Cantasha en entendant le cri de Kontaga avait compris. Elle cria aussi. Elle essaya de se mettre debout mais retomba lourdement. Sa cheville refusait de la porter.
« Kontaga, où est Renatka?
- Il vient de disparaître emporté par le courant.
- Il faut le retrouver, c'est vital !
- Mais c'est impossible, Cantasha. La rivière rentre dans une gorge et se jette dans la Limpierre qui coule dans la prochaine vallée.
- Il faut le secourir.
- Mais c'est vraiment impossible. Cette rivière finit par une chute qui alimente la Limpierre en bas. Le temps que nous arrivions, il se sera fracassé sur les rochers en bas. »
Cantasha frissonnait. Elle voulut dire une rune mais son esprit ne suivait pas. Elle avait l'impression de vivre, de réfléchir au ralenti. Elle voulait dire quelque chose, il fallait faire quelque chose. Renatka ne pouvait pas disparaître comme cela. Il fallait cantiler une rune et la tracer pour le sauver, mais comment fallait-il faire déjà ? Ah oui! On commence le tracé en haut, puis d'un geste ample et souple à la fois, on trace une ligne courbe comme la hanche d'une femme avait dit la maîtresse des runes qui lui avait appris les runes. Au point bas, on repartait vers le haut d'un geste fort et puissant comme les bras d'un homme. En même temps il fallait prononcer, ... il fallait prononcer, ... il fallait ...
Kontaga regardait Cantasha bredouiller des choses incohérentes en faisant des gestes sans suite. Il la toucha. Elle était brûlante. Il jura entre ses dents. Elle avait attrapé une fièvre. Dans ces régions, ce genre de maladie pardonnait rarement. Il jura encore. Déjà qu'il avait perdu Renatka, il ne pouvait pas perdre Cantasha. Le peuple des petits qui lui avait confié cette mission n'allait pas être content. Lui qui pensait briller devant les autres sans faire grand effort, se retrouvait confronté à l'échec le plus cuisant qu'il ait jamais connu. Il demanda aux gens, qu'il avait trouvés, pour l'aider de transporter Cantasha. Ce fut un triste cortège. Kontaga avait été jusqu'à l'auberge qui surplombe la Limpierre et avait demandé de l'aide. C'est là qu'il avait trouvé les aides et la corde. L'aubergiste n'avait accepté que contre monnaie sonnante et trébuchante. Comme souvent, il tenait en grand mépris le peuple des petits. Il fit grise mine quand il vit arriver ses gens portant quelqu'un et sans la corde. Il se mit dans une colère noire, refusait de laisser entrer ces traîne-savates dans son auberge, malades ou pas, argent ou pas. Il fit tant de bruit, que la porte s'ouvrit laissant le passage à une femme.
« Que se passe-t-il aubergiste ? Ma maîtresse voudrait se reposer.
- C'est ces traîne-misère qui m'ont perdu une corde et qui voudraient en plus être traités comme des princes ! »
Kontaga se tourna vers celle qui avait parlé : une diseuse de runes, c'était une diseuse de runes. Peut-être pourrait-elle sauver Cantasha ? Il s'adressa à elle.
« Accorde-moi un instant d'attention, ô diseuse. Cette femme malade est aussi une diseuse comme toi et je l'accompagnais à Simantaba.
- Quel est son nom ?
- Cantasha, pourquoi ? »
La diseuse ne répondit pas. Elle se tourna vers l'aubergiste.
« Cette femme est une diseuse. Elle doit voir ma maîtresse. Considère ces deux-là comme les nôtres. Nous te paierons ce qu'il faudra.
- A tes ordres, diseuse. »
L'aubergiste fit une courbette et donna des ordres à ses gens. Cantasha fut amenée dans la grande salle.
La salle était maintenant presque vide. Etaient venus et repartis ceux qui voulaient un service de la part des diseuses. Une femme âgée était assise à une table, mangeant un fruit qu'elle avait pris dans la coupe devant elle. Debout, autour d'elle, d'autres femmes l'entouraient. Toutes étaient revêtues du costume des diseuses. Celle qui était sortie, lui parlait à voix basse. Le regard de la femme âgée ne quittait pas des yeux les quatre serviteurs qui transportaient Cantasha sur un brancard de fortune. Kontaga les suivait.
La femme âgée prit la parole en s'adressant à Kontaga.
« Tu dis que cette femme sur le brancard s'appelle Cantasha. Comment le sais-tu?
- C'est le nom qu'elle m'a donné, Grande diseuse de runes. Je l'accompagnais pour aller à Simantaba. Malheureusement, elle est tombée dans un cours d'eau. Le temps de trouver de l'aide, elle a attrapé un mauvais mal. »
Ils avaient allongé Cantasha sur une table. Les femmes présentes lui ôtèrent ses vêtements du dessus. Elle apparut revêtue de sa robe de grande diseuse.
« Elle porte bien les signes de sa fonction et sa rune dit son rang. L'homme n'a pas menti Maîtresse Cantileuse
- Bien, reprit la femme âgée. Qu'on fasse sortir tous les hommes ! »
Kontaga fut repoussé comme les autres et un rideau fut tiré.
La maîtresse cantileuse fit déshabiller Cantasha. Elle balbutiait des mots incohérents, tout en frissonnant.
« Elle délire de fièvre, Maîtresse Cantileuse.
- Je vois, mais enlevez-lui tous ses habits que je puisse cantiler les runes de savoir. »
Une fois nue, les diseuses purent reconnaître les runes tatouées sur son corps. Seul son visage était vierge de tout tracé. La maîtresse cantileuse en examina le tracé avec soin. Elle en suivait certaines du doigt tout en les cantilant. Elle en traçait d'autres dans l'air pendant qu'elle les disait. Petit à petit, il y eut comme un réseau de tracés runiques qui entoura Cantasha comme une seconde enveloppe. La maîtresse cantileuse s'approcha de la tête de Cantasha et lui parla à l'oreille, rapides, ses doigts traçaient des signes dans l'air. Une novice qui accompagnait l'expédition, faillit applaudir en voyant la beauté des gestes de la maîtresse cantileuse. Heureusement sa voisine l'en empêcha en lui rappelant à voix basse, le besoin de concentration nécessaire pour cantiler les runes.
Sur la table, enveloppée de runes flottantes autour d'elle, Cantasha ne bougeait plus, ne frissonnait plus. La maîtresse cantileuse se releva.
« C'est bien Cantasha. La nouvelle de sa maladie à Ashra est fausse puisqu'elle est devant nous. Mais il me faut aller vérifier pourquoi cette nouvelle nous est parvenue. Je vais garder avec moi quelques unes d'entre vous. Les autres vous allez escorter Cantasha et son compagnon à Simantaba le plus vite possible
- Mais qu'est-ce qui lui est arrivé?
- Elle a blessé son corps en tombant. Cela je l'ai réparé. Elle a aussi affaibli ses défenses à la suite du choc. Elle s'en veut de quelque chose. A cela, je ne peux rien. J'ai bloqué l'évolution de l'infection, mais seule la maîtresse enchanteresse pourra la délier de ce qu'elle-même a lié sur ses épaules.
- Il se fait tard, Maîtresse Cantileuse. Nous partirons demain.
- Non, Motinaba ! Vous utiliserez les runes pour marcher jour et nuit. Ce qui se passe est de la plus haute importance. Il faut que Cantasha soit amenée au plus vite à la Maîtresse Enchanteresse. »
Malgré le soir, elles firent leurs préparatifs. L'aubergiste ne comprenait rien à rien. Déjà recevoir une maîtresse cantileuse était exceptionnel. Si ses souvenirs étaient bons, on lui avait expliqué qu’après la maîtresse enchanteresse, il y avait des enchanteresses puis des maîtresses cantileuses, puis des cantileuses, puis des grandes diseuses de runes et enfin des diseuses de runes, sans parler des apprenties. Il y avait chez lui une dizaine de femmes de grand pouvoir. Les voir s'agiter pour deux traîne-misère, le laissait sans voix. Même son personnel n'en revenait pas de le voir ainsi, il était tellement perturbé qu'il en oubliait de leur hurler dessus.
Kontaga fut convoqué. La maîtresse cantileuse lui fit préciser l'histoire. C'est ainsi qu'elle apprit l'existence de Renatka et sa disparition dans la rivière en crue. Elle fit un compte rendu pour la maîtresse enchanteresse. Pendant qu'on l'interrogeait, Kontaga jetait des coups d'œil vers Cantasha. Celle-ci était dissimulée sous un réseau vibrant de runes sombres. Il vit les autres diseuses l'envelopper dans un drap et préparer leur voyage.
« Kontaga, tu vas les accompagner jusqu'à Simantaba. Mais le voyage va être éprouvant car vous ne vous arrêterez pas. Il faut que je trace sur toi des runes spécifiques pour que tu puisses les accompagner. L'acceptes-tu ? Si tu refuses, tu restes ici.
- J'accepte, Maîtresse Cantileuse. J'ai promis à Michatagoulfa, prince du peuple des petits d'aller avec eux jusqu'à Simantaba. Je regrette que Renatka soit mort.
- Bien Kontaga, mais les choses ne sont pas toujours ce qu'elles paraissent. »
La maîtresse cantileuse appela deux grandes diseuses et leurs donna mission d'aller explorer la rivière Limpierre pour savoir le devenir de Renatka.
Le groupe de celles qui rentraient avec Cantasha était prêt. Kontaga était à côté.
- Kontaga, je vais cantiler des runes sur toi. Ne t'inquiète pas de ce que tu ressentiras. Ton corps va être sous le contrôle d'une grande diseuse pour le temps du voyage. Tu retrouveras ton libre arbitre à Simantaba. Es-tu prêt?
- Je suis prêt. »
La maîtresse cantileuse traça sur ses pieds, sur ses mains et sur son front des runes tout en disant des sons qui ne signifiaient rien pour Kontaga. Il se sentit comme séparé de lui. Une grande diseuse s'approcha et lui dit :
« Je suis celle qui va te guider pour ce voyage. Ne lutte pas avec toi-même et tout ira bien. »
Il voulut répondre mais s'aperçut que aucun son de sortait de sa bouche. Il voulut bouger mais son corps n'obéissait plus à ses ordres. Il eut un moment de panique. Puis il sentit ses jambes et ses bras se mettre à fonctionner sans qu'il le veuille. L'expérience était étrange. Il voyait quatre diseuses qui avaient pris le brancard où reposait Cantasha. La grande diseuse qui lui avait parlé donna l'ordre du départ. Il se sentit se mettre à marcher puis à courir une fois qu'il était sur le chemin au même rythme que les porteuses qui suivaient la grande diseuse. Deux autres partirent avec les apprenties, mais en marchant pour aller à la rivière Limpierre. Quand à la maîtresse cantileuse, elle prit la route de Ashra accompagnée des deux dernières grandes diseuses.
L'aubergiste sur le pas de sa porte regarda partir tout le monde. C'était la première fois de sa vie qu'il voyait une telle chose, son auberge se vider à la nuit tombante.
Renatka se débattait dans l'eau, en premier pour garder la tête à l'air libre et en deuxième pour trouver où s'accrocher. L'eau bouillonnait autour de lui dans un fracas assourdissant. Il avait eu une expérience du même genre quand jeune, il était tombé dans la rivière de sa vallée avec un de ses copains, au moment de la fonte des neiges. Le courant violent les avait entraînés à toute vitesse. Lui avait choisi de se laisser aller dans le courant se rappelant que les feuilles tombées dans l'eau s'en sortaient mieux que les branches qui cognaient contre les rochers. Son copain avait choisi d'essayer de lutter et après plusieurs chocs sur des rochers, s'était noyé. Comme à cette époque, Renatka essayait de suivre le courant principal en évitant les rochers. Il ne les évitait pas tous, mais avait réussi à ne pas prendre de coups trop douloureux. S’il connaissait la rivière de son enfance et sa fin tranquille dans une prairie ombragée, il ne savait pas où celle-ci l'emmenait. Après un temps qui lui parut d'autant plus long qu'il était violemment chahuté, il glissa dans une vasque de grande taille où l'eau était tranquille. Il y avait un tronc en travers, un peu au-dessus de l'eau, il arriva à s'y agripper. Il fit le point. Il était seul sans Cantasha, sans Kontaga, celui-là il ne le regrettait pas. Il n'avait aucune provision, par contre sa hache courte était encore à son côté. Mais le plus grand problème était qu'il ne savait pas où il était, ni comment sortir de ce canyon. Les parois en étaient trop verticales. Le courant trop violent. La seule voie de sortie était l'aval. Raisonnablement, il pensa que cette crue due à la pluie ne durerait pas puisque la pluie avait cessé. Dans quelques heures, au plus dans un jour, il pourrait essayer de descendre le cours de la rivière. Il était bien nourri depuis ces quelques semaines passées avec Cantasha, il pourrait tenir les quelques jours nécessaires, quant à l'eau, elle ne manquait pas. Il avait réussi à prendre pied sur le tronc et reprenait un peu espoir pour la suite de son voyage. Le soir tombait. Il avait froid. Avec le bruit des chutes d'eau, il n'entendait rien autour de lui. Il remarqua que le courant augmentait encore. Le tronc sur lequel il était commençait à être recouvert par la montée des eaux. Puis d'un coup le bruit de la chute s'arrêta presque, Renatka leva la tête pour comprendre le phénomène. Il vit l'eau revenir un peu puis de plus en plus violente. Il aperçut les racines d'un arbre en haut de la chute. Il ne réfléchit pas, il plongea. L'arbre qui bascula dans la vasque où il était, écrasa le tronc sur lequel il avait trouvé refuge. La vague ainsi provoquée, le propulsa vers la sortie en forme de toboggan. Il tomba dans une autre vasque puis de nouveau dans des rapides. Renatka eut peur. Il ne maîtrisait plus rien. Il s'imaginait s'écraser au pied d'une chute. Le courant accélérait. Le bruit augmentait. Maintenant Renatka paniquait. Il essayait juste d'éviter le plus d'obstacles possible. Il y eut une brusque accélération et puis il se retrouva bloqué. La pression de l'eau sur son dos était considérable. Il ne pouvait plus faire un geste. Il commençait à manquer d'air. La peur de mourir noyé le prit. Il paniquait d'autant plus qu'il ne pouvait rien faire. Sa glotte montait et descendait de plus en plus vite. De l'air, il lui fallait de l'air. Les efforts surhumains qu'il fit ne firent qu'accentuer ce besoin. Ne tenant plus il inspira. Ce fut la nuit.
C’est pas fait pour respirer de l’eau. Ça doit pas être bon à manger. Ça aurait pas dû être là. Comme c'est curieux ! Ça a des pensées. Renatka ouvrit les yeux. Tout était noir. Il pensa qu’il était dans l’eau, d’ailleurs cela ne pouvait être autrement. Il se débattit pour en sortir avant de mourir.
- Non, ça doit pas bouger comme cela, ça va se faire mal !
- Non, ça doit pas bouger comme cela, ça va se faire mal !
Renatka eut l’impression que quelqu’un parlait dans sa tête. L’expérience était tellement étrange qu’il se mit à penser qu’il était mort.
- Mais non ça n’est pas mort, mais ça a failli.
- Qui êtes-vous ? Pourquoi parlez-vous dans ma tête ?
- Mais ça parle en plus.
- Je deviens fou, il y a quelqu’un dans ma tête.
- Non, ça est sain de corps et d’esprit. J’ai enlevé l’eau de ses poumons. Quant à sa tête elle fonctionne bien. Je suis … non, mon nom serait imprononçable pour ce temps. Je suis le dernier des grands sujets qui a peuplé la terre avant que naisse le peuple de ceux qui sont comme ça. Notre race a failli et a disparu, sauf moi. Je dois accomplir ce qui doit être fait, alors je pourrais partir en paix.
- Pourquoi tout est noir ?
- Ça ne peut pas me regarder. Ça pourrait mourir si ça me regardait comme je suis pour ses yeux. Je suis trop différent et trop semblable. Maintenant ça va dormir. Il faut que je réfléchisse à ce que je fais de ça.
Renatka voulait encore des explications. Il voulut parler, mais avant que le premier mot de la première pensée vienne, il dormait.
- Mais non ça n’est pas mort, mais ça a failli.
- Qui êtes-vous ? Pourquoi parlez-vous dans ma tête ?
- Mais ça parle en plus.
- Je deviens fou, il y a quelqu’un dans ma tête.
- Non, ça est sain de corps et d’esprit. J’ai enlevé l’eau de ses poumons. Quant à sa tête elle fonctionne bien. Je suis … non, mon nom serait imprononçable pour ce temps. Je suis le dernier des grands sujets qui a peuplé la terre avant que naisse le peuple de ceux qui sont comme ça. Notre race a failli et a disparu, sauf moi. Je dois accomplir ce qui doit être fait, alors je pourrais partir en paix.
- Pourquoi tout est noir ?
- Ça ne peut pas me regarder. Ça pourrait mourir si ça me regardait comme je suis pour ses yeux. Je suis trop différent et trop semblable. Maintenant ça va dormir. Il faut que je réfléchisse à ce que je fais de ça.
Renatka voulait encore des explications. Il voulut parler, mais avant que le premier mot de la première pensée vienne, il dormait.
Quand il se réveilla, il fut moins surpris. L’être qui l’avait capturé et qui se donnait le nom de grand sujet, ne voulait pas le tuer. Il s’interrogeait sur ce qui allait lui arriver. Le noir était toujours absolu. Quand il bougeait, ses gestes se faisaient au ralenti. Il lui était impossible d’aller vite, même sa respiration était gênée, comme si l’air avait du mal à lui arriver.
- Ça se réveille. Ça va écouter et apprendre, même si ça souffre d’apprendre. Il faudra bien y arriver puisque telle est la prophétie.
- Mais où est-on ? Qui êtes-vous vraiment ?
- Ça est toujours curieux comme ça. Je comprends pourquoi ILL a choisi de vous faire advenir. Maintenant, ça va se taire et écouter, sinon ça ne comprendra rien et tout sera perdu.
Renatka voulut répondre mais aucun son ne sortit de sa bouche. Le grand sujet reprit la parole.
- J’ai cherché dans tes pensées, tes souvenirs. J’ai trouvé ce qui me sera utile. Ça va apprendre maintenant. Les paroles sont lentes. Je vais toucher directement au siège des pensées de ça et ça va se souvenir de ce ça va apprendre. Ça ne fait pas partie du premier des peuples de la terre. Avant que ça soit, nous étions, nous les grands sujets, mais nous n’avons pas su et le malheur est arrivé.
- Ça se réveille. Ça va écouter et apprendre, même si ça souffre d’apprendre. Il faudra bien y arriver puisque telle est la prophétie.
- Mais où est-on ? Qui êtes-vous vraiment ?
- Ça est toujours curieux comme ça. Je comprends pourquoi ILL a choisi de vous faire advenir. Maintenant, ça va se taire et écouter, sinon ça ne comprendra rien et tout sera perdu.
Renatka voulut répondre mais aucun son ne sortit de sa bouche. Le grand sujet reprit la parole.
- J’ai cherché dans tes pensées, tes souvenirs. J’ai trouvé ce qui me sera utile. Ça va apprendre maintenant. Les paroles sont lentes. Je vais toucher directement au siège des pensées de ça et ça va se souvenir de ce ça va apprendre. Ça ne fait pas partie du premier des peuples de la terre. Avant que ça soit, nous étions, nous les grands sujets, mais nous n’avons pas su et le malheur est arrivé.
Renatka voyait des images et entendait des sons, avec les commentaires de celui qui le tenait. Il frissonna. Si devant ses yeux, il voyait la terre, il ne reconnaissait ni les paysages, ni la végétations ni ceux qui peuplaient la terre. Il comprit qu’il voyait des grands sujets comme ils se nommaient. Une entité qu’il nommait ILL avait fait naître les grands sujets. Il entendait leur nom mais ne pouvait redire ses sons qu’aucune gorge humaine ne pouvait produire. Renatka préféra les nommer par la couleur. Le grand sujet qui le tenait était bleu, les autres rouge, jaune, vert, avec toutes les nuances possibles. Leur corps était métastable. Ils pouvaient ainsi passer d’une forme de pure énergie à une forme de pure matière, en acceptant tous les niveaux intermédiaires. ILL leur avait donné la terre pour en faire un lieu de vie. Le grand bleu n’avait pas de plan préconçu. Il lui semblait qu’il fallait d’abord expérimenter la vie avant d’en définir les règles. Mais un jaune avait commencé à vouloir régenter le monde. Un rouge s’était opposé. Leur rencontre fut discussion, puis dispute, puis combat. Des flots d’énergies furent échangés et le jaune sortit vainqueur. Sa couleur avait changé, ayant absorbé le rouge, il était devenu orange d’une nuance plus jaune que rouge mais ayant perdu son origine. Il en tira un grand orgueil. Devant sa puissance d’autres grands sujets le rejoignirent, pendant que d’autres encore s’opposèrent. Il y eut bientôt deux camps sur la terre. Seul le grand bleu essayait de parler à l’un ou à l’autre. Le temps de la parole était résolu. Le temps des combats advint. Le jaune orangé attaqua un vert qui n’acceptait pas sa domination. Leur empoignade dura des siècles humains. Le vert fut vainqueur mais changea de couleur. Voyant la défaite de leur leader, à deux ils attaquèrent le vainqueur. Le grand bleu fut pris à partie car il ne voulait pas choisir son camp. Une grande confusion régna sur la terre. Seul le grand bleu gardait sa couleur, refusant d’annihiler l’autre, il gagnait en puissance mais restait lui-même, pendant que ses adversaires devenaient des ombres colorées mais éthérées bloquées dans un état énergétique minimal dont ils ne pouvaient sortir. Il fallut des siècles et des siècles, en temps humain, pour que le grand bleu s’aperçoive que ceux qu’ils avaient vaincus devenaient la proie de moins scrupuleux. Bientôt le monde ne fut plus peuplé que de grands sujets dont la couleur allait du marron au noir. Chaque combat se terminait invariablement par la victoire du sombre. Plus personne ne savait qui était avec qui, tant les mélanges de couleur et d’énergie avaient brouillé les repères. Le grand bleu qui n’avait pas supporté l’idée que d’autres puissent anéantir ceux à qui il avait fait grâce, s’était réfugié dans la solitude au sein de la roche comme aujourd’hui. D’autres siècles de siècles passèrent. Quand il sortit de sa retraite, il pensait avoir trouvé la solution. Les autres grands sujets qu’il rencontra ne cherchaient que la guerre. Il avait compris que leur peuple allait à sa perte par cette sorte de cannibalisme coloré. Le vainqueur se perdait autant que le vaincu. Le noir était devenu la couleur de ces êtres devenus opaques. Seul à garder sa transparence, il en appela à ILL.
- ILL, toi qui me fis advenir, viens m’aider.
- Quelle est ta demande ? Si elle est juste, alors je l’examinerai.
- ILL, maître créateur, bleu tu me fis. Ainsi je me garde par respect pour ton œuvre. Regarde mes compagnons devenus noirs. Leur vie n’est que combat, j’espérais le repos et la sérénité. J’ai compris que notre à venir est dans la transparence que tu fis pour nous.
- Ta quête est juste mais tu es le seul à l’avoir perçu. Tes compagnons vont continuer car ils sont devenus chaos. Quand le dernier combat aura eu lieu, va voir le vainqueur.
- Mais ILL, mon maître, nous nous battrons car tel sera son désir.
- Si dans ton cœur, ce désir n’est pas, alors tu lui laisseras une partie de toi, celle que je vais toucher.
- Et qu’adviendra-t-il de moi, ô ILL mon maître ?
- Tu vivras encore un temps jusqu’à ce que tu rencontres le feu qui est dans l’eau. Quand ce jour adviendra, tu lui transmettras ton savoir et les quatre glyphes premiers. Alors ce sera le temps du repos pour toi.
- ILL, que je sois le serviteur qui te sert.
ILL toucha le grand bleu. Un grain de lumière naquit à cet endroit. Le grand bleu s’en fut vers le lieu du dernier combat. Deux grands sujets aussi noirs l’un que l’autre, luttaient d’énergies et de matières mêlées. Longtemps l’issue en fut incertaine, puis le plus noir prit l’avantage. L’explosion de sa victoire fut déchirement pour le grand bleu. Il s’avança pour la rencontre. Le grand sujet noir le vit :
- Tu viens te soumettre, toi le lâche qui n’as pas combattu ?
- Non, je viens te proposer la sérénité.
- Je n’ai que faire de ta sérénité, j’ai la puissance.
- Ta puissance n’est rien.
- Tu te moques, alors goûte-la !
Un flot d’énergie jaillit vers le grand bleu. En lui, nul désir de combat. Il avança le grain de lumière et le matérialisa. L’énergie du grand noir lui dévora sa puissance. Le grand bleu comprit qu’il ne survivrait pas à un deuxième assaut. Le grain de lumière brillait maintenant au sein du grand noir, comme une petite bougie au cœur de l’immense nuit première. Celui-ci l’aperçut. Il voulut l’extirper. A chacune de ses tentatives, un autre grain prenait naissance. Des milliers de petites lumières brillaient à l’intérieur du grand noir, révélant un peu de jaune, un peu de bleu, un peu de rouge comme un vitrail. S’ajoutant l’une à l’autre les couleurs se joignirent en un blanc transparent, brillant qui se dilata encore et encore aux dimensions du monde jusqu’à ce que chaque particule de la terre recèle une touche de l’addition de tous les grands êtres.
- Maintenant que ça connaît notre histoire, ça va pouvoir accepter de porter les quatre glyphes premiers. Avec eux, grand sera le pouvoir. Ils donnent accès à la puissance des grands sujets qui fut répartie sur toute la terre pour la nourrir et la fortifier. Ça accepte ou ça refuse ?
- J’accepte.
Renatka sentit la pression augmenter autour de lui. Une douleur lui broya le pied droit, remonta sa jambe, s’élança vers la hanche. Il y eut une pose puis elle s’élança vers son épaule droite pour finir sur son petit doigt. Renatka haletait alors que la douleur le quittait. Il était encore sous le choc de la douleur quand une déchirure lui vrilla le pied gauche et fila vers son entrejambe. Après un instant d’arrêt, elle déchira le dos jusqu’au cou puis le bras droit jusqu’à son annulaire. Jamais il n’avait vécu cela. Il allait mourir, son cœur ne pourrait supporter pareille épreuve. Aussi soudainement, il eut l’impression que sa main gauche explosait. C’est comme si une tension faisait éclater ses doigts, puis son poignet, son bras, son épaule pour distendre dans un étouffement sans nom son thorax. La douleur continua son voyage jusqu’au majeur. Puis le feu prit dans son ventre, toucha le cœur, visita la tête et fila vers l’index.
Et la paix survint.
- Ça a été courageux. ILL sera heureux.
- Que m’avez-vous fait ?
- Ça verra à la lumière. Ici nous sommes dans la roche. Ça ne peut pas y vivre. Je vais poser ça dans une galerie et ça continuera son voyage. Maintenant, je vais connaître le repos.
Renatka se sentit poser à terre sur un plan dur. Autour de lui, le noir était toujours aussi profond. Il était seul.
- ILL, toi qui me fis advenir, viens m’aider.
- Quelle est ta demande ? Si elle est juste, alors je l’examinerai.
- ILL, maître créateur, bleu tu me fis. Ainsi je me garde par respect pour ton œuvre. Regarde mes compagnons devenus noirs. Leur vie n’est que combat, j’espérais le repos et la sérénité. J’ai compris que notre à venir est dans la transparence que tu fis pour nous.
- Ta quête est juste mais tu es le seul à l’avoir perçu. Tes compagnons vont continuer car ils sont devenus chaos. Quand le dernier combat aura eu lieu, va voir le vainqueur.
- Mais ILL, mon maître, nous nous battrons car tel sera son désir.
- Si dans ton cœur, ce désir n’est pas, alors tu lui laisseras une partie de toi, celle que je vais toucher.
- Et qu’adviendra-t-il de moi, ô ILL mon maître ?
- Tu vivras encore un temps jusqu’à ce que tu rencontres le feu qui est dans l’eau. Quand ce jour adviendra, tu lui transmettras ton savoir et les quatre glyphes premiers. Alors ce sera le temps du repos pour toi.
- ILL, que je sois le serviteur qui te sert.
ILL toucha le grand bleu. Un grain de lumière naquit à cet endroit. Le grand bleu s’en fut vers le lieu du dernier combat. Deux grands sujets aussi noirs l’un que l’autre, luttaient d’énergies et de matières mêlées. Longtemps l’issue en fut incertaine, puis le plus noir prit l’avantage. L’explosion de sa victoire fut déchirement pour le grand bleu. Il s’avança pour la rencontre. Le grand sujet noir le vit :
- Tu viens te soumettre, toi le lâche qui n’as pas combattu ?
- Non, je viens te proposer la sérénité.
- Je n’ai que faire de ta sérénité, j’ai la puissance.
- Ta puissance n’est rien.
- Tu te moques, alors goûte-la !
Un flot d’énergie jaillit vers le grand bleu. En lui, nul désir de combat. Il avança le grain de lumière et le matérialisa. L’énergie du grand noir lui dévora sa puissance. Le grand bleu comprit qu’il ne survivrait pas à un deuxième assaut. Le grain de lumière brillait maintenant au sein du grand noir, comme une petite bougie au cœur de l’immense nuit première. Celui-ci l’aperçut. Il voulut l’extirper. A chacune de ses tentatives, un autre grain prenait naissance. Des milliers de petites lumières brillaient à l’intérieur du grand noir, révélant un peu de jaune, un peu de bleu, un peu de rouge comme un vitrail. S’ajoutant l’une à l’autre les couleurs se joignirent en un blanc transparent, brillant qui se dilata encore et encore aux dimensions du monde jusqu’à ce que chaque particule de la terre recèle une touche de l’addition de tous les grands êtres.
- Maintenant que ça connaît notre histoire, ça va pouvoir accepter de porter les quatre glyphes premiers. Avec eux, grand sera le pouvoir. Ils donnent accès à la puissance des grands sujets qui fut répartie sur toute la terre pour la nourrir et la fortifier. Ça accepte ou ça refuse ?
- J’accepte.
Renatka sentit la pression augmenter autour de lui. Une douleur lui broya le pied droit, remonta sa jambe, s’élança vers la hanche. Il y eut une pose puis elle s’élança vers son épaule droite pour finir sur son petit doigt. Renatka haletait alors que la douleur le quittait. Il était encore sous le choc de la douleur quand une déchirure lui vrilla le pied gauche et fila vers son entrejambe. Après un instant d’arrêt, elle déchira le dos jusqu’au cou puis le bras droit jusqu’à son annulaire. Jamais il n’avait vécu cela. Il allait mourir, son cœur ne pourrait supporter pareille épreuve. Aussi soudainement, il eut l’impression que sa main gauche explosait. C’est comme si une tension faisait éclater ses doigts, puis son poignet, son bras, son épaule pour distendre dans un étouffement sans nom son thorax. La douleur continua son voyage jusqu’au majeur. Puis le feu prit dans son ventre, toucha le cœur, visita la tête et fila vers l’index.
Et la paix survint.
- Ça a été courageux. ILL sera heureux.
- Que m’avez-vous fait ?
- Ça verra à la lumière. Ici nous sommes dans la roche. Ça ne peut pas y vivre. Je vais poser ça dans une galerie et ça continuera son voyage. Maintenant, je vais connaître le repos.
Renatka se sentit poser à terre sur un plan dur. Autour de lui, le noir était toujours aussi profond. Il était seul.
Darquiflou se sentait comme un moucheron pris dans une toile. Il était pris au piège des runes. Il pensait pouvoir s’en sortir malgré tout. Il avait pris ses précautions et avait mis en place mille sorts pour les contrecarrer. Il avait retenu de nombreux détails sur les runes d’un séjour précédent. Un mauvais sorcier l’avait invoqué. Il avait joué le jeu tant que cela l’avait amusé. Il avait beaucoup appris sur les runes. Mais aujourd’hui, il était confronté à quelque chose de tellement puissant que la crainte le prenait. Son intrusion dans la chambre avait fait exploser celle-ci au sens littéral du terme. Pourtant ce n’était pas les hommes qui couraient en tous sens qui l’inquiétaient, c’était la rune centrale. Il ne l’avait jamais vue. Il ne pouvait la rapprocher d’aucune autre. Sa force brisait tous ses verrous magiques les uns derrière les autres comme des brindilles. Elle atteignit le cœur de son être. Ce fut une autre explosion, sans bruit, sans mouvement, mais brisant toute sa personnalité. Il pensa à tous les récits qu’on raconte aux jeunes démons pour les faire tenir tranquilles. Tous pensaient qu’il s’agissait de légendes. Aujourd’hui, il en vivait la réalité. Pour lui faire vivre la douleur qu’il vivait, il ne pouvait être que face à une des runes divines, voire même la rune royale. Une partie de lui souffrait mille douleurs tandis qu’une autre partie analysait froidement ce qui se passait. La diseuse n’avait pas pu tracer ces runes. Seules les enchanteresses les connaissaient et quelques mages. Il pensa à Entablu dont il avait entendu parler ici et là dans le palais pendant qu’il fouillait, mais il était mort. S’il y avait une enchanteresse, il lui fallait prévenir les siens et accessoirement son maître qui était… qui était… son esprit se dissolvait lentement. Encore un peu et Darquiflou ne serait plus. Il se regarda disparaître. C’est comme s’il rapetissait de plus en plus pour ne devenir qu’un petit, un minuscule point blanc dans le tracé d’une rune.
Lors de l’explosion les deux gardes à l’entrée furent ensevelis sous les décombres. L’appartement de la diseuse occupait un coin de bâtiment au dernier étage. On retrouva des pierres du mur à plus de trois cents pas de là. Quand les secours arrivèrent, ils ne trouvèrent aucun corps, aucune trace. Dans le rapport qui arriva jusqu’au roi, ils insistèrent sur ce détail, hormis les pierres, ils n’avaient rien retrouvé. Aucun fragment de bois, de métal ou d’étoffe. Les conseillers évoquèrent la magie, accusant le sorcier noir d’être à l’origine de cela. Sinta fut parmi les premiers à en parler. Il conseilla de signer une trêve. Le temps disait-il de faire le point et de se regrouper pour faire face au sorcier et à ses démons. Le roi pour calmer ses conseillers leur apprit l’arrivée prochaine d’une envoyée de Simantaba. Sinta ne montra pas sa peur, mais il l’a sentie lui mordre les entrailles. Dès qu’il put, il quitta le conseil pour retourner à ses appartements. Le démon avait bien travaillé, trop bien d’ailleurs. Prenant le réceptacle, il appela Darquiflou. Il n’eut pas de réponse. Il en ressentit du soulagement. Il avait du mourir avec la diseuse. En voilà deux qu’il ne pleurerait pas. Par précaution il activa la rune de confinement sans remarquer qu’un minuscule point blanc s’était glissé dedans.
Le sorcier aurait dû être content. En tout cas c’était l’opinion des acolytes. Depuis l’arrivée des démons sur le champ de bataille, la victoire était dans son camp. Malheureusement quoi qu’il arrive, il fallait qu’il se mette en colère. Aujourd’hui, c’était parce que le ravitaillement n’arrivait pas assez vite, et aussi parce que ses forces n’avançaient pas assez loin. C’est vrai que l’aide démoniaque était précieuse. Rien de tel qu’un démon pour attraper une flèche runique ou mettre en fuite par son apparition les montures de ses adversaires. Le nombre des sorciers soumis augmentait à nouveau. Ils mouraient moins sur les champs de bataille et nombreux étaient ceux qui voulaient un peu de la puissance du sorcier noir. Malheureusement tout n’était pas parfait. Les soldats d’Ashra avaient trouvé une nouvelle stratégie.
Comme ils avaient remarqué que les démons n’apparaissaient que pendant les batailles, ils menaient maintenant une guerre de harcèlement et de petits coups de main. Ils avaient aussi mis au point une technique pour se débarrasser des guerriers noirs sans que le sorcier noir ne puisse les réanimer. Ils crevaient les yeux des guerriers noirs morts avec une flèche runique et perforaient le crâne avec un bâton pointu sur lequel était gravé une rune, la même que sur les flèches. Cela n’aurait pas gêné le sorcier noir si cela avait été la vérité. Ce que les hommes d’Ashra n’avaient pas compris, était que l’on n’écrit pas ou on ne grave pas une rune comme un mot banal. Pour libérer toute sa puissance, la rune a besoin d’un tracé parfait et aussi d’être dite avec les bonnes intonations et les bonnes inflexions. Les soldats avaient bien observé les runes sur les flèches runiques et malgré leur obéissance, ils avaient décidé de les graver sur des bâtons pointus durcis au feu pour combattre les guerriers noirs et leurs sorciers. Ils n’avaient jamais réussi à reproduire le dessin parfait des traceurs de runes, leur imitation était grossière. Cela donnait un mauvais sens à la rune qui elle aussi était grossière. On ne pouvait plus la combattre comme une rune normale, car nul n’en connaissait la cantilation. Chaque groupe de soldats d’Ashra avait son graveur, ce qui donnait autant de runes différentes, grossières et incomplètes mais vaillamment servies par des hommes toujours prêts pour le sacrifice suprême. Ceux qui ramassaient les corps après les batailles et les ramenaient aux sorciers soumis avaient bien remarqué ces bâtons enfoncés dans les yeux. Ils n’avaient rien dit. Les sorciers soumis avaient essayé d’employer les sorts de neutralisation pour les runes. Ils avaient été mis en échec. Quelques corps étaient ainsi arrivés jusqu’au sorcier noir. Lui aussi avait tenté la neutralisation puis l’anéantissement des runes, sans plus de succès. Il avait alors extrait les bâtons et avait contemplé les contrefaçons grossières des runes. En agissant rune par rune, c'est-à-dire bâton par bâton, il neutralisa un bâton, puis deux, puis trois, mais pour ce faire, il avait dû perdre un temps précieux. Il avait abandonné la technique, préférant faire créer de nouveaux guerriers noirs par ses adjoints les plus proches. Malgré leur vaillance, les soldats d’Ashra n’avaient pas réussi à empêcher les guerriers noirs de fouler le sol d’Ashra.
La guerre d’Ashra avait commencé.
Comme ils avaient remarqué que les démons n’apparaissaient que pendant les batailles, ils menaient maintenant une guerre de harcèlement et de petits coups de main. Ils avaient aussi mis au point une technique pour se débarrasser des guerriers noirs sans que le sorcier noir ne puisse les réanimer. Ils crevaient les yeux des guerriers noirs morts avec une flèche runique et perforaient le crâne avec un bâton pointu sur lequel était gravé une rune, la même que sur les flèches. Cela n’aurait pas gêné le sorcier noir si cela avait été la vérité. Ce que les hommes d’Ashra n’avaient pas compris, était que l’on n’écrit pas ou on ne grave pas une rune comme un mot banal. Pour libérer toute sa puissance, la rune a besoin d’un tracé parfait et aussi d’être dite avec les bonnes intonations et les bonnes inflexions. Les soldats avaient bien observé les runes sur les flèches runiques et malgré leur obéissance, ils avaient décidé de les graver sur des bâtons pointus durcis au feu pour combattre les guerriers noirs et leurs sorciers. Ils n’avaient jamais réussi à reproduire le dessin parfait des traceurs de runes, leur imitation était grossière. Cela donnait un mauvais sens à la rune qui elle aussi était grossière. On ne pouvait plus la combattre comme une rune normale, car nul n’en connaissait la cantilation. Chaque groupe de soldats d’Ashra avait son graveur, ce qui donnait autant de runes différentes, grossières et incomplètes mais vaillamment servies par des hommes toujours prêts pour le sacrifice suprême. Ceux qui ramassaient les corps après les batailles et les ramenaient aux sorciers soumis avaient bien remarqué ces bâtons enfoncés dans les yeux. Ils n’avaient rien dit. Les sorciers soumis avaient essayé d’employer les sorts de neutralisation pour les runes. Ils avaient été mis en échec. Quelques corps étaient ainsi arrivés jusqu’au sorcier noir. Lui aussi avait tenté la neutralisation puis l’anéantissement des runes, sans plus de succès. Il avait alors extrait les bâtons et avait contemplé les contrefaçons grossières des runes. En agissant rune par rune, c'est-à-dire bâton par bâton, il neutralisa un bâton, puis deux, puis trois, mais pour ce faire, il avait dû perdre un temps précieux. Il avait abandonné la technique, préférant faire créer de nouveaux guerriers noirs par ses adjoints les plus proches. Malgré leur vaillance, les soldats d’Ashra n’avaient pas réussi à empêcher les guerriers noirs de fouler le sol d’Ashra.
La guerre d’Ashra avait commencé.
