Quiloma avait décidé. Il fallait se
préparer à la guerre.
Tandrag, à son retour, avait rejoint
la forge. Son récit et celui des autres avaient circulé dans la
ville. Ils étaient malheureusement rentrés trop tard pour empêcher
le départ de l'autre phalange. Un émissaire était parti rapidement
pour essayer de la rattraper. Sioultac en avait décidé autrement.
La tempête avait cloué aux abris tout le monde. Le messager était
revenu quelques jours plus tard plus mort que vif. La Solvette avait
dû se résoudre à l'amputer de tout ce qui avait trop gelé.
Pendant quelques jours, tout le monde
commenta ce qui se passait, ce qui devait être fait ou pas fait. Il
y avait ceux qui étaient favorables à la bataille, il y avait ceux
qui préféraient fuir et au milieu beaucoup qui souhaitaient que
rien n'arrive dont Chan.
- Croyez-vous, maître-sorcier Natckin,
qu'on aura la guerre ?
- J'ai fait un rite de divination. Son
résultat m'a surpris. J'ai demandé au Maître Sorcier Kyll de
m'aider. Il a aussi fait un rite. Les esprits lui ont dit comme à
moi. Il n'y a qu'un chemin et il est noir.
- Ils ne peuvent pas nous aider pour
savoir comment éviter cela ?
- Maître de ville, les esprits ne sont
pas à notre service. Ils acceptent de nous montrer ce qu'ils veulent
bien ou qu'ils peuvent nous montrer. Ils n'ont pas la puissance pour
agir sur le cours des choses. Seuls les grands esprits comme Sioultac
ou Cotban pourraient influer.
- On peut les prier, leur faire des
sacrifices, enfin faire quelque chose !
- Tu es encore dans l'erreur, Maître
de ville. Ils vivent dans un monde qui n'est pas le nôtre et leurs
idées sont aussi éloignées de nous que les nôtres sont éloignées
de celles des insectes.
- Ils ont dit si le chemin deviendrait
plus clair ?
- Non, ils ne savent pas eux-mêmes.
Ils voient l’empreinte du combat des dieux. Hut, le fondateur,
lui-même a peur. Il a fondé la ville pour fuir la guerre et la
guerre arrive. Le Maître-Sorcier Kyll m'a dit que son esprit
refuserait de répondre à partir de maintenant.
Tandrag avait entendu une partie de
leur conversation par hasard. Venu livrer des outils, il avait un peu
traîné en route. Il arrivait à un carrefour quand il avait entendu
les voix de Natckin et de Chan. Il s'était arrêté pour écouter et
les avait vus passer devant lui sans le voir. Il repartit vers la
forge perplexe. Il ne comprenait pas bien ce que tout cela allait
impliquer.
Quelques jours après les ordres
étaient arrivés. Tout le monde allait être mis en armes. Les plus
jeunes comme Tandrag devaient rejoindre Montaggone. Les plus âgés
et les femmes avaient pour mission de s’entraîner à domicile et
sur leurs lieux de travail. La vie de la ville avait considérablement
changé en quelques jours. Même les sorciers étaient enrôlés.
C'est là qu'ils avaient pu mesurer les limites de leur pouvoir sur
Quiloma. Le prince avait décidé de ne pas se priver de ces soldats
potentiels. Chan et Natckin avaient tenté de négocier avec Quiloma.
Il s'était montré inflexible. Les sorciers jeunes feraient comme
tout le monde. L'arrivée de Kyll lui avait fait lâcher du lest.
C'est ainsi que Natckin, Tonlen, Tasmi et quelques autres avaient été
exemptés.
Ils avaient longuement discuté avec
Kyll avant que celui-ci ne reparte à la grotte de la médiation.
Tandrag avait entendu parler de leur
déception. Le Maître-Sorcier avait annoncé la nécessité de finir
une mission de la plus haute importance pour l'avenir. Tandrag avait
même eu droit au mime de Kyll par Chamnoul : « Je ne sais
si nous survivrons, mais je suis seul responsable de ce qui doit être
fait pour que nous vivions. ». Nul ne savait ce qu'il avait
voulu dire mais tous désapprouvaient son départ. Les réactions
allaient d'un silence gêné à une accusation franche de lâcheté.
Tandrag était un des rares à oser dire que le Maître-Sorcier
devait avoir de bonnes raisons.
Le quotidien était fait d'exercices,
d'entraînement, de patrouilles de manière ininterrompue. L'autre
endroit sans repos était la forge qui fonctionnait sans discontinuer
pour fournir des armes.
Quiloma autorisa la fête de la
dernière neige. On s'y amusa peu. Beaucoup se saoulèrent pour
oublier ce qui était annoncé. Plus la saison avançait et plus le
risque augmentait. Tandrag s'était isolé dans un coin avec un pot
de malch. La nuit tombait quand Sabda vint s’asseoir à côté de
lui.
- Tu restes seul en ce soir de fête.
- La guerre ne me fait pas rêver.
- Moi non plus ! Ma mère dit
qu'on ne pourra pas l'éviter. Elle sent de grandes forces à
l’œuvre.
- Et toi qu'en penses-tu ?
- Les charcs sont énervés. Ils
surveillent le dragon.
Le cœur de Tandrag fit un bond dans sa
poitrine à l'évocation du dragon.
- Comment est-il ?
- Il a encore grandi. Les guerriers
blancs disent qu'il est grand comme dans les légendes.
- Cela fait longtemps que je ne l'ai
pas vu.
Sabda nota la note de tristesse dans
les paroles de Tandrag. Celui-ci but un peu de malch. Prenant
conscience de Sabda à côté de lui, il lui en proposa.
- Merci Tandrag, mais ma mère ne veut
pas. Et elle a raison. Je perds ma sensibilité pour lire les
signes...
Tandrag se redressa, semblant se
rappeler quelque chose. Il fouilla dans sa musette. Sabda le regarda
faire.
- Tu m'avais dit de faire un piège à
rêves avec un toile-piège de noirefileuse, dit Tandrag en sortant
le rameau de spimjac qu'il avait soigneusement conservé entre deux
larges feuilles. Je le porte toujours avec moi depuis cette première
patrouille. Tu pourrais me dire ce que cela veut dire ?
Sabda prit l'anneau avec la toile-piège
que lui tendait Tandrag. Dans la lumière du soir, elle regarda les
entrelacements de fils. Elle fit tourner l'anneau, dans un sens puis
dans l'autre, le mit entre elle et la lumière. Elle se gratta la
gorge.
- Alors ? fit Tandrag.
- C'est difficile... Ton rêve parle de
puissance... de la tienne... mais pour y arriver, il te faudra
traverser des épreuves... je ne sais pas bien lesquelles...
Tandrag était suspendu aux lèvres de
Sabda qui continuait à jouer avec le piège à rêves.
- C'est un rêve puissant que le
tien... Il est encore inscrit dans la toile-piège malgré tous ces
jours. Il te faudra rencontrer le dragon, et l'affronter...
- Affronter le dragon ? Mais je ne
pourrai jamais !
- Affronter n'est pas le mot exact mais
je ne sais pas le mot... Il faut... Il faut... NON !!!
Sabda sauta sur ses pieds et prit ses
jambes à son cou avant que Tandrag eut compris.
- Et Knam ! dit Tandrag en
ramassant le piège à rêves. Il le rangea soigneusement dans sa
musette. Il se rassit et se remit à boire. Affronter le dragon :
l'idée était délirante. Comment pouvait-on affronter ce dont on
rêvait ?
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