Quand il vit
Tandrag, il lui fit signe. Quand il fut assez près, il lui dit :
- Prends tes hommes et pars sans
attendre. La lune est claire. Ta mission sera de protéger le dragon
et sa grotte.
- Mon Prince, Il a crié.
- Oui, konsyli, Il nous a prévenus.
L'ennemi est en route. Maintenant va et ne reviens ici que si tout
danger est écarté.
Quiloma se détourna de lui pour parler
à Qunienka. Les ordres fusèrent. Tandrag avait pris le pas de
course. Il entra dans le dortoir. Ses deux mains d'hommes étaient
réveillées et ils s'équipaient.
Tandrag saisit son paquetage, ses armes
et son marteau. Quand il se dirigea vers la porte de Montaggone, dix
hommes le suivaient en petite foulée. Il décida de partir par la
porte du bas.
Sabda le regarda partir. Elle se
retourna vers sa mère :
- Le reverrons-nous ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire