lundi 8 octobre 2012

C'est après la fête des rencontres que Tandrag prit la mesure des changements. Quand ils étaient rentrés de leur périple, on les avait accueillis comme des hommes et non pas comme des enfants. Il avait bien aimé. Kalgar l'avait félicité. Il en avait eu le rouge aux joues. Sealminc l'avait bouleversé avec son : « J'ai eu peur pour toi ! ». En rentrant, Tandrag pensait que ce qui leur était arrivé, était normal. Il l'avait fait parce qu'il fallait le faire, il ne voyait pas l'exploit. A part quelques engelures, ils étaient tous rentrés en bonne santé. Ce qui n'était pas le cas d'une des patrouilles qui avait disparu corps et biens. C'est grâce aux regards des autres qu'il avait compris. Ses compagnons avaient raconté leur parcours en l'enjolivant plus ou moins volontairement. Tandrag avait été convoqué par les sorciers pour raconter. Comme toujours, ils posaient beaucoup de questions mais en disaient peu. Lors de la fête des rencontres qui avait eu lieu le lendemain de leur retour, il avait dû raconter encore et encore son histoire. Éeri avait été particulièrement intéressé et lui avait fait préciser des détails. Ses souvenirs de la fête étaient vagues. Reconnu comme « maître » Tandrag, il avait trinqué avec beaucoup de gens, beaucoup trop pour rester lucide. Quand il s'était réveillé après la fête, il avait mal à la tête et un goût désagréable dans la bouche. A la forge, on lui avait expliqué en rigolant, que tout ceci était normal, qu'il fallait qu'il s'entraîne un peu s'il voulait tenir un peu mieux le malch noir. Malgré son malaise, il s'occupa du feu. Qunienka entra dans la forge. Il cligna un peu des yeux en passant de la lumière à l'ombre. Kalgar qui l'avait vu se dirigea vers lui. Qunienka était accompagné d'Éeri. Il fit un geste, désignant Tandrag. Ce dernier eut une bouffée de chaleur. Qu'avait-il fait pour qu'on vienne le chercher ?
- Le prince veut te voir, lui dit Éeri.
- Pourquoi ? demanda Tandrag.
- Ne discute pas, lui dit Éeri, le prince n'aime pas attendre.
Tandrag regarda le maître de la forge. Kalgar lui fit signe d'y aller. Tandrag posa son tablier, et alla vers les extérieurs comme on les appelait encore. Qunienka dit quelques mots à Éeri.
- Le prince veut que tu viennes avec ton marteau, lui dit Éeri en se tournant vers Tandrag.
L'un derrière l'autre, ils allèrent au Montaggone. C'est ainsi qu'était nommé l'ancien temple par les guerriers blancs. Tandrag y entrait pour la première fois. Il fut impressionné, moins que s'il avait connu l'ancien temple. Les remparts n'avaient plus rien de symbolique. Ils étaient hauts et larges. La cour de cérémonie avait été agrandie au détriment de certains bâtiments. Le temple était toujours debout mais l'intérieur était devenu salle commune pour les soldats. Qunienka conduisit Tandrag et Éeri vers la droite vers une petite bâtisse. La porte était juste surmontée d'un dragon stylisé. Tandrag fut époustouflé par la pureté du trait. Oui ! C'était bien ça. On n'avait pas besoin de tout dessiner pour rendre la pureté et la puissance de la bête. Il contempla le dessin oubliant d'avancer. Éeri revint en arrière pour le chercher en le gourmandant. Tandrag rougit jusqu'aux oreilles mais ne répondit rien et avança. La pièce où il pénétra était assez petite. Un réchaud brûlait dans un coin donnant une chaleur douce. Le prince discutait avec Sstanch. Qunienka mit un genou à terre. Éeri pencha la tête bien bas. Tandrag ne savait quoi faire. Il posa son marteau et mit sa main droite ouverte sur sa poitrine en penchant la tête. Quiloma le regarda. Son regard était moins acéré que celui de la Solvette. Tandrag se posait en permanence la question de ce qu'il venait faire ici. Dans sa langue, le prince lui demanda d'approcher. Tandrag obéit. Il vit l'étonnement dans le regard de son interlocuteur.
- Cren..(Tu comprends ce que je dis?)
- Non pas tout.
- On dit : Non, prince ! le reprit Sstanch.
Quiloma leva la main en signe d'agacement. Sstanch se tut. Continuant dans sa langue, Quiloma lui demanda de raconter son voyage. Tandrag fit un récit succinct, évitant de se mettre en avant et évitant les enjolivements. Quiloma l'arrêta une fois ou deux pour demander à Éeri des précisions sur le langage de Tandrag.
- Les autres disent que le tooteme ourse est venuu vous délivrrer des looups ?
- Il ne ressemblait pas à un ours.
- Tu l'as vu de près, dit Éeri, décris-le pour le prince.
- C'est une grosse, très grosse bête. Elle n'a pas fait de bruit et elle a frappé les loups tellement vite que sans les cris des autres j'aurais douté de l'avoir vu.
- Crammplac, dit Qunienka.
Quiloma hocha la tête en signe d’acquiescement.
- Tranc...(C'est celui qui a attaqué le Bras du Prince Majeur et qui m'a blessé. Son comportement est très curieux...)
Si Tandrag ne comprit pas tout, il comprenait que la bête qu'il avait vue n'était pas un ours, mais un animal du monde des guerriers blancs. Il écoutait les hypothèses des autres qui semblaient l'avoir oublié. Il y eut un silence et le prince se tourna vers lui.
- Tu es un jeune gueerrrrier cuuurieuh ! Rdam...
Tandrag écouta comprenant le sens général des paroles du prince. Il fit la moue. Il ne voulait pas devenir soldat pour le prince, ni pour défendre la ville. Le feu de la forge l’intéressait beaucoup plus. Sstanch qui voyait son manque d'enthousiasme, fronça les sourcils et intervint :
- Tu ne peux pas refuser, Tandrag, fils de Chountic. C'est inespéré pour toi.
- Je préfère la forge, maître Sstanch. Le feu est tellement beau !
Quiloma ne l'avait pas quitté des yeux. Il vit le regard de Tandrag qui s'illuminait en parlant de feu. Il fronça les sourcils, parut réfléchir un instant et dit :
- Tu feras moitié de jours à la forge et moitié de jours avec les soldats. Éeri, spri... (tu lui apprendras notre langue et tu veilleras à ce qu'il fasse ce qui doit être fait.)
Ce dernier inclina la tête en disant : «  Ay ! Ay ! Nva Quiloma ! »

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