lundi 18 avril 2011

Houtka - 12

Le sorcier noir alluma la deuxième bougie et commença le rituel d'invocation. Comme il allait devoir aller dans les plans inférieurs, il avait renforcé les invocations protectrices. Il en était à nommer les esprits tutélaires quand un serviteur entra. Il lui jeta un regard noir, prémices de la colère qui déjà bouillonnait en lui. Il n'eut pas le temps de finir sa litanie que l'homme s'était jeté à terre pour la salutation.
- Maître, pardonnez-moi, mais une armée arrive!
Le sorcier noir faillit en oublier sa litanie. La magie de l'invocation ne s'arrêtait pas comme on souffle une bougie. Certains rites étaient impossibles à stopper, le risque en retour était trop grand. Il eut besoin de presque une heure pour revenir dans le monde courant. Il retrouva ses principaux sorciers soumis. Les patrouilles étaient rentrées en signalant un nuage de poussière très important dans la vallée qui allait vers la mer. Les sorciers soumis avaient lancé des sorts de vision. Quand le sorcier noir arriva, au milieu de la pièce flottait l'image d'une armée en marche. De grands hommes à la peau sombre vêtus de vêtements noirs ou rouges avançaient prestement en portant deux par deux des perches lourdement chargées. Lentement l'image dérivait montrant un grand nombre de ces binômes, évoquant un troupeau en transhumance. En se rapprochant, la vision montrait la puissance de ces hommes et surtout montrait leurs armes. Le sorcier noir n'eut aucun doute quant à l'entraînement de ces soldats rien qu'à les voir avancer presque au pas de course avec une telle charge. Il se demanda qui ils venaient combattre. Le peuple d'Ashra ou lui?
- Agrandissez la vision !
Un des sorciers ajusta le sort en sacrifiant un petit animal. Un gigantesque thorax sombre emplit la pièce, la veste noire qu'il portait était ouverte découvrant une peau sombre couverte de scarifications plus pâles dessinant des motifs complexes.
- Du parlé ancien.
- Que dites-vous, maître?
- Ces scarifications sur leur peau, c'est du parlé ancien. J’en ai déjà vu dans mes voyages nécromantiques. Peu de gens le parlent aujourd'hui, et je pensais que plus personne ne savait l'écrire ou comme là le scarifier. Dans combien de temps seront-ils là?
- A ce rythme, ils seront là dans deux jours.
- Cela nous laisse juste le temps de nous préparer à les recevoir comme ils le méritent. Surveillez-les! Prévenez-moi s'ils font quelque chose d'autre que marcher.
Le sorcier noir se retira dans son abri. Fermant toutes les issues, il se mit en transe et pénétra dans les plans qu'il affectionnait comme nécromant. Il dérangea des personnages morts depuis des temps immémoriaux. Sous la contrainte qu'il exerçait, ils lui montrèrent tout ce qu'ils savaient sur le parlé ancien. Les signes que le sorcier noir avait vus sur le thorax de la vision faisaient partie du noir parlé ancien. Il s'agissait d'une magie mais plus brute, moins travaillée que la sienne, à la fois moins puissante mais plus résistante aux perturbations entre autres des runes. Faire alliance avec eux pouvait être la bonne formule pour en finir avec le siège de la ville. Il prépara ses sorts de séduction, de bonnes paroles et de voix. Il fallait que son discours de bienvenu soit juste comme il faut pour les mettre de son côté. Il faisait presque nuit quand il sortit de son abri. Rejoignant les sorciers qui surveillaient les autres, il écouta le rapport qu'on lui faisait. Avant la chute de la nuit, ils avaient monté un bivouac. Au centre, ils avaient allumé un grand feu. Un homme vêtu de rouge était parti chercher un prisonnier. Celui-ci avait la peau pâle des gens du bord de mer hormis les mains et le visage. La vision montra le déroulement du rite. Les hommes à la peau sombre vêtus de rouge semblaient officier pendant que ceux qui étaient en noirs psalmodiaient en se balançant de droite à gauche. Le prisonnier fut attaché à quatre pieux plantés dans le sol. Tour à tour, les hommes en rouge à l'aide de leurs épées longues découpèrent des lanières de peau. Un des sorciers soumis devint pâle à la vue des tortures et fut heureux que la vision ne transmette pas le son. Le supplice dura longtemps. Le sorcier noir en voyant cela eut un sourire mauvais. Il ne connaissait qu'un peuple pour avoir de tels rites : les gendailleurs qui chaque jour sacrifiaient une victime en l’honneur de leur dieu sombre et rouge. Avec des alliés comme eux, il n’aurait pas besoin de demander l’aide de l’entité de Takachougha, et cela le soulageait.


Quand les apprenties arrivèrent en vue de la fondation avec le flot des réfugiés, elles se posèrent la question de ce qu’elles devaient faire de la vieille mendiante. Quand les diseuses qui les dirigeaient leur avaient donné l’ordre de rentrer, elles n’avaient pas précisé quoi faire de cette encombrante personne. Tout le long du chemin, elle n’avait pas cessé de faire des ennuis aux apprenties. Sa conversation était des plus limitées mais ses insultes couvraient un registre inconnu des apprenties. Ne connaissant pas assez de runes pour la faire obéir de force, elles avaient dû négocier avec elle pour la faire avancer, pour éviter qu’elle ne se saoule trop. Elles eurent la chance de rencontrer une jeune diseuse qui leur fit le résumé des évènements qui avaient eu lieu à la fondation. Si les noms de Sintacasha et de Sifréma, ne leur disaient pas grand-chose, le fait que l’une soit l’ancienne et l’autre la nouvelle maîtresse enchanteresse leur permit de comprendre le changement de politique de la fondation. Quand elles questionnèrent la diseuse sur ce qu’elles devaient décider pour la mendiante qu’elles traînaient depuis des jours, leur interlocutrice eut une réponse immédiate. Elle leur déconseilla de l’amener à la fondation qui commençait à se préparer pour la guerre. La politique de la nouvelle maîtresse enchanteresse n’était pas tournée vers l’accueil des pauvres. La diseuse leur donna l’ordre de l’amener à la maison des accueillis. Là, la mendiante aurait un toit et un repas chaud et surtout des gens capables de la diriger.Quand Cantasha vit arriver le groupe, elle ne comprit pas tout de suite le but de leur visite. Le temps qu’elle interroge les apprenties, la mendiante avait disparu. Elle renvoya les apprenties vers la fondation en leur conseillant d’oublier de parler de leur arrêt à la maison des accueillis et de ce qui s’y était dit. Sûre que la mendiante n’avait pas pu repartir sur la route, Cantasha partit à sa recherche. Traçant dans l’air des runes à pister, elle comprit à leur déplacement vers où était allée leur étrange visiteuse. Cantasha prit alors le chemin des cuisines, se demandant comment cette vieille femme qui n’était certainement jamais venue, avait fait pour en trouver la direction. Elle la trouva attablée devant un repas chaud, Sintacasha assise en face d’elle. Entre deux bouchées, la mendiante racontait sa vie, le Machirinta et le drôle de vase qu’elle n’avait pas réussi à ouvrir. D’ailleurs, elle était prête à s’en séparer moyennant une honnête rétribution. Sintacasha avait dû cantiler des runes de paroles, car la vieille femme n’arrêtait pas de parler. Cantasha se demanda comment elle faisait pour parler autant et engloutir autant. Sur la table, était posée une urne décorée d’une rune unité. Ayant fini tous les plats, la mendiante s’endormi la tête posée sur ses avant-bras repliés. Sintacasha fit signe aux diseuses préposées aux cuisines.
- Gardez cette femme avec vous. Elle aidera à la tâche avec les forces qui lui restent. J’ai cantilé des runes pour qu’elle ne boive plus. Elle restera ici tant qu’elle le désirera.
- Bien, maîtresse des accueillis. Il sera fait selon vos dires.
- Ah, Cantasha tu es là ! Viens avec moi.
Les deux femmes sortirent. Elles se dirigèrent vers un tertre situé derrière la maison des accueillis, à l’opposé de la route. Elles s’arrêtèrent au sommet. Quelques pierres sur le sol servaient de siège, formant vaguement un cercle, au centre duquel les restes de feu dessinaient une zone plus sombre.
- Asseyons-nous, Cantasha. Il faut que nous en apprenions plus sur cette urne.
- Qu’a-t-elle de particulier ?
- La rune de l’urne a été tracée par Entablu, ou par quelqu’un à qui il a appris à tracer certaines runes.
- Comment peux-tu en être sûre ?
- Entablu traçait ses runes d’une manière très ancienne. Regarde, dessinerais-tu une rune unité comme cela ?
- Non, je ne ferais pas toutes ses enluminures sauf si je la traçais pour en faire un tableau.
- Nous allons faire appel aux runes mémoires pour connaître l’histoire de cet objet et de ce qu’il contient.
Elles cantilèrent à deux voix les runes appropriées. Puis dans le faisceau changeant de runes qui entoura l’urne, elles lurent l’histoire. A la fin du récit, le silence s’installa au milieu d’elle. Un démon ! L’urne contenait un démon, qui plus est, avait été se frotter à la rune royale. Sintacasha transmit le savoir qu’elle avait sur la question à Cantasha. Ce n’était pas grand-chose. Rencontrer la rune royale était une bénédiction. La rencontrer alors qu’elle avait été cantilée pour protéger, entraînait une malédiction. C’était vrai pour les humains mais pour les démons, Sintacasha ne savait pas. Elles restèrent là à deviser alors que la soirée s’avançait. Cantasha aimait ses moments de rencontre avec sa Mamaman. L’émotion lui serrait encore la poitrine. Sintacasha qui ressentait le trouble aussi, l’avait prise dans ses bras. Elles parlèrent de la guerre qui arrivait, de ce qu’elles allaient faire pour protéger la maison des accueillis. Sintacasha était restée assise tandis que Cantasha se mettait à ses pieds et avait posé sa tête sur les genoux de sa mère. C’est ainsi que le sommeil la surprit. Sintacasha avait vu les paupières de sa fille s’alourdir. Elle avait continué son monologue tout en caressant les cheveux de Cantasha. Sans arrêter sa caresse, elle se mit à cantiler une vieille berceuse. Sintacasha avait beaucoup étudié les vieilles runes, celles du temps où elles étaient le langage commun d’un peuple. Maintenant, on ne parlait plus le runique, on utilisait telle ou telle rune. Peu de chants avaient survécu de cette période. Cette berceuse en était un. Elle chantait les temps primordiaux quand les grands êtres se promenaient sur la terre pour protéger les petites filles de la pluie ou des méchants.


Le sorcier noir avait soigneusement préparé la rencontre. Il avait fait le long rite d’envoûtement de la pièce de réception. Il avait aussi amélioré sa voix en reprenant les vieux sorts. Il fallait qu’elle soit parfaite pour séduire les hommes à la peau sombre. Il avait donné des ordres pour accueillir les gendailleurs en allié et non en ennemi. Par les sorts de surveillance qu’il utilisait pour les surveiller, il avait compris que le chef de cette armée était le presque géant habillé de rouge à la peau particulièrement sombre. Pourtant à le voir avancer à marches forcées, portant sa perche comme les autres, le sorcier noir ne l’aurait pas reconnu. Ils étaient plus nombreux que les guerriers noirs. Ils avaient monté leur camp de l’autre côté de la ville. Pour les assiégés, la situation devenait critique. Vers la plaine, ils voyaient le sorcier noir, ses guerriers et ses démons, sur la route de la mer, le camp des gendailleurs bloquait toute possibilité de sortie. Entre les deux, le terrain était trop découvert pour espérer s’échapper. Leur espoir résidait dans la confiance en Simantaba. La fondation ne pourrait pas laisser ses alliés sans réagir. La maîtresse enchanteresse qui maintenant devait connaître la situation devait être en route pour les sauver. Les gendailleurs n’avaient fait aucun effort pour rencontrer le sorcier noir, ni pour attaquer la ville. Ils prenaient leur temps. Leurs patrouilles avaient regardé les guerriers noirs et les démons porter leurs attaques contre la ville mais n’avaient pas participé. A la nuit tombante, le premier soir de leur installation, ce furent les cris d’agonie du sacrifié qui firent dresser les cheveux sur la tête des assiégés. Le deuxième soir fut pire. Le troisième jour, les émissaires du sorcier se présentèrent pour inviter le gendailleurs à venir. Ils acceptèrent. La rencontre fut fixée pour le lendemain. Il y eut encore les hurlements dans le soir. Sur les remparts, les gens de la ville essayaient de voir.
Le soleil était à peine levé qu’une dizaine de gendailleurs se mit en marche. Ils restèrent juste hors de portée des armes des assiégés. Faisant le tour de la ville, ils se dirigèrent vers le camp du sorcier noir. Au lieu de toile pour son campement, ils avaient investi les faubourgs de la ville. Le presque géant qui conduisait la délégation des gendailleurs, avançait en tête. Toujours vêtu de rouge, il avait ajouté deux baudriers portant des haches de guerre. Ceux qui le suivaient portaient haches et lances. Leurs visages parcourus des scarifications rituelles de leur peuple étaient effrayants à voir. Un groupe de sorcier soumis vint les accueillir. Puis tous se dirigèrent vers la maison occupée par le sorcier noir. A leur entrée, celui-ci utilisa toutes les nuances de sa voix pour les séduire. Il était debout derrière une table somptueusement chargée de nourriture. Dans la pièce était dressée une table de banquet.
- Entrez, entrez, Mes seigneurs, installez-vous. Nous allons manger et festoyer pour fêter votre arrivée.
Le presque géant rouge qui était entré le premier fit ce que le sorcier pensait impossible. Avant même que le sorcier noir eut fini, le guerrier gendailleur avait abattu sa hache sur la table, la coupant en deux :
- Toi, pas parler avec cette voix ! dit-il
- …!!
- Toi surtout écouter. Nous venir prendre la ville et détruire Simnataba. Toi, rentrer chez toi.
Le sorcier noir fit un petit geste, les armes présentes s’envolèrent pour se coller au plafond. Il aimait ce sort qui laissait l’autre sans défense, il n’avait qu’un regret, qu’on ne puisse pas employer ce sort ailleurs que dans une pièce.
- Non, homme en rouge, tu vas m’écouter.
Le sorcier noir continua à parler dans la langue des gendailleurs. L’homme en rouge ne dit rien mais s’assit. Les négociations commençaient.

Les premiers chocs furent d'une extrême violence. Les gendailleurs savaient se battre. Ils connaissaient aussi la technique du siège d’une ville. Les runes tracées sur les remparts empêchaient la magie d'agir, ou de saper les murailles, mais elles ne pouvaient rien contre les tours en bois que les attaquants avaient fabriquées. Les combats pour le contrôle des différents remparts furent intenses et meurtriers. Les défenses de la ville étaient un véritable patchwork de murailles qui avaient été faites à différentes époques. Cela empêchait les attaquants de prendre l'ensemble en une seule fois. Certains secteurs étaient perdus et repris suivant les jours. Le moral des assiégés devenait moins bon au fil des jours. Non seulement l'arrivée des gendailleurs avait transformé les combats, mais les sacrifices journaliers qu'ils effectuaient sapaient le moral dans la ville. La grande cantileuse était particulièrement sensible à ces cris de souffrance que chaque soir on entendait de la ville. Le pire qu'elle avait vécu était le soir dernier quand le sacrifié fut un des prisonniers fait lors des combats. Entendre un des habitants de la ville hurler sous les tortures déstabilisait tant la diseuse qu'elle avait échoué lors de la cantilation d'une rune complexe. Cela s'était traduit par un effondrement d'un mur, première brèche dans un des remparts. Elle s'était reprise mais avait expliqué au roi qu'elle espérait l'arrivée rapide de la grande enchanteresse car elle commençait à craindre. Ce retard de l'aide de Simantaba était aussi une des raisons du mauvais moral des troupes assiégées. Les habitants de la capitale avaient supporté presque avec facilité le siège par le sorcier noir, son échec malgré ses guerriers noirs morts vivant et ses démons les renforçaient dans leur détermination. La première attaque des gendailleurs les avait pris par surprise. Les défenseurs ne s'attendaient pas à une telle absence de limite dans l'horreur Les guerriers noirs n'avaient aucune imagination. Ils se battaient avec détermination mais presque mécaniquement. Les gendailleurs étaient plus grands, plus forts, plus lourds mais surtout plus féroces et plus imaginatifs. Les armes des guerriers noirs étaient ensorcelées et empoisonnaient les plaies et les soldats mais les runes existaient pour en combattre l'effet et les guérisseurs de la cité savaient souvent les guérir assez vite. Les gendailleurs avaient cranté leurs lames et les souillaient d'excréments avant les combats. Les plaies provoquées étaient affreuses et s'infectaient toujours mettant hors combat de nombreux défenseurs. Malgré tout son savoir faire, la grande cantileuse n'arrivait plus à faire face. Elle qui avait été le moteur de la résistance, faiblissait. Sa baisse de moral se révélait contagieuse. La morosité touchait tout le monde, du plus petit défenseur au roi. Seul Sinta se réjouissait mais en secret. Son plan avait fonctionné. Il jouait parfaitement son rôle de conseiller attentif bien que pessimiste, répandant ainsi petit à petit le poison de la défaite. Il se laissa même aller une fois à recommander la reddition. Le regard du roi fut éloquent au point que Sinta crut qu’il allait le faire exécuter. Le sorcier noir envoyait encore ses troupes à l’attaque ce qui séparait les défenseurs. Obligés de courir d’un côté à l’autre de la ville, ils étaient moins efficaces. Le siège aurait duré encore longtemps sans un évènement désastreux. Depuis dix jours qu’ils assiégeaient la ville, les gendailleurs avaient pris plusieurs enclaves de la défense mais ils avaient aussi perdu beaucoup d’hommes. Leur chef menait sa guerre sans tenir compte des pertes possibles. Par mépris de la mort et de la souffrance, ils attaquaient nus, ce qui les rendait rapides et mobiles. Les défenseurs étaient protégés de vêtements de cuir épais avec des renforts de métal, de bois ou de pierre. Moins vulnérables, ils étaient aussi plus lents et donc blessés plus facilement. Ayant appris comment étaient traités les prisonniers, ils menaient une partie des combats pour délivrer les uns ou les autres au détriment de l’efficacité défensive. Le onzième jour, sur les remparts vers la mer, comme chaque jour, les guetteurs essayaient d’évaluer les pertes ennemies. C’est ainsi que se répandit la nouvelle de l’arrivée de troupes fraîches chez les gendailleurs. Ce fut la consternation dans la ville. Les combats ce jour-là furent désastreux pour les soldats du roi. A la fin du jour, une bonne partie de la ville était tombée aux mains des assiégeants. Heureusement, le roi avait réussi à faire faire un repli dans la partie la plus haute de la ville. Le douzième jour au soir, ce furent des cris de femmes qui alertèrent les guetteurs, bientôt rejoint par une bonne partie de la population. Sous leurs yeux effarés, les gendailleurs procédaient à leur sacrifice quotidien. Attachées par les quatre membres en croix, deux femmes hurlaient de douleur et ces femmes étaient des diseuses à en croire leurs robes. Quand le chef à la peau sombre vêtu de rouge, vit la foule s’écarter pour faire de la place, il sut que la grande cantileuse et le roi étaient présents.
- Hommes d’Ashra, regardez vos renforts ! Les autres sont mortes. Nous vous avons gardé celles-là pour sacrifier au Dieu Rouge et Noir.
De nouveaux hurlements s’élevèrent quand les bourreaux reprirent leurs œuvres. La grande cantileuse fut atterrée. Elle reconnaissait les robes de grandes diseuses. Il n’était pas possible que les renforts se soient faits anéantir. Il n’était pas possible non plus que la maîtresse enchanteresse n’ait pas envoyé les renforts. Elle ne savait plus que penser. Les cris de ses compagnes lui traversaient le cœur, obscurcissant sa réflexion. N’en pouvant plus, elle monta sur les créneaux et cantila une rune noire. Le silence se fit. Les suppliciées étaient mortes. Il y eut un sifflement. La grande cantileuse tomba en arrière, une flèche noire en plein cœur. C’est alors que fusèrent les hurlements des gendailleurs et des guerriers noirs s’attaquant aux murs pour le dernier assaut.

Sifréma se préparait à la guerre. Elle savait que le sorcier noir viendrait après avoir pris la capitale de Ashra. Elle avait fait interroger les réfugiés qui passaient par Simantaba. Ils avaient parlé des guerriers noirs qu'elle connaissait et des démons dont elle se méfiait beaucoup plus. Elle avait fait le point avec les enchanteresses hormis celle de la maison des accueillis. Elle avait décidé de ne pas dégarnir ses forces pour porter secours à la ville assiégée. Le flot des réfugiés se tarissait. Les nouvelles qu'elle récoltait laissaient entendre que le siège serait long. Le sorcier noir piétinait devant la ville, ne pouvant briser les runes de défense. Sifréma pouvait donc se consacrer à la défense de Simantaba. Elle avait fait partir les apprenties pour les refuges de montagnes. Ne restaient que les diseuses confirmées. Chacune avait son rôle de défense ou de soutien logistique. Sifréma donna l'ordre de peindre les runes de défenses. Simantaba était construite dans la falaise. En bas les premiers étages renfermaient les communs et les différents services en lien avec l'extérieur. Devant s'étendait le gros bourg qui abritait ceux qui voulaient vivre proches des diseuses. Il avait été construit sans plan préalable et était composé d'auberges et de maisons basses. Les rues tortueuses ne permettaient pas à des troupes de manœuvrer. Les villageois qui doutaient de la pérennité de leurs biens, en cas de conflit, avaient demandé que la protection de la maîtresse enchanteresse s'étende jusqu'au village. Sifréma avait refusé. Le chef du village avait essayé de négocier mais n'avait même pas été reçu par la maîtresse enchanteresse. Les villageois avaient appris le changement à la tête de la fondation mais ne pensaient pas que cela entraînerait un tel changement dans les relations qu'ils entretenaient avec les diseuses. Le chef du village avait rencontré Sintacasha qui lui avait renouvelé sa volonté de protéger tous ceux qui avaient toujours fait confiance aux diseuses. On assista alors à une coupure entre les deux mondes. La fondation se refermait sur elle-même, peignant les runes de défense sur ses murs pendant que les villageois, essayaient de mettre à l'abri leurs biens et déménageaient ce qui pouvait l'être. Cantasha recevait ceux qui venaient chercher refuge à la maison des accueillis. Les diseuses qui y étaient en poste, bien que moins puissantes dans le maniement des runes que celles de la fondation, avaient à cœur de venir en aide à tous ceux dont elles ressentaient la peur et le malheur. Cantasha laissa son regard se poser sur la fondation, alors qu'elle sortait pour accueillir un nouveau groupe. La haute falaise de pierre rouge se couvrait de runes couleur or ou argent. Par réflexe, elle les lut. Elle eut un choc. Les runes de défense s'étalaient en symboles géants sur la paroi verticale. Vu le contexte, elle s'y attendait mais au milieu des runes or, argent, elle vit des runes plus petites tracées simplement à la peinture noire qui dessinaient comme des fleurs d’iris. Laissant le groupe d'arrivants au soin d'une diseuse, elle partit à la recherche de Sintacasha. Les choses se précipitaient. Un des réfugiés le matin même, avait parlé d'une autre armée en route pour assiéger la ville et maintenant ces runes. Il fallait aussi qu'elles discutent de ce qu'on pouvait faire alors que les capacités de la maison d'accueillis étaient largement dépassées. Elle ne la trouva pas dans le bâtiment central comme à son habitude. Elle demanda à une jeune diseuse qui lui raconta qu'elle avait vu Sintacasha accompagnée de l'apprentie renvoyée aller vers le tertre sur l'arrière de la maison des accueillis. Cantasha se dirigea vers ce lieu. Elle monta sur le chemin herbeux. Elle commença à entendre les voix. Elle s'arrêta pour écouter.
- ... mais maîtresse enchanteresse,
- Non, ne m'appelle pas comme cela, je ne suis plus qu'une enchanteresse. Tu ne dois par raconter ce que tu as vu.
- Mais je l'ai vu. La rune que j'ai dessinée est celle que porte la grande diseuse Cantasha. Elle a même les deux points sur sa cuisse.
- Je sais, je la connais. Le secret est nécessaire pour sa sécurité même. Si ce savoir diffusait, elle serait en danger. Je vais te demander encore de jurer le silence.
- Bien maîtresse enchanteresse.
Cantasha était redescendue silencieusement et avait fait le tour du tertre pour monter par le chemin de terre où l'on entendait ses pas.Elle avait croisé l'apprentie qui descendait. Celle-ci fit le salut traditionnel et continua son chemin.
- Je te cherchais, Mamaman.
- Je t'écoute.
- J'ai vu les runes sur la fondation. Il y a les runes des défenses or et argent mais elle fait mettre des runes noires.
- Tu as pu les lire.
- Ce sont des runes de malédictions.
- Alors c'est la fin.
- Que veux-tu dire?
- La prophétie qui m'a fait chercher le porteur de flamme dit que la fin est proche pour la fondation, si les diseuses de runes deviennent des diseuses de malédictions.

Le sorcier noir ruminait sa colère et sa vengeance. Ses « alliés » le traitaient comme une quantité négligeable. Le pillage de la capitale avait duré quelques jours. Les principaux conseillers avaient servi de sacrifice. Le premier à être offert au dieu rouge et noir fut Sinta. Par contre personne n’avait retrouvé le roi et le prince commandant. Peut-être étaient-ils morts dans les combats ? Ou dans l’effondrement du donjon. Le sorcier noir qui en avait assez de jouer les utilités, avait convoqué son grand démon et lui avait intimé l’ordre de détruire la dernière tour et tout ce qu’elle contenait. Il l’avait doté pour l’occasion d’accessoires que les runes lui avaient interdits. Takachougha avait littéralement broyé la pierre de la tour, la transformant en monceau de gravats. Sisgriuk le chef des gendailleurs l’avait traité de tous les noms, sans oser pour autant l’affronter. S’il savait son peuple peu sensible aux runes, il connaissait suffisamment de magie pour voir que le sorcier noir pouvait lui causer des pertes irremplaçables dans la campagne qu’il menait. Il se contenta de le mépriser, sachant que cela le toucherait plus que toute autre mesure de rétorsion. Le sorcier noir se retira dans son camp pour préparer sa riposte. Il pensait qu'il lui fallait se débarrasser de ses gêneurs avant que d'aller attaquer Simantaba. Le fait que la maîtresse enchanteresse n'ait pas envoyé de renfort digne de ce nom lui laissa penser qu'elle fortifiait ses positions. Il fit un rite de divination pour essayer de savoir. D'habitude, les visions étaient claires et le déroulement lui prenait presque la moitié de la journée. Ce jour-là, les brumes habituelles ne remplirent pas la pièce. Ce fut à peine un voile léger qui dura peu. Les visions qu'il vit se dessiner dessus furent pâles et instables. Ce qu'il vit l'inquiéta, les gendailleurs étaient devant Simantaba mais pas lui. La bataille faisait rage, mais il ne voyait aucun guerrier noir. Malgré tous ses efforts, il échoua à maintenir le sortilège. A sa sortie de la pièce où il avait officié, il fit renforcer la garde et demanda aux sorciers soumis de garder leurs cohortes sous pression. L'alerte lui arriva le soir. Il y avait des mouvements de troupes dans le camp des gendailleurs. Tous les guerriers noirs passèrent la nuit sur le pied de guerre, prêts à se battre malgré les rapports rassurants des éclaireurs. Au matin, le sorcier noir se rendit à l'évidence. Ils étaient partis. Il convoqua un petit démon et l'envoya en reconnaissance sur leurs traces. Utilisant ses dons de déplacement rapide, le démon les avait rejoints sur la route de Simantaba au passage du gué. Ils étaient en train de passer l'obstacle sur un pont de liane fait pour compenser la fuite du passeur et de son bac. Il avait vu un des soldats habillés de noir traverser l'eau à la force de ses bras en tirant une corde. Il avait eu besoin de trois tentatives pour y arriver. Une fois de l'autre côté, cela avait été un jeu d'enfant que de tirer les deux grosses cordes pour faire le pont. Quand il était reparti en arrière vers le démon il avait vu les binômes traverser en portant leur bagage sur une poutre. Les pieds sur une corde, une main sur l'autre et la deuxième main pour la perche, ils lui firent évoquer une colonne de fourmis rouges ou noires en déplacement. Le sorcier noir donna l'ordre de départ dès la fin du rapport de son espion démoniaque. Si les gendailleurs étaient très mobiles, le sorcier noir et ses guerriers s'étaient installés dans le siège de la ville.
Partir allait demander plus de temps. Déplacer certains talismans demandait des précautions particulières surtout avec des démons dans les environs. Les sorcier noirs et ses soumis se mirent au travail. Les sorts de protection, les sortilèges de force pour porter les pièces les plus lourdes furent mis en œuvre. Deux jours plus tard, les éclaireurs avaient trouvé un endroit où le sorcier noir et son armée pourraient faire une première halte. Le sorcier noir pensait au temps qu'il perdait face aux gendailleurs. Soit il arrivait après la bataille et devrait se battre avec le vainqueur pour affirmer sa suprématie, soit il arrivait pendant la bataille et il devrait probablement refaire alliance avec eux. Quand il pensait au premier cas, il rageait de penser qu'il ne serait pas celui qui aurait détruit Simantaba. Quant au deuxième cas, il rageait de devoir partager la gloire de la victoire. Lourdement son armée se mit en marche. Pendant ce temps les gendailleurs avaient commencé leur course dans la longue plaine qui menait à Simantaba.

Le soleil se couchait, éclairant le tertre de la maison des accueillis de ses rayons dorés. Cantasha assise à son sommet après sa journée de travail, attendait Sintacasha. Elle aimait ses moments de tranquillité, de douceur, de tendresse. Avoir ainsi retrouvé sa mère, la remplissait de bonheur. Elle pensait qu’avec la guerre qui s’annonçait, il serait de courte durée. Elle tenait à en profiter chaque jour. Sintacasha semblait penser de même car elle était très fidèle à ce rendez-vous informel. Avec les réfugiés qui arrivaient, Sintacasha était débordée de travail. Cantasha était persuadée qu’elle cantilait des runes de force sur elle pour tenir ainsi. Son esprit déroulait ses pensées sans entrave. La conversation qu’elle avait surprise revint à son esprit. Qu’est-ce que sa rune de protection avait de particulier pour que sa mère veuille l’en protéger. Elle avait, à plusieurs reprises, utilisé le pouvoir de cette rune. Celle qui l’avait tatouée, était une vieille diseuse dont la main tremblait un peu. Elle avait élargi la rune autour de son nombril. Elle se rappelait encore de ses paroles quand elle lui avait fait part de sa peur d’avoir une rune mal faite.
- Ne t’inquiète pas, petite. C’est Entablu lui-même qui m’a appris à tatouer et qui m’a appris les variations que l’on peut faire en fonction de l’anatomie des gens.
- Es-tu sûre de sa puissance ?
- Bien sûr petite ! C’est un secret mais dessinée comme cela, la rune n’en sera que plus forte.
Cantasha l’avait crue et secrètement en était heureuse. Elle portait une rune qu’Entablu avait déclarée meilleure. A l’époque, elle en retirait un sentiment de fierté, presque d’orgueil. Aujourd’hui, elle pensait à cette rune avec beaucoup de tendresse comme à un cadeau de son père. Les yeux fermés dans les derniers rayons, elle se laissa surprendre par le sommeil.
