mercredi 20 avril 2011

Houtka - 17

Renatka prit Cantasha contre lui. Elle était tendue comme un arc. Il se rappela certaines péripéties lors de leur voyage vers la fondation. Ils s’éloignèrent un peu. Quand ils furent seuls, elle se détendit un peu.
- J’ai peur.
- Moi aussi.
- Tu crois qu’on va mourir ?
- Peut-être, mais nous serons ensemble.
Loin de la lumière des feux, Cantasha mit ses bras autour du cou de Renatka. Dans la nuit noire, ils s’envolèrent. De haut la maison des accueillis était faiblement visible à cause des lumières dans le verger. C’est là qu’ils se posèrent à nouveau. Près de la haie, il y avait du bruit et des lumières. Ils s’approchèrent. Pendant que certains tenaient des torches d’autres taillaient dans la masse de la végétation. Cantasha prit la parole.
- Qu’est-ce qui ce passe ?
- Ah ! maîtresse enchanteresse, c’est vous. L’enchanteresse Sintacasha nous a donnés l’ordre de fuir pendant qu’elle se battait avec la chose innommable qui nous attaqués cette nuit.
- Où est-elle ?
- Nous avons cantilé sur son ordre les runes de défenses pour l’isoler. Elle est derrière avec la chose.
Cantasha tourna le visage vers Renatka. Malgré le peu de lumière, il put y lire la colère. Il prit lui aussi la parole :
- Poussez-vous ! Poussez-vous tous ! Laissez-moi faire.
Quand ils se furent tous écartés du passage, Renatka levant la main, ouvrit une brèche dans la haie qui n’était plus protégée par les runes. Dès qu’ils virent le passage ouvert, tous les accueillis s’y engouffrèrent. Les cantileuses restèrent la torche à la main. Elles se tournèrent vers Cantasha.
- Rejoignez l’enchanteresse Sifréma qui est dans la grotte ouverte sous la fondation ou sous ce qui reste de la fondation. Elle vous donnera des instructions. Mais surtout ne marchez sur rien qui soit sans couleur. Utilisez vos torches.
Cantasha ne les regarda même pas partir. Elle se retourna vars le tertre et avança en essayant de voir dans la nuit.
- Attends-moi ! dit Renatka.
Cantasha s’arrêta. Il lui prit la main. De sa main libre, il fit naître un peu de lumière pour éclairer devant eux. Il sentit Cantasha cantiler. Il s’immobilisa attendant qu’elle ait fini.
- J’ai mis une protection autour de nous.
- Je peux mettre plus de lumière.
- Oui. Devant nous, il y a la barrière de défense que les cantileuses de la Maison des accueillis ont faite. Sintacasha et l’innommable doivent être derrière. Je sens quelque chose sur le tertre devant. Cette force est une horreur. Je ne sens plus Mamaman, il y a trop de mauvais dans cette chose.
Renatka alluma toute la partie devant eux d’un large geste de la main. Dans la lumière crue qu’il fabriquait le jardin apparut étrange, peuplé d’arbres et de plantes improbables. Quand le faisceau lumineux toucha le tertre, ils poussèrent un cri. Une boule noire comme une porte sur le néant palpitait devant eux.
La Force Noire mettait tous ses efforts à circonvenir cette cantileuse qui se refusait à elle. Elle s’était centrée sur cet obstacle à sa volonté. Elle ne remarqua pas tout de suite l’arrivée de Cantasha et Renatka. Il fallut que la lumière la touche pour qu’elle s’intéresse à autre chose qu’à Sintacasha. La nuit touchait à sa fin. La couche de nuages s’amincissait mais la lune était couchée. La nuit était encore très noire même si un espoir de couleur vers le levant laissait pensée à l’aurore. Sentir autant d’énergie à sa portée affola les sens de la Force Noire. Ils se croyaient protégés derrière la mince barrière des runes des autres cantileuses. Analysant la situation, elle se dit qu’elle pouvait d’un coup absorber les trois si elle s’y prenait bien. Elle était certaine de faire céder celle qui se refusait en attaquant les autres. Entre la cantileuse et le porteur de flamme, quelle était la proie la plus facile ? Mais avant d’attaquer, il lui fallait savoir ce qu’ils allaient faire. Si par hasard, ils baissaient les défenses runiques, elle pourrait attaquer la porteur de flamme dont elle devinait qu’il n’avait certainement pas le pureté des cantileuses entraînées depuis leur plus jeune âge à se purifier pour être digne de cantiler les grandes runes. La situation plut à la Force Noire. Elle les sentit bouger. Se focalisant sur les plans énergétiques, elle les perçut comme de brillantes étoiles. L’homme était effectivement moins unifié que la femme. Elle sentait en lui la puissance des glyphes, de ceux qui lui avaient un jour échappé quand un grand être avait mis à mal son plan. Oui vraiment, il était la bonne voie pour se venger et détruire les cantileuses. Elle essaya d’analyser la femme, mais la Force Noire était trop gênée par sa brillance pour le faire. C’était comme vouloir regarder le soleil à l’œil nu.
