mardi 12 avril 2011

Houtka - 3

L’enfant jouait avec des petits cailloux en pierre ponce pendant que ses parents veillaient. La saison des pluies était entamée depuis des jours et des jours. Plus rien n’était sec, et pourtant il le fallait. Le feu n’aimait pas l’eau. Pendant que les autres membres de la tribu allaient chasser ou cueillir les baies, leur rôle était de tenir le feu allumé, de l’approvisionner. Pour cela, il fallait du bois sec, ou qui avait séché. D’une saison à l’autre, ils faisaient des provisions de bois qu’ils stockaient à l’abri pour pouvoir l’utiliser pendant cette interminable saison des pluies. L’enfant jouait avec ses pierres ponces. Elle les avait colorées de différentes couleurs en les frottant dans la terre. Incrustée dans les anfractuosités, la couleur était restée. L’enfant les jetait appréciant les motifs obtenus. Se protégeant comme elle pouvait de la pluie, elle chantonnait. Un dernier lancé amena ses pierres au bord de l’auvent, entre sec et pluie. Elle vit une main s’en saisir.
«C’est joli, ces pierres. Elles sont à toi ?
- Oui, dit l’enfant, elles te plaisent ?
- Beaucoup. Tu les as bien décorées. Tu les lances souvent ?
- Oui, j’aime bien les voir rouler.
- Tu sais quand on les voit par terre on dirait des runes.
- C’est quoi des riunes ?
- C’est des mots pour dire ou commander, pour prier ou remercier.
- Et c’est joli ?
- Ça dépend de ce que tu dis.
- Je pourrais en dire des riunes ?
- Oui, tu pourrais dire des runes
- Et je pourrais demander ce que je veux avec des riunes
- Presque, mais il faut apprendre.
- J’veux bien apprendre à dire des riunes.
- D’accord petite fille. Je t’apprendrai quand je reviendrai.
- Tu pars ?
- Oui, petite fille.
- Mais je ne sais pas de riunes !
- Je t’en donne une : Siou.t...ama.gofa.
- Soustagafo ?
- C’est presque ça. Si tu la dis en lançant bien tes pierres, alors tu seras au sec, surtout si tu le crois.
- Alors je pourrais jouer avec mes pierres, si je dis la riune ?
- Oui, petite fille. Tiens tes pierres, ne les perds pas. Elles sont précieuses. »
L’enfant vit la main lancer ses pierres qui maintenant avaient de jolies couleurs pastel. Quand elle leva les yeux, il n’y avait plus personne.
«Soustagafo » dit l’enfant en lançant les pierres. Rien ne se passa.
« Sou tagafo ! » redit l’enfant mais rien.
«SOU T AGAFO ! » cria l’enfant. Son lancer de pierre dépassa ses prévisions et finit sous la pluie. Elle les regarda, émerveillée. Les pierres scintillaient comme ce qu’elle voyait la nuit dans le ciel et la pluie s’écartait. Le sol apparut sec en dessous. Hurlant sa joie, l’enfant se précipita sur ses pierres et recommença. A la fin de la journée, elle avait affiné son lancer et sa diction. A force d’essais pas toujours réussis et avec l’aide de la magie de la rune qu’elle ne soupçonna même pas, l’enfant pouvait se créer un coin sec n’importe où. Elle exultait et partit en courant le dire à ses parents.
La jalousie le rongeait. Il aurait dû avoir la responsabilité. Et pourtant c’est l’autre qui l’avait eue. Il enrageait intérieurement. Il le valait bien. Il était meilleur même. Cela faisait des jours et des jours qu’il cherchait comment reprendre la place qui aurait dû être la sienne. Les autres n’avaient rien compris en lui confiant cette charge. D’ailleurs il leur prouverait et ils seraient bien obligés de lui donner ce qui était à lui. Le chef l’avait envoyé cueillir les baies rougenoir qui poussaient les collines du côté du couchant. Ça l’avait maintenu loin du campement pendant toute la saison du soleil. Maintenant que les pluies étaient arrivées, son rôle était de ramasser des racines et des tubercules. Il restait ainsi plus près du camp. Il observait le gardien du feu et sa femme. Il ne voyait qu’une solution pour les punir et les chasser, éteindre le feu premier sur lequel ils veillaient.
Le meilleur moment était vers la fin de la saison des pluies quand ils relâcheraient leur vigilance. Depuis que sa décision était prise, il préparait le piège. Il avait prévu un réservoir d’eau qui devrait se déverser sur le feu premier mais en donnant l’impression d’un accident. Le plus long avait été de saper un des piliers du toit de feuilles qui protégeait le feu. Il avait été aidé dans son œuvre de justice par la topographie des lieux. Pour faciliter la protection du feu premier, la case avait été adossée à une petite éminence qui formait un creux. Ainsi déjà en partie protégé, le lieu du feu avait été renforcé d’une palissade et d’un toit que des feuilles rendaient étanches. Enfin quand tout allait bien. Plusieurs fois, le vent avait emporté ce fragile rempart, mettant le feu à la merci des pluies importantes. Heureusement pour la tribu, le gardien avait toujours promptement réagi en couvant le feu. Ce jour-là, il sentit que tout était prêt. La pluie n’était pas très violente mais ses réserves étaient pleines. Le poteau ne tenait plus guère mais n’en donnait pas l’impression. Le vent soufflait par rafales courtes et assez violentes, pas assez pour faire peur au gardien. Il profita d’un imprévu. La fille du gardien arrivait en courant et criait des paroles encore incompréhensibles car trop lointaines. Le gardien du feu se leva, s’éloignant ainsi de ses réserves de feuilles à couvrir le foyer. Quand il fut au bord de l’abri, un craquement sinistre se fit entendre et une masse d’eau se précipita sur le feu premier. Le gardien se retourna et son regard exprima toute l’horreur de la situation. La tribu se trouvait sans feu. En cette fin de journée, tous les feux seconds mis en oeuvre la nuit pour éloigner les bêtes sauvages, avaient cessé de brûler. Le gardien poussa un grand cri et s’écroula pendant que sa fille, ignorante de ce qui venait de se passer, entrait. Sa mère qui était revenue en courant en entendant le bruit, l’attrapa et la serra contre sa poitrine.
Cette scène de victoire se grava dans sa mémoire. Il ne doutait pas un instant qu’il serait le prochain gardien du feu.
La femme et son enfant marchaient. Bannie de la tribu, pleurant la mort d’un conjoint, la femme du gardien du feu s’éloignait en hâte du territoire de la tribu. L’accident qui avait éteint le feu premier, avait tué beaucoup plus que le gardien. La nuit suivante, sans feu pour se protéger, la tribu avait été attaquée par les grands mangeurs. Ils avaient tué ou blessé plus d’hommes que ses mains ne comptaient de doigts sans compter les femmes et les enfants. Le chef, blessé mais vivant, l’avait bannie au matin. Elle ne pourrait revenir que si elle ramenait le feu.
Quand le soir arriva, la femme prit peur. La fillette chantonnait. La pluie n’avait pas cessé de la journée. La nuit s’annonçait froide. Seule sur une terre étrangère, à la merci des fauves, la femme ne savait pas quoi faire. Voyant des singes se réfugier sur les branches d’un arbre, elle entreprit de faire de même. L’enfant monta sans se faire prier. Dans la nuit qui tombait, elles grignotèrent quelques racines. Prenant sa fille dans ses bras, elle lui murmura des mots doux dans l’oreille jusqu’à ce qu’elle s’endorme.
La femme se détendit un peu. Sa fille était trop jeune pour bien saisir tout ce qui se passait. Elle passait du rire aux larmes suivant les moments. Maintenant que son enfant dormait, elle pouvait laisser les larmes couler sur ses joues. Elle dormit peu et mal. Trop de peurs, trop de bruits inconnus l’avaient réveillée. Au matin, transie de froid, elle reprit sa marche forcée. Il lui fallait se mettre hors de portée des membres de la tribu. La journée ressembla à la précédente.
Dans la longue succession de pas sans arrêt ou presque, la pluie, le froid, la seule chose qui consolait l’enfant était de sentir ses pierres dans sa poche. Elle n’avait même pas pu les montrer à son père. La vision de la catastrophe repassait parfois devant ses yeux. Elle se demandait ce qu’elle avait fait pour que ça arrive. Quand trop épuisée pour continuer, elle trébuchait et tombait, sa mère s’arrêtait. Elle sentait sa peur. Elle avait peur. Loin des palissades et du feu protecteur, elle ressentait les dangers. Une deuxième nuit s’annonçait. Sa mère cherchait un nouvel abri. Les arbres étaient trop petits pour y grimper. Elle la sentait paniquer.
La femme regardait autour d’elle pour y chercher un abri, avec le soir les grands mangeurs et autres bêtes féroces allaient se mettre en chasse. Elle ramassa une branche solide et continua à chercher. Le soleil avait déjà disparu quand elle trouva une anfractuosité dans un éperon de lave refroidie. L’odeur était forte mais la place était vide, elle y poussa sa fille, qui s’endormit presque instantanément. Avec quelques branches qu’elle put traîner, elle obstrua tant bien que mal l’entrée. Est-ce que ce frêle barrage stopperait un grand mangeur ? Au moins se dit-elle, il ne pleuvait pas dans cet abri.
C’est le cri de sa mère qui réveilla l’enfant. Un grand velu s’attaquait à la haie de branchages qui lui barrait le passage. Il avait senti l’odeur étrangère dans sa tanière. Cela l’avait mis en colère. D’un dernier coup de patte aux griffes énormes, il se fraya un passage. La femme lui donna un coup de bâton. Ce n’est pas la douleur qui l’arrêta mais la provocation de cette bestiole ridicule avec son petit dans son antre. Il se leva sur ses pattes arrière et hurla sa colère. La femme essayait de faire face avec sa branche. Le grand velu faisait deux fois sa hauteur et devait au moins peser dix fois son poids. D’un coup de patte il la projeta sur la paroi. Heureusement pour elle, la branche avait un peu détourné le coup et les griffes ne firent que lui labourer le flan sans la déchirer complètement. Heurtant violemment la roche, elle tomba assommée. La fillette voyant sa mère comme cela jeta ses cailloux sur le monstre en criant aussi fort qu’elle put : « Siou.t...ama.gofa »
La rune de puissance libérée par l’enfant enveloppa le grand velu de son énergie. En quelques secondes, il tomba sec et raide par terre, toute son eau absorbée. Pour la fillette, ce ne fut même pas un miracle. Elle avait voulu qu’il laisse sa maman et il l’avait laissé et puis jamais plus il ne pourrait lui faire de mal. Elle courut vers sa mère et l’appela. Elle n’eut pas de réponse.
C’est alors qu’un bruit de branchage écrasé se fit entendre.
La fillette se retourna tout en pleurs. Un géant noir se tenait devant l’entrée.
« Bonjour, petite fille. C’est toi qui as dit la rune ?
- Mamaman, elle va mourir ?
- C’est pour cela que tu pleures ?
- Voui, parce que je l’aime mamaman !
- Tu veux que je la guérisse ?
- Tu pourrais ?
- Oui, mais réponds-moi, c’est toi qui as dit la rune ?
- Voui, j’ai dit la riune. C’est un grand comme toi qui m’a appris la riune. Même qu’il a joué avec mes pierres et que quand il me les a redonnées, même qu’elles brillaient.
- Un grand comme moi ?
- Voui, mais pas tout foncé comme toi, il était bleu. Et mamaman ? »
L’être de la terre dit une rune. Les plaies commencèrent à se refermer.
« Je pourrais aussi la dire ta riune ?
- Tu as compris ce que j’avais dit ?
- Voui, tu veux que je répète ?
- Non, il ne faut pas dire les runes à tort et à travers. Tu vois, petite fille, la rune que tu as dite m’a fait venir pour voir qui déployait tant de puissance.
- Alors je peux plus dire les riunes.
- Si petite fille, mais juste quand tu en as besoin. Dis-moi tout bas à l’oreille la rune que j’ai dite et je te ferai un cadeau. »
Le grand être se baissa et l’enfant s’approcha de lui. Comme elle n’atteignait pas son oreille, elle escalada son genou et lui murmura la rune.
« Je l’ai bien dite ?
- Oui, petite fille, dit l’être de la terre dans un grand rire, Je t’ai promis un cadeau, le voici ! »
Il donna une pierre brune et noire à l’enfant.
« Elle brille moins que les autres.
- Voui, mais je l’aime bien, on dirait la terre du potier.
- Alors fais en bon usage. Au revoir petite fille, ta mère commence à se réveiller.
- Au revoir géant. »
Elle regarda le grand être s’enfoncer sous la terre. Elle contempla sa nouvelle pierre, un cadeau rien que pour elle. Elle était ravie.
Le soleil se leva.

La femme ne comprenait rien à ce que lui racontait l’enfant. Elle se souvenait du grand velu, de la douleur et puis … plus rien. De ce géant, de ces runes, elle ne savait rien. Elle voyait la momie du grand velu devant la caverne. Elle voyait aussi que la pluie refusait de tomber dessus. La magie responsable de cela devait être forte car tous les animaux faisaient un détour pour ne pas passer près de la dépouille du fauve. Elle pensa que les hommes de la tribu feraient de même quand il la verrait. Elle tata la cicatrice de son épaule. Hier elle ne l’avait pas. Elle était tellement fatiguée, qu’elle se laissa aller au sommeil, sûre de ne pas être dérangée.
La fillette regarda sa mère dormir. La pluie avait presque cessé. La saison sèche allait pouvoir commencer. Elle joua avec ses pierres, les lançant et les relançant, récitant dans sa tête les runes apprises. Elle s’éloigna petit à petit de l’anfractuosité où dormait sa mère. Un papillon, quelques insectes, la vue de baies mûres l’entraînèrent plus loin que prévue. Quand elle prit conscience qu’elle ne voyait plus la caverne, elle se leva d’un bond regarda autour d’elle et partit en courant… du mauvais côté. Elle courait de toute la force de ses petites jambes, s’éloignant de plus en plus. Autour d’elle, le paysage devenait désert et chaud. Une coulée de lave finissait de refroidir. La nuit tombait, ainsi que le froid. La pierre noire était chaude. Elle s’assit et pleura doucement parce qu’elle était perdue.
L’être de feu était heureux. Il avait fait partir une nouvelle coulée de lave ; il en avait monté la température assez haut pour qu’elle soit bien fluide. Elle avait dévalé tout le flanc du volcan jusque dans la vallée. Il avait vu la végétation flamber, fuir tout ce qui le pouvait et mourir le reste. Cela l’indifférait, seule comptait la distance parcourue. Il descendait voir de combien de pas il avait dépassé la précédente. Depuis son intervention, le volcan avait beaucoup grandi. L’être de feu interférait avec le fonctionnement normal pour provoquer des coulées de lave. Préférant la solitude à ses expériences passées, il chassait tous ceux qui approchaient trop près. La colère bouillait toujours en lui et malheur à ce qui ne fuyait pas assez vite ou qui tentait le combat. Il avait ainsi réduit en cendres bien des monstres et bien des fauves, les autres êtres vivants fuyant le plus vite possible. Il était presque en bas de sa coulée quand il vit un grand mangeur roder. Ces bestioles chassaient en bande. L’être de feu les haïssait, peut- être parce qu’ils n’étaient pas seuls. Le fauve semblait en approche d’une proie. Laissant sa colère éclater encore une fois, il dit une rune. La combustion alla si vite que le grand mangeur n’eut même pas le temps de réagir. Par contre les autres membres de la meute partirent au triple galop pour échapper à cette terreur que représentait le feu. C’est alors qu’il entendit, porté par le vent comme des pleurs. Pourtant il ne voyait rien. C’était comme une détresse immense qui se disait. Scrutant le paysage, il ne vit rien. Oubliant la lave, il se mit à chercher l’origine de ce bruit qui le bouleversait. Il connaissait ces pleurs. S’il n’avait pas été de feu, il aurait eu les mêmes. Se faisant léger, il continua sa descente. Doucement il diminua sa chaleur. C’est alors qu’il repéra l’anomalie. Dans un coin là-bas, il ressentait une chaleur qui n’était pas minérale. C’était trop petit pour être un grand fauve, la lave était trop récente pour que ce soit un animal quelconque. Serait-ce un bipède ? Il en voyait parfois qui venaient chercher du feu. Beaucoup se brûlaient pour y parvenir. Certains même en mouraient. Les pleurs continuaient comme indifférents à ce qui se passait autour. Il approcha encore et découvrit un petit bipède caché au creux d’un repli de la lave. Il écouta plus attentivement.
« Mamaman ! Mamaman ! » sanglotait l’enfant.
Interloqué, l’être de feu s’assit sans bruit. Ces pleurs le rendaient perplexe. Il ne savait quoi faire. Face à la violence, il était armé mais là ! En lui, il ressentait une impression de déjà connue.
« Tu es perdue » demanda-t-il ?
En entendant cela la fillette sursauta. Elle vit l’être du feu et redoubla ses pleurs.
« J’ai perdu mamaman !
« Et alors t’as qu’à la chercher ! dit l’être de feu avec brusquerie, étonné de sa mauvaise humeur.
« J’sais pas où elle est, pleura l’enfant. J’suis perdue, toute seuuuuule ! »
L’être de feu se rappela ב et le manque après son départ. En lui, un nœud se fit, une boule gêna sa parole, il reprit dans un chuchotement.
« Tu es toute seule, toute seule ? Où est ton papa ?
- Il gardait le feu et il est tombé quand l’eau l’a éteint.
- !
- J’peux monter sur tes genoux, j’ai un peu peur ?
- Viens ! » dit l’être de feu singulièrement ému.
La fillette se pelotonna sur les genoux de l’être de feu. Elle s’endormit. Il la regardait surpris de la douceur qu’il sentait en lui.
Doucement de ses yeux de rubis scintillant, tombaient des larmes de flamme. Autour d’eux, le temps semblait suspendu. La nuit était venue. La fillette s’agitait parfois mais ne se réveillait pas. Ils restèrent ainsi, entourés des flammèches de larmes qui les séparaient du reste du monde.
Des animaux passèrent et s’arrêtèrent un instant pour regarder ce curieux spectacle d’un géant rougeoyant entouré de flammèches. C’est à peine si les plus attentifs virent l’enfant.
Mais petit ou grand, on ne va pas se frotter au feu.
Quand la fillette se réveilla, l’être de feu ne pleurait plus.
« J’ai faim ! dit l’enfant.
- Qu’est-ce que tu manges ?
- J’veux des fruits.
- Alors allons en chercher ! »
Quand l’être de feu se déplaçait, tous les autres se cachaient. La chaleur qu’il dégageait habituellement faisait fuir toutes les créatures rencontrées. Mais aujourd’hui, il restait étonnement doux. Aucun des animaux qu’ils virent ne se posa la question car ils avaient fui depuis longtemps. La fillette put goûter les meilleurs fruits, ceux qui sont tout en haut et que jamais, elle n’avait pu atteindre, ceux qui avaient mûri aux quelques rayons de soleil de cette fin de saison des pluies.
Ils parlaient ensemble, elle d’une voix petite comme une flûte, lui comme tout un orchestre.
« Comment tu t’appelles ? demanda la flûte.
- Mon nom est multiple, répondit l’orchestre.
- Et moi, comment je t’appelle ?
- Je ne sais pas si tu peux le dire.
- C’est une riune ?
- C’est quoi une riune ?
- C’est ce que les gens comme toi parlent.
- Tu connais des gens comme moi ?
- Oui et il m’ont appris des riunes et même que je sais les dire.
- Et qui tu connais ?
- Le bleu et le brun et toi t’es le rouge.
- Me voilà encore avec un nom de plus » dit l’être de feu en riant.
La conversation le rendait heureux. Ce petit bout d’être le rendait plus heureux que tout ce qu’il avait rencontré depuis qu’il était advenu.
« Et toi comment tu t’appelles ?
- Je ne sais pas, on doit me le dire plus tard.
- Et ta mamaman, comment elle t’appelle ?
- Elle a plein de petits mots très doux quand elle me cherche, et des piquants quand elle est fâchée.
- Alors je vais t’appeler petit être. En rune cela donne : Cal…ent…blu
- J’aime bien comme tu le chantes, Cal…ent…blu, Cal…ent…blu. Moi je vais t’appeler grand rouge, mais je sais pas le dire en riune.
- Fasssain…Ka. Cela se dit comme cela Cal…ent…blu.
- Fasssssssinka ?
- C’est presque ça, Fasssain…Ka. Essaye encore.
- Fasssssaim…Ka
- Si tu veux, mais ce sont nos noms que pour nous.
- C’est un secret ?
- Oui, c’est ça un secret » dit l’être de feu en souriant.

La femme pleurait. Avoir perdu son compagnon et sa fille en aussi peu de temps l’écrasait. Elle marchait, cherchant sans but sa fille. Elle s’était éloignée de la grotte et appelait l’enfant au mépris de sa sécurité. Elle passa ainsi un jour, puis deux. Le troisième la trouva pleurant encore, épuisée. C’est alors qu’ils la virent. Ils approchèrent comme les chasseurs savent le faire. Leur proie ne pourrait pas s’échapper. En la voyant ainsi pleurer, la comprenant inattentive, ils comprirent que cela serait facile. Les prêtres seraient contents, ils reviendraient avec une victime pour le sacrifice. Les chasseurs étaient contents, ils n’auraient pas à donner l’un des leurs.
Effectivement, la femme se laissa capturer sans résistance. Ils lui lièrent les mains dans le dos et la poussèrent vers leur campement. Ils mirent trois jours à y arriver. Ils ne maltraitaient pas la femme, mais ne lui donnaient que le strict minimum. Dans autant de jours qu’il y avait de doigts à leurs mains, ils seraient rentrés au village. Depuis l’arrivée des prêtres du Dieu fou, ou plus exactement depuis que leur armée avait vaincu la tribu des chasseurs-debout, ils devaient donner une victime à chaque nouvelle lune pour satisfaire le Dieu du feu, qu’ils surnommaient entre eux le dieu fou. Leur arrivée soulagerait les autres. Ils ne ramenaient pas une victime à chaque chasse.
Ils levèrent le campement et c’est un groupe fort de quatre mains de chasseurs qui se mit en marche. La femme, toujours désespérée, ne pleurait plus. Elle ne comprenait pas ce que se disaient les chasseurs. Elle était prisonnière. Elle serait esclave. Sans conjoint, sans sa fille, cela l’indifférait. C’est le feu qui la surprit le plus. Ils avaient avec eux, un pot à feu. Si son peuple avait connu cela, jamais le malheur ne l’aurait frappée. Comme chez elle, il y avait un gardien du feu dans le groupe. Il alimentait régulièrement le pot avec des herbes et des mousses. Suprême raffinement aux yeux de la femme, le pot à feu avait un couvercle qui le protégeait de la pluie.
Au début, elle fut reconnaissante à la marche qui lui changeait les idées. Les chasseurs marchaient vite et ne se reposaient quasiment pas. Quand la lumière fut à son maximum, la femme était épuisée et ne marchait que par pur automatisme. A la nuit, elle s’écroula sur le sol et s’endormit immédiatement. Les jours se succédèrent sans changement. Le paysage changeait pour passer de la steppe à un monde de collines.
Quand elle pensa qu’elle ne pourrait plus faire un pas, un des chasseurs cria et tous s’exclamèrent de joie. Elle comprit qu’elle était arrivée. Elle regarda et vit un gros bourg. Sa tribu lui sembla bien petite face à cette cité. De nombreuses fumées montaient des maisons en terre battue, recouvertes de palmes. A l’écart, un campement de tentes noires et un effrayant totem la firent frissonner.
Le groupe se remit en marche avec allégresse. Pour la femme ce fut le temps de l’inquiétude et puis de la peur. Sortant du campement de tentes, un personnage tout de noir vêtu, au visage scarifié, s’approcha. Quand il arriva près du groupe, le silence se fit, un silence de peur.
La femme comprit que tous avaient peur de ces guerriers en noir et encore plus de leur chef. Il s’empara de la longe qui attachait la femme et la conduisit vers son camp. Ce fut la panique qui envahit la femme quand elle fut attachée au totem. Devant elle sur le sol, à moitié calcinés, gisaient des ossements.
« Fasssssaim…Ka, allons chercher mamaman.
- On est bien ici, Cal…ent…blu. Je vais t’apprendre d’autres runes.
- J’veux bien apprendre d’autres riunes mais j’veux mamaman.
- Qu’est-ce que tu feras quand tu auras retrouvé ta mamaman ?
- On s’ra bien tous les trois. »
La fillette marchait en tenant la main du grand être. Celui avançait courbé en deux pour rester à sa hauteur. La proposition de l’enfant ne lui faisait pas plaisir. Depuis qu’il l’avait trouvé sur son champ de lave, il vivait dans le bonheur. Il n’avait pas envie de partager. Il sentait bien que s’il donnait beaucoup, il ne pouvait pas donner ce qui était nécessaire à l’enfant.