Elle avançait dans un monde de géants, ou plutôt elle était petite fille et regardait les adultes si grands autour d’elle. Elle aurait aimé être comme eux, mais elle était si petite. Les grands ne la regardaient pas. Elle serrait contre elle le vase que lui avait offert son père. Quand l’ombre recouvrit le monde, elle eut peur. Les grands, encore plus, car ils se mirent à fuir en tous sens. Ce qui avançait vers eux était tellement grand, tellement gros, tellement laid qu’elle le haït de toute sa chair. Il était le mal, il voulait le mal. Autour d’elle, plus personne pour la protéger. De toutes ses forces, elle hurla, attirant le grand mal vers elle. Un membre énorme s’approcha pour la faire souffrir. Serrant son poing sur son ventre, elle lui jeta le contenu de son vase. Ce fut comme si un feu liquide avait jailli. L’être maléfique se consuma. Se regardant, elle vit qu’elle avait tellement grandi que c’étaient les adultes qui avaient l’air petits. Elle regarda son poing encore serré sur son nombril. Une rune l’habillait.
Ce furent les caresses de sa mère sur ses cheveux qui réveillèrent Cantasha.
- Ah Mamaman, tu es là !
- Oui ma fille, tu sais que je ne voudrais pas manquer ces instants. Nul ne sait de quoi demain sera fait.
- La guerre approche.
- Oui, je la sens. La fondation a ses runes. La maison des accueillis ne peut que compter sur nos quelques forces. Je vais essayer de cantiler les runes de la grande protection, mais je ne sais si le lieu est propice à les recevoir.
- Non, Mamaman, tu risques ta vie.
- Je sais, mais a-t-on le choix ?
- Peut-être, dans mon rêve, la puissance venait aux petits. J’ai pensé que nous pourrions toutes cantiler les runes des plantes. Autour de la maison des accueillis, il y a assez de ronces et d’épineux pour en faire un rempart.
- Quelle bonne idée, ma fille ! J’ajouterai des runes de discrétion.
Quand le soleil se leva, les réfugiés eurent la vision curieuse des diseuses marchant l’une derrière l’autre en chantant et dansant tout autour du domaine. A la fin du jour, tout autour se dressait une barrière de plantes vivantes dont les branches aux épines acérées semblaient tressées ensemble. Dans la maison des accueillis, la paix s’installa. Avec une telle muraille, le sorcier noir passerait son chemin. Seules Cantasha et Sintacasha ne partageaient pas l’euphorie. La maison des accueillis possédait des pierres de divination, héritage de l’époque ancienne où même les hommes venaient chercher l’enseignement des runes. Elles les avaient utilisées. L’avenir restait sombre.

Sisgriuk était content de la progression des ses troupes. Au loin, il voyait se dessiner les contreforts de la montagne au pied de laquelle était la fondation. Bientôt l'honneur serait vengé. Cela faisait des siècles que la légende criait vengeance. Sisgriuk serait le héros incarnant la réussite des vieilles prophéties. Il fit la jonction avec ses troupes fraîches juste à deux jours de marche de Simantaba. Après la fin du siège, il avait envoyé les messagers prévenir de son mouvement permettant d'éviter aux renforts de passer par le royaume d'Ashra.
Intérieurement, il jubilait d'avoir laissé sur place le sorcier. Une confrontation avec lui serait inévitable mais le plus tard serait le mieux. Une fois les diseuses disparues, il pourrait retourner ses forces vers les guerriers noirs et leurs démons. Depuis quelques siècles, le renouveau de sa nation avait permis une nouvelle expansion. Gloire soit rendue à Triznak, le grand prêtre qui avait réussi à entrer en contact avec la divinité. Si celle-ci appréciait toujours les sacrifices humains, elle avait ajouté la couleur rouge au noir. Les habits des prêtres avaient été petit à petit transformés pour prendre cette nouvelle teinte de sang. Cet avatar du grand dieu avait prouvé sa puissance en protégeant la nation de ses ennemis, en particulier des magiciens qui les combattaient en faisant appel aux esprits plus ou moins malfaisants. Elle aimait encore plus le sang que le feu. La divinité avait repris l'enseignement du peuple qui s'était égaré. Elle l'avait purifié en demandant le sacrifice des éléments les plus tièdes.
En quelques années, le peuple s'était ainsi débarrassé de ceux qui l’empêchaient d'être un grand peuple. C'est encore la divinité qui avait éclairé le grand prêtre sur les anciennes légendes en réveillant celle qui racontait comment l'expédition au pied de la montagne avait entraîné la chute par manque de pureté. Ils avaient voulu soumettre les autres sans se purifier eux-mêmes. Pour racheter cela, le peuple avait mis en place une discipline de fer et le désir de vengeance. Sisgriuk avait été choisi pour mener l'expédition. Jeune prêtre, il brillait déjà par la rigueur de sa discipline et la pureté de sa foi dans la noire divinité. Il n'avait pas hésité à éliminer ceux qui gênaient son ascension. Aujourd'hui seul le grand prêtre était au-dessus de lui et s'il rentrait victorieux, il serait le prochain. D'ailleurs le grand prêtre l'avait compris et l'avait initié à la rencontre avec la divinité. La cérémonie avait eu lieu dans les profondeurs du temple qui avait retrouvé sa splendeur. Dans la pièce nue, un rocher dépassait. Il était le seul élément que l'homme n'avait pas transformé. La roche noire était couverte des traînées de sang sacrificiel versé dessus. Ils avaient brûlé des herbes de visions, scarifié leurs peaux avec les glyphes de la divinité ajoutant du rouge sang au noir du charbon dont leurs corps étaient enduits. La transe avait été violente. Sisgriuk s’était retrouvé projeté dans un monde sombre et rouge. Devant lui palpitait l’essence même de la divinité. Il aurait voulu la toucher, mais une pensée forte s’imposa à lui :
- Ne la touche pas !
