mercredi 13 avril 2011

Houtka - 4

L’homme fuyait le combat. Il n’avait d’autre solution pour sauver sa vie. Ça n’avait pas été une bataille, mais un massacre. Le groupe de villageois dont il faisait partie, s’était mis en route pour aller défendre la vallée contre les envahisseurs. Chacun avait pris ce qu’il pensait être la meilleure arme possible, qui sa faux, qui son marteau, qui sa serpe, quelques uns avaient pris leurs arcs. Bien qu’on soit en hiver, les guerriers noirs ne s’étaient pas arrêtés. Pourtant dans leur vallée, ils pensaient être tranquilles jusqu’au printemps. De mémoire d’hommes, c’était la première armée à ne pas hiverner. Ils avaient conquis la plaine et sa richesse mais cela ne leur suffisait pas, ils continuaient. Les guetteurs de la vallée avaient vu leur progression. Les noires colonnes de fumée balisaient leur avance. Massacre et pillage semblaient être leur seule manière de faire.
L’homme fuyait comme il pouvait. Avec ses haches dont le tranchant de silex était parfait, il n’avait rien pu faire contre les armes enchantées qu’on lui opposait. Il laissait dans la neige, la trace de ses pas et le rouge de son sang. Il se trouvait chanceux. Il n’était pas grièvement blessé. Il s’était retrouvé seul face à un guerrier noir. Celui-ci armé d’une épée courte et d’un bouclier, l’avait chargé. D’esquives en feintes, ils s’étaient séparés du reste du combat. Utilisant le terrain qu’il connaissait, Renatka avait entraîné son adversaire dans un bois proche. Dans le fouillis des taillis, le grand bouclier avait été une gêne pour le guerrier. Malgré sa bravoure, Renatka avait été touché plusieurs fois au bras et aux jambes. Il souffrait des coupures. C’est comme si le guerrier avait cherché à faire durer le combat, évitant la blessure mortelle. Renatka se fatiguait. Il savait que la fin était proche. Il le lisait dans le regard de son adversaire. Sa chance vint des arbres. Il entendit le bruit et se recula à temps pour éviter le paquet de neige qu’un sombre sapin, trop chargé, laissait tomber.
Depuis, il fuyait. Il ne s’arrêta qu’à la nuit. Il était sur la mauvaise pente de la vallée. Son village était en face. Entendant des hurlements, il s’approcha de l’orée du bois. Il vit le rougeoiement des incendies. De là ne lui viendrait plus aucune aide.
Il s’assit sur une souche et pleura longtemps. Le sang coagulé lui tirait les chairs et ses blessures lui faisaient mal. Il ne voulait pas dormir. Se coucher sans abri par un tel froid revenait à se laisser mourir. Il ne le voulait pas. Il fallait qu’il rejoigne un abri. Il pensait à un abri rocheux où il avait laissé quelques affaires à l’automne. Des crissements dans la neige l’alertèrent. Il se retourna juste à temps pour faire face à un molosse. Ils avaient des bêtes à sang. Ces animaux, capables de suivre la piste d’une bête blessée, étaient une aide pour les chasseurs. Mais aujourd’hui, il maudit les guerriers noirs. Renatka avait encore ses haches. Le molosse grondait et se préparait à bondir. Au loin des éclats de voix prouvaient que cette bête à sang n’était pas seule. Les guerriers noirs ne voulaient vraiment aucun survivant, pensa Renatka. Pendant ce court instant, il avait dégagé une hache, il commençait à prendre l’autre quand la bête bondit. Renatka avait beaucoup chassé. Il avait déjà vécu une situation semblable. Fourrant une hache dans la gueule de la bête, il lui fracassa le crâne de l’autre. Sans plus attendre, il grimpa dans l’arbre le plus proche et passant d’arbre en
arbre, il s’éloigna du lieu de la mauvaise rencontre. Il entendit leurs cris quand ils découvrirent la bête morte. Il savait que sa piste s’arrêtait au pied d’un arbre et qu’il leur faudrait un moment pour le retrouver. Il serait tranquille pour la nuit.
Il en profita pour mettre la plus grande distance possible entre lui et eux. Il mit un jour et encore une nuit à parvenir à la grotte. Il avait fait tant de tours et de détours qu’il se pensait à l’abri. Il trouva les affaires qu’il avait laissées : quelques provisions sous forme de noix et surtout des fourrures qui allaient lui être bien utiles. Il était épuisé, son corps ne pensait qu’à dormir. Il s’obligea pourtant à avancer encore. Plus loin, il existait un ensemble de grottes avec plusieurs passages. Y vivait un gros solitaire, cette bête énorme toutes en griffes et en dents, hibernait dans la salle principale. Il savait comment rejoindre un espace où il pourrait dormir à l’abri. Il avait rencontré plusieurs fois le gros solitaire. Ils s’étaient observés et chacun avait continué ses occupations. Là encore quand il passa près de lui, il vit un oeil s’ouvrir à moitié. Il s’arrêta, n’osant plus bouger. La bête grogna un peu mais ne bougea pas. Précautionneusement, Renatka rejoignit la petite salle derrière et là, s’endormit.
C’est le bruit que fit le gros solitaire massacrant bêtes à sang et guerriers noirs qui le réveilla. Ils avaient retrouvé sa trace malgré toutes ses précautions. Il ne s’aventura dehors que quand le silence fut retombé. Le gros solitaire s’écharnait encore sur un corps ou l’autre. Renatka pilla ce qu’il trouva sur les dépouilles. Il rassembla ainsi un trésor pour lui, des vivres et des armes. Il remarqua que parmi les morts, il y avait un sorcier. Il comprit mieux pourquoi leurs pauvres sorts n’avaient pas fonctionné. Leur communauté connaissait quelques sorts de protection mais ils avaient été inutiles devant les guerriers noirs. Il avait entendu des récits sur ces sorciers à la peau écarlate.
Ils étaient tous plus effrayants les uns que les autres. Le fait qu’un de ces êtres soit à sa poursuite l’étonna. Il lui allait fuir encore et faire le plus de choses pour brouiller sa piste. Renatka assura les sangles de son chargement sur le dos. Il regarda en arrière pour voir le gros solitaire regagner sa tanière. Sur la neige blanche, le rouge du sang avait quelque chose d’incongru. A la mi-journée, la neige se mit à tomber. Il en fut heureux. Il cessa ses ruses, persuadé que la neige fraîche serait la meilleure de ses protections. Il marcha ainsi pendant trois longues journées. Ses plaies le faisaient souffrir et le ralentissaient. D’habitude les plaies qu’il se faisait cicatrisaient bien mais avec leurs armes enchantées, il se demanda s’il n’y avait pas quelque chose de plus sournois dans son corps.
Il se reposait sous un surplomb de roche à mi pente quand il entendit le bruit des branches qu’on casse. Il arrêta de respirer et écouta. Plus bas quelque chose marchait, il entendit des voix. Avec la neige, il ne voyait rien. Ne voulant pas prendre de risques, il se mit à escalader la paroi derrière lui. Il fit un dernier rétablissement et s’affala épuisé sur le sommet. Il regarda en bas. Un corps noir essayait de sauter sur la paroi en grondant. Une bête à sang ! Puis il entendit les voix. Il n’attendit pas plus et repartit, se disant que jamais, ils ne pourraient monter cela avec les bêtes. Il continua à monter. Là-haut, le col puis l’autre vallée et peut-être un village ami. En montant le pierrier, il lui vint une idée. Arrivé près du point haut de la coulée de pierre, il repéra un gros rocher un peu instable et le fit tomber dans la pente. Reprenant son souffle, il contempla l’avalanche qu’il venait de déclencher. Au pied de la paroi, s’ils entendirent le grondement, ils ne purent rien faire avant l’arrivée de la masse de neige.
Quand il atteignit le col, il était épuisé. Certaines plaies s’étaient remisent à saigner et le faisaient souffrir à chaque pas. Il marchait comme un automate. Il ne connaissait pas cette vallée hormis un chemin que la neige cachait. Pas d’abri, il ne pouvait pas s’arrêter. Il devait atteindre le village, mais il lui faudrait encore au moins une journée. Plus rien n’existait dans son esprit que le pas d’après. Un pas, un autre pas, encore un autre pas et puis encore, encore, encore !
Des yeux sous les arbres le regardaient passer.
Elles aussi fuyaient la guerre et ses massacres. Les hommes avaient fait partir femmes et enfants avant d’aller livrer combat. Le groupe d’une dizaine de femmes et d’autant d’enfants s’était caché en entendant le bruit d’un déplacement. Les femmes s’étaient réfugiées à l’ombre sombre des résineux, faisant taire les enfants. L’homme était passé devant elles sans les voir. Il avançait comme un somnambule. Buttant dans une pierre cachée sous la neige, il s'affala en avant, endormi avant de toucher terre. La vieille Shamian s'approcha. C'était la sorcière du village de la vallée. Elle avait fait tout son possible pour le village avant de fuir. Elle se savait incapable de s'opposer directement aux sorciers des guerriers noirs. Elle serait beaucoup plus utile aux femmes en fuite qu'aux hommes au combat. Lors du dernier entretien qu'elle avait eu avec le chef, elle avait compris que celui-ci ne pensait pas qu'un seul homme puisse revenir vivant. Elle avait pris la tête du groupe des femmes en leur cachant que ce n'était pas un au revoir mais un adieu. Elles avaient marché quatre jours avant d'atteindre le col. Elles se croyaient à l'abri quand était survenu l'homme.
Shamian préparait son sort de puissance en s'approchant, prête à dire la formule. L'homme étalé dans la neige, semblait inoffensif. Ce n'était pas un guerrier noir, mais il en avait les armes. Elle le dévisagea, envisageant de le laisser gelé, là.
«C'est Renatka, le bûcheron de la vallée de la combe blanche », dit-elle à l'adresse des autres. Elle avait déjà rencontré l'homme lorsque celui-ci était venu donner un coup de main dans la vallée. Sa connaissance des bois avait été bien utile, une fois ou l'autre. Il avait toujours répondu favorablement aux demandes d'aide. Changeant son regard, elle étudia ce qui émanait de lui. Il avait été blessé par les lames ensorcelées des guerriers noirs. Elle voyait les irisations malsaines des plaies mais plus en profondeur, il y avait comme une lumière qu’elle connaissait. Elle replongea dans son passé des années en arrière quand jeune apprentie à l’école de sorcellerie de Simantaba, elle avait rencontré dans un couloir où elle ne devait pas être, la plus haute autorité qui soit : la Maîtresse enchanteresse. Celles qui accompagnaient la Maîtresse, levaient déjà leurs mains pour la punir d’être là, quand la Maîtresse d’un geste les arrêta.
« Lève-toi, apprentie ! Tu sais que tu ne devrais pas être là ! Pourtant …. »
Shamian s’était mise debout et regardait la Maîtresse enchanteresse. Leurs regards se croisèrent. Shamian fut ébloui par la flamme qu’elle vit dans les yeux posés sur elle. Une telle puissance dans ce petit corps, comment est-ce possible ? Elle se sentait mis à nue, inspectée jusqu’au plus profond de son être. La flamme changea de couleur.
« De la décision que tu prendras en voyant cette flamme dépendra le sort de notre monde. »
Comprenant que la Maîtresse était en transe, les accompagnatrices commencèrent à réciter les paroles qui devaient être dites. Shamian perdit le sens du temps. Elle voyageait entraînée par l’esprit de la Maîtresse. Elle s’approcha de la flamme et son aspect se grava à jamais dans son cœur.
Enfoui au fond de cet homme, cette flamme brûlait. Shamian se releva en chancelant. Réfléchissant à toute vitesse, elle dit le sort de protection. Elle savait qu’elle manquait de puissance mais il suffirait pour le moment. Si c’était la FLAMME, cela voulait dire que les sorts de recherche qu’elle avait sentis, étaient pour la trouver. Il n’y avait qu’un endroit où aller pour la protéger : Simantaba. Retournant près des femmes, elle fouilla dans les affaires pour en sortir la peau non tannée qu’elles avaient prise.
« Vite, vite, il faut l’envelopper là dedans ! Si les guerriers noirs le trouvent, il n’y aura plus d’espoir. »
Habituées au comportement parfois étrange de la sorcière, les autres femmes se mirent à l’ouvrage avec elle. Au regard interrogatif d’une de ses compagnes, Shamian répondit :
« Il porte l’espoir du monde face à ce chaos. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment, mais je sais. La peau non tannée va le protéger des sorts des guerriers noirs. L’esprit de la bête est encore dans la peau et va détourner la sorcellerie. Je vais soigner ses plaies comme je peux, mais il faut l’emmener à Simantaba. »
- Mais, Shamian, nous n’y arriverons jamais, c’est trop loin et on est en hiver.
- Je sais, Cantacora, mais nous n’avons pas le choix. L’avenir est entre nos mains.
- Et les enfants ?
- Je sais, mes petites, je sais, mais nous ne pouvons laisser le peuple des guerriers noirs envahir le monde. »
La discussion se poursuivit un moment mais les femmes savaient que sans Shamian, elles ne survivraient pas. Elles avaient besoin et de son savoir et de sa puissance. Elles cédèrent à contrecœur. Faisant une litière elles chargèrent l’homme inconscient dessus. Deux femmes s’y attelèrent, les autres se répartirent les autres charges et le petit groupe repartit.
Shamian resta un moment en arrière, à genoux dans la neige, elle marmonnait les paroles des sorts. Un gros solitaire apparut, puis un autre, puis des herbivores à cornes. Liés par le sort de Shamian, tous ces animaux se mirent à ravager tout ce coin de forêt. Se relevant Shamian jeta un dernier sort avant de prendre le même chemin que son groupe. Dans la nuit tombante, une neige abondante et collante se mit à tomber.
Le sorcier arriva enfin au col. Il ne décolérait pas. Entre le retard pour apprendre la disparition des deux équipes de recherche, le retard pour partir à cause de la contre attaque venue des vallées du nord, le retard pris avec cette neige qui n'arrêtait pas de tomber dans cette foutue vallée, il s'était passé trop de temps, beaucoup trop de temps pour qu'il retrouve l'homme. Le grand sorcier noir avait senti sa présence et exigeait sa capture. Par deux fois, il avait eu de la chance. Un gros solitaire des montages et une avalanche avaient quasiment effacé sa piste. Heureusement les blessures faites par les armes ensorcelées laissaient une trace qu'un sorcier pouvait suivre, en tout cas un certain temps. Le sorcier avait guidé sa troupe sur ces petites impressions qu'il avait en regardant sur le paysage sur le plan magique.
Il examina encore une fois les bois autour de lui, vit une faible marque sur sa droite. L'homme serait-il redescendu dans cette vallée? Pourtant ils l'avaient parcourue après avoir massacré les quelques paysans qui osaient leur tenir tête sans trouver âme qui vive. C'était même étonnant, ni femme, ni enfant. Ils avaient dû fuir avant. Peut-être l'homme se cachait-il dans une grotte? Les blessures magiques corrompaient doucement mais inexorablement leur victime et soit le tuaient, soit le laissaient à la merci du jeteur de sort. Le sorcier et ses guerriers entamèrent la descente. Ils n'avaient pas fait cent pas que le sorcier s'arrêta en jurant. Devant lui s'ouvrait une clairière d'arbres fraîchement abattus, ou plutôt fracassés. Le sorcier grommelant entre ses dents des jurons incompréhensibles examina les lieux. Il n'y avait plus de trace de l'homme. Ah si! Une lueur magique au pied d'un baliveau brisé. Il dégagea la neige pour trouver une arme bien connue. L'homme avait perdu ici l'épée prise sur les guerriers tués à la caverne du gros solitaire. Le sorcier plaça son ressenti sur le plan élémentaire. Il se laissa envahir par les impressions que le lieu avait gardé. Il sentit la fureur destructrice, il sentit les gros solitaires en fureur, il sentit une harde de grands animaux piétinant, il sentit la neige qui tombait en abondance. Revenant au monde habituel, il fit signe à ses hommes de monter le campement pour la nuit. Ils ne pourraient pas aller plus loin aujourd'hui. Le sorcier ne comprenait pas. Il n'y avait pas de trace de l'homme. Il était venu là, l'arme le prouvait. Mais après où était-il passé ? La fureur animale pouvait expliquer cela, si l'homme avait été tué. Il retourna sur le plan élémentaire. Les guerriers noirs avaient l'habitude de voir les sorciers, frêles silhouettes encapuchonnées, rester de longs moments sans bouger à écouter on ne savait pas quoi. Les rapports entre guerriers et sorciers étaient faits de mépris et de peur. Les uns auraient bien massacré les autres et réciproquement mais cela représentait trop de danger. Ils préparèrent les tentes et les feux.
Le sorcier sortit de transe. Toutes les explorations qu’il avait faites sur le plan élémentaire, le rassuraient. Il avait même eu le sentiment du corps de l’homme dans une bête. Les blessures magiques avaient fait leur œuvre et les bêtes du coin avaient dû se disputer la dépouille. Il était presque content quand il s’aperçut que personne ne l’avait attendu pour son repas. Il mangea quasiment froid en maudissant intérieurement les guerriers et tout ce qu’ils représentaient. Il leur annonça que, demain, ils redescendraient dans la vallée pour faire leur rapport et il alla se coucher.
Malgré sa fatigue, il n’arrivait pas à trouver le sommeil. Pourtant le grand sorcier noir pourrait être fier de lui, l’homme n’était plus un danger, malgré cette impression de contentement intérieur, il restait éveillé. Il décida d’aller jusqu’à la tente à provisions pour prendre quelque chose à manger. Avant de sortir, il regarda dehors, la neige tombait toujours. La neige …, la neige… mais oui la neige. Voilà ce qui l’empêchait de dormir, quelque chose n’allait pas avec la neige.
Il se remit en position d’écoute intérieure et parcourut les différents plans, du plus élémentaire au plus spirituel qu’il pouvait atteindre. Mais il n’y avait rien d’anormal. Pourtant il savait que quelque chose n’allait pas. Il comprit qu’il ne pourrait pas redescendre dans la vallée sans la réponse. Se présenter devant le grand sorcier noir sans pouvoir être dans l’intime conviction de la mort de l’homme équivalait à signer son arrêt de mort. Enervé, en colère, il sortit de sa tente dans la nuit et le froid. La neige tombait encore. Voilà ce qui n’allait pas, la neige continuait à tomber. Bien sûr on était en saison froide, bien sûr il y avait des nuages, mais depuis dix jours qu’ils traînaient sur ces pentes, jamais elle n’avait cessée de tomber régulièrement avec obstination. Il ne connaissait qu’une magie capable de faire cela, une magie qui agissait sur un plan qui lui était interdit. Il y avait eu un diseur de runes dans cette vallée. Elles seules pouvaient expliquer la permanence du phénomène. Le sorcier jura et jura encore. Il ne manquait plus que ça, un diseur de runes. Il n’en dormit plus de la nuit, passant et repassant tout ce qu’il ressentait du lieu pour comprendre ce qui avait pu se passer. Tournant autour du camp en spirale, il élargit son champ d’investigation. Quand le jour se leva, il pensait avoir comprit les grandes lignes de ce qui était arrivé mais, il ne pouvait répondre à deux questions, malheureusement fondamentales : qu’était devenu l’homme ? Et qui était le diseur de runes ?
Le sorcier expédia un guerrier avec un compte-rendu sous sceau magique pour le grand sorcier noir. Il y détaillait ce qu’il savait, le groupe de femmes, sa présence au moment où l’homme passait. Il préféra aussi y mettre ses interrogations et son ressenti qu’il valait mieux qu’il poursuive ce groupe de femmes que de rester dans l’incertitude de la disparition de l’homme à la flamme. En faisant cela, il se protégeait de la possible colère du grand sorcier. Pendant que le messager partait, les autres avaient repris les paquetages et se préparaient à reprendre la traque. Passer l’hiver en montagne n’enchantait personne mais comme le sorcier, ils savaient qu’il est des chefs qu’il ne vaut mieux pas exaspérer.
Le sorcier calcula qu’ils devaient avoir au moins vingt jours de retard. Un groupe de femmes et d’enfant avec les bagages n’avance pas vite. Il estima qu’il leur faudrait cinq peut-être six jours pour les rejoindre. Restaient deux inconnues : qu’est-ce que le diseur de runes avait fait pour l’homme ? Quelle était leur puissance conjuguée ? Il avait avec lui cinquante gaillards bien entraînés et sa magie qui, sans être majeure, avait la puissance nécessaire dans bien des situations difficiles.
La neige les quitta une journée de marche plus tard. Les premiers signes, lisibles pour tous qu’ils étaient sur la bonne voie, apparurent. Le pisteur prit la relève du sorcier. Maintenant, il voyait les traces des traîneaux, celles des pieds des femmes et des enfants. Il fit remarquer au sorcier qu’il n’y avait nulle trace d’homme. Il comprit qu’il avait énervé le sorcier à la réponse cinglante qu’il lui fit. Celui-ci fit encore presser le pas, et diminuer les repos.
Le lendemain, ils arrivèrent presque sous le soleil dans une vallée assez large. Avançant toujours à marches forcées, ils regardaient où ils mettaient les pieds. La moindre erreur et c’était la punition. Ils ne prenaient pas de coups, mais de la surcharge. C’est ainsi que le chef répartissait le poids en fonction des plus méritants. Ils arrivèrent ainsi à un promontoire sur la fin de journée. Posant leurs paquetages, ils commencèrent à préparer le camp pendant que le sorcier s’isolait pour repérer les traces laissées et vérifier s’il pouvait répondre à ses questions. Lui déjà irascible, devenait invivable avec la fatigue.
« Là ! », cria un des guerriers. Le sorcier fut quasiment le premier à venir voir. A l’autre bout de la vallée, une lueur brillait. Il récita un sort de vision lointaine. C’était bien un feu. Là-bas, il y avait un campement. Des silhouettes frêles voire menues lui laissaient penser qu’il s’agissait du groupe de femmes qu’ils poursuivaient. L’excitation gagna les guerriers. Des femmes qui en plus n’intéressaient pas le sorcier, leur serviraient de gibier. Certains étaient prêts à repartir tout de suite.
« Non, dit le chef, il faut que nous soyons dans les meilleures conditions pour l’attaque. Elles sont à une journée de marche. Nous attaquerons dans deux jours à l’aube. Ce soir pas de feu. Il ne faut pas donner l’alerte. »
Malgré la nouvelle d’une nuit dans le froid, les guerriers avaient bon moral en pensant au troupeau de femmes qui les attendaient. Les plaisanteries grasses fusèrent toute la soirée.
Le sorcier s’était de nouveau mis à part. Il fit le rituel de la parole de vent et envoya la pensée de leur prochain contact avec le groupe des poursuivies. C’était un sort pratique mais fatiguant à mettre en oeuvre et ne supportant qu’une pensée à la fois. Cela ne valait pas un messager mais il connaissait le pouvoir du grand sorcier et savait qu’il saurait.
Quand l’aube se leva, les guerriers étaient tous prêts, trop excités pour attendre. Tout le jour, il n’y eut pas besoin de les pousser pour qu’ils allongent le pas. Sur la fin de la journée, ils avaient atteint le point de campement des femmes. A part quelques déchets, il n’y avait pas de trace intéressante. Surtout, il n’y avait pas de trace de la magie des blessures, ni de signes de présence masculine. Le pisteur détermina qu’il devait y avoir une dizaine de femmes et autant d’enfants.
Ils repartirent de plus belle à l’assaut du prochain col. Vu la capacité de marche du groupe, il devait être juste dans la descente de l’autre côté. Leur arrivée par le haut était un avantage certain. Le chef qui craignait les sorciers et tout ce qui y ressemble comptait sur le sien pour neutraliser ce diseur de runes capable en plus de ne pas laisser de trace.
La nuit tombait quand ils atteignirent le col. Le chef grimaça. A cause du manque de lumière, il ne voyait pas bien le relief et ne pouvait pas prévoir son attaque. Parfaitement entraînés bien qu’excités, les guerriers bougeaient en silence. Ce qui n’était pas le cas du groupe dont on devinait des voix portées par le vent.
Demain le sorcier aurait ses réponses. Ils dormirent peu et assez mal. C’est à la lumière de la lune montante qu’ils rassemblèrent leurs affaires. Ils en firent un tas. Cinq guerriers furent désignés pour les garder, les autres préparèrent leurs armes. Le groupe s’élança en silence dans la descente. Plus bas, une voix de femme chantait une berceuse.
Shamian maugréait intérieurement, mais savait qu’elle ne pouvait pas les presser plus. Déjà qu’elle arrivait presque à leur faire tenir une moyenne d’homme malgré la charge, leur demander plus était impossible. Elle comptait les jours depuis leur départ de la vallée. Elle savait la vitesse des hommes et la lenteur des femmes. Elle se disait que si les guerriers noirs prenaient la piste, ils couvriraient la distance beaucoup plus vite qu’elles. La lune était devenue noire, bientôt elle allait reprendre vigueur. C’est un moment que les femmes de la vallée aimaient. Elles le croyaient favorable. Shamian se dit que cela pouvait être aussi le moment du danger. Le soir, elle récitait des runes de protection. Elle avait essayé toute sa vie d’augmenter sa puissance sans y parvenir. Comme jamais elle n’aurait pu être une des maîtresses des runes, elle avait été choisie pour être envoyée de par le monde pour aider et surveiller. La vallée l’avait séduite. Elle s’y était fixée et y passait des jours heureux, jusqu’à ce que l’ombre noire du sorcier arrive. Les femmes l’appelaient la sorcière, mais elle était diseuse de runes. A ses inquiétudes pour ses compagnes s'ajoutaient celles pour Renatka. Il n'avait pas repris connaissance. Les blessures ne progressaient pas, mais ne régressaient pas. Il était une charge importante pour les femmes. Elles ne se plaignaient pas. La fatigue creusait leurs traits. Shamian leur avait accordé un jour de repos tous les dix jours, mais cela ne suffisait pas. Le rythme baissait. Les bagages nécessaires, les enfants et Renatka rendaient certains passages délicats. Le pâle soleil d'hiver les avait rejointes dans une vallée assez large où la progression malgré la neige avait été plus facile. Le soir à l'arrêt, Shamian comme toujours scrutait derrière eux en disant les runes de protection contre les sorts. Dans la lueur du soir, loin, un éclat de lumière avait attiré son oeil. Cela n'avait duré qu'un instant. Elle se dit que peut-être, une branche chargée de neige avait-elle reflété le soleil? Mais elle avait tout de suite pensé aux amulettes qui garnissaient les habits des sorciers.
Avant l'aube, elle avait fait remettre le groupe en marche. Devant, elle avait mis Cantacora. C'était une femme solide à la belle carrure. Elle tirait Renatka plus souvent qu'à son tour. Ce jour-là elle s'était attelée avec sa sœur à la litière pour lui faire passer le col. Shamian se réservait la dernière place, ce qui lui permettait d'encourager les derniers et peut-être de retarder les guerriers s'ils attaquaient. La matinée avait été nécessaire pour gravir la pente jusqu’au col. Shamian pensait que la descente serait plus facile.
Elle fut heureuse de voir que la vallée qui s’ouvrait descendait en pente douce comme celle qu’elles venaient de quitter. Malheureusement au bout d’une heure de marche, elle déchanta. Après un début prometteur le sentier passait par un grand pierrier puis devenait une étroite bande sur un pan de roche presque à pic.
Cantacora et sa sœur s’étaient arrêtées. Shamian avança jusqu’à elles.
« On ne passera jamais ça avec la charge qu’on a, dit Cantacora.
- Nous n’avons pas le choix, Cantacora. Mais je t’accorde qu’il se fait tard. Montons le camp ici et nous passerons cela demain. Mais puisqu’il fait encore jour, nous allons reconnaître le sentier. Prends les cordes. »
Shamian et Cantacora s’avancèrent avec mille précautions sur l’éboulis enneigé. Elles avaient fixé la corde à un arbre et la déroulaient derrière elles. Le pierrier faisait bien cent pas de long, une courte pente le séparait du pied de la falaise et du surplomb étroit que devenait le chemin. La roche heureusement protégeait le sentier qui était dégagé, mais tellement étroit que passer la litière serait difficile. Les deux femmes fixèrent les cordes aux endroits les plus difficiles, puis revinrent vers les autres qui avaient préparé le repas. La plus jeune des mamans fit remarquer que les provisions s’épuisaient. Même en se rationnant comme elles le faisaient, dans deux ou trois jours, elles n’auraient plus rien à manger. Shamian l’écoutait et essayait de la réconforter quand elle sentit un sort d’exploration. Elle murmura une rune pour le bloquer, s’apercevant qu’elle avait oublié de protéger leur arrière. Elle se dit pourtant qu’un tel sort ne pouvait être utilisé qu’à petite distance. Pendant que le groupe commençait à se préparer pour la nuit, Shamian fit signe à Cantacora qui arriva avec sa sœur. Elle finissait de manger.
A voix basse, Shamian leur dit :
« Les guerriers sont juste derrière nous !
- A combien ?
- Quelques heures probablement. J’ai l’impression qu’ils ont atteint le col de ce matin. Ils vont nous attaquer probablement demain au début du jour.
