lundi 1 octobre 2012

Tandrag rêva.
Il marchait sur un sol dur et noir. Les roches étaient coupantes, acérées. Le ciel était composé de nuages noirs et bas fuyant vers un horizon improbable. Tout autour de lui, s'étendaient d'autres montagnes, d'autres monts en cône fumant et crachant du feu. Le vent était très chaud, très lourd. Tandrag se sentait fatigué. Il traînait le lourd marteau de Kalgar. Il ne savait pas pourquoi mais il ne pouvait le laisser. Il devait le transporter. Il montait vers le sommet, poussé par ses poursuivants. Dans ce monde minéral, il ne voyait aucune vie. Des reflets rougeoyants se reflétaient sur les nuages. C'est tout juste si à l'horizon la lumière prenait des teintes jaunes d'or.
Tandrag sentait tous ses muscles tendus par l'effort. Chaque pas le conduisait un peu plus haut.
Il s'arrêtait de plus en plus souvent pour reprendre souffle. Sa poitrine brûlait à chaque inspiration. Du repos, il lui fallait du repos. C'est à ce moment que venait le Hurlement. La peur déversait en lui son énergie. Il repartait pour fuir ceux qui étaient pires que des loups. Il longeait maintenant une crête. De chaque côté la pente était terrifiante. Tandrag ne pensait plus. Il posait un pas, puis un autre pas. Seul le pas d'après comptait. S'appuyant sur le solide marteau, il évita vingt fois la chute. Derrière, même s'il ne les voyait pas, il savait qu'ils se rapprochaient. Il monta encore pour passer un nouveau pic.
Arrivé en haut, il fit une pause. Son regard embrassa tout l'horizon. Tout en haletant, il s'aperçut qu'il était au bout du chemin. Devant lui il vit un précipice. Loin en bas, des ombres cachaient le sol. Loin devant, d'autres montagnes barraient l'horizon. D'un côté comme de l'autre, il découvrit le même paysage. Se retournant, il vit la sombre colonne monter en hurlant. Trop, ils étaient trop pour qu'il puisse lutter. Il recula d'un pas. La pierre noire céda sous son poids. Il tomba.
Tandrag se sentait flotter. Le paysage défilait sous lui comme s'il volait. Il utilisa le marteau qu'il n'avait pas lâché pour se diriger. S'il le prenait à droite, il tournait par là, s'il le prenait à gauche, il partait du même côté. Il vécut des moments grisants à frôler les montagnes noires. Il se sentait devenir fort. De son marteau, il cueillit le feu dans un des monts fumants. Il le jeta sur la terre, enflammant les pentes. Il partit d'un grand rire. Il vit la colonne noire de ses poursuivants. Son feu les réduit en cendre. Il en éprouva une joie intense presque douloureuse. Il était oiseau. De ses serres puissantes, il fit une arme pour pourchasser les fuyards. Quand sur la terre noire ne resta que le souvenir de ceux qui étaient pires que les loups, il ferma les yeux. Le choc fut rude.
Tandrag se réveilla en sursaut. Il ne savait pas où il était. Il mit un petit moment à reprendre ses esprits, à écouter les bruits de la maison, les craquements nocturnes. Les souvenirs, revinrent. Le smalko devait refroidir maintenant. Il se retourna sur l'autre côté pour se rendormir.
Il se retrouva au bord d'un lac. Le ciel était bleu, le vent calme. Le soleil réchauffait sa peau. Il entendit le chant d'un oiseau. Tandrag ressentit le désir de l'avoir près de lui. Tendant un doigt, il essaya d'imiter le chant entendu. Il vit arriver la boule de plumes dorées. Il en fut très heureux. Il leva la main plus haut pour attirer l'oiseau. Quand ce dernier fut tout près, Tandrag s'aperçut que ce n'était pas un oiseau dorée mais un petit dragon. Cela lui sembla évident.
- Tu es bien petit pour me porter.
- Toi aussi tu es bien petit pour vouloir un grand dragon, dit le dragon.
- Je ne voulais pas te vexer, dit Tandrag, tu es très beau et tu vas grandir.
Le petit dragon émit une sorte de roucoulement qui enchanta le cœur de Tandrag . Plus rien ne serait comme avant. Il avait son dragon et plus rien d'autre n'avait d'importance. Sur sa main qui grandissait, il vit le dragon grandir. Bientôt au bord du lac, il y eut un homme tenant sur son poing un immense dragon.
- Maintenant ! hurla l'homme qu'était devenu Tandrag.
D'un puissant coup d'ailes, le dragon s'éleva dans les airs. Ses serres s'étaient refermées sur le poing de l'homme, l'emportant avec lui dans son vol. Le dragon d'un même mouvement envoya l'homme loin devant lui et plongea. Il se retrouva juste sous Tandrag-homme au moment où celui-ci arrivait au sommet de sa trajectoire. Glissant sur le cou du grand saurien, Tandrag homme se retrouva assis sur le dos. La place était faite pour lui. Malgré les puissants coups d'ailes qui les emmenaient toujours plus haut, il ne bougeait pas. Tandrag-homme siffla une longue modulation. Le dragon vira sur l'aile en accélérant. Tout alla plus vite, de plus en plus vite. Le monde devint comme un brouillard qui défilait de part et d'autre d'eux. Quand tout redevint normal, ils survolaient une région blanche. Le ciel était blanc, la terre était blanche, les montagnes étaient blanches. Le dragon se posa devant une grande grotte, blanche elle aussi. Sur les murs couraient des dessins noirs. Tandrag-homme fixa son regard dessus. Les traits s’arrêtèrent. Tandrag comprit que ces signes étaient savoir. Il les toucha. Ils reprirent leur danse de sur ses bras, son torse, son visage. Bientôt il fut couvert de signes qui ondulaient sur sa peau, passant d'une région à l'autre. Il se mit à entendre des sons, à voir des images. Il y eut un éclair dans son esprit. La vérité fut en lui.
Tandrag se réveilla sous le choc. Il faisait encore nuit mais déjà il entendait le bruit des foyers qu'on rallume. Le jour approchait. Il pensa au smalko et à la Solvette. Peut-être pourrait-elle lui expliquer ce curieux rêve ?

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