Entendant sa perception, il sentit la présence d’un puissant serviteur de la divinité. Le serviteur continua à projeter ses pensées.
- Elle n’est pas prête.
- Je voudrais tant la servir, pensa Sisgruik, jusqu’à ne faire plus qu’un avec elle.
- Alors fais tout ce qu’elle te dira et tu connaîtras l’extase de son baiser.
- Pourquoi semble telle retenue derrière une barrière ?
- Les temps ne sont pas accomplis pour qu’elle se montre dans toute sa gloire. Détruis les diseuses et elle pourra advenir.
Le retour fut aussi brutal que le départ. Il se retrouva avec le grand prêtre, étalé sur le rocher. Les glyphes sur sa peau avaient coagulé. A ses demandes d’explication, le grand prêtre lui avoua n’avoir jamais pu parler directement avec la divinité, l’entité qu’ils avaient encore rencontrée semblait être l’intermédiaire obligé pour entendre les volontés divines. C’est cette grande ombre noire qui lui avait communiqué les moyens de lutter contre les magiciens et leurs esprits esclaves. C’est encore elle qui avait orienté l’action du peuple vers Simantaba en promettant le moyen de détruire la fondation.
Oui, Sisgriuk était content.

Le seigneur des mondes noirs regardait le monde et ceux qui s'y mouvaient. Il était satisfait de ce qu'il voyait. Les gendailleurs servaient bien la Force Noire. Ils ne se rendaient pas compte qu'ils étaient les premiers sur la liste de ceux qui donneraient leur vie-énergie pour que la force noire advienne. A moins que ce ne soit les diseuses, et surtout cette nouvelle maîtresse enchanteresse qui apparaissait comme un cercle noir sur le fond clair de la fondation. Il ressentit une petite contrariété en regardant cette lumière qui semblait naître pas loin de la fondation mais sourit à la pensée du sorcier noir et du piège que représentait Takachougha. Les choses se présentaient bien. Depuis des cycles et des cycles qu’il préparait cela, le seigneur des mondes noirs ne ressentait pourtant pas d'impatience. Encore trop de choses lui échappaient. Par exemple le cercle du porteur de flamme avait disparu. Depuis sa chute dans la rivière, il ne sentait plus sa présence. Il n'avait pour autant pas senti sa mort. Qu'était-il devenu ? D'autres inconnues existaient. Les runes de défense de la fondation étaient puissantes, très puissantes mais avoir tracé des runes noires au milieu les affaiblissaient. Cette nouvelle maîtresse enchanteresse était un vrai plaisir pour lui. Il avait commencé à la manipuler avant même son entrée à la fondation comme d'autres mais celle-là était une bonne servante même si elle ne le savait pas. Elle n'avait plus le cœur assez pur pour prononcer les cinq runes sacrées et encore moins pour cantiler la rune royale. Elle ne pourrait pas appeler à l’aide les plus puissantes des runes. Les gendailleurs protégés par les glyphes que le seigneur des mondes noirs leurs avait enseignés lutteraient plus facilement contre les diseuses. Les jours qui venaient allaient être décisifs.
Renatka peinait. Cela faisait des jours qu'il avançait dans l'obscurité avec tous les soldats du peuple de la terre. Enfermé dans le ventre de la terre, il en ressentait l’oppression des voûtes de pierre sans lumière. Le manque d’information consciente le faisait souffrir. Il pensait que Cantasha était vivante. Quand il focalisait ses perceptions sur elle, il ressentait l’emballement familier maintenant de son cœur, il la sentait vivre mais ses sensations étaient différentes d’avant. Il se demandait si cela venait de l’éloignement ou si Cantasha avait changé. En son for intérieur, il optait pour la deuxième solution. Comment serait leur rencontre ? Il percevait aussi les autres, enfin ceux qu’il connaissait. Kontaga n’était pas loin de Cantasha mais pas très près. Cela le rassurait. Il le sentait près de Michatagoulfa, fils de Santagaltopa. Le peuple des petits s’était rapproché de Simantaba. Renatka mit ce fait en rapport avec le ressenti qu’il avait du sorcier noir près de la capitale du royaume deAshra. Le sorcier devait avoir progressé dans ses conquêtes pour aller vers Simantaba. Renatka devait arriver avant lui à Simantaba pour protéger Cantasha et les autres par la même occasion. Bien que la progression soit bonne au dire de Ragdra, Renatka peinait. Des forces obscures tournaient autour de la région. Il n’avait aucune idée de ce qu’elles pouvaient être ni du danger qu’elles représentaient. Pourtant tout son être en ressentait la pression. Les éclaireurs du peuple de la terre avaient poussé presque jusqu’au site de Simantaba. Les nouvelles qu’ils ramenaient, entamèrent le moral des troupes. Les tunnels là-bas étaient soit effondrés, soit trop petits pour que les soldats passent vite. Il allait falloir creuser probablement pendant quelques jours ce qui compromettait l’effet de surprise voulu par Renatka.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire