Tandrag rêva.
Il marchait sur un sol dur et noir. Les
roches étaient coupantes, acérées. Le ciel était composé de
nuages noirs et bas fuyant vers un horizon improbable. Tout autour de
lui, s'étendaient d'autres montagnes, d'autres monts en cône fumant
et crachant du feu. Le vent était très chaud, très lourd. Tandrag
se sentait fatigué. Il traînait le lourd marteau de Kalgar. Il ne
savait pas pourquoi mais il ne pouvait le laisser. Il devait le
transporter. Il montait vers le sommet, poussé par ses poursuivants.
Dans ce monde minéral, il ne voyait aucune vie. Des reflets
rougeoyants se reflétaient sur les nuages. C'est tout juste si à
l'horizon la lumière prenait des teintes jaunes d'or.
Tandrag sentait tous ses muscles tendus
par l'effort. Chaque pas le conduisait un peu plus haut.
Il s'arrêtait de plus en plus souvent
pour reprendre souffle. Sa poitrine brûlait à chaque inspiration.
Du repos, il lui fallait du repos. C'est à ce moment que venait le
Hurlement. La peur déversait en lui son énergie. Il repartait pour
fuir ceux qui étaient pires que des loups. Il longeait maintenant
une crête. De chaque côté la pente était terrifiante. Tandrag ne
pensait plus. Il posait un pas, puis un autre pas. Seul le pas
d'après comptait. S'appuyant sur le solide marteau, il évita vingt
fois la chute. Derrière, même s'il ne les voyait pas, il savait
qu'ils se rapprochaient. Il monta encore pour passer un nouveau pic.
Arrivé en haut, il fit une pause. Son
regard embrassa tout l'horizon. Tout en haletant, il s'aperçut qu'il
était au bout du chemin. Devant lui il vit un précipice. Loin en
bas, des ombres cachaient le sol. Loin devant, d'autres montagnes
barraient l'horizon. D'un côté comme de l'autre, il découvrit le
même paysage. Se retournant, il vit la sombre colonne monter en
hurlant. Trop, ils étaient trop pour qu'il puisse lutter. Il recula
d'un pas. La pierre noire céda sous son poids. Il tomba.
Tandrag se sentait flotter. Le paysage
défilait sous lui comme s'il volait. Il utilisa le marteau qu'il
n'avait pas lâché pour se diriger. S'il le prenait à droite, il
tournait par là, s'il le prenait à gauche, il partait du même
côté. Il vécut des moments grisants à frôler les montagnes
noires. Il se sentait devenir fort. De son marteau, il cueillit le
feu dans un des monts fumants. Il le jeta sur la terre, enflammant
les pentes. Il partit d'un grand rire. Il vit la colonne noire de ses
poursuivants. Son feu les réduit en cendre. Il en éprouva une joie
intense presque douloureuse. Il était oiseau. De ses serres
puissantes, il fit une arme pour pourchasser les fuyards. Quand sur
la terre noire ne resta que le souvenir de ceux qui étaient pires
que les loups, il ferma les yeux. Le choc fut rude.
Tandrag se réveilla en sursaut. Il ne
savait pas où il était. Il mit un petit moment à reprendre ses
esprits, à écouter les bruits de la maison, les craquements
nocturnes. Les souvenirs, revinrent. Le smalko devait refroidir
maintenant. Il se retourna sur l'autre côté pour se rendormir.
Il se retrouva au bord d'un lac. Le
ciel était bleu, le vent calme. Le soleil réchauffait sa peau. Il
entendit le chant d'un oiseau. Tandrag ressentit le désir de l'avoir
près de lui. Tendant un doigt, il essaya d'imiter le chant entendu.
Il vit arriver la boule de plumes dorées. Il en fut très heureux.
Il leva la main plus haut pour attirer l'oiseau. Quand ce dernier fut
tout près, Tandrag s'aperçut que ce n'était pas un oiseau dorée
mais un petit dragon. Cela lui sembla évident.
- Tu es bien petit pour me porter.
- Toi aussi tu es bien petit pour
vouloir un grand dragon, dit le dragon.
- Je ne voulais pas te vexer, dit
Tandrag, tu es très beau et tu vas grandir.
Le petit dragon émit une sorte de
roucoulement qui enchanta le cœur de Tandrag . Plus rien ne
serait comme avant. Il avait son dragon et plus rien d'autre n'avait
d'importance. Sur sa main qui grandissait, il vit le dragon grandir.
Bientôt au bord du lac, il y eut un homme tenant sur son poing un
immense dragon.
- Maintenant ! hurla l'homme
qu'était devenu Tandrag.
D'un puissant coup d'ailes, le dragon
s'éleva dans les airs. Ses serres s'étaient refermées sur le poing
de l'homme, l'emportant avec lui dans son vol. Le dragon d'un même
mouvement envoya l'homme loin devant lui et plongea. Il se retrouva
juste sous Tandrag-homme au moment où celui-ci arrivait au sommet de
sa trajectoire. Glissant sur le cou du grand saurien, Tandrag homme
se retrouva assis sur le dos. La place était faite pour lui. Malgré
les puissants coups d'ailes qui les emmenaient toujours plus haut, il
ne bougeait pas. Tandrag-homme siffla une longue modulation. Le
dragon vira sur l'aile en accélérant. Tout alla plus vite, de plus
en plus vite. Le monde devint comme un brouillard qui défilait de
part et d'autre d'eux. Quand tout redevint normal, ils survolaient
une région blanche. Le ciel était blanc, la terre était blanche,
les montagnes étaient blanches. Le dragon se posa devant une grande
grotte, blanche elle aussi. Sur les murs couraient des dessins noirs.
Tandrag-homme fixa son regard dessus. Les traits s’arrêtèrent.
Tandrag comprit que ces signes étaient savoir. Il les toucha. Ils
reprirent leur danse de sur ses bras, son torse, son visage. Bientôt
il fut couvert de signes qui ondulaient sur sa peau, passant d'une
région à l'autre. Il se mit à entendre des sons, à voir des
images. Il y eut un éclair dans son esprit. La vérité fut en lui.
Tandrag se réveilla sous le choc. Il
faisait encore nuit mais déjà il entendait le bruit des foyers
qu'on rallume. Le jour approchait. Il pensa au smalko et à la
Solvette. Peut-être pourrait-elle lui expliquer ce curieux rêve ?
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