Douloureusement, il accepta d’aider la fillette à chercher sa mère. Il trouva la caverne où elles avaient passé la nuit. Il vit les restes momifiés du grand velu. Son opinion sur l’enfant changea. Elle était frêle et fragile mais pas sans force. Elle savait bien dire les runes, pas seulement les parler comme ils faisaient ensemble. Elle avait la parole d’autorité des runes, celle qui en libère la puissance. Il l’interrogea sur les runes qu’elle connaissait comme cela. Il reconnut la rune de l’eau et celle de la terre. Au fond de lui, les paroles de l’être double reprirent vie. L’être de feu connut le feu intérieur. Il entendit son besoin de l’autre et en sentit les dangers. Il devenait ce qu’il était. Comprenant l’appel de l’être double, il apprit la rune du feu à la fillette.
« Viens, Cal…ent…blu, tu as raison, il faut retrouver ta mamaman.
- J’suis sûre qu’elle va t’aimer.
- Tu sais Cal…ent…blu, quoiqu’il arrive, je reste ton ami. Tu as mon nom et ma rune. Si tu m’appelles, je serai là.
- Mais Fasssssaim…Ka, tu vas pas me laisser.
- Non, Cal…ent…blu, je ne te laisse pas. Regarde, je crois avoir trouvé la piste de ta mamaman »
Ils suivirent ses pas. Quand ils arrivèrent sur le lieu de la capture, l’être de feu comprit, pas l’enfant. Quand il essaya de lui expliquer, elle se mit à pleurer.
« - Ne pleure pas, Cal…ent…blu, Je suis là. Nous allons la retrouver et la délivrer. »
Pour mieux la consoler, il la prit dans ses bras et la berça. Quand elle se fut endormie, il examina le sol et à grandes enjambées, suivit la piste des chasseurs. Sur le lieu de leur campement, il ramassa quelques objets tombés. Un retint son attention. Il s’agissait d’un disque de bois noir où étaient gravées des flammes.Il poussa un long cri et partit en courant sur la trace des kidnappeurs.
Les noiraîtres l’attendaient au bout.

L’être de feu courait. Il courait d’autant plus vite qu’il ne le faisait pas pour lui mais pour l’enfant qui dormait dans ses bras, ignorante de ce qui se jouait. La pleine lune était pour ce soir. L’être de feu savait qu’il y aurait un sacrifice et qui serait sacrifiée. Déjà le soleil se couchait. Jamais, il n’y serait à temps. Il fut dans la crainte des pleurs de l’enfant quand elle comprendrait. Lentement la nuit se fit. Loin devant lui, des feux s’allumaient. Le prêtre du dieu du feu se préparait à officier. Loin de sa capitale, il avait choisi une suite de supplices aptes à marquer la tribu qu’il venait de soumettre. Il hésitait d’autant moins dans son choix que la victime n’appartenait pas au groupe. Ce serait une belle cérémonie et le dieu du feu serait content. Il avait prévu d’utiliser le feu pour commencer, la brûler mais pas trop pour qu’elle soit encore consciente quand il l’écorcherait vive. Il se remémora le rituel. Pour la première fois qu’il pouvait faire le grand rituel, il ne fallait pas qu’il se trompe. Dans la première partie, les vaincus participeraient. Ce sont eux qui allaient allumer le feu qui servirait à donner satisfaction au dieu. Il voulait en faire allumer assez pour pouvoir incinérer le corps à la fin. Il se méfiait aussi de la pluie. La saison sèche venait de débuter mais il préférait être prudent.

Et l’être de feu courait portant son fardeau.

Encadré de ses gardes, le prêtre apparut sur la place du totem. La femme y était attachée. Elle tremblait de peur. Il aima cela. Elle hurlerait sûrement très bien le moment venu. Derrière lui, dans un coffre, il y avait le nécessaire à faire le feu. Il dit la première prière. Comme il parlait dans sa langue, les chasseurs ne comprirent rien, mais l’intonation et la sonorité mirent la crainte dans le coeur des plus vaillants. Le prêtre frappa les silex sur la pierre à feu. Celle-ci une fois mouillée dégageait une vapeur qui s’enflammait à la moindre étincelle. Maîtriser l’allumage sans se brûler soi-même demandait du temps. Les nombreuses brûlures sur ses bras pouvaient témoigner de sa persévérance. Aujourd’hui prêtre qualifié, il savait. Bientôt le premier feu s’enflamma. Il dit la deuxième prière et poussés par des soldats, les volontaires s’avancèrent. S’approchant du feu, ils prirent un tison et allèrent vers les autres foyers.

Et l’être de feu courait à perdre haleine, la peur de ne pas y arriver l’emplissait.

La nuit était maintenant tout à fait noire. Seuls les feux éclairaient la place. Le prêtre en avait fait mettre tout autour. A chaque feu, les guerriers veillaient à ce que les chasseurs fassent ce qui devait être fait. Alimentés en bois pas trop sec, les feux prenaient doucement de la puissance. Le prêtre jugea que quand la lune se découvrirait, il serait juste le temps de commencer la torture.

Et l’être de feu qui vit le premier reflet du lever de la lune comprit qu’il arriverait trop tard. Il s’arrêta et pleura. La fillette se réveilla.
« Pourquoi tu pleures Fasssssaim...Ka ?
- Parce que j’ai tout raté, Cal...ent...blu.
- Mais je suis avec toi.
- Oui, Cal...ent...blu, tu es avec moi, mais nous n’arriverons jamais à temps pour ta mamaman.
- Qu’est-ce qu’elle a mamaman ?
- Des méchants lui veulent du mal.
- Comme celui qui a tué papapa.
- Pire, Cal...ent...blu, pire
- Alors faut courir.
- Je ne peux pas aller plus vite et nous sommes trop loin.
- Je vais dire la riune, tu vas voir. »
L’enfant sauta des bras du géant. Elle prit ses pierres et les jeta en disant la rune. La pluie se mit à tomber. L’être de feu sentit le désespoir l’envahir. L’enfant voyant que ce qu’elle avait fait ne servirait pas, jeta encore ses pierres et dit l’autre rune. Des fleurs se mirent à pousser. L’être de feu regarda les inutiles efforts de la fillette. S’il lâchait sa puissance, il savait que le feu atteindrait le village là-bas, loin, trop loin, mais que personne ne survivrait. Il hurla de peine. Comprenant son impuissance, l’enfant jeta ses pierres en bredouillant vaguement ses runes et s’effondra en pleurs.

Le prêtre se leva de son siège. Le moment était venu. La lune apparaissait à l’horizon. Sa lumière blanche lui réjouit le coeur. Tout était parfait pour réussir le sacrifice. Il s’approcha du feu près du totem. La femme le regardait les yeux exorbités. Il dit la prière du début de la torture sûr d’être entendu et approuvé par le dieu du feu. Puis il ramassa une branche incandescente.

Au loin, une enfant pleurait, une brise légère lui caressait la joue, agitant les fleurs fraîchement sorties de terre.
«Tu es bien petite pour dire les runes », dit une voix.
La fillette renifla et regarda autour d’elle
« Qui t’es, toi ?
- Je suis celui que tu as appelé par tes pierres et tes runes.
- Tu sais les riunes aussi
- Bien sûr, enfant. »
L’être de feu regarda autour de lui. Comme une grande ombre les couvrait de son tourbillon.
« Peux-tu, demanda-t-il ?
- Oui, je peux, Fasssain...Ka, dit la voix.
- T’es qui pour de vrai, demanda l’enfant.
- Je suis celui dont nul ne sait d’où il vient, ni où il va. Mais pour toi, parce que tu es Cal...ent...blu, j’irai là où tu ne peux aller. »
Aussitôt dit, la brise s’enfla, devint zéphyr et partit en ourageant.
Le prêtre approchait de la femme avec toute la lenteur nécessaire pour que sa peur soit maximum au moment du premier contact avec le feu. C’était indispensable pour qu’elle crie bien. Ce fut comme si une roche l’avait heurté. Le prêtre fut projeté dans un des feux autour de la place. Un mur de vent s’était mis à tout balayer d’un rire joyeux. Se transformant en trombe, il entreprit de faire le tour de la place. Aspirant tout ce qui se trouvait sur son chemin, il envoyait voler tout et tous. Le premier instant de surprise passé, le guerriers entreprirent de fuir. Le cyclone se centra sur le totem et prit de la force. Devenu ouragan, il réduisit en miettes le camp des noiraîtres mais aussi les cabanes des chasseurs. Projetant à distance tout ce qu’il aspirait, l’être de l’air visait les guerriers, aspirant les plus près et blessant ou tuant les autres par les objets qu’il envoyait de toute la force de sa rage.
La femme regardait sans comprendre. Au centre du vortex, elle voyait le mur intérieur tournant à toute vitesse sans que cela ne la touche. Le bruit était assourdissant mais au dehors, pour elle le monde était paix et calme.

L’être de feu et l’enfant avaient repris leur progression vers le village. Au loin sous la clarté de la lune, ils voyaient l’ouragan qui enflait. Un des bras du tourbillon les toucha, les souleva. Ils se retrouvèrent à flotter dans la masse même de l’air. Un rire joyeux retentissait.
« - Vois, Cal…ent…blu, ils ont disparu ceux qui faisaient le mal. »
La fillette cramponnée au bras de l’être de feu prenait plaisir au vol dans le vent. Elle voyait passer autour d’elle, des guerriers, des chasseurs reconnaissables à leurs costumes, mais aussi tout ce que le vent avait arraché au site. Ça allait du toit de cabane au brandon incandescent, que le vent toujours riant faisait se rencontrer dans un feu d’artifice surréaliste. Comme dirigés par une main invisible, l’être de feu et la fillette se retrouvèrent au centre. D’un bond le géant sauta à terre, protégeant l’enfant dans ses bras.
« Mamaman ! » dit la fillette en voyant la femme attachée au totem.
L’être de feu posa Cal…ent…blu par terre et détacha sa mère. Il avait à peine fini que le lourd totem fut pris par le bout de la trombe de l’être du vent qui partait toujours riant.
« Entends le vent, Cal…ent…blu, et appelle si tu en retrouves le désir. »
Quand il se fut éloigné, le silence se fit, seulement interrompu par les pleurs de joie de la femme serrant l’enfant sur son cœur. Son regard allait de l’enfant au géant à côté.
Autour d’eux, le camp des guerriers était ruiné. Il n’y avait aucune trace d’eux ni du prêtre. Des membres de la tribu des chasseurs s’approchèrent en se prosternant, tout ce qu’ils venaient de voir dépassait leur compréhension. La seule explication possible, la femme, l’enfant et surtout le géant étaient des êtres surnaturels.
Voilà maintenant trois jours que les évènements étaient arrivés. Les survivants avaient fait front comme ils pouvaient. Ils avaient commencé par bâtir un abri pour les fils des esprits comme ils appelaient la femme, son enfant et le géant. Le village était prospère et le vent avait peu détruit sa partie encaissée. La majorité des vivres était sauve. Délivrés du dieu fou, ils se demandaient ce qui allait leur advenir avec ce trio. S’ils estimaient que la femme était comme eux, l’enfant et le géant leur semblaient des êtres à part et surtout dangereux. Comme pour le prêtre du dieu fou, ils préférèraient courber l’échine que d’affronter des créatures capables de déclencher des ouragans. Leur sorcier les conseillait. Personnage rusé, il revendiqua la convocation des fils des esprits pour les délivrer des guerriers du dieu fou. Il observa longuement l’enfant. Il voyait la puissance en elle, mais aussi le jeune âge. Bien conseillée, elle pourrait être une aide efficace pour asseoir un pouvoir. Le chef de la tribu avait péri dans la tourmente, ce qui ne désolait pas le sorcier. Trop compromis avec les envahisseurs, il n’avait plus de légitimité. Le géant intriguait aussi le sorcier. Il ressentait une puissance quasi infinie.
Pourtant, il se conduisait plus comme une nounou que comme un être de puissance. La fillette lui avait-elle jeté un sort ? L’être de feu voyait l’enfant et sa mère vivre du simple bonheur d’être ensemble. Il observait aussi autour de lui. Il avait repéré le sorcier, le chasseur dominant, dont il ne doutait pas qu’il deviendrait le chef. L’être de feu avait eu son moment de gloire et de crainte quand il alluma un feu d’un simple mot. La fillette avait parlé au géant et ils s’étaient éloignés dans la plaine. « Pour quel rite ? », se demanda le sorcier. En revenant, elle semblait excitée comme un enfant avec un nouveau jouet. D’ailleurs dans ses mains, brillait une autre pierre que celles qu’il avait déjà vu. Son pouvoir semblait avoir besoin de ces pierres, mais seules elles ne suffisaient pas. En prenant beaucoup de risques, il avait réussi à les tenir un moment, mais dans sa main, elles étaient inertes, loin de ce qu’il voyait quand la fillette les tenait. Elle jouait très souvent avec. C’était à chaque lancé un festival de couleurs qui se déployait.
Le sorcier s’était même posé des questions sur la réalité de son ressenti. Avait-elle la puissance qu’il imaginait ? La réponse était venue un peu plus tard. Par maladresse, une femme avait mis le feu au toit d’une maison. D’un mot la fillette avait fait tomber des trombes d’eau qui avaient étouffé le feu. Puis elle s’était réfugiée dans les bras du géant ; ils avaient parlé longtemps ce jour-là.
Les relations entre la tribu des chasseurs, la femme et l’enfant se tissaient un peu plus fort chaque jour. Ils prenaient conscience qu’ils avaient failli livrer à la mort une guérisseuse. Le sorcier se livrait même à une cour assidue. Après tout, c’était le meilleur et le plus doux des moyens pour accéder aux bonnes grâces de cette femme et à ses secrets. Il avait commencé cela comme un moyen pour accéder au pouvoir et il s’était pris au jeu, séduit par cette femme étrange et attachante. La fillette, vive et joyeuse avait séduit la tribu, surtout depuis son coup d’éclat au moment du feu. Seul le géant provoquait encore un sentiment de malaise.
La saison sèche tirait à sa fin, quand le géant dit quelques mots à la fillette dans ce langage particulier qu’ils employaient. La fillette leva un regard inquiet vers le grand être. Celui-ci lui donna la main et ils partirent vers les collines. Ce n’est qu’à la nuit tombante que la fillette revint, seule. Elle alla à sa case. Sa mère interrompit ses travaux en la voyant entrer et lui tendit les bras pour qu’elle s’y effondre en larmes.
« Mamaman, il est parti !
- Tu es triste.
- Voui, je l’aimais bien Fasssssaim…Ka.
- Il reviendra.
- Il a dit, mais dans longtemps.
- On n’oublie pas un ami comme lui », dit sa mère en la berçant.
Elles restèrent ainsi, l’une berçant l’autre.

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