Renatka était partagé sur ce qui convenait de faire. Il éclairait ce ! cette ! En lui revenait la peur du contact qu’il avait déjà connu par deux fois pendant les cycles de la rune de Corc. Il ne savait même pas s’il était en danger tout de suite ou après que la barrière des runes ait été supprimée.
Toute la volonté de Cantasha était tournée vers la destruction de cette innommable qui en voulait à sa Mamaman. Elle n’avait pas eu le sentiment de la disparition de Sintacasha, mais elle ne la voyait pas. L’inquiétude prenait sa place dans son cœur. Elle tenait fermement la main de Renatka. Cela lui évoqua le monde de Corc. Elle comprit aussi pourquoi Sifréma avait cantilé la rune interdite. Elle se posa la question de ce qu’ils devaient faire. Entre eux et la chose, la dentelle runique, qu’avaient dressée les cantileuses de la maison des accueillis.
Elle décida de s’en servir. Elle s’en ouvrit à Renatka.
- Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Tu es plus forte que ces runes qui pourraient être détournées par la chose. Ressens-tu Sintacasha ?
- Non, tout mon esprit est occupé par la vision de cette horreur.
- Chante pour elle, je modulerai le vent comme toi.
Cantasha commença à cantiler en runes anciennes tout doucement. Renatka mit l’air en mouvement au même rythme que la cantilène. Voyant leur unité, Cantasha augmenta la puissance de sa voix, l’air se mit à vibrer autour d’elle faisant résonner son corps en unité avec sa voix.
La Force Noire qui espérait voir les runes de défenses tomber, fut déçue d’entendre le chant. Elle n’y ressentait aucune puissance. Ils venaient la combattre avec une berceuse. Elle ne comprenait pas ce qu’ils faisaient. Elle était sûre qu’à travers cela, ils l’attaquaient, même si elle ne voyait pas comment. Quand le chant prit de l’ampleur, elle ressentit l’air vibrer. Ce n’était pas la femme qui manipulait la puissance mais l’homme. Même si elle n’était pas matérielle, la Force Noire interagissait avec. La vibration de l’air, qui gagnait en puissance, la traversait. Elle ressentit en elle la colonne lumineuse entrer en résonance avec le chant.
Sintacasha, enfermée dans le noir, sentait la pression s’exercer sur son esprit pour la faire céder. Elle répétait comme un mantra la rune de l’unité. Seulement la nuit profonde dans laquelle elle était et l’isolement sensoriel ne lui laissaient que peu d’espoir de s’en sortir.
Elle fut surprise du mouvement qu’elle ressentit. Cette vibration lui évoquait des runes. Elle fixa son attention dessus. C’était bien un chant en runes anciennes. Cantasha était là avec Renatka, juste là, à portée de la Force Noire. Ils étaient en danger. Pour les prévenir, Sintacasha décala ses gestes et perturba la vibration, remodulant autrement ce qui lui arrivait. Elle savait qu’ainsi sa vibration arriverait à Cantasha. Elle y mit tout son savoir. La suite de la modulation devint dialogue.
La Force Noire lança son attaque voulant profiter de la fin de la nuit. Après il y aurait trop de lumière. Si l'homme éclairait le tertre, il laissait beaucoup de zones d'ombres. Elle profita de celles-ci pour envoyer une extension afin de le capturer. Ne voulant pas faire de mouvements trop brusques, elle prit un peu de temps pour se mettre en position d'attaque. Quand elle fut juste derrière la barrière de runes, elle se prépara. D'un coup, elle se déploya, se heurta aux fils rouges pâles des runes cantilées sans puissance, qui ne l’arrêtèrent pas. Il y eut un bref flamboiement quand elle les traversa. C’est à peine si elle fut ralentie. L’homme, tout à sa modulation du vent, était à sa portée. Elle accéléra…
Renatka était très attentif à la cantilène de Cantasha. Il avait senti la variation dans le rythme de ce qu’il amplifiait. La main de Cantasha avait serré plus fort la sienne. De la joie était apparue dans son chant. La nuit finissait. Renatka maintenait de la lumière sur la chose. Plusieurs fois, il avait cru la voir bouger, mais ombre sur ombre, il n’en était pas sûr. Il y eut comme un scintillement sur sa droite. Dirigeant sa main dans cette direction, il projeta un mur de sable, de chaux et d’eau. Il sentit la pression lorsque quelque chose heurta ce mur. Éclairant dans cette direction, il vit comme un serpent noir rebondir et revenir vers lui. Il dirigea un nouveau jet de matière vers cette tête qui le visait. Une nouvelle fois, il ressentit le choc. Élargissant la lumière du mieux qu’il pouvait, Renatka cherchait l’extension de la Force Noire. La panique commençait à prendre possession de lui. Elle arriva d’en haut, il se protégea de nouveau, puis par le bas, il la bloqua encore. Les murs qu’il faisait n’avaient pas le temps de se solidifier. Il la vit arriver droit devant lui, il réagit, d’instinct il para sur sa droite la deuxième extension. Il n’allait pas tenir comme cela…
Cantasha serra plus fort la main de Renatka quand elle entendit la modulation lui revenir. Sa Mamaman était vivante, prisonnière de l’innommable mais vivante. Elle entama le dialogue. Sintacasha lui transmit du savoir à l’état pur par des runes que Cantasha n’avait jamais entendues avant. Elle comprit la nature de la Force noire, pourquoi Sintacasha pouvait lui résister et pourquoi elle ne pourrait pas. Elle allait lui demander de s’expliquer quand Renatka bougea violemment. Elle regarda et vit les pseudopodes noirs danser un ballet de mort autour de son bien-aimé. Renatka ne lui avait pas lâché la main. Elle ne pouvait pas cantiler comme il aurait été nécessaire. Elle tira sur sa main pour se dégager. Elle prépara dans sa tête les runes à cantiler pour aider Renatka. Un instant, elle avait besoin d’un instant…
Renatka sentit que Cantasha voulait sa main. Comme plusieurs extensions le menaçaient, il lâcha sa bien-aimée et des deux mains se défendit. A l’abri momentanément derrière une barrière de sable, il jeta un coup d’œil vers Cantasha. Il poussa un cri d’horreur. Une extension arrivait droit sur elle.
La Force Noire était certaine de sa victoire. Elle avait été surprise par la projection de matière solide que l’homme lui avait opposée. Elle avait vite perçu que ces murs ne tenaient pas. Il fallait un temps qu’elle n’allait pas lui laisser. Elle multiplia ses attaques puis ses attaquants. Son premier succès fut de les séparer. Avoir l’homme n’était plus qu’une question d’instants, elle en profita pour foncer sur la femme en venant de l’autre côté. Au moment où le soleil se levait, elle allait toucher au ventre la cantileuse de puissance et jouir de son triomphe.
Cantasha venait juste de libérer sa main. Elle se tourna pour cantiler la rune prévue. Devant elle, un noir pseudopode arrivait comme une flèche. Il la toucha en plein ventre. Elle sentit l’horreur la toucher. La rune de défense tatouée sur son corps encaissa le choc et entra en vibration. La cantilène d’amour premier retentit, disloquant l’attaquant. Cantasha fut projetée en arrière. Renatka n’eut que le temps d’ouvrir les bras pour récupérer ce corps qui tombait.
La Force Noire se coupa elle-même de son extension qui se pulvérisait sous la force de la cantilène runique, pour mieux repartir à l’assaut.
Le soleil se leva, éclairant le tertre et le champ de bataille. Arrivant vers la maison des accueillis les cantileuses et les armées des petits et du peuple de la terre faisaient mouvements. Sifréma tenait par la main une enfant qui ne demandait qu’à courir pour sauver Cantasha. Ils étaient tous en ordre de bataille. Tinchentaka brillait à la main du roi soldat du peuple de la terre. Ils savaient qu’ils n’avaient pas le choix. Il leur fallait défendre la vie.
Le seigneur des mondes noirs avait perdu le contact avec sa reine quand elle était advenue au monde réel grâce à Takachoughaa et au sorcier. Il avait eu besoin de temps pour comprendre que les glyphes qu’il avait appris des siècles plus tôt aux gendailleurs et qui étaient récités tel un mantra par Sisgriuk, avaient agi comme un aimant sur la Force Noire. Quand il avait voulu prendre contact avec le grand démon, il avait échoué plusieurs fois. Il avait senti que la trame du temps était perturbée. Lors d’un essai suivant, il s’était heurté aux liens qui emprisonnaient Takachoughaa. Un esprit de lumière avait agi. Ce n’était pas le signe qu’il attendait. La Force Noire avait donc besoin de lui jusqu’à ce qu’elle soit assez forte pour gouverner le monde. Il fit appel à ses troupes. Une foule d’esprits démoniaques répondit. Il ouvrit une antique porte qui donnait dans la forêt. Quand l’aube arriva une armée d’esprits malfaisants marchait vers la maison des accueillis pour défendre leur reine.

Renatka regardait Cantasha. Elle avait été touchée par la noire extension de l’horreur. Inattentif au monde extérieur, il laissa retomber ses fragiles murs de défense. La Force Noire lança une dizaine de tentacules, certaine qu’il ne pourrait tous les arrêter. Les larmes dans les yeux, il créa un dôme de pierre qui les enferma tout en les protégeant…un temps. Il savait qu’il n’avait pas réussi à faire une pierre parfaite. La Force Noire allait trouver les failles. Dans le noir où il les avait plongés, Renatka sentit respirer Cantasha. Elle avait été touchée et elle avait résisté. Il en pleura de joie. La berçant, il l’embrassa.
La colère de la Force Noire s’acharna sur cet igloo de pierre. Il y avait une faille dans cette défense, elle le sentait. Multipliant ses palpes, elle chercha le passage. Il lui fallait faire vite. Elle savait la cantileuse capable de la contrer. Recouvrant la pierre de sa présence, elle trouva le passage contre le sol. Elle s’y engouffra.
Sintacasha avait chanté les runes du savoir pour sa fille. Elles avaient dialogué à travers l’horreur qui les séparait. Maintenant, elle avait peur pour sa fille. Un souvenir lui revint en mémoire. Il datait du temps lointain de sa vie avec Entablu. Celui-ci lui avait chanté, une nuit, pendant qu’elle dormait, une rune secrète. Il lui avait expliqué le matin à son réveil.
« Quand tout sera noir, alors souviens-toi de ce matin et chante ma rune. Ce que j’ai cantilé pour toi cette nuit t’apparaîtra et tu sauras. »
Sintacasha se concentra sur la trame des forces autour d’elle. Malgré la noire présence qui la retenait, elle pouvait les ressentir. Plus très loin, vers la falaise de la fondation, venaient les hommes, de l’autre côté, sortant des vieilles portes magiques arrivaient les démons. Cantasha n’apparaissait plus comme un feu. Renatka semblait dans la confusion. La fin était proche. Elle sentait l’impatiente avidité de la Force Noire autour des amoureux. Elle cantila la rune d’Entablu. Son esprit s’ouvrit. Elle connut la source. S’écoulant en elle, la rune royale fut mur muré.
- La nuit peut-elle arrêter la lumière ?
Sintacasha sursauta en entendant cette voix. Elle s’attendait à tout sauf à entendre une voix. Autour d’elle comme un soleil qui se lève, la lumière fut.
- Ton cœur est à moi depuis longtemps. Entablu t’a bien formée. Que ma joie d’aujourd’hui soit ta joie.
- Qui es-tu ?
- Celui par qui ce qui doit advenir advient car tel est mon désir.
- Aurais-tu fait la Force Noire ?
- Non, j’ai créé la lumière. Ce qui n’est pas dans la lumière est dans l’ombre. A chacun de dire s’il veut être dans la lumière ou dans l’ombre.
Renatka sentit l’horreur pénétrer son dernier refuge. A la lueur qu’il avait allumée, il vit des pseudopodes se glisser tout autour d’eux. Ils allaient finir là, sans avoir eu simplement le temps de s’aimer. Ses larmes devinrent de peine. Quand ils frappèrent, Renatka rentra la tête dans les épaules... Rien. Il ouvrit les yeux pour découvrir la noirceur à un doigt de son visage. Regardant autour de lui, il vit que le corps de Cantasha brillait. Observant mieux, il comprit que la rune tatouée sur son ventre éclairait l’abri de pierre… Plus. La lumière issue de la rune repoussait la Force Noire. Comme la nuit se dissipe devant le lever du soleil, elle se dissipait devant la lumière qui irradiait du tatouage runique de Cantasha. La prenant dans ses bras, il se redressa. Faisant voler en éclats ses murs inefficaces, il se retrouva dans la lumière de l’aube. Il regarda le tertre. Sous la masse ténébreuse, la lumière s’écoulait comme un ruisseau remplissant le paysage au fur et à mesure de son ruissellement. La Force Noire était agitée de convulsions et de soubresauts comme si elle cherchait à fuir ce qui lui faisait mal.

Le roi des armures qui marchait en tête de ses troupes, arrivant à la brèche que Renatka avait ouverte dans la haie d’épineux, s’arrêta devant ce prodige. Tinchentaka s’illumina avant même que la lumière ne la touche. Sifréma et les cantileuses qui le suivaient, marquèrent le pas, elles aussi. Sifréma voyant ce débordement lumineux, dit :
- La rune royale a été dite. Nous sommes devant celui qu’elle appelle.
Entendant cela, toutes les cantileuses se prosternèrent. Ce fut comme une vague qui se propagea. Même si ceux qui suivaient n’avaient pas entendu les paroles prononcées, ils mirent tous un genou à terre. Le roi des armures resta seul debout comme sidéré. Se retournant, il vit que tous s’étaient agenouillés. Posant sa grande hache de combat au sol, il fit de même.
Le seigneur des mondes noirs faisait presser ses troupes. Les évènements ne se présentaient pas comme il le souhaitait. Avec tous ceux qu’il amenait, il voulait influer sur ce qui allait arriver. Encore un peu et il serait en vue de la maison des accueillis. C’est là qu’était la Force Noire. C’est là qu’il lui faudrait l’aider. Ils débouchèrent dans l’espace dégagé par la coupe des gendailleurs. Il allait donner le signal de la charge quand il le vit. Au milieu du chemin qu’ils suivaient, il était là. L’être de lumière était debout, seul face à eux tous. Toute la troupe démoniaque s’arrêta. Personne ne voulait être le premier à l’affronter. Le seigneur des mondes noirs lança immédiatement une attaque. L’énergie vola tel un sombre trait vers Netkilyte. Celui-ci leva un de ses membres. Quand elle le toucha, le projectile d’énergie noire disparut simplement comme disparaît l’ombre en plein midi.
- Tu es sans force devant moi. Je peux te proposer la paix au lieu de la guerre, la lumière au lieu de la nuit.
- Et perdre ma puissance ? Jamais.
- Tu as tort, seigneur des mondes noirs. Mon maître est ici, et il sait ton nom. Tout ce qui est dans la nuit, il le révèle.
Entendant cela, tout seigneur qu’il était, il prit peur. Il vit derrière Netkilyte, la lumière qui commençait à se répandre tel un fleuve. L’être de lumière disait vrai, son maître était là. Le Seigneur des mondes noirs dit une incantation et disparut. Netkilyte se mit à rire. C’en était trop pour tous les malfaisants qui étaient restés là. Ils se mirent à fuir.
Le soleil levant faisait flamboyer le ciel, éclairant la maison des accueillis de pourpre et de jaune d'or. Plus intense encore la lumière qui s’écoulait du tertre faisait briller toutes choses. Les couleurs éclataient dans une symphonie dont le contraste était rehaussé par la proximité de la Force Noire. L'air était devenu plus léger à respirer. Renatka, tenant Cantasha dans les bras, regardait autour de lui la transformation soudaine du cauchemar en rêve éveillé. Lentement une forme apparut, drainant le fleuve lumineux. Bientôt elle dépassa les arbres. Renatka se dit qu’elle touchait au ciel. Il y avait maintenant une colonne de lumière devant lui. Cantasha bougea. Voyant qu’elle reprenait conscience, Renatka lui fit poser les pieds par terre sans lâcher sa taille. Sous les yeux du couple enlacé, la forme, une allure vaguement humaine. Derrière, sur le tertre, une masse noire se tassait petit à petit laissant apparaître la silhouette d’une femme. Cantasha reconnut sa mère. Elle voulut courir vers elle. La forme fit un geste, l’arrêtant sur place.
- Non, il est préférable que tu restes près de lui, Cal…ent…blu.
Cantasha sursauta. La forme devant elle avait osé prononcer une des cinq runes sacrées avec les tonalités secrètes. Puis le sens de la phrase la pénétra. Celui qui avait cantilé la rune sacrée l’avait utilisée pour la désigner elle. La pensée explosa dans sa tête : elle était en présence du maître des runes, celui que désignait la rune royale. Elle se laissa tomber à genoux, entraînant Renatka dans sa descente, tout en murmurant :
- Le Maître des runes !
- Tu as encore à apprendre, Cal…ent…blu. Je te fais confiance, tu trouveras le chemin. Celui que tu as choisi et qui t’a choisie, t’enseignera aussi. Il est nécessaire que vous soyez deux pour le chemin qui va advenir pour vous. Il est nécessaire parce que je suis double.
Un sourd gémissement se fit entendre. Il venait de la masse noire au pied du tertre qui était prisonnière d’un filet de lumières multicolores. L’être double se retourna vers la Force Noire. La lumière qui l’entourait s’adoucit.
- Maintenant qu’elle est advenue dans votre monde, et qu’elle a goûté à l’énergie des runes, elle ne peut repartir dans un autre lieu. Je vais sceller sa prison ici. La fondation a été un lieu de haute spiritualité pendant longtemps. Cela protègera la terre. Puis viendra le temps où la Force Noire aura usé cette protection, alors de nombreux changements auront lieu ici. La terre deviendra inhospitalière et froide comme elle. Alors sa puissance pourra être réveillée.
- Pardonne-moi, Maître des runes, mais ne peux-tu pas la faire disparaître ?
- Tu parles sans savoir, porteur de glyphes. Je ne sais pas tuer.
- Alors, nul ne peut nous en délivrer.
- Tu parles encore sans savoir. Le jour où les tous les hommes auront un cœur pur, alors elle disparaîtra par manque de nourriture. En attendant ce jour, elle restera dans ce monde. Tu vas m’aider dans ma tâche, porteur de glyphes. Tu seras celui qui va sceller la pierre qui la retiendra.
- Je suis à tes ordres.
Depuis la brèche dans la haie, les témoins voyaient une aura de lumière devant le couple de Cantasha et Renatka. Ils entendaient comme des grondements de tonnerre auxquels répondait la voix humaine de l’un ou de l’autre. Dans ce halo brillant, ils ne distinguaient rien. Un peu derrière, une ombre palpitait. Un silence fait de respect et de crainte s’était répandu sur les présents. C’est à peine s’ils osaient lever la tête.
Cantasha leva les yeux vers la forme éblouissante de l’être double. Elle ne savait comment s’adresser à lui.
- Parle, Cal…ent…blu. Que la crainte soit étrangère à ton cœur. Tes paroles seront toujours bien accueillies.
- Mamaman…, pardon, Sintacasha que va-t-elle devenir ?
- Ta Mamaman a choisi voici longtemps la voie de la lumière comme celui qui fut son compagnon. Entablu est entré dans ma lumière en cantilant ma rune pour te protéger. Ta Mamaman était dans la lumière et parce qu’elle était dans ma lumière, elle a cantilé mon nom runique pour te protéger. L’un comme l’autre ont accompli leur vie en donnant tout pour que tu vives. Laisse-les venir avec moi. Jamais plus ils ne connaîtront les ténèbres.
Les larmes se mirent à couler sur les joues de Cantasha. Descendant du tertre, la silhouette presque translucide de Sintacasha approcha. D’une voix qui semblait lointaine, elle s’adressa à Cantasha.
- Ne pleure pas, ma fille, ma petite fille. Tu as comblé mon cœur bien au-delà de tout ce que j’avais pu imaginer. Ces derniers temps passés en ta compagnie furent le début de mon paradis. L’être double t’a nommée. Je présentais ton nom secret. Ta nature était trop runique pour que tu ne sois qu’une maîtresse enchanteresse de plus. Tu cantilais avec tant de bonheur les vieilles runes et tu as tant de liberté en toi que tu pourras être le nouveau guide dans ce monde qui s’annonce.
- J’aurais tant aimé te côtoyer encore, profiter de ton savoir et de tes conseils.
- Je comprends cela, ma fille, mais les évènements en ont décidé autrement. Ne pleure pas sur moi, je vais dans la lumière rejoindre celui que j’aime tant. Ne pleure pas sur toi, si nous ne nous verrons plus, je serai dans ta lumière de tous les jours. Maintenant, va et vis ! Deviens celle que tu es !
Ces dernières phrases furent presque inaudibles tellement la voix qui les disait s’était éloignée. Dans la lumière de l’être double, se fondait une silhouette porteuse de la robe des enchanteresses.

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