dimanche 21 octobre 2012

Éeri l'avait serré dans ses bras quand il avait appris la nouvelle.
- Je savais, je savais, répétait-il trop ému pour dire autre chose.
Kalgar lui avait donné une bourrade dans le dos.
- Quand tout cela sera fini, j'espère que tu reviendras forger avec moi.
Chacun y avait été de son commentaire dans la maison de Kalgar. Talmab l'avait même embrassé ce qui l'avait fait rougir jusqu'aux oreilles.
Miasti l'avait taquiné comme à son habitude et Cilfrat l'avait félicité avec gravité.
- La guerre est une mauvaise chose, avait-elle dit.
Éeri n'avait rien ajouté mais Tandrag avait senti qu'il n'était pas d'accord. La guerre était sa raison de vivre. Un phalangiste aimait la guerre et l'honneur du beau combat. Mourir n'était pas si grave si on mourait avec l'Honneur. Cilfrat et Éeri avaient régulièrement eu des disputes autour de ce sujet. Maintenant leur relation était plus calme mais l'un comme l'autre évitaient le sujet.
Certains autres avaient réagi avec colère ou jalousie. Tandrag ne les avait pas entendus directement. On lui avait dit... On lui avait fait entendre que... Il ne pouvait ignorer que sa nomination à la place de Cralnak n'avait pas plu, surtout dans la maison Rinca. D'autres avaient fait des remarques acerbes comme Tigane qu'il avait rencontré chez la Solvette un jour qu'il faisait partie de la garde du Prince.
- Je ne t'aime pas, Tandrag. Je ne t'ai jamais aimé. C'est moi qui aurais dû être à ta place. On prend vraiment n'importe qui maintenant pour être konsyli.
Baissant la voix, il avait ajouté :
- Quiloma le regrettera !
Tandrag avait regardé dans la direction du prince, mais celui-ci accompagnait le Solvette dans sa pièce au fond. Il n'avait rien entendu parlant avec sa compagne. Tandrag regarda Tigane. Il n'arrivait pas à comprendre pourquoi il lui en voulait. Il ne lui avait rien fait, rien dit. Est-ce que le seul fait d'exister pouvait être intolérable à d'autres ? Il haussa les épaules et ressortit. Il avait pour mission d'aller voir le chef de ville pour lui demander de se présenter devant le prince pour faire un rapport sur les travaux. Depuis le début de la saison chaude, Quiloma avait exigé qu'on fasse des remparts et des défenses dignes de ce nom.
Les pluies étaient maintenant plus rares, voilà une main de jours qu'il faisait sec. La température montait avec les journées plus longues. Sans les menaces qui planaient, tout le monde serait en train de se réjouir de cette météo qui faisait du bien aux champs, aux hommes.
Tandrag vit Chan sur un échafaudage près de la porte du bas. Les hommes travaillaient dur. Ils avaient amené beaucoup de troncs pour renforcer ou pour dire plus vrai pour faire un rempart à la place de la palissade.
- Bonjour, Maître de ville.
Celui-ci se retourna en entendant qu'on lui parlait :
- Ah ! Tandrag. J'ai appris ta nomination, félicitations. Que me veux-tu ?
- Le Prince Quiloma souhaiterait vous voir pour parler des travaux.
- On sera prêt. J'irai le voir mais dis-lui déjà qu'on sera prêt.
Tandrag hocha la tête. En lui-même, il pensait que Chan mentait. Sa connaissance militaire était mince, mais jamais ce qu'il avait sous les yeux n'arrêterait une armée. Elle serait juste ralentie. Il se mit à espérer une intervention du Dieu-dragon puisque c'est lui qui maintenant était au sommet du panthéon de la ville.
Il fit un geste-ordre pour sa main de soldats et ils manœuvrèrent pour retourner dans la rue de la Solvette. Sabda sortait de la maison. Elle portait un panier. Il se prit à penser qu'elle était devenue... euh !... jolie. Elle éveillait en lui des sentiments inconnus.
- Tu pars chercher des herbes ?
- Ah ! Tu es là, toi !
Tandrag ne comprit pas. D'habitude, elle lui souriait. Encore quelqu'un qui lui en voulait alors qu'il n'avait rien fait de mal.
- Qu'est-ce qui se passe, Sabda ?
Elle continua à avancer sans lui répondre avec une moue au visage. Tandrag qui s'était arrêté, fit deux pas rapides, lui prit le bras et la força à se retourner vers lui :
- Qu'est-ce qui se passe ?
Il n'avait pas crié mais avait élevé la voix avec énervement. Sabda fronça les sourcils et lui dit le visage fermé :
- A cause de toi, Quiloma et ma mère se sont disputés !
Tandrag lâcha le bras de Sabda. Il n'en croyait pas ses oreilles. Là aussi, il se retrouvait au cœur d'évènements qu'il ne comprenait pas.
- Mais pourquoi ? bafouilla-t-il.
- Quiloma voulait savoir d'où tu venais vraiment et ma mère lui a répondit vertement qu'il n'avait pas à le savoir.
- Et je viens d'où ?
- J'en sais rien, moi, dit Sabda avec colère. Ce que je sais c'est que sans toi tout ça ne serait pas arrivé !
Sabda planta Tandrag là. Il resta immobile ne comprenant rien. Il avait la tête pleine de questions. Il fallait qu'il sache qui il était vraiment. Il fallait qu'il voie la Solvette et qu'il lui demande. Il en était là de ses réflexions quand Quiloma sortit brusquement de la maison de la Solvette. Il fit le geste-ordre de rassemblement autour de lui. Tandrag fit bouger ses hommes et les fit mettre en formation. Quiloma avait le visage fermé. Ils se mirent en mouvement vers Montaggone. Il était encore à la hauteur de la forge de Kalgar quand Qunienka arriva en courant :
- Prince, Prince, la patrouille du Mont Pelé vient d'arriver. Elle a des nouvelles !
Quiloma accéléra le pas. Arrivé à la porte de Montaggone, il se tourna vers Tandrag.
- Prépare-toi ! Demain tu prendras deux mains d'hommes et tu partiras vers la vallée du dragon. Tu iras patrouiller de l'autre côté de la vallée. Sois de retour dans deux mains de jours.
Tandrag fut étonné de l'ordre. Il fit un geste d'acceptation, et salua le prince. Qu'est-ce que cela voulait dire ? La deuxième partie de la journée fut réservée à la préparation de la patrouille.
Le soir venu, Tandrag eut l'autorisation de rentrer chez Kalgar. Il pensa que les nouvelles de la patrouille du Mont Pelé devaient être alarmantes. Bien que le prince ait gardé le silence sur le rapport de ses hommes, les ordres donnés laissaient penser que la bataille approchait à grands pas. Tandrag partait en mission de reconnaissance mais pour tous les autres les préparatifs étaient ceux de la formation de combat.
Il arriva à la forge au moment du repas. Il salua en entrant. Kalgar lui fit signe de s’asseoir à côté d'Éeri. L'atmosphère de la pièce était comme toujours chaleureuse et conviviale.
- Trecal...(Alors konsyli, tu pars en mission !)
Tandrag fut étonné que Éeri lui parle dans le langage des hommes du froid à la table commune. Il lui répondit pareil et aussi à voix basse :
- Smaln...( Je vais commander deux mains d'hommes et aller vers la vallée du dragon ! Si tout va bien, je le verrai de près.)
- Tsei...(Très bien ! Le Prince a su apprécier tes aptitudes. Cela n'a pas plu à certains, mais tu es là où tu dois être.)
- Trima...( Les nouvelles de Tichcou ne doivent pas être bonnes pour que Quiloma ordonne les préparatifs de combat. Il m'éloigne alors que la guerre arrive.)
- Quiloma... (Le Prince Quiloma est un Prince neuvième. Ce qu'il fait et décide est ce qu'il y a de mieux. Il saura nous mener à la victoire!)
- Sraa...( Tu n'aurais pas eu des nouvelles de ceux qui sont revenus par hasard?)
- Prad...( Donne ta parole de ne pas dire ce que tes oreilles vont entendre. C'est au Prince que reviennent le moment et le lieu de l'annonce.)
Tandrag regarda autour d'eux. Personne ne semblait s'occuper de leur discussion à mi-voix. On riait même au récit de Miasti.
- Quiloma...( Le Prince Quiloma a toute ma fidélité et ma discrétion. Le Dieu-dragon m'en est témoin. Je saurais me taire.)
Éeri apprécia que Tandrag utilise les formules de serment propre aux guerriers blancs. Il fut fier de l'enseignement qu'il lui dispensait depuis tout ce temps. Cela illumina son visage un bref instant puis son front redevint soucieux.
- Ivoho... (J'ai rencontré Ivoho. Ses yeux ont vu et ils ne mentent pas. La vallée de Tichcou est comme un lac où chaque goutte d'eau serait un soldat. Il n'a jamais vu autant d'hommes. Notre langue ne contient pas de mot pour dire autant. Nous pensions nous battre à deux mains d'hommes contre un. Ivoho pense que nous nous battrons à une phalange contre un. Il a vu la grande tente. Elle est plus grande que Montaggone. Là doit être le roi de ce peuple.)
Tandrag eut du mal à contenir sa réaction. Une armée aussi grande était impossible.
- Cmab...(Il faut que je reste pour combattre...)
- Tris...(Surtout pas. Le Prince sait ce qu'il fait. Le dragon a besoin qu'on l'aide. Même s'il est grand, il est encore jeune. D'autres hommes suivront tes traces. Le dragon est ce qu'il y a de plus précieux.)
Tandrag finit son repas en mangeant du bout des lèvres. Il ne fit pas attention aux regards que Kalgar et Talmab posaient sur lui. Quand hommes et femmes se séparèrent pour la soirée, il demanda à Kalgar la permission de sortir.
- Oui, Tandrag, mais nous parlerons à ton retour.
Tandrag le salua et sortit. La Solvette, il fallait qu'il voie la Solvette.
La soirée était belle. La température était douce. Il descendit vers la rivière en bas de la ville. Il arriva dans la rue de la Solvette, il fut étonné du nombre d'oiseaux qui allaient et venaient. Il frappa à la porte. Sabda vint lui ouvrir.
- Ah ! C'est toi. Ma mère avait raison. Entre, elle t'attend.
Sabda n'avait plus l'air en colère. Il pénétra dans la maison. Il fut étonné par l'ambiance. Habituellement il régnait calme et sérénité. En ce soir, il ne vit plus personne en soin. Par contre de nombreux charcs entraient et sortaient, d'autres animaux s'agitaient aussi par-ci par-là.
- Qu'est-ce qui se passe ? demanda Tandrag.
- Des forces s'accumulent autour de nous. Cotban et Sioultac vont s'affronter et nous sommes au milieu. Tu viens pour ton rêve ?
- Oui, non. Enfin oui.
La Solvette lui sourit.
- Sabda a raison. Ton rêve parle de dragon. Il te faudra l'affronter.
- Parle-moi de mes origines ! s'écria Tandrag.
- Ah ! Cela aussi est important. Assieds-toi.
La Solvette s'approcha de lui et prenant un tabouret s'installa à côté de lui.
- Il était une fois, dans cette longue nuit qui s'allonge quand on ne sait si l'hiver va tenir ou si la lumière reviendra, un rite pour que tourne la roue de la vie...

Quand Tandrag quitta la Solvette, il était secoué. Tout ce qu'il venait d'apprendre faisait beaucoup pour son esprit. Bien que fils de Chountic, il était fils d'étranger et même peut-être fils de prince. Il avait partie liée avec le dragon. Il pensa qu'il aurait à l'affronter pour le lier à lui. Tout n'était pas clair dans le récit de la Solvette. Il marcha lentement à la lumière de la lune pour retourner chez Kalgar. Son esprit s'arrêta un instant sur Talmab. Il comprenait maintenant ces gestes d'attention. Il était frère de lait de Miasti. L'idée lui plut. Il aurait eu à choisir une famille, il aurait choisi celle-là. Quand il atteignit la place du puits ventru, il entendit le cri. Sans jamais l'avoir entendu, il sut. Le dragon venait de lancer un cri d'alerte. Il se mit à courir vers Montaggone. Quand il y arriva, les torches brûlaient déjà. Le Prince était debout sur la butte de la parole. Il finissait de revêtir ses habits de combat. Quand il vit Tandrag, il lui fit signe. Quand il fut assez près, il lui dit :
- Prends tes hommes et pars sans attendre. La lune est claire. Ta mission sera de protéger le dragon et sa grotte.
- Mon Prince, Il a crié.
- Oui, konsyli, Il nous a prévenus. L'ennemi est en route. Maintenant va et ne reviens ici que si tout danger est écarté.
Quiloma se détourna de lui pour parler à Qunienka. Les ordres fusèrent. Tandrag avait pris le pas de course. Il entra dans le dortoir. Ses deux mains d'hommes étaient réveillées et ils s'équipaient.
Tandrag saisit son paquetage, ses armes et son marteau. Quand il se dirigea vers la porte de Montaggone, dix hommes le suivaient en petite foulée. Il décida de partir par la porte du bas.
Sabda le regarda partir. Elle se retourna vers sa mère :
- Le reverrons-nous ?

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