C'est après la fête des rencontres
que Tandrag prit la mesure des changements. Quand ils étaient
rentrés de leur périple, on les avait accueillis comme des hommes
et non pas comme des enfants. Il avait bien aimé. Kalgar l'avait
félicité. Il en avait eu le rouge aux joues. Sealminc l'avait
bouleversé avec son : « J'ai eu peur pour toi ! ».
En rentrant, Tandrag pensait que ce qui leur était arrivé, était
normal. Il l'avait fait parce qu'il fallait le faire, il ne voyait
pas l'exploit. A part quelques engelures, ils étaient tous rentrés
en bonne santé. Ce qui n'était pas le cas d'une des patrouilles qui
avait disparu corps et biens. C'est grâce aux regards des autres
qu'il avait compris. Ses compagnons avaient raconté leur parcours en
l'enjolivant plus ou moins volontairement. Tandrag avait été
convoqué par les sorciers pour raconter. Comme toujours, ils
posaient beaucoup de questions mais en disaient peu. Lors de la fête
des rencontres qui avait eu lieu le lendemain de leur retour, il
avait dû raconter encore et encore son histoire. Éeri avait été
particulièrement intéressé et lui avait fait préciser des
détails. Ses souvenirs de la fête étaient vagues. Reconnu comme
« maître » Tandrag, il avait trinqué avec beaucoup de
gens, beaucoup trop pour rester lucide. Quand il s'était réveillé
après la fête, il avait mal à la tête et un goût désagréable
dans la bouche. A la forge, on lui avait expliqué en rigolant, que
tout ceci était normal, qu'il fallait qu'il s'entraîne un peu s'il
voulait tenir un peu mieux le malch noir. Malgré son malaise, il
s'occupa du feu. Qunienka entra dans la forge. Il cligna un peu des
yeux en passant de la lumière à l'ombre. Kalgar qui l'avait vu se
dirigea vers lui. Qunienka était accompagné d'Éeri. Il fit un
geste, désignant Tandrag. Ce dernier eut une bouffée de chaleur.
Qu'avait-il fait pour qu'on vienne le chercher ?
- Le prince veut te voir, lui dit Éeri.
- Pourquoi ? demanda Tandrag.
- Ne discute pas, lui dit Éeri, le
prince n'aime pas attendre.
Tandrag regarda le maître de la forge.
Kalgar lui fit signe d'y aller. Tandrag posa son tablier, et alla
vers les extérieurs comme on les appelait encore. Qunienka dit
quelques mots à Éeri.
- Le prince veut que tu viennes avec
ton marteau, lui dit Éeri en se tournant vers Tandrag.
L'un derrière l'autre, ils allèrent
au Montaggone. C'est ainsi qu'était nommé l'ancien temple par les
guerriers blancs. Tandrag y entrait pour la première fois. Il fut
impressionné, moins que s'il avait connu l'ancien temple. Les
remparts n'avaient plus rien de symbolique. Ils étaient hauts et
larges. La cour de cérémonie avait été agrandie au détriment de
certains bâtiments. Le temple était toujours debout mais
l'intérieur était devenu salle commune pour les soldats. Qunienka
conduisit Tandrag et Éeri vers la droite vers une petite bâtisse.
La porte était juste surmontée d'un dragon stylisé. Tandrag fut
époustouflé par la pureté du trait. Oui ! C'était bien ça.
On n'avait pas besoin de tout dessiner pour rendre la pureté et la
puissance de la bête. Il contempla le dessin oubliant d'avancer.
Éeri revint en arrière pour le chercher en le gourmandant. Tandrag
rougit jusqu'aux oreilles mais ne répondit rien et avança. La pièce
où il pénétra était assez petite. Un réchaud brûlait dans un
coin donnant une chaleur douce. Le prince discutait avec Sstanch.
Qunienka mit un genou à terre. Éeri pencha la tête bien bas.
Tandrag ne savait quoi faire. Il posa son marteau et mit sa main
droite ouverte sur sa poitrine en penchant la tête. Quiloma le
regarda. Son regard était moins acéré que celui de la Solvette.
Tandrag se posait en permanence la question de ce qu'il venait faire
ici. Dans sa langue, le prince lui demanda d'approcher. Tandrag
obéit. Il vit l'étonnement dans le regard de son interlocuteur.
- Cren..(Tu comprends ce que je dis?)
- Non pas tout.
- On dit : Non, prince ! le
reprit Sstanch.
Quiloma leva la main en signe
d'agacement. Sstanch se tut. Continuant dans sa langue, Quiloma lui
demanda de raconter son voyage. Tandrag fit un récit succinct,
évitant de se mettre en avant et évitant les enjolivements. Quiloma
l'arrêta une fois ou deux pour demander à Éeri des précisions sur
le langage de Tandrag.
- Les autres disent que le tooteme
ourse est venuu vous délivrrer des looups ?
- Il ne ressemblait pas à un ours.
- Tu l'as vu de près, dit Éeri,
décris-le pour le prince.
- C'est une grosse, très grosse bête.
Elle n'a pas fait de bruit et elle a frappé les loups tellement vite
que sans les cris des autres j'aurais douté de l'avoir vu.
- Crammplac, dit Qunienka.
Quiloma hocha la tête en signe
d’acquiescement.
- Tranc...(C'est celui qui a attaqué
le Bras du Prince Majeur et qui m'a blessé. Son comportement est
très curieux...)
Si Tandrag ne comprit pas tout, il
comprenait que la bête qu'il avait vue n'était pas un ours, mais un
animal du monde des guerriers blancs. Il écoutait les hypothèses
des autres qui semblaient l'avoir oublié. Il y eut un silence et le
prince se tourna vers lui.
- Tu es un jeune gueerrrrier
cuuurieuh ! Rdam...
Tandrag écouta comprenant le sens
général des paroles du prince. Il fit la moue. Il ne voulait pas
devenir soldat pour le prince, ni pour défendre la ville. Le feu de
la forge l’intéressait beaucoup plus. Sstanch qui voyait son
manque d'enthousiasme, fronça les sourcils et intervint :
- Tu ne peux pas refuser, Tandrag, fils
de Chountic. C'est inespéré pour toi.
- Je préfère la forge, maître
Sstanch. Le feu est tellement beau !
Quiloma ne l'avait pas quitté des
yeux. Il vit le regard de Tandrag qui s'illuminait en parlant de feu.
Il fronça les sourcils, parut réfléchir un instant et dit :
- Tu feras moitié de jours à la forge
et moitié de jours avec les soldats. Éeri, spri... (tu lui
apprendras notre langue et tu veilleras à ce qu'il fasse ce qui doit
être fait.)
Ce dernier inclina la tête en disant :
« Ay ! Ay ! Nva Quiloma ! »
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