Le roi d’Ashra expliquait à la grande cantileuse et à ses suivantes ce qu’il savait. Celle-ci fut déçue du peu d’informations importantes qu’il lui apportait. Elle avait gardé secrètes ses informations sur ce qu’elle savait de Cantasha. Le roi ne savait pas le vrai rôle de Renatka. Il l’avait toujours tenu pour un simple garde. Après cette rencontre, elle avait tenu à aller explorer elle-même le bâtiment où avait été l’appartement de Cantasha. Elle cantila des runes pour le solidifier et lui permettre de l’inspecter. A ses yeux experts, les runes tracées furent évidentes. Seul Cantablu avait pu tracer et cantiler toutes ces runes, surtout la dernière au centre du dispositif. Elle ressentait encore la force première de la rune royale. Elle comprenait maintenant pourquoi Cantablu n’avait pas survécu. Ce vieux fou avait tracé la rune royale pour protéger le secret du départ de Cantasha. Elle sourit et une bouffée de tendresse la saisit en pensant à Cantablu qu’elle avait connu alors qu’elle était jeune apprentie. Il avait toujours été un peu fou mais là, elle n’aurait jamais osé. Elle continua son exploration et trouva les traces du passage d’un démon. Voilà pourquoi la réaction avait été si violente. Le faisceau des runes avait réagi d’autant plus violemment que le danger était grand. Déjà pour arriver jusqu’à l’appartement, il fallait un démon de bonne puissance mais rien que pour pénétrer dans la chambre, il fallait un être de forte magie. Ce n’était peut-être pas un des grands seigneurs noirs mais en tout cas pas un petit démon. Normalement, elle aurait dû trouver les restes du démon parmi les ruines. Ce filet de runes pouvait les capturer mais aussi les détruire. Une seule inconnue, la rune royale qui mettait le dispositif directement sous le contrôle de Beth. Hors de Simantaba, elle n’osait cantiler son nom, elle employa le langage ordinaire pour ses compagnes.
Elle s’interrogeait sur le devenir du démon. En tout cas il fallait le chercher. On ne pouvait pas laisser un tel être se promener dans le palais avec la guerre qui venait vers Ashra.
Sans se faire annoncer, elle retrouva le roi qui n’appréciait pas trop les libertés qu’elle prenait avec le protocole. Comme il lui faisait remarquer assez vertement, elle le morigéna, lui expliquant que laisser un démon puissant de surcroît se promener dans le palais était la meilleure chose pour qu’il en meure. Le roi pâlit. Elle lui annonça qu’elle allait fouiller tout le palais pour le retrouver. Il lui donna sa permission d’entrer partout et de chercher partout. Personne ne remarque la soudaine blancheur du conseiller Sinta. La grand cantileuse sortit comme elle était entrée, comme un coup de vent. Le conseil reprit. Le roi voulait l’opinion de ses conseillers sur la meilleure stratégie pour la suite de la guerre. Le conseiller Sinta, pour une fois, fut particulièrement bref dans ses avis. Dès que ce fut possible, il s’absenta. Sa position sociale lui interdisait de courir dans les couloirs. Il fallait qu’il se débarrasse de ce qui restait de Darquiflou. Il arriva dans ses appartements avant les diseuses qui avaient commencé leur recherche par les souterrains. Il prit l’urne. Il ne pouvait la casser, il avait peur qu’un sort l’en empêche. Il ne pouvait la jeter simplement. Au palais, peu de gens savaient assez de runes pour en tracer et surtout pour tracer celle qui était sur l’urne. Il se décida pour l’envoyer le plus loin possible. Sortant du palais, il rejoignit une petite maison discrète, où il faisait des affaires plus ou moins légales mais toujours rémunératrices. Il chargea un de ses hommes de main de trouver un porteur pour la convoyer au loin. Il fit comprendre à l’homme que le secret était essentiel vu ce qu’elle contenait, puis il rentra au palais. L’homme était mal à l’aise. Cette mission ne ressemblait pas à celles dont il avait l’habitude. Il cacha l’urne dans un vase plus grand en terre cuite. Il la cala avec des hardes qui traînaient là et qui d’habitude servaient de litière aux chiens. Sortant avec, il alla jusqu’au marché. Les rumeurs de guerre avaient dépeuplé la ville. Il maugréa devant le manque de monde, même les coquins habituels étaient partis se mettre à l’abri. Il ne restait que les trop pauvres qui ne savaient pas où aller pour fuir. Il repéra une femme en haillon, vieille et sale. Il l’accosta.
- Veux-tu gagner quelques pièces ?
- Que veux-tu que je fasse, Monseigneur ? Voler ? Tuer ?
- Non, rien de tout cela. Tu vois ce vase, il contient une Machirinta. Mon maître m’a chargé de l’enterrer au loin près de la rivière Limpierre, mais je préfère fuir dans la montagne et rejoindre ma famille.
- La rivière Limpierre est loin, cela va te coûter cher.
- N’exagère pas la vieille ! Si tu ne veux pas, je demande à quelqu’un d’autre.
- Je n’ai pas dit cela, Monseigneur, mais paye-moi un prix juste.
L’homme de main et la mendiante négocièrent ferme. Après la durée et la difficulté du voyage, elle dit la difficulté de voyager avec une Machirinta. C’était quand même des déchets qui sentaient mauvais. L’homme de main discuta encore un moment mais céda une somme que la mendiante trouva fort agréable. Ils se séparèrent après avoir échangé les serments d’usage, mille joies à celui qui respectait sa parole, mille peines au parjure. L’homme de main était assez heureux de s’être débarrassé de cet encombrant objet. Il trouva géniale son idée de Machirinta. C’était un vieux rite de fécondité. Son origine se perdait dans la nuit des temps. Quand un couple n’était pas fécond, il faisait le rite. Il était relativement simple. A l’aide de plantes toutes plus malodorantes les unes que les autres, on en faisait un emplâtre qu’on appliquait sur le bas ventre de la femme et de l’homme. Il fallait attendre qu’il sèche. Puis on l’arrachait avec les poils en général et on faisait brûler le tout. Les cendres devaient être mises dans une urne et jetées dans une rivière, qui était traditionnellement la Limpierre. Même réduites en cendres, l’odeur des plantes était désagréable. Souvent le porteur ne dépassait pas le premier ruisseau et jetait le tout aux abords de la ville. La mendiante but une bonne partie de la somme, mais la peur de la guerre la fit partir. Elle suivit le flot des réfugiés. La route de la Limpierre lui sembla aussi bonne qu’une autre. Elle la prit.
Elle s’interrogeait sur le devenir du démon. En tout cas il fallait le chercher. On ne pouvait pas laisser un tel être se promener dans le palais avec la guerre qui venait vers Ashra.
Sans se faire annoncer, elle retrouva le roi qui n’appréciait pas trop les libertés qu’elle prenait avec le protocole. Comme il lui faisait remarquer assez vertement, elle le morigéna, lui expliquant que laisser un démon puissant de surcroît se promener dans le palais était la meilleure chose pour qu’il en meure. Le roi pâlit. Elle lui annonça qu’elle allait fouiller tout le palais pour le retrouver. Il lui donna sa permission d’entrer partout et de chercher partout. Personne ne remarque la soudaine blancheur du conseiller Sinta. La grand cantileuse sortit comme elle était entrée, comme un coup de vent. Le conseil reprit. Le roi voulait l’opinion de ses conseillers sur la meilleure stratégie pour la suite de la guerre. Le conseiller Sinta, pour une fois, fut particulièrement bref dans ses avis. Dès que ce fut possible, il s’absenta. Sa position sociale lui interdisait de courir dans les couloirs. Il fallait qu’il se débarrasse de ce qui restait de Darquiflou. Il arriva dans ses appartements avant les diseuses qui avaient commencé leur recherche par les souterrains. Il prit l’urne. Il ne pouvait la casser, il avait peur qu’un sort l’en empêche. Il ne pouvait la jeter simplement. Au palais, peu de gens savaient assez de runes pour en tracer et surtout pour tracer celle qui était sur l’urne. Il se décida pour l’envoyer le plus loin possible. Sortant du palais, il rejoignit une petite maison discrète, où il faisait des affaires plus ou moins légales mais toujours rémunératrices. Il chargea un de ses hommes de main de trouver un porteur pour la convoyer au loin. Il fit comprendre à l’homme que le secret était essentiel vu ce qu’elle contenait, puis il rentra au palais. L’homme était mal à l’aise. Cette mission ne ressemblait pas à celles dont il avait l’habitude. Il cacha l’urne dans un vase plus grand en terre cuite. Il la cala avec des hardes qui traînaient là et qui d’habitude servaient de litière aux chiens. Sortant avec, il alla jusqu’au marché. Les rumeurs de guerre avaient dépeuplé la ville. Il maugréa devant le manque de monde, même les coquins habituels étaient partis se mettre à l’abri. Il ne restait que les trop pauvres qui ne savaient pas où aller pour fuir. Il repéra une femme en haillon, vieille et sale. Il l’accosta.
- Veux-tu gagner quelques pièces ?
- Que veux-tu que je fasse, Monseigneur ? Voler ? Tuer ?
- Non, rien de tout cela. Tu vois ce vase, il contient une Machirinta. Mon maître m’a chargé de l’enterrer au loin près de la rivière Limpierre, mais je préfère fuir dans la montagne et rejoindre ma famille.
- La rivière Limpierre est loin, cela va te coûter cher.
- N’exagère pas la vieille ! Si tu ne veux pas, je demande à quelqu’un d’autre.
- Je n’ai pas dit cela, Monseigneur, mais paye-moi un prix juste.
L’homme de main et la mendiante négocièrent ferme. Après la durée et la difficulté du voyage, elle dit la difficulté de voyager avec une Machirinta. C’était quand même des déchets qui sentaient mauvais. L’homme de main discuta encore un moment mais céda une somme que la mendiante trouva fort agréable. Ils se séparèrent après avoir échangé les serments d’usage, mille joies à celui qui respectait sa parole, mille peines au parjure. L’homme de main était assez heureux de s’être débarrassé de cet encombrant objet. Il trouva géniale son idée de Machirinta. C’était un vieux rite de fécondité. Son origine se perdait dans la nuit des temps. Quand un couple n’était pas fécond, il faisait le rite. Il était relativement simple. A l’aide de plantes toutes plus malodorantes les unes que les autres, on en faisait un emplâtre qu’on appliquait sur le bas ventre de la femme et de l’homme. Il fallait attendre qu’il sèche. Puis on l’arrachait avec les poils en général et on faisait brûler le tout. Les cendres devaient être mises dans une urne et jetées dans une rivière, qui était traditionnellement la Limpierre. Même réduites en cendres, l’odeur des plantes était désagréable. Souvent le porteur ne dépassait pas le premier ruisseau et jetait le tout aux abords de la ville. La mendiante but une bonne partie de la somme, mais la peur de la guerre la fit partir. Elle suivit le flot des réfugiés. La route de la Limpierre lui sembla aussi bonne qu’une autre. Elle la prit.
Sinta était heureux. La maîtresse cantileuse n’avait trouvé que des broutilles et aucun démon de grande puissance. Son homme de main avait fait son rapport et lui avait assuré de la disparition du vase. Sinta se disait que de toute façon, personne ne pourrait ouvrir l’urne de Darquiflou scellée par une rune et même si quelqu’un connaissait la manière de le faire, l’ignorance du nom du démon causerait la perte de l’imprudent. L’autre bonne nouvelle lui était arrivée par ses espions puis avait été confirmée au conseil. Le sorcier noir avait décidé de s’en prendre au royaume d’Ashra. Sa progression était plus lente que prévue mais les soldats d’Ashra ne tenaient pas longtemps devant les démons. Le roi après avoir rencontré le prince commandant en privé, estimait que la capitale se retrouverait assiégée d’ici à ce que la lune soit pleine. Il restait donc quatorze jours pour parfaire les défenses et s’organiser. Le roi détailla les travaux urgents à entreprendre et se voulut rassurant. Les démons ne feraient pas le poids devant une maîtresse cantileuse et ses adjointes. Maintenant qu’elles étaient sûres qu’il n’y avait pas de possession démoniaque dans la cité, elles allaient inscrire les runes sur les murs de la ville pour la protéger. Le sorcier noir pensait gagner la guerre mais au final le peuple d’Ashra serait vainqueur.
Le sorcier noir était satisfait, pour une fois. La progression des troupes de guerriers noirs était régulière. Ils avançaient un peu moins vite que prévu. Ce n’était pas trop gênant, la plaine était soumise et pouvait servir de base arrière. Il disposait de réserves. Ses espions étaient actifs. Il avait appris la mort de la grande diseuse et du porteur de flamme dans l’explosion de l’appartement. Il y voyait l’œuvre de Darquiflou. Il avait essayé de voir à travers divers sorts ce qui se passait chez la grande diseuse mais elle avait mis trop de défenses pour qu’il puisse en venir à bout de loin. Une fois sur place, il inspecterait lui-même les lieux. Il ne doutait pas de trouver ce qui était arrivé et de soumettre par un sort de nécromancie et la diseuse et le porteur de flamme. Il savait aussi l’arrivée de la maîtresse cantileuse, il ne la craignait pas. Il avait une arme secrète, Takachougha. Sa puissance saurait faire tomber ses orgueilleuses de leur piédestal. Avant que la lune soit pleine, il ferait le siège de la capitale du royaume d’Ashra. Avec l’aide de Takachougha, il ne doutait pas. Le siège serait court. Après cela, la route de Simantaba lui serait ouverte. Simantaba : le dernier obstacle avant le pouvoir absolu.
Le sorcier noir était satisfait, pour une fois. La progression des troupes de guerriers noirs était régulière. Ils avançaient un peu moins vite que prévu. Ce n’était pas trop gênant, la plaine était soumise et pouvait servir de base arrière. Il disposait de réserves. Ses espions étaient actifs. Il avait appris la mort de la grande diseuse et du porteur de flamme dans l’explosion de l’appartement. Il y voyait l’œuvre de Darquiflou. Il avait essayé de voir à travers divers sorts ce qui se passait chez la grande diseuse mais elle avait mis trop de défenses pour qu’il puisse en venir à bout de loin. Une fois sur place, il inspecterait lui-même les lieux. Il ne doutait pas de trouver ce qui était arrivé et de soumettre par un sort de nécromancie et la diseuse et le porteur de flamme. Il savait aussi l’arrivée de la maîtresse cantileuse, il ne la craignait pas. Il avait une arme secrète, Takachougha. Sa puissance saurait faire tomber ses orgueilleuses de leur piédestal. Avant que la lune soit pleine, il ferait le siège de la capitale du royaume d’Ashra. Avec l’aide de Takachougha, il ne doutait pas. Le siège serait court. Après cela, la route de Simantaba lui serait ouverte. Simantaba : le dernier obstacle avant le pouvoir absolu.
La maîtresse enchanteresse attendait. Elle était âgée. Elle dirigeait la fondation depuis tellement longtemps. La crise était là. Bien sûr, elle avait pris les décisions qui lui semblaient nécessaires. La suite des évènements lui avait donné raison. Aujourd’hui, elle connaissait le doute. Elle avait appris la mort de Entablu, l’ami fidèle, le conseiller pertinent. Il lui manquait pour faire face sereinement aux évènements. La maladie de Cantasha l’inquiétait. Elle attendait avec impatience les nouvelles de la maîtresse cantileuse. Elle décida de sortir les pierres. La tradition les faisait remonter à la fondatrice elle-même. Ces pierres auraient même été données par les grands êtres inventeurs des runes. Elle y croyait sans y croire. Longue héritière d’une tradition séculaire, elle connaissait les archives secrètes et savait que certains rites fondamentaux étaient somme toute, assez récents. Les pierres étaient entreposées dans une petite salle creusée dans la roche. La tradition interdisait de les stocker ailleurs. Les bâtiments qui abritaient la fondation étaient adossés à la falaise. Age après âge, des étages avaient été ajoutés. En tant que maîtresse enchanteresse, elle occupait un bâtiment en surplomb qui était rattaché au reste par une passerelle, qui était la seule voie d’accès. Elle se dirigea vers le fond de la pièce, ouvrit une porte et pénétra dans une petite salle basse, ancienne grotte naturelle qui avait été agrandie. Elle déplaça le petit rocher qui fermait la niche et sortit les pierres. Il y en avait une bleue, une brun noir, une rouge, et une blanche. Les couleurs lui semblaient toujours trop vives pour des objets anciens. Elle les posa sur une table de pierre. Elle prépara le bol d’eau, le roseau et l’encre. Jeter les pierres ne suffisait pas, il fallait aussi préparer le terrain. Avec une encre qui serait lavée après la cérémonie, elle traça les runes inachevées. Elles formaient une figure complexe mais toutes s’arrêtaient avant d’atteindre le centre et laissaient ainsi un cercle. Elle laissa l’encre sécher en tenant les pierres dans ses deux mains réunies en cage. De la chaleur semblait s’en dégager. Elle les jeta dans l’espace entre les runes. Les pierres tintèrent en tombant. Les runes inachevées se mirent en mouvement. Elles se détachèrent de leur support de pierre pour se dérouler dans l’espace. De nouveaux tracés apparurent, créant d’autres runes, disant d’autres choses. La maîtresse enchanteresse très tendue, lisait les dessins changeants. L’avenir était trouble et incertain. Elle voyait sa fin possible avec la fondation, elle voyait une succession qui la sauverait peut-être. Elle entraperçut des runes sombres porteuses de malheur, parlant de magie noire, elle vit des tracés inconnus aux couleurs de ses pierres. Puis les runes se mélangèrent et furent illisibles. Elle attendit que les fins réseaux flottant dans l’air se dispersent pour récupérer les pierres et les ranger. Elle lava la pierre de la table. Quand elle sortit de là, elle avait le sentiment qu’elle n’était plus celle qu’il fallait pour diriger. Il lui fallait convoquer les enchanteresses pour déterminer laquelle prendrait sa suite. Cela voulait dire une cérémonie des corps. Tout au long de leur vie, les diseuses quel que soit leur rang, traçaient des runes sur elles-mêmes ou sur leurs élèves suivant les différentes initiations. Arrivées au rang d’enchanteresse, elles étaient tatouées de la tête au pied de runes diverses par leurs tracés et leurs couleurs. Lors de la cérémonie des corps, des herbes divinatoires étaient brûlées. Les enchanteresses et leur maîtresse si elle vivait encore, entraient dans la salle. Après un bain purificateur, elles respiraient les vapeurs des herbes. Une vision était donnée à l’une ou à l’autre, la vision d’une rune particulière résultant du mélange des tracés sur le corps d’une des prétendantes. Une fois la vision reçue, il suffisait d’examiner chacune pour découvrir qui était désignée. Depuis le début de la fondation, il n’y avait jamais eu d’exception. Seule la bien aimée fondatrice n’avait pas subi cette cérémonie.
L’annonce de la cérémonie des corps fit l’effet d’une bombe. Toutes furent bouleversées.
Il y en a une qui fut contente. Sifréma n'attendait que cela. Depuis des années, elle manœuvrait et intriguait pour se placer en bonne position pour se faire reconnaître maîtresse enchanteresse. Elle ne doutait pas de pouvoir influencer les visions afin de se faire désigner. Elle étudiait les runes dites noires depuis si longtemps qu'elle les maniait en experte. Officiellement, elle était chargée de superviser l'enseignement et la mise en place des garde-fous indispensables à l'utilisation de ces runes. Les runes étaient dites noires parce que leur utilisation pouvait permettre d'agir sur l'autre contre sa volonté et surtout sans qu’on le sache. Elle avait commencé presque sans le faire exprès. Sa première manipulation, elle s’en rappelait encore après toutes ces années, fut pour avoir plus de bien être matériel. La règle ne prévoyait pas de dérogation matérielle pour celles qui avaient fait un gros travail. Sifréma avait jugé cela injuste. Elle avait manipulé sans trop de subtilité les cuisinières et avait obtenu un surcroît de nourriture bien venue pour apaiser la fin qui lui tenaillait le ventre. Elle avait craint le châtiment mais rien n’était venu. Cela l’avait confortée dans la croyance de sa bonne foi face aux autres. Elle avait ensuite continué. C’était bien pratique, et puis elle donnait tant pour la fondation qu’elle y avait le droit, sans vouloir entendre que faisant cela elle privait les autres de ce qui leur revenait. Elle avait beaucoup travaillé, mais aussi beaucoup arrangé les choses pour arriver la plus jeune enchanteresse de la fondation. Elle faisait partie des huit conseillères de la maîtresse enchanteresse et à ce titre, la cérémonie des corps lui était destinée. Elle supervisait la préparation de la salle pour la cérémonie. Elle en profita pour tracer de petites runes noires un peu partout. Elles ne feraient aucun mal aux autres enchanteresse, ni à la maîtresse enchanteresse, simplement, elles leur feraient voir ce qu’il était bon qu’elles pensent. Elles verraient un tracé de runes corporelles qui n’existaient que chez elle. Après la suite logique l’amènerait au poste suprême qui devait lui revenir de droit puisqu’elle était sûre d’être la plus apte à diriger la fondation. La nuit tombait quand les neuf femmes entrèrent dans la salle de la cérémonie des corps. Des apprenties avaient fait chauffer l’eau des bains de purification, préparé les braseros où seraient brûlés les mélanges aromatiques et hypnagogiques. Elles se déshabillèrent. L’une après l’autre, elles entrèrent dans le bain purificateur. Aidées par les apprenties, elles frottèrent leurs corps pour effacer toutes traces pouvant altérer le tracé des runes corporelles. Une fois prêtes, elles firent cercle autour du plus grand des braseros. Les apprenties, allumèrent toutes les lanternes. La vaste pièce était maintenant brillamment éclairée. En son centre, neuf femmes nues, immobiles comme des statues, s’apprêtaient à vivre l’expérience de la transe divinatoire. Les apprenties sortirent dans une procession pleine de dignité. Deux maîtresses cantileuses s’approchèrent du brasero, y répandirent les herbes et sortirent en fermant les lourdes portes de pierre. La maîtresse enchanteresse cantila la première rune, puis chacune à son tour joignit sa voix à celle de la maîtresse enchanteresse. Une lourde fumée se dégageait du brasero. Son odeur suave et entêtante se répandit dans la pièce. La cantilation continuait, s’y adjoignit le geste. Maintenant chacune traçait dans l’air avec tout son corps la rune qu’elle cantilait. Sifréma sentit le lourd parfum. Elle sentait la dissociation se faire petit à petit. Si une partie de son esprit savait la rune à cantiler et les gestes à faire, l’autre partie commençait à divaguer, lui montrant des images incohérentes. Elle voyait des lignes qui se tordaient, dansaient, volaient. Elle savait que l’une ou l’autre prendrait un des morceaux de charbon de bois et tracerait ces lignes sur le mur blanc préparé pour l’occasion. Il ne fallait pas que ce soit elle pour que les soupçons ne puissent pas naître. La tête lui tournait. Elle regarda les autres qui ne semblaient pas mieux qu’elle. Elle avait perdu la notion du temps. Elle sentit sa langue butter sur une cantilation, ses bras devenir lourds. Le sommeil la gagnait. Elle fit un effort pour rester debout. Déjà trois des neuf femmes s’étaient allongées et dormaient. Elle s’appliquait pour cantiler les runes divinatoires sans faute. Une enchanteresse se laissa couler au sol dans un dernier mouvement de traçage. Elle ferma les yeux un instant. Quand elle les rouvrit, elle était allongée sur le sol. La maîtresse enchanteresse toujours debout venait de prendre un morceau de charbon de bois. Elle se dirigea vers le mur. Elle la vit s’arrêter, lever le bras et le laisser retomber. Sifréma voulut dire une des runes noires mais le son à produire ne venait pas à son esprit. Il aurait fallu. La maîtresse enchanteresse leva à nouveau le bras et commença à tracer la rune. Elle reconnut le début d’une des runes de protection que l’on recevait lorsqu’on devenait diseuse. Il en existait plusieurs tracés. Ils commençaient tous au niveau du cou et descendaient soit directement vers la hanche soit faisait le tour du thorax pour finir sur l’os du bassin. Des neuf femmes, elle était la seule à avoir le tracé direct. Un sentiment de victoire l’emplit quand elle vit que c’était le tracé direct qui venait sous les doigts de la maîtresse enchanteresse. Celle-ci avait aussi du mal à coordonner ses gestes. Arrivée à mi-parcours du dessin, elle eut comme un hoquet qui se traduisit par un empattement noir et elle lâcha le charbon de bois. Elle tomba à genou, ramassa le fusain et sans se relever, reprit le laborieux tracé de la fin de la rune. Suprême bonheur pour Sifréma, la maîtresse enchanteresse fit même les fioritures qui lui ornaient la hanche gauche. Arrivée au bout, elle sembla se tasser sur elle-même, son bras glissa sur le mur laissant quelques marques noires. La maîtresse enchanteresse, l’ancienne pensa Sifréma, venait de perdre connaissance. Sifréma se laissa alors aller au sommeil. Elle savait que les grandes diseuses qui ouvriraient les portes au matin, verraient le tracé runique. Elles feraient alors l’inspection des corps des enchanteresses et la reconnaîtraient comme la première de la fondation.
Dans la nuit qui s’avançait, un groupe de femmes et un homme couraient en portant un brancard.
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