- Avec ce qui est devant nous nous sommes perdues, à moins que tes sorts ne nous sauvent encore une fois.
- Malheureusement, ils ont un sorcier avec eux et je ne pourrai lutter avec lui et les guerriers en même temps. Il n’y a qu’une solution. C’est pour cela que je vous ai demandé de venir. Il faut être de l’autre côté du surplomb demain matin.
- Tu es folle, Shamian ! Nous ne pourrons jamais passer cela de nuit, déjà de jour, ce sera dur mais la nuit…
- Oui, Cantacora, tu as raison, mais c’est cela, ou la mort. »
Devant un tel argument, Cantacora resta sans voix. Profitant du silence, Shamian expliqua son plan. Elles avaient mis les cordes, Elle pouvait faire une lumière douce avec sa magie, comme cela les autres ne verraient pas les dangers. Elle insista sur le silence. Ne trouvant rien à redire, Cantacora et sa sœur hochèrent la tête. Cette nuit serait-elle la dernière ?

Les trois femmes expliquèrent aux autres ce qu’elles avaient à tenter. Ce fut les mêmes réactions et les mêmes craintes.
Shamian ne leur laissa pas le temps de tergiverser. Pendant que les femmes rassemblaient leurs affaires en silence, ou presque. Shamian, Cantacora et sa sœur commencèrent les premières navettes pour porter les affaires à l’extrémité la plus éloignée du surplomb. Passant la première Shamian disait les runes de lumière et de protection. Du camp les autres virent une pâle lueur se répandre dessinant un chemin qui vu comme cela ne semblait qu’étroit. Il leur fallut plusieurs aller-retour pour faire passer les bagages, puis vint le tour des enfants. Ils ne comprenaient pas bien pourquoi on ne pouvait pas dormir. Les plus grands obéirent à l’ordre de se taire et suivirent le mouvement. Agés d’une dizaine d’hiver, ils aidaient à porter les charges et malgré la fatigue et la peur, ils étaient fiers d’êtres les hommes du groupe. Les deux petits de cinq ou six hivers nécessitaient encore beaucoup d’aide des mamans. Leur passage fut éprouvant pour les mères, mais assez facile. Shamian fit le tour du petit groupe. De l’autre côté ne restait que Renatka sous la garde de Cantacora. Shamian essayait de rassurer tout le monde.
Le surplomb formait à cet endroit-là une plate forme bien à l’abri du vent et des intempéries. C’est là que le groupe avait installé un abri de fortune pour se reposer un peu, le temps de faire passer la litière. Une nouvelle fois, Shamian fit le chemin, inspectant ses protections, disant d’autres runes pour consolider le passage.
Quand elle arriva près de la litière de Renatka. Elle entrouvrit la peau. Heureusement le froid les protégeait de l’odeur. Sa magie avait suspendu le temps pour Renatka. Il reposait comme elle l’avait trouvé. Elle savait que si l’aide n’arrivait pas bientôt, elle ne pourrait pas maintenir cet état. Elle avait espoir. Plus bas dans cette vallée vivait une autre diseuse de runes. Enfin peut-être y vivait-elle encore.
« Ecoute ! », lui dit Cantacora.
Shamian tendit l’oreille craignant entendre le pas des hommes, mais ce n’était que l’écho, curieusement net des paroles que s’échangeaient les femmes dans leur abri. Elle se prit à sourire. Dans d’autres circonstances, cela aurait pu être un jeu. A quatre elles entreprirent de transporter la litière. A l’endroit le plus étroit qui heureusement ne dépassait pas une dizaine de pas, elle dut dépenser une énergie folle en utilisant des runes de lévitation. Elle eut un instant d’angoisse en voyant ses autres sorts diminuer d’intensité. La lumière allait manquer quand la lune se leva. Bien que dans son premier quartier, elle éclaira la scène d’une lueur blafarde mais suffisante. Epuisée, elle s’assit pour reprendre souffle, pendant que les autres continuaient sur le chemin qui s’élargissait. Le jour allait poindre. Il fallait qu’elle trouve un plan pour stopper les guerriers, mais sa fatigue l’empêchait de réfléchir. Elle se laissa aller en arrière et s’appuya sur la roche. Elle entendit plus loin une femme chanter une berceuse.
Shamian dormait. Shamian rêvait. Des guerriers noirs descendaient en courant la pente suivant les traces du groupe de femmes. L’excitation du combat était en eux. Un sorcier les accompagnait. Sa cape flottait autour de lui. Son esprit était prêt au combat avec le diseur de runes. Ils passèrent un petit bois, puis débouchèrent sur ce qui devait être une prairie en été. La neige tassée par endroit montrait qu’un camp y avait été dressé, mais la place était vide. Ils se regroupèrent. La pente finissait par une falaise, la seule issue partait sur la gauche. Ils reprirent leur progression silencieuse. Un autre petit bois, sur signe-ordre de leur chef, ils s’arrêtèrent avant la sortie. Deux éclaireurs s’avancèrent jusqu’à l’orée. Une vieille femme était allongée après un pierrier d’une centaine de pas. Elle ne bougeait pas. Sa frêle carcasse occupait tout le chemin qui courait sous un surplomb, sûrement une morte abandonnée. Plus loin on entendait encore plus distinctement les voix de femmes et d’enfants. Ils revinrent faire leur rapport. Le chef prépara ses hommes par groupe de dix, une fois le premier arrivé après le pierrier, le deuxième suivrait et ainsi de suite. Il fit signe au sorcier de se mettre avec le deuxième groupe. Les dix premiers s’élancèrent en courant. Les pierres bougeaient sous la course. Ce fut le bruit des pierres qui réveilla Shamian. Le temps qu’elle ouvre les yeux et qu’elle se redresse. Le premier groupe avait traversé et le deuxième s’élançait. De toute sa peur, elle dit une rune alors que les dix premiers guerriers s’engageaient sur l’étroite corniche qui menait jusqu’à elle. La roche explosa littéralement. L’étroit chemin disparut dans un bruit de tonnerre, entraînant les hommes avec lui. La rune continua son vol et le pierrier se mit en branle. Les dix hommes dessus furent emportés. Sentant le sol se dérober sous lui, le sorcier dit un sort de protection et perdit toute notion de l’espace dans l’avalanche qui l’emmenait. Le chef regarda le désastre, vingt hommes et le sorcier perdu. Il resta sidéré par l’évènement.
Shamian voyait sans comprendre, puis l’esprit lui revint. Elle ne se savait pas capable de dire cette rune. Devant elle, il n’y avait plus de chemin. Trois guerriers regardaient impuissants l’avalanche qui les séparaient de leurs compagnons. Derrière elle, Cantacora accourait pour voir. Shamian se remit debout avec difficulté, la tête lui tournait. Elle chancelait. Cantacora poussa un cri en montrant quelque chose du doigt. Voulant se retourner, Shamian trébucha. Cela lui sauva la vie. Un des guerriers avait lancé son épée par-dessus le chemin effondré. L’épée tapa la paroi mais en rebondissant la toucha à la cuisse, faisant couler le sang. Shamian cria sous la brûlure de l’enchantement. Elle s’effondra. Cantacora eut juste le temps de l’attraper avant qu’elle ne bascule dans le vide.
Rapidement, elle la ramena vers le groupe. Voyant la faiblesse de Shamian, elle prit le commandement et remit le groupe en route. Il fallait qu’elles s’éloignent le plus vite possible de cet endroit. Les guerriers semblaient bloqués mais ils trouveraient bien un moyen de reprendre la poursuite.
Dans la vallée les villageois sursautèrent au bruit de l’avalanche. De mémoire d’homme, on n’avait jamais eu d’avalanche dans la vallée haute. Quelques fois des glissements de pierres mais pas un tel évènement. Une femme jeune sous un vieux manteau, s’arrêta de marcher. S’appuyant sur son bâton, elle sembla fascinée par le nuage de neige qu’on voyait au loin et par le bruit sourd de l’avalanche. Elle tendit l’oreille. Elle écoutait l’écho, faible mais reconnaissable pour ceux qui savent entendre. C’était le signe qu’elle attendait. Elle partit d’un pas vif.
« Manaashia, j’ai entendu la rune de la pierre. Celle qui la prononce doit être puissante pour avoir fait un tel effet.
- Je ne me souviens pas qu’une sœur de force soit par là. Quand la Maîtresse enchanteresse nous a envoyées dans cette partie du monde pour aider et surveiller, aucune de nous n’avait le pouvoir d’une telle rune. »
La femme qui parlait, était beaucoup plus âgée. Sa robe ressemblait à celle de la jeune femme mais elle était tellement défraîchie et reprisée, que sa propriétaire en éprouvait un sentiment diffus de honte.
« Pourtant je l’ai entendue.
- Oui, mais je ne sais pas qui a pu la cantiler.
- Combien étiez-vous dans cette partie du monde ?
- Nous sommes arrivées une quinzaine. Il y a si longtemps. Beaucoup sont mortes déjà. Je ne durerai pas encore longtemps. Je n’ai pas vu Shanamia depuis plusieurs hivers, Shamian non plus. Au printemps j’ai vu Nashia qui m’a avoué qu’elle ne reviendrait pas une autre fois. Les plus vaillantes sont les jumelles qui restent dans les vallées voisines. Nous nous voyons une fois l’an, à la fête après la moisson. Quant aux autres, je connais quelques décès mais j’en ignore beaucoup.
- Qui peut venir de cette direction ?
- Shanamia ou Shamian. Mais elles n’ont jamais eu la puissance de faire cela.
- La Maîtresse enchanteresse a ressenti l’appel à envoyer quelqu’un ici. Viens allons voir qui est derrière tout cela. »
Les villageois virent les deux femmes prendre le chemin de la vallée haute. Les plus vieux grommelèrent. L’arrivée de la jeune sorcière les avait plus inquiétés que rassurés. Et voilà qu’arrivait une avalanche là-haut. Les voir partir comme cela réveilla leur crainte.

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