mercredi 14 novembre 2012

Puissanmarto fut heureux de retrouver la forge. C'était un bâtiment bas, appuyé sur le rempart de la citadelle. Il y faisait plutôt sombre. Le chef de forge était un Izuus. Grand, large d'épaules, fort en gueule, il faisait tourner son équipe à coups de bourrades ou de cris. Il vit arriver Puissanmarto accompagné par un soldat. Il le regarda de haut en bas comme pour le jauger. Il eut droit à un coin pour dormir, une case dans le mur pour mettre les affaires qu'il n'avait pas mais qu'il aurait. Il eut droit aussi à tous les regards quand il arriva dans l'atelier. Il arrivait précédé de tous les bruits. Il était le héros qui avait éliminé Fahiny et qui avait rompu la malédiction qui arrachait les enfants à leur famille. Certains l'avait vu au cours de la fête donné en l'honneur de la fin de la « sorcière » comme le disaient les prêtres. Il avait ainsi rencontré pour la première fois le clergé de la ville de Maskusa. Ils l'avaient interrogé sur ses croyances religieuses. Il avait répondu qu'il avait tout oublié. Comme il allait à la forge, le prêtre qui l'avait rencontré, avait conclu que Frapnal serait celui qui lui enseignerait la vraie foi. C'est la première fois que Puissanmarto entendait le nom du maître de la forge.
- Tu vas me montrer ce que tu sais faire. Voici le deuxième feu, tu vas le maintenir à la bonne température. Aujourd'hui, on doit forger des pointes de lances.
Sur ces seules paroles, il s'en alla à l'autre bout de la forge. Puissanmarto regarda les uns, les autres et le foyer. Il ne le sentait pas à la bonne température pour faire rougir le métal correctement. Il vit aussi les sourires goguenards autour de lui. Frapnal avait décidé de le tester et bien, il allait voir. Puissanmarto demanda où était le combustible. On lui montra un tas de charbon de bois. Il le trouva de qualité médiocre. Il faudrait faire avec.        
Il revint avec un chargement et s'installa près du feu. Comme toujours, il se mit à parler au feu à voix basse. Comme toujours ? Il avait l'impression d'avoir fait comme cela d'autres fois. Il ne vit pas les sourires s'effacer sur le visage des autres quand ils virent le feu se mettre à ronfler. Il y avait les Izuus qui forgeaient et les prismens qui devaient s'occuper des feux. Frapnal passa son nez une ou deux fois dans l'après-midi pour surveiller. Il vit les hommes martelant avec entrain. A la fin de la journée. Les Izuus avaient le sourire, avec un tel feu, ils avaient fabriqué beaucoup de pièces. La paye serait bonne. Les prismens regardaient Puissanmarto avec respect et envie. Aucun d'eux n'avait ce savoir-faire. Frapnal arriva. Quand il vit le tas de fers de lances, il fronça les sourcils :
- Dera...(Vous avez fait ça dans la journée?)
- Da, ramt...(non, dans la demi-journée!)
Frapnal siffla entre ses dents pour signifier son admiration. Il alla voir le feu. Puissanmarto le préparait pour la nuit. Il regarda la consommation de charbon de bois. De nouveau, il siffla entre ses dents.
- Bon, Puissanmarto, tu vas rester à ce poste quelque temps. On a beaucoup de travail avec ce qui se passe.
Puis s'adressant à tous, il ajouta
- On reprend demain à l'aube.
Puissanmarto alla vers son coin pour la nuit. Il vit un des prismens revenir avec un grand pot de boisson.
- Tu ne vas pas partir comme ça, Puissanmarto ! Il faut quand même qu'on fête ton arrivée.
L'homme qui lui disait cela, lui fit signe de venir. Dans un coin de l'atelier, les autres dressaient une table.
- Si Fahiny t'as volé la mémoire, elle ne t'a pas volé ton savoir-faire. J'ai jamais vu conduire un feu aussi bien.
- La paye va être bonne, dit un autre qui amenait les timbales.
- La paye va être bonne ? demanda Puissanmarto.
- Oui, plus les Izuus forgent de pièces et plus ils gagnent, mais nous comme on touche sur chaque pièce forgée, on gagne plus aussi.
- Si on maintient le feu comme ça jusqu'à la fête des greniers, ça sera parfait. Non seulement les Izuus seront contents, mais on passera l'hiver sans problème.
- Pourquoi faut-il faire autant d'armes ? demanda Puissanmarto.
- Ah ! C'est vrai que tu ne sais rien. Il y a la guerre.
- La guerre ?
- Oui, le roi est mort. Ses généraux se battent pour sa succession. Maskusa est loin de la grande plaine et de la capitale, mais le gouverneur est un Izuus comme tous les gouvernants d'ici. Il est de la lignée du général Stramts. Malheureusement, le général Stramts et son armée sont assez loin vers la mer. Ils manquent d'armes et de soldats. Le gouverneur a décidé de lui envoyer un convoi avant que la neige ne bloque le grand col. Pour cela, il faut que nous tenions les délais.
Puissanmarto écoutait les explications des uns et des autres. Le roi qui se nommait Yas était en campagne dans la montagne à une quinzaine de jours de marche de Maskusa pour tuer un monstre qui terrorisait la région. Sa mort était certaine mais les circonstances floues. Certains bruits disaient qu'il était mort des fièvres qui viennent dans ces régions quand il y a trop de pluie, d'autres prétendaient qu'il avait rencontré le monstre qu'il recherchait et qu'il n'avait pas survécu à cette rencontre. Certains accusaient ses généraux d'avoir comploté et de l'avoir assassiné. Les plus délirants le déclaraient converti à l'érémitisme par le monstre. Puissanmarto revit la voix aux yeux noirs. Ce monstre devait être comme elle. Ils passèrent la soirée à boire de la bistal. Cette boisson était obtenue en faisant fermenter des salemje dans un jus du fruit de l'arbre à bistal. Un  de ses compagnons qui avait déjà englouti une bonne partie de pot, lui expliqua que la bistal ne se gardait pas. Il fallait la boire vite en un ou deux jours, sinon les coliques vous ravageaient le ventre.
À la fin du pot, tout le monde alla se coucher. On avait donné à Puissanmarto deux couvertures. En regardant faire les autres, il comprit que si l'une d'elle servait pour se couvrir la nuit, l'autre servait de paravent. Avant de dormir, il alla regarder le feu. La forme du foyer ne lui plaisait qu'à moitié. Il se mit à chercher des pierres dans la cour. Il trouva assez facilement ce qu'il souhaitait. Avec son butin, il remodela le feu en écartant les braises. Il alla dormir après en pensant que demain, son foyer chaufferait mieux et plus vite pour moins de combustible.
Il fut réveillé par la sonnerie de la trompe. Il retrouva les autres pour manger un morceau. On lui expliqua qu'on se cotisait et qu'on chargeait un jeune d'aller chercher les provisions. Il y avait toujours quelques traîne-savates prêts à rendre service pour pas cher. Ils se retrouvèrent autour du feu. Pendant qu'il démarrait, ils firent chauffer leur pitance. Le goût était assez quelconque mais cela tenait au ventre. Quand les Izuus forgerons arrivèrent, le feu était prêt.
De nouveau pris par le mouvement et la surveillance du feu, Puissanmarto ne vit pas passer la journée. Quand Frapnal arriva pour contrôler le travail, il tiqua. L'atelier en second avait fait mieux que le sien. Il écouta les forgerons se féliciter de la présence de Puissanmarto. En se forçant un peu, Frapnal félicita tout le monde en faisant la remarque que le travail du lendemain serait plus difficile.
C'est alors qu'une trompe sonna. Puissanmarto vit tout le monde s'agiter.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- C'est la trompe d'alerte. Un danger arrive !
Tout le monde se précipita sur le rempart pour voir. Nulle poussière à l'horizon, pas de mouvement anormal dans le lointain, Puissanmarto chercha le danger.
- Là ! cria un garde en tendant le doigt.
Puissanmarto eut comme un choc à l'estomac. Une silhouette gigantesque volait. Il n'avait jamais rien vu d'aussi beau, d'aussi gros. Des reflets rouges se voyaient dans la lumière déclinante du soleil.
- Le monstre est revenu !
- Le monstre ?
- Oui, il vient chasser dans la plaine. Malheur au paysan qui a laissé ses bêtes dehors, ou au cavalier qui n'est pas à l'abri.
Ils le virent plonger brutalement, puis remonter presque aussi vite une silhouette gigotante entre ses griffes.
- Un track ! On va en entendre parler. J'espère que le cavalier est sauf, dit Frapnal. Le spectacle est fini, on reprend demain.
Sur ces paroles, il reprit l'escalier qui rejoignait la cour. Comme tous les Izuus, Frapnal habitait en dehors de la citadelle avec sa famille. Puissanmarto resta à regarder le vol du monstre. Ce dernier disparut dans la nuit qui tombait. Il se promit de demander des renseignements sur ce monstre. Peut-être était-ce le responsable de la mort du roi ? Il soupira. Tant de connaissances lui manquaient